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Est-il possible d’évaluer les conséquences sur le(s) lecteur(s) ?

DEVELOPPEE EN GEOGRAPHIE FRANCOPHONE “Like news, this book is not entirely committed to the environment

I. Les partis pris de l’étude et la posture adoptée

2. Est-il possible d’évaluer les conséquences sur le(s) lecteur(s) ?

A l’échelle sociale, les messages médiatiques semblent cruciaux pour comprendre ce qui fait société. Tout message médiatique n’a toutefois pas le même impact : « L’implication sociale (on parle parfois de monopolisation) de la campagne médiatique est donc tout à fait déterminante dans les effets comporte-mentaux qu’elle peut obtenir. Les médias, on le voit, ne sont que l’un des facteurs, certes parmi les plus impor-tants, de l’influence sociale sur les pensées, attitudes, émotions et conduites » (Marchand 2004, p. 40). Un des biais principaux pour évaluer les conséquences du message sur le lecteur tient à cette diversité des messages reçus et à la diversité des lecteurs.

A l’échelle individuelle, le rôle des médias devient plus flou. En effet, si les interprétations d’un même texte sont en nombre limité, aucun texte ne peut avoir qu’une seule signification face à une pluralité de lecteurs (Fairclough 1995). « Si de nouvelles attitudes, cognitions et conduites peuvent parfois être formées sous l’effet de l’exposition à l’information médiatique, le plus souvent celle-ci renforce des atti-tudes et conduites déjà établies » (Marchand 2004, p. 40). Les lecteurs sont, à titre personnel, mauvais évaluateur de l’effet des médias sur eux-mêmes : ils surestiment les effets des messages média-tiques sur autrui mais le minorent sur eux, conformément à l’effet de tierce-personne (third-person effect)57 ou à l’optimisme irréaliste58 (Marchand 2004). Cette logique liée à l’interface discours – lecteur n’est pas le propre de la lecture : le déni du risque est général est souvent dû à l’affirmation d’un environnement sûr et à une mésestimation de la probabilité d’un risque (Slovic

et al. 1979). Selon le regard porté sur les médias et les individus en société, différents termes peu-vent être sélectionnés pour qualifier le rôle des médias sur chacun (Figure 19).

57 Il ne faudrait pas penser toutefois que cette règle est toujours vraie puisque P. Marchand (2004, p. 45), dans le même ouvrage, précise : « nous ne pensons pas systématiquement que les médias influencent les autres plus que nous-mêmes. Nous le pensons quand cela nous arrange (violence, racisme, sexisme et manipulations diverses) et nous sommes capables de penser le contraire quand ça nous arrange aussi (actions positives et désirables) ».

58 L’optimisme irréaliste de Weinstein est parfois nommé l’optimisme comparatif à la suite des travaux d’Harris et de Middleton. Il correspond à une projection dans le futur de l’individu qui se juge moins vul-nérable qu’autrui et plus à même de réussir.

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Figure 19. Différentes représentations des effets des médias sur les individus

Ce schéma (d’après D. McQuail 2010, p. 91) peut sembler quelque peu binaire, mais vise à insister sur les discours ambivalents portés sur les médias. La même caractéristique, selon le point de vue adopté (fa-vorable ou défa(fa-vorable), peut devenir une qualité ou un défaut. Enfin, considérer les effets des médias correspond toujours à une oscillation entre prise en compte des échelles individuelle (forces centrifuges) ou sociale (forces centripètes).

Les messages médiatiques sont sources de cultural resonance59 (Ferreira 2004) : un individu re-çoit le message dans un contexte général (social, historique ou culturel) et personnel, ce qui ex-plique des interprétations, des représentations ou des attitudes distinctes.

De même, les préoccupations médiatiques ne sont pas toujours celles des lecteurs (Wilkin-son 1999). Il est très difficile de savoir ce que le lecteur a vraiment lu car toute lecture de journal peut se faire en diagonale ou en sautant des passages. Néanmoins, R. Seydlitz et al. (1991) affir-ment que le lecteur qui n’a pas le temps de tout lire se contente de lire ce qui lui semble le plus applicable à sa vie : choisir un journal régional ou local permet peut-être alors de limiter une trop forte sélection du lecteur. En outre, C. F. Payne (1994) souligne que le lecteur a tendance à lire tout ce qui concerne le malheur d’autrui, ce qui explique les choix des journalistes (vus comme des anticipations des attentes des lecteurs) en termes de faits divers et autres focales parfois mor-bides.

