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II. Les problèmes sociaux : définir des situations et cons- cons-truire des enjeux

2. Un continuum de problèmes environnementaux particuliers ?

Le problème social semble souvent proche des concepts d’affaire, de crise, de controverse, de dispute, de polémique, voire de scandale. Tous ces termes sont utilisés pour des phénomènes relativement universels ou « normaux », bien que différents de l’ordinaire, voire violents : cette reconnaissance de « normalité » permet de leur attribuer un rôle dans le fonctionnement des sociétés (de Blic et Lemieux 2005). Ce sont des faits anthropologiques partagés qui peuvent alors être observés sans émettre de jugements.

Ils sont vus tantôt comme des reflets sociaux, tantôt comme des instantanés sociaux. La première approche les considère comme des miroirs favorisant « la reconstitution des évolutions so-ciales et institutionnelles qui ont mené à la dispute ou bien encore, par l’analyse des trajectoires des acteurs qui s’y sont impliqués et du type de ressources qu’ils ont mobilisées, de rendre explicables et prévisibles le cours qu’elle a pris et la façon dont elle s’est terminée » (Lemieux 2007, p. 191). Ils apparaissent comme des reflets des luttes de pouvoir et d’influence ou des inégalités socio-économiques. Leurs causalités se trouve-raient alors dans le passé. La seconde approche les appréhende comme des moments à part en-tière, du présent, des périodes de transformations de la société qui sont « comme des occasions pour les acteurs sociaux de remettre en question certains rapports de force et certaines croyances jusqu’alors institués, de redistribuer entre eux "grandeurs" et positions de pouvoir, et d’inventer de nouveaux dispositifs organisationnels et techniques » (Lemieux 2007, p. 192). Le binôme « révélateur » / « effecteur » mobilisé par E. Morin (1984, p. 139) pour la crise semble donc transférable, tout comme le sont les propos de M. Cal-lon (2006a) sur les controverses sociotechniques : « D’abord elles révèlent l’existence des nombreuses négociations qui précèdent et délimitent les choix techniques proprement dits, tout en montrant le caractère limité de ces négociations. Ensuite elles constituent un terrain privilégié pour étudier les mécanismes par lesquels certaines

20 La praxéologie met l’accent sur les actes, les actions et les faits via la théorisation du quotidien ou des pratiques.

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solutions, qui s’imposent d’abord localement, finissent par s’étendre à toute la société ». La littérature a particu-lièrement insisté sur les concepts de crise, de controverse ou de scandale qui semblent embléma-tiques de ces « milieux sociaux effervescents21 » (Durkheim 1912, p. 313). Ces bulles de change-ments prennent forme dans des situations de natures contrastées.

a. Vers une typologie des problèmes sociaux ?

Les différents termes définis par la suite sont mis en système dans la figure 6. Ce modèle conceptuel dresse une typologie de problèmes sociaux selon les différentes évolutions tempo-relles, spatiales ou sociales remarquées.

Figure 6. Le problème social : une notion générique

Cette figure dresse une typologie des problèmes sociaux. Quatre critères ont permis sa construction : l’ordinarité, le confinement, les espaces concernés et les actions entreprises. Les situations quotidiennes basculent dans le problème social à travers l’affirmation d’un espace public, la construction d’arènes pu-bliques, à l’origine de ruptures définitionnelles qui mettent en avant les politiques publiques. La crise est une forme de problème social qui met l’accent sur la prise de décision, qui met en jeu un système d’acteurs généralement fondé par un ou des lanceurs d’alerte et qui se réunit autour d’un événement ou de manifes-tations sur le plus long terme (comme les rumeurs) ou la combinaison des deux. Au sein de la crisologie, la controverse sous-entend la mise en place de parties qui s’affrontent devant un public juge, alors que le doute persiste. Le scandale et l’affaire ne sont pas distingués : la bifurcation réside dans une situation ad-venue, avérée, qui entraîne une recherche des torts et des coupables et qui peut être réglée devant un tri-bunal. Le temps est représenté par un fil gris, mais ce n’est pas un processus linéaire : des retours en arrière

21 Cette expression a été employée par Durkheim pour aborder une thématique autre, les croyances collec-tives et « l’idée religieuse » (p. 313), en soulignant le rôle de l’intégration sociale et des passions exprimées.

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peuvent avoir lieu et les phases n’ont pas la même durée. De plus, les tailles respectives des quatre pro-blèmes identifiés ne sont pas représentatives de leurs poids respectifs : les propro-blèmes sociaux sont bien plus nombreux que les scandales et les affaires.

Le travail entrepris vise à mieux comprendre le basculement du quotidien aux problèmes sociaux. Au sein de ces derniers, différentes formes apparaissent, de la crise à l’affaire.

b. L’environnement à l’ère du soupçon22

La figure du lanceur d’alerte ou du tireur de sonnette d’alarme (whistleblower) devient centrale lors de l’effervescence. Dans ses mots et ses actions, l’environnement s’avère un trompe-l’œil : derrière une image « normale » voire louée, la réalité serait tout autre, dangereuse et dissimulée.

Ce concept médiatisé dès les années 1970 (Nader et al. 1974) ne fait pas tout-à-fait référence aux mêmes réalités (notamment dans la législation) en français et en anglais. Le whistleblower in-carne une dualité du ressort éthique entre société et entreprises ou services : les citoyens ont le droit de savoir, mais l’organisation est souvent fondée sur le secret ou le confidentialité, c’est pourquoi différents pays ont légiféré dès les années 1990 pour protéger les whistleblowers (Vande-kerckhove 2012). Ainsi, aux Etats-Unis, quelques exemples peuvent être donnés : le Whistleblower Protection Act (WPA) de 1989 renforcé en 2000 par le No-FEAR Act et en 2012 par le Whistleblo-wer Protection Enhancement Act of 201223. Néanmoins, la protection des employés dénonciateurs peut sembler plus ancienne pour certaines thématiques : par exemple le Clean Water Act de 1972 assurait déjà cette protection. Les acteurs mobilisés peuvent être des individus, des associations reconnues de protection de la nature ou des mouvements grassroots. Ces derniers présentent des compositions particulières (des profanes, avec notamment une plus forte représentation des femmes et des minorités ethniques) ainsi qu’un intérêt très fort pour les questions locales, les enjeux sanitaires liés à l’environnement et l’enquête pour éclairer une hypothèse de cause à effet entre l’environnement et des observations de terrain de nature épidémiologique pour passer « des "cas" aux causes » (Akrich et al. 2010, p. 20) ou « des causes aux "cas" » (Akrich et al. 2010, p. 23). Le terme de whistleblower s’applique à des individus qui s’inscrivent dans une démarche d’action.

En France, ce concept est plus récent : les travaux « précurseurs » de F. Chateauraynaud et de D. Torny (1999) portent sur des scandales très médiatisés (vache folle, nucléaire ou amiante). Malgré différents ouvrages, notamment grand public (voir par exemple Cicolella et Benoit-Browaeys 2005), le rôle joué par différentes associations et la volonté annoncée lors du Grenelle (Mission Lepage 2008), l’Etat français n’a légiféré que tardivement. En 2013, la loi24 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lan-ceurs d’alerte crée la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement et protège les personnes physiques ou morales lançant une alerte en

22 Ce titre est une reprise d’un recueil de quatre essais écrits entre 1947 et 1956 par Nathalie Sarraute où il est question de la relation qui a changé entre le lecteur et les personnages de roman. La relation de con-fiance serait rompue, le trompe-l’œil s’affirmerait.

23 A titre d’exemple, sur les définitions états-uniennes, le Whistleblower Protection Enhancement Act of 2012 est en ligne http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/BILLS-112s743enr/pdf/BILLS-112s743enr.pdf, consulté le 03/04/2014.

24 Loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'envi-ronnement et à la protection des lanceurs d'alerte (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027324252&dateTexte=&categ orieLien=id, consulté le 03/04/2014).

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matière sanitaire et environnementale. Le lanceur d’alerte est défini par la loi : « Toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l’environnement. L’information qu’elle rend publique ou diffuse doit s’abstenir de toute imputation diffamatoire ou injurieuse ». Par ailleurs, le terme de sentinelle de l’environnement a pu être mobilisé, sans distinction cette fois entre les humains et les non-humains (par exemple à la fois pour les pêcheurs ou l’abeille25).

Cette figure du lanceur d’alerte est valorisée notamment pour son attention, sa vigilance et son rôle dans le principe de précaution : « Evoquer l’hypothèse dite du "pire", ce n’est pas dire que le pire adviendra à coup sûr ! C’est, de manière constructive, rappeler que, face aux incertitudes, la précaution incite à prendre en compte toutes les hypothèses, même les plus marginales. D’où l’importance des "lanceurs d’alerte" et autres "oiseaux de mauvais augure" qui attirent l’attention sur des faits isolés, énigmatiques mais susceptibles d’annoncer des atteintes plus larges » (Callon et al. 2001, p. 276). Cette alerte et ce dévoilement d’un caché ou d’un méconnu peuvent être une rupture, un déclencheur débouchant sur des situations comme la crise, la controverse, le scandale ou l’affaire, autant de concepts à éclairer.

c. L’environnement en crise ? La crisologie ou l’art de décider

La crise en français est un terme transversal, utilisé en médecine (crise cardiaque ou de foie), en économie (la crise de 1929 ou des subprimes), en politique (la crise d’un parti), en psychologie (la crise de nerf ou de rire), en urbanisme (la crise des banlieues ou du logement), dans les sphères familiales ou amicales (rencontrer une crise dans son couple ou une crise de jalousie)… Cette polysémie et cette ubiquité ont pu permettre d’installer ce concept dans des démarches interdisciplinaires (Beck et al. 2006). Ce terme omniprésent semble aussi galvaudé voire vidé de son sens : dans quelle mesure permet-il d’appréhender un problème ?

Le concept de crise présente des connexions avec différentes notions (comme la perturba-tion, l’aléa, le désordre, l’incertitude, le blocage, les solutions, le changement…) et invite à « conce-voir la société comme système capable d’aconce-voir des crises, c’est-à-dire système complexe comportant des antagonismes sans quoi la théorie de la société est insuffisante et la notion de crise inconcevable » (Morin 1984, p. 142). E. Morin prône une crisologie, comme pensée de la singularité de chaque crise entre théorie et pra-tique, en rappelant que « Krisis signifie décision : c’est le moment décisif, dans l’évolution d’un processus incertain, qui permet le diagnostic » (Morin 1976, p. 149). La crise étymologiquement correspond donc à un moment de choix, de décision, de mesure, sens trouvé notamment dans l’adjectif cri-tique : « La krisis renvoie d’un côté à tout ce qui relève du fait de décider : l’opération intellectuelle du jugement, mais aussi son résultat (la décision), et enfin son incarnation textuelle, la sentence. Mais cela désigne aussi le moment où se déploie toute cette opération et où se prend telle ou telle direction » (Bouilloud 2012, p. 154). La crise peut être vue comme un moment de concentration limité dans le temps : « un microcosme de l’évolution, […] une sorte de laboratoire pour étudier in vivo les processus évolutifs » (Morin 1984, p. 151).

Dans R. Brunet et al. (2005), la crise est définie comme un « moment d’extrême tension, de pa-roxysme, de conflit, de changement […] de doute, d’indécision » et comme un « temps de dégradation du sys-tème » (p. 125). La crise semble particulièrement pertinente pour questionner des enjeux environ-nementaux ou d’aménagement : « cette activité collective a été mise en boîte noire sous la forme d’un artéfact

25 Par exemple l’abeille est vue comme une sentinelle de l’environnement dans la campagne menée par l’union nationale de l’apiculture française (http://www.abeillesentinelle.net/lapetition.php, consultée le 04/04/2014).

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[…]. Parfois, cependant, les boîtes noires s’ouvrent brutalement. La présence et l’activité de ces actants deviennent visibles lorsque surviennent des échecs ou des incidents » (Callon 2006b). Ainsi, les discours de crise con-cernant l’environnement insistent souvent sur la nécessaire prise de conscience de la menace sur un ton culpabilisant, alarmiste voire catastrophiste discutable, la mise en cause des humains vus comme responsable de la dégradation dans une séparation « nature » / « culture » hors de propos et sur l’échelle globale des phénomènes en gommant les particularités locales, autant de lieux communs à questionner par les géographes (Arnould et Simon 2007).

d. Ce que les controverses sociotechniques peuvent apporter aux controverses envi-ronnementales

Il semble possible de distinguer la controverse de la crise, même si l’hésitation définition-nelle autour de la crise floute leurs contours. Toute crise ne devient pas une controverse. En effet, des crises particulières deviennent des controverses : « des situations où un différend entre deux parties est mis en scène devant un public, tiers placé dès lors en position de juge » (Lemieux 2007, p. 195). La controverse répond donc à trois critères : deux (groupes d’)acteurs face à face, avec des dissen-sions visibles dans l’espace public. La crise peut rester confinée dans la sphère privée, elle ne nécessite pas une publicisation. De plus, une crise ne sous-entend ni dispute, ni désaccord : face à une perturbation, elle entraîne une évolution, une prise de décision ou un rééquilibrage. La controverse correspond donc au dévoilement d’une question ou d’un enjeu, à l’identification d’acteurs impliqués et permet donc d’établir une thématique sur le devant de la scène, lieu d’affrontements d’avis antagonistes ou de contradictions : elle « contribue à rendre visibles ces événe-ments d’abord isolés et difficiles à percevoir, car elle met en scène des groupes qui s’estiment concernés par des dé-bordements qu’ils contribuent à identifier. Les investigations se poursuivant, des liens de cause à effet sont mis en évidence » (Callon et al. 2001, p. 50). Comme la crise, la controverse donne donc naissance à de nouvelles dynamiques pour mieux comprendre les interactions.

La controverse sociotechnique a été explorée notamment par le Centre de Sociologie de l’Innovation (Akrich et al. 2006). Les controverses sociotechniques ne sont pas toutes liées à l’environnement puisqu’un de leurs points communs est de porter sur un objet technique. Néanmoins, trois entrées définitionnelles proposées par M. Callon (2006a) semblent transfé-rables aux controverses environnementales : « 2. Les solutions envisagées sont multiples. […] 3. Les groupes sociaux impliqués et leurs intérêts sont aussi nombreux et variés que possible. […] Chacun défend des intérêts spécifiques, sujets à négociations, qui l’amènent à privilégier tel problème technique, tel usage, tel pro-gramme de développement. 4. Enfin les forces qui s’opposent tout au long de la controverse s’équilibrent en perma-nence ; même si à certains moments un acteur particulier parvient à faire taire les autres, à s’ériger en porte-parole du plus grand nombre, il est bien vite contesté et débordé de tous côtés ». Si les controverses permettent d’allier trois dimensions d’une situation, elles permettent de mieux cerner comment les jeux d’acteurs entraînent (ou non) l’évolution d’une situation : « Elles favorisent l’enrichissement et la trans-formation des projets et des enjeux initiaux, permettant simultanément la reformulation des problèmes, la mise en discussion des options techniques et, plus largement, la redéfinition des objectifs poursuivis » (Callon et al. 2001, p. 55). Comme la crise, la controverse ne doit pas être vue à travers un prisme catastrophiste. Certes certaines controverses soulèvent des enjeux lourds de sens et de conséquences, mais ce moment de l’incertain n’annonce pas le pire : elles sont aussi synonymes d’ouverture et de nou-velles dynamiques sociales.

« Les controverses socio-techniques se nourrissent des incertitudes qui entourent l’établissement des faits scien-tifiques et la parole des experts » (Garcier et Le Lay 2015). Quand la controverse devient un scandale ou une affaire, la situation est souvent avérée, plus fermée et grave : les champs lexicaux peuvent

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relever de la révolte ou être marqués par un certain pessimisme. La controverse est associée au doute, à l’incertitude et au non avenu : « Une controverse rend perceptible les incertitudes, et par conséquent les nouvelles voies de recherche à explorer. Elle fournit l’occasion de revenir à des pistes écartées » (Callon et al.

2001, p. 54-55). Une des différences cruciales entre la controverse et le scandale ou l’affaire ré-side dans les modalités de recherche des responsabilités ou des coupables. En effet, le différend de la controverse ne permet pas toujours de trancher via des jugements de valeurs : les torts n’existent pas forcément. Malgré le public pris pour juge, tous ont des raisons sans forcément instrumentaliser des informations ou d’autres acteurs.

e. Affaire ou scandale ? Entre dénonciateurs et responsables

Scandale du talc Morhange, du Distilbène, des hormones de croissance, du sang contaminé (Marchetti 1997), de la vache folle (Peretti-Watel 2001), de l’amiante (Henry 2000), de l’Erika, des prothèses PIP, du Mediator26 ; Affaire Dreyfus, Elf, Clearstream, Snowden… Deux termes différents associés respectivement à un type de situation27 : que recouvre cette dichotomie ?

D. De Blic et C. Lemieux (2005) considèrent qu’une même situation peut avoir trois des-tins : « soit sa confirmation comme un scandale "avéré" (à travers, notamment, la demande unanime que le cou-pable désigné soit châtié) ; soit sa reconnaissance implicite comme un non-scandale (à travers la relativisation géné-ralisée de la faute dénoncée) ; soit encore, sa transformation en une affaire (à travers le retournement de l’accusation scandaleuse en direction de l’accusateur) » (p. 16). La différence entre le scandale et l’affaire est alors précisée : la valence donnée aux dénonciateurs et aux coupables les distingue. Le scandale est vu comme injuste : les responsables doivent être punis. L’affaire est une forme particulière de scan-dale qui prend une autre tournure et donc une autre nature : deux camps s’opposent, ceux qui considèrent les coupables comme coupables (comme dans le scandale) et d’autres qui voient le dénonciateur comme coupable (à la suite d’un basculement de la focale scandaleuse).

D. de Blic et C. Lemieux (2005) mettent au premier plan l’étymologie du scandale pour par-venir à son sens courant : « une origine religieuse qui renvoie à l’idée d’un obstacle, d’une pierre d’achoppement, […] une contradiction devenue publique et visible de tous : c’est un fait public, troublant et con-tradictoire, qui met un obstacle à la croyance collective, et sème par là même la dissension » (p. 14-15). Le scan-dale s’exprime par des actes du langage visibles et publicisés (notamment devant les tribunaux) comme l’affaire, mais l’héritage religieux peut s’expliquer par l’importance des dommages et des victimes. En effet, les scandales majeurs entraînent généralement des décès et des blessures.

26Libération, le 16 novembre 2010, dans le cadre du scandale du Mediator, propose une chronologie des scandales sanitaires majeurs en France. Parmi les retenus, le scandale du talc Morhange, du Distilbène, du sang contaminé, des hormones de croissance source de transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, des prothèses PIP, du Mediator (http://www.liberation.fr/societe/2010/11/16/mediator-distilbene-sang-contamine-retour-sur-les-grands-scandales-sanitaires-francais_694112, consulté le 03/04/2014). De même, le 16 novembre 2010, France 24 publie ses plus grands scandales sanitaires dont l’amiante, le Distilbène, le Chlordécone, l’hormone de croissance, l’Isoméride et le sang contaminé. Chaque nouveau scandale donne généralement lieu à une médiatisation de ce type de rétrospective. (http://www.france24.com/fr/20101116-grands-scandales-sanitaires-francais-vingtieme-siecle-mediator-hormone-croissance-sang%20contamine-isomeride-distilbene/, consulté le 03/04/2014).

27 Néanmoins, ces concepts peuvent être utilisés par le même chercheur pour décrire la même situation selon des angles adoptés. Ainsi, E. Henry titre en 2000 Un scandale improbable. Amiante : d’une maladie profes-sionnelle à une « crise de santé publique », en 2003 « Du silence au scandale. Des difficultés des médias d'infor-mation à se saisir de la question de l'amiante » et en 2004 « Quand l’action publique devient nécessaire : qu’a signifié "résoudre" la crise de l’amiante ? ». Un aller-retour entre scandale et crise est alors noté.

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Si les concepts de scandale et d’affaire recouvrent des réalités différentes dans la littérature scientifique, dans le sens courant, l’utilisation de l’un pour l’autre peut se produire : par exemple, dans la situation née du talc Morhange, les deux concepts cohabitent. Ils mettent en lumière la même structure triadique marquée par la fin du confinement, le dévoilement et la publicisation, seuls les regards (relevant à la fois de logiques sociales et individuelles) portés sur eux changent la nature et l’intensité de la situation (notamment des tensions voire des conflits). Le flou des con-tours est accentué par la durée de ces deux situations (souvent à l’échelle d’une dizaine d’années) et leurs trajectoires temporelles en constant réajustement.