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Rappelons-le, j’ai choisi de porter mon attention sur une des manifestations les plus significatives des controverses liées au pluralisme religieux qui se posent au Québec : les accommodements raisonnables. Loin d’être improvisé, ce choix traduit la place essentielle qu’occupe cette thématique – particulièrement depuis 2006 – dans la dynamique de cette société caractérisée par une diversité ethnoculturelle et plus précisément religieuse incontournable.

L’intérêt de ce type de controverse ne se restreint pas au degré de polémicité qu’elle suscite. Elle rend également visibles des éléments sociohistoriques comme la sécularisation du Québec, entendue comme l’abandon de la pertinence du religieux en tant que cadre normatif qui oriente les pratiques sociales. Cette thématique est aussi porteuse de questions épineuses qui opposent les tenants d’une conception classique de la laïcité comme une stricte

44Il importe toutefois de nuancer les reproches adressés aux travaux mobilisant la notion d’intégration en signalant la variation

que les études sur l’immigration ont connue, surtout celles qui ont rompu avec la notion d’assimilation. Voir entre autres, les travaux d’Alejandro Portes (1995) qui a développé une nouvelle théorie de l’intégration qui met l’accent sur son caractère multidimensionnel.

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neutralité de l’espace public, et les partisans d’une laïcité dite ouverte, qui accepte l’expression de la diversité religieuse par des individus fréquentant des institutions qui, elles sont laïques.

Partant du fait qu’il n’y a pas de parole publique en soi, c’est-à-dire que toute parole publique suppose une situation d’échange, il m’a paru important de rendre compte, dans ce chapitre, de quelques paramètres de la situation dans laquelle s’inscrivent les échanges interactionnels dans les auditions publiques en commission parlementaire qui font l’objet de cette recherche.

Pour illustrer la complexité de mon objet de recherche, je montre, dans le graphique suivant, ses deux dimensions : 1) les interactions en situation d’auditions publiques et la transformation d’un fait social en un problème public et 2). La dimension interculturelle de la situation de parole publique qu’est la séance d’audition publique en commission parlementaire.

La schématisation suivante résume les deux parties de ce premier chapitre : dans la première partie, j’ai présenté la question des accommodements raisonnables comme une thématique de consultation publique ou un enjeu mis à l’ordre du jour de l’action publique. Dans la deuxième partie, la diversité ethnoculturelle est appréhendée en tant que composante de la situation dans laquelle la parole publique est accomplie.

Figure 2 Les deux dimensions de l’objet de recherche

Je souhaite dépasser une approche strictement normative considérant l’interculturel du point de vue de la notion d’intégration comprise comme une adaptation à une norme imposée. Je propose plutôt d’aborder l’interculturel dans

La diversité ethnoculturelle comme objet des discours

conversationnels

Les accommodements raisonnables en tant que

problème public

Enjeux liés à la politique publique

Présence des minorités religieuses en contexte

laique et séculier

La diversité ethnoculturelle comme composante des discours

conversationnels Travail de faces Anxiété interculturelle Rapport minorité- majorité

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une perspective qui est à la fois interactionniste — en tant qu’il est un élément de la situation de communication — et praxéologique qui accorde le primat aux activités par lesquelles, un « espace public, un champ pratique, un sens partagé d’une réalité commune, sont continuellement modelés et maintenus comme conditions et résultats de l’action » (Quéré, 1991 : 71). En effet, la réflexion sur la mise en visibilité de la parole portant sur les accommodements raisonnables en tant qu’un enjeu de diversité ethnoculturelle repose sur l’intersection de l’axe « interactionnel » et de l’axe « public ».

Les éléments contextuels abordés dans ce chapitre (sécularisation, interculturalisme, modèle de gestion de la diversité) sont non seulement étroitement reliés, mais peuvent aussi être évoqués pour défendre une position lors d’une participation publique. La discussion, fort complexe, des différences entre interculturalisme et multiculturalisme m’a permis de souligner que le premier45 se démarque du multiculturalisme46 par une approche d’intégration des minorités à la culture québécoise majoritaire considérée comme un « foyer de convergence »47. Si l’interculturalisme a été conçu en vue de consolider une identité commune unifiée, le multiculturalisme propose d’intégrer les groupes ethniques sans les assimiler. Il importe donc de tenir compte de ces éléments contextuels pour mieux cerner leurs manifestations dans le discours des protagonistes de la parole publique.

De ces précisions sur les notions de minoritaires et de majoritaires, les lecteurs auront aussi constaté que les limites entre les minoritaires et les majoritaires ne sont ni définitives ni aisées à circonscrire.

Enfin, ce regard porté sur la question des accommodements raisonnables, à partir de son contexte d’émergence, soulève tout de même un questionnement sur la nature de l’échange entre des acteurs quand leur discussion porte sur cette thématique. Cette réflexion m’a permis de répondre, à la question de qui parle à qui? Les réponses qui sont apportées à cette question ne suffisent pas pour bien rendre compte de la situation de communication étudiée. Des réponses aux questions : « Dans quelles circonstances communique-t-on? » et « On communique pour quoi faire? » (Charaudeau, 1995), seront développées dans les deux chapitres suivants.

45 Gagnon, A.-G., Iacovino, R. (2003). « Le projet interculturel québécois et l’élargissement des frontières de la citoyenneté », dans

A.-G. Gagnon (dir.), Québec : État et société, tome 2, Montréal, Éditions Québec/Amérique, p. 413-438

46 Pour les critiques du multiculturalisme formulées au