Si la réception du message est la première étape, la compréhension du message est tout au moins aussi cruciale. Les méthodes d’évaluation des biais de cette source font partie des outils offerts aux sciences humaines et sociales : entretiens semi-directifs ou libres, questionnaires et enquêtes. La réception du message est un enjeu crucial des études médiatiques. S. M. Friedman et al. (1987a) tentent d’évaluer la qualité de la compréhension du message chez le lecteur à travers un sondage d’opinion. Par exemple, les lecteurs ont conscience de l’acuité de la question du ra-don, ce qui témoigne d’une bonne réception du message médiatique. Mais leur connaissance du phénomène est très superficielle et correspond aux informations simplistes données par les mé-dias dépassés par la complexité de la question. Ainsi, si la maîtrise des enjeux par le lecteur est faible, ce n’est pas dû à une mauvaise réception du message, mais à des failles dans la production de ce message. En effet, si le lecteur peine à comprendre l’ensemble des messages (notamment techniques) transmis par les médias, il se heurte à la difficulté encore plus forte de les

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ser : il faut alors distinguer le message tel qu’il est véhiculé de la vague image du message conser-vée dans l’esprit du lecteur (Mazur et Lee 1993). La production ne peut donc pas être pensée sans la réception du message. En effet, la lecture est à l’origine d’une sélection des informations et d’une interprétation. J. Nerb et N. Spada (2001) proposent d’analyser les effets de la lecture de différentes versions d’un article de journal sur un fait environnemental fictif pour analyser com-ment le public s’approprie ou non une crise environnecom-mentale en fonction de l’écriture du texte, des éléments donnés ou tus… C. Lacey et D. Longman (1997, p. 162) déterminent des « sphères culturelles de compréhension60 » liées à la réception du message en cinq temps : le premier temps re-lève de l’étude de l’événement, le deuxième de la sélection et des interprétations des informations données dans les médias, le troisième de l’évaluation par le chercheur des différents messages donnés dans chacun des journaux, le quatrième de la mise en place de différentes sphères cultu-relles superposées dues à des approches différentes de titres distincts de presse ; et enfin le cin-quième temps résulte de la confrontation entre la sphère à laquelle pense appartenir le lecteur et l’évaluation par le chercheur de cette appartenance ou non.

De plus, il ne faut pas oublier que la presse n’est qu’un des discours, qu’une source parmi tant d’autres probablement tout aussi valables. Les journaux ne sont qu’une des sources d’information, même sur le temps long ou sur des pas de temps sans relevé scientifique (Gregory et Williams 1981). Le scientifique peut avoir recours à d’autres discours préexistants, comme les récits littéraires, les peintures et autres œuvres d’art, ou les archives privées… Compléter l’étude de cette source par l’analyse complémentaire d’autres sources peut permettre de mieux cerner ses biais mais aussi ses atouts. Un autre type de protocole vise à comprendre la rédaction de l’information par le journaliste à l’aide d’un point de vue exogène : celui du lecteur. Les travaux de W. R. Freudenburg et al. (1996) insistent alors sur la complémentarité entre différents proto-coles : l’étude de la couverture médiatique via une base de données, une enquête auprès des étu-diants pour analyser leurs réactions à la suite des travaux de P. Slovic et une enquête d’un panel d’experts face au même protocole que les étudiants. Cette comparaison permet de mieux com-prendre les ressorts médiatiques, notamment dans la sélection de telle ou telle information, et de re-contextualiser la production du message au sein d’un circuit de la communication.

C. Bilan. Evaluer les risques d’une lecture médiatique des

pro-blèmes

B. Delforce et J. Noyer (1999b) analysent trois écueils susceptibles de mettre en péril une analyse discursive des problèmes dans les médias : le « médiacentrisme », la « généralisation hâ-tive » et « le nez dans le guidon ».

La première difficulté réside dans le choix des arènes, toutes n’offrant ni la même visibilité, ni la même facilité d’accès, ni la même publicisation. Un des risques est de trop se focaliser sur les arènes dont les manifestations sont les plus criantes : « cette approche conduit à ne retenir que les dimensions les plus visibles, notamment les plus publiques, voire les plus médiatiques, des processus d’émergence des problèmes » (Gilbert et Henry 2012, p. 37), risque accru en temps de controverse. Le choix des médias s’inscrit dans ce travers : si les médias sont effectivement « un lieu déterminant de construction sociale du sens, cette construction s’opère aussi dans d’autres arènes, sans doute moins visibles mais probablement

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tout aussi configurantes de la nature et de l’extension des problèmes publics » (Delforce et Noyer 1999b, p. 14). Ainsi, l’entrée par une arène ne doit pas sous-entendre de négliger totalement les rôles des autres, puisque leur réseau dépend de leurs interactions multiples et de la diversité de leurs formes.

La deuxième critique porte sur la volonté de modélisation des processus médiatiques. Si ces efforts sont vus comme légitimes, ils ne sont justifiés que par le croisement des sources, notam-ment via des lectures « intermédiatiques » (au sein d’un même secteur médiatique) et « intramé-diatique » (entre différentes natures de discours méintramé-diatiques) (Delforce et Noyer 1999b, p. 14). Le croisement des différentes sources est un moyen d’acquérir suffisamment de recul pour justi-fier une mise en modèle et éviter le troisième écueil, dit du « nez dans le guidon », qui met en exergue l’absence de mise en contexte ou d’analyse critique des sources.

Ces principes de prudence ne semblent pas si spécifiques à une étude fondée sur les médias, mais sont partagées par bon nombre de recherches en sciences humaines et sociales.

II. Les études environnementales fondées sur les médias :