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Le rôle de la systémique dans l’émergence d’une approche représen- représen-tationnelle de l’environnement

I. Le renouvellement des représentations de l’environnement

2. Le rôle de la systémique dans l’émergence d’une approche représen- représen-tationnelle de l’environnement

M. Amalric (2005) distingue deux types de recours aux représentations en géographie : d’une part une volonté de spatialiser certaines représentations et d’autre part, une approche qu’elle appelle « phénoménologique » (p. 42) et qui considère les représentations comme un facteur explicatif pour l’organisation spatiale. Ces deux composantes n’en font qu’une à travers la mé-thode systémique. La démarche systémique comme mémé-thode d’analyse de l’espace s’inscrit dans une volonté d’appréhender la complexité du réel (Pumain 2007). Elle donne une place à toutes les dimensions du système, dont font partie les représentations.

Si des jalons sont posés par l’écologie allemande, la cybernétique au milieu du XXème siècle introduit les systèmes complexes et les rétroactions (Claval 1998). L’approche systémique valo-rise la délimitation du système par rapport à son environnement, les dynamiques temporelles, les flux de matières entrants et sortants ainsi que les interactions entre les différentes composantes du système (Rosnay 1977). En géographie, elle permet, à différentes échelles spatiales et tempo-relles, d’organiser les éléments d’un système spatial, composé de sous-systèmes évolutifs et en interaction (Duval 2007). Elle favorise l’interdisciplinarité pour envisager toutes les dimensions et interactions des systèmes (Morin 2008).

L’entrée de la systémique en géographie dans les années 1960 s’inscrit dans un cloisonne-ment intra-disciplinaire marqué entre la géographie dite « physique » et la géographie dite « hu-maine ». Dans la première, les biogéographes traitent de l’écosystème (Tansley 1935), tandis que les géomorphologues s’approprient le « système fluvial » (Schumm 1977), puis l’« hydrosystème » (Petts et Amoros 1987). Les géographies sociale puis culturelle peuvent se réfèrer, quant à elle, au « sociosystème » (Lapierre 1992) qui interprète les groupes sociaux comme des systèmes com-plexes nourris par des interrelations. De premières approches transversales à la géographie sont développées à Toulouse. Le « géosystème » mis en place par G. Bertrand intègre alors des élé-ments socioculturels pour lire le paysage, tels les représentations sociales ou les aménageélé-ments ; mais il reste encore relativement focalisé sur le milieu (Rougerie et Beroutchachvili 1991). Le géosystème a été approfondi et complété par le Géosystème Territoire Paysage, où l’accent se déplace encore davantage sur les activités humaines (Figure 3).

Figure 3. Une représentation du Géosystème Territoire Paysage (d’après Bertrand et Bertrand 2002)

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Si le géosystème permet de citer les activités humaines dans le système, elles ne sont qu’une dimension parmi d’autres (Bertrand et Bertrand 2002), alors que l’anthroposystème en fait une dimension prépondérante. Une dernière rupture épistémologique survient donc dans les années 2000 avec l’anthroposystème (Lévêque et van der Leeuw 2003). Son originalité réside dans son organisation systémique, la combinaison de l’écosystème et du sociosystème et sa focale exposée sur l’anthrôpos. Penser l’environnement à une échelle plus petite et systémique permet d’intégrer un maximum de paramètres nécessaires à la gestion des espaces dans leurs composantes natu-relles et anthropiques, favorisant alors la protection des milieux ou la gestion des risques (Le Lay et Piégay 2007).

De même, au sein de l’Ecole de Besançon, le système paysage présente trois dimensions du système producteur l’abiotique, le biotique et le construit et les filtres perceptifs inhérents au système utilisateur (Brossard et Wieber 1984). Les représentations deviennent alors un des élé-ments du système (Figure 4).

Figure 4. Les représentations : notions connexes et connexions

Deux couleurs ont été choisies : le gris pour les processus individuels et le noir pour les dynamiques à l’échelle sociale. Le choix du singulier (générique) a été fait, même si les dynamiques sont plurielles. Une lecture de la gauche vers la droite est proposée, mais comme cette figure s’inscrit dans une entrée systé-mique, un autre sens peut être choisi puisque tous les éléments interagissent. Dans une optique constructi-viste, les objets du réel correspondent à trois sous-systèmes : l’abiotique, le biotique et l’artefact (qui aurait aussi pu être nommé aménagement). Si le modèle en trois sous-systèmes est conservé, le système dit pro-ducteur est quelque peu modifié pour s’inscrire dans une perspective plus constructiviste et les deux autres sont eux complètement repensés. Ces objets du réel sont appréhendés par des individus via les cinq sens et les sensations, les vécus et les savoirs. Cela modèle le deuxième système en interaction, mais ce sous-système construit et définit les entités du premier sous-sous-système. Le deuxième sous-sous-système en interaction qui apparaît met en contact les individus avec les objets du réel et d’autre part les représentations. Il repose sur des éléments qui correspondent à des filtres (les perceptions, les pratiques et la mémoire) : ce terme de filtre est souvent employé mais peut être critiqué, d’où la proposition du terme de contact, plus neutre et plus relationnel. Ces trois composantes correspondent à la fois à des activités (ou à des processus) mais aussi aux résultats nés d’une capacité. Ce deuxième sous-système est créé par les représentations, tout en les façonnant via trois facettes : l’imaginaire, l’attitude et les valeurs. Les représentations sont alors com-prises comme un système alimenté par des représentations sociales et individuelles qui interagissent. Les représentations sont aussi en interaction avec le premier sous-système des objets du réel puisqu’elles les construisent à base de connaissances (c’est-à-dire du fait d’un contact direct passé) et dont elles interprè-tent les images (au sens restreint) : ces objets du réel élaborent des images sources d’images mentales.

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Les composantes correspondant aux objets construits du réel semblent applicables à l’environnement. Il s’agit de mieux comprendre les liens entre pratiques, représentations, atti-tudes et perceptions et d’offrir un regard sur les filtres qui modèlent les individus, les groupes sociaux ou les sociétés. Les représentations apparaissent alors comme « un moyen et non une fin » (Amalric 2005, p. 42) qui permet d’appréhender des thématiques plus larges de la géographie comme les pratiques, les enjeux d’aménagement ou les politiques publiques.

B. L’environnement au-delà des dichotomies classiques ?

Les représentations de l’environnement semblent abordées selon un modèle binaire, parfois de l’ordre de la continuité parfois vue comme des ruptures, entre « humain » et « naturel ». « Les distinctions comptent moins que le fait qu’ils renégocient tous de quoi est composé le monde, qui agit en lui, qui importe et qui veut. Ils créent tous, et c’est là l’essentiel, de nouvelles sources de pouvoir et de nouvelles sources de légitimité, irréductibles à celles qui codaient jusqu’ici l’espace dit politique » (Latour 2011, p. 71-72). Cette partie vise à déconstruire des dichotomies (« nature » / « culture », « sciences dures » / « sciences molles ») qui semblent inappropriées en général, et encore davantage dans le domaine de l’environnement. Ainsi, d’après M. Callon et al. (2001, p. 141), la « coopération entre profanes et spécia-listes est d’autant plus inévitable et d’autant plus féconde que l’on se rapproche de domaines qui touchent à la santé et à l’environnement, en un mot des domaines dans lesquels les savoirs concernent d’une manière ou d’une autre la personne humaine dans sa totalité ».

1. « Nature » / « Culture »

La déconstruction de la dichotomie entre nature et culture donne naissance à deux mou-vances complémentaires : la reconnaissance d’une symétrie généralisée (Callon 1986) et l’affirmation d’une science environnementale.

Ainsi, M. Callon (1986) affirme deux principes : d’une part la symétrie généralisée mobilisant un seul répertoire pour des éléments dits de nature et d’autres dits de société, et d’autre part la libre association pour abolir la frontière entre la « nature » et la « société » en rediscutant les caté-gories. Ces deux principes aboutissent à la reconnaissance d’humains et de non-humains (Desco-la 2011). Ainsi, B. Latour (2011) montre comment les microbes, bien que non-humains, devien-nent des acteurs constitutifs de la société et des relations sociales. De plus, il affirme que toute vision « aménagiste » de la nature n’est pas le propre de l’humain : les non-humains doivent aussi s’adapter aux conditions naturelles. Le diptyque entre sauvage et apprivoisé voire domestiqué doit lui aussi être repensé : le sauvage n’est pas le propre de la « nature ». Ainsi, les logiques com-plexes qui sous-tendent la réalité relèvent d’un entremêlement et d’une interaction entre des réali-tés dites sociales et d’autres dites naturelles, entre les humains et les non-humains.

Cette dichotomie entre nature et culture a pu révéler une autre dualité, elle aussi à repenser : « sciences dures » / « sciences molles ». M. Callon (1986) prône la mise sur le même plan de dif-férents savoirs scientifiques (par exemple sciences dites de la nature ou sociologie). Cette conti-nuité entre ce qui a pu être vu comme un cloisonnement disciplinaire devient interaction dans les sciences dites environnementales : « on se place dans la perspective de sciences sociales ayant un rôle à jouer dans la question environnementale ; l’interdisciplinarité dont il est ici question inclut donc à la fois les sciences de la nature et les sciences sociales » (Leroy 2004, p. 275). Mais le dialogue ne construit pas uniquement

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une approche plus « intégrée » des disciplines scientifiques, mais aussi des sphères encore trop souvent disjointes entre sciences et sociétés.