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Rappelons tout d’abord que la parole publique sur les accommodements raisonnables en séances d’auditions publiques s’insérait dans un processus législatif qui était organisé en plusieurs étapes. Ainsi, cette parole peut être décrite, selon le principe des poupées gigognes, c’est-à-dire comme un élément inscrit dans un ensemble d’étapes emboitées les unes dans les autres, que je propose de schématiser à l’aide du graphique suivant.

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Figure 4 Une forme de parole publique située dans un processus plus large

Selon ce schéma, la parole publique qui se déploie dans les séances d’auditions publiques est enchâssée dans des activités plus larges (action publique pour établir des balises encadrant les demandes d’accommodements, consultation générale). Rappelons à cet effet que, dans le cas qui nous occupe, le gouvernement libéral faisait face à de nombreuses critiques de la part de l’opposition concernant ses actions en matière de régulation de la diversité religieuse qui, comme on l’a vu au chapitre 1, constitue un enjeu politique important pour la société québécoise.

Action publique pour établir des balises encadrant les demandes d'accommodements raisonnables Proposer un projet de loi Étudier le projet en commission parlementaire Avis de consultation et convocation de groupes

Consultation générale sur le projet de loi n°94

Procéder à des auditions publiques Prises de connaissance des mémoires déposés Dépôt du rapport de commission - Étude détaillée

Les discours conversationnels en séances d'auditions publiques

Séquence d'ouverture

Exposés des

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Les partis d’opposition accusaient le parti au pouvoir de « défendre l’identité québécoise avec un genou à terre »65 face aux revendications à portée religieuse. Pour apaiser ces critiques grandissantes envers les pratiques d’accommodements raisonnables, Madame Kathleen Weil, la ministre de la Justice dans le gouvernement Charest, présenta le 24 mars 2010 à l’Assemblée nationale un projet de loi établissant les balises qui encadrent les demandes d’accommodement dans l’administration gouvernementale et dans certains établissements. Ce projet de loi répondait à un incident impliquant une femme qui portait le niqab et qui avait été expulsée du Cégep Saint-Laurent, à Montréal, en mars 2010, parce qu’elle avait refusé de dévoiler son visage.

Ce projet de loi est appelé « projet de loi public du gouvernement » car il a été présenté par une ministre. Après cette présentation, il a été assigné à la commission des institutions, composée de députés du parti gouvernemental et des partis d’opposition, le mandat de tenir des auditions publiques sur ce projet de loi dans le cadre d’une consultation générale. Précisons que ces auditions publiques ont été organisées deux ans avant le dépôt, en novembre 2013, de la loi 60, plus connue sous le nom de Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement.

Comme on peut l’apercevoir dans le schéma ci-dessus, la mise en œuvre de la consultation générale sur le projet de loi reposait sur une consultation en trois temps : le dépôt des mémoires, ensuite les séances d’auditions publiques et en fin l’étude détaillée du projet de loi. Les séances d’auditions publiques ont eu lieu du 18 mai 2010 au 18 janvier 2011. Pendant cette période, le groupe de députés québécois formant la commission des institutions a ainsi recueilli l’opinion des citoyens et des groupes de la société sur le projet de loi n° 94. Ces citoyens et groupes avaient auparavant transmis à la commission leurs mémoires. Soixante-six mémoires ont été déposés. Cinquante-trois séances d’auditions publiques ont eu lieu.

Dans les institutions démocratiques québécoises, les auditions publiques que le gouvernement peut tenir sur un projet de loi désignent des séances en commission parlementaire auxquelles des citoyens autres que les députés sont convoqués ou invités pour se faire entendre publiquement. Ces auditions sont suivies d’une période d’étude du projet. Le 15 février 2011, 56 députés ont voté pour l’adoption du principe du projet de loi n° 94, 49 ont voté contre et 2 se sont abstenus, si bien que le principe du projet de loi a été adopté. Les membres du parti ministériel (le Parti libéral du Québec) ont voté en faveur du principe du projet de loi, alors que ceux de l’opposition (le Parti québécois et l’Action démocratique du Québec) s’y sont opposés. Le député indépendant Marc Picard et le porte-parole de Québec solidaire Amir Khadir se sont abstenus. Après neuf séances d’étude détaillée par la Commission des institutions, de mars à

65 J’emprunte cette expression à Mario Dumont, le chef de l’Action démocratique du Québec (ADQ, 2006), cité par Bock-Côté

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septembre 2011, ce projet de loi est mort au feuilleton66 à la fin de la session parlementaire qui a été suivie de l’élection de la 40e législature du Québec le 4 septembre 2012. En effet, les auditions publiques sur le projet de loi n° 94 avaient été tenues au cours de la 39e législature du Québec qui s’est déroulée du 13 janvier 2009 au 22 février 2011. Les membres de cette législature ont été élus lors de l’élection générale québécoise de 2008 qui a permis la reconduction du gouvernement libéral de Jean Charest au pouvoir depuis 2003, avec une majorité des sièges à l’Assemblée nationale.

De ce rappel du contexte, nous comprenons que la consultation générale en commission parlementaire relève des dispositifs délibératifs qui « reproduisent ce que devrait être un processus de décision démocratique idéal : le temps du recueil de l’information et le temps de la confrontation des arguments précédant le temps de la décision » (Blondiaux et Sintomer, 2011 : 31). Les séances d’auditions publiques constituent, comme je l’ai déjà remarqué, un moment dans le processus de traitement du problème public dans lequel des acteurs politico-administratifs (des élus) interagissent avec des acteurs sociaux (collectifs et individus).

Par ailleurs, ces auditions se distinguent d’autres expériences concrètes de consultation en commission parlementaire (dans des domaines comme l’éducation, la santé et l’environnement) aussi bien du point de vue des acteurs qui sont impliqués que du point de vue de la thématique du débat. Dans la partie suivante, je montre que les séances d’auditions publiques sur le projet de loi n° 94, comme tout autre dispositif participatif, se caractérisent par des règles de fonctionnement, un mode de sélection des acteurs qui sont impliqués, un degré de publicité et des procédures de prise de parole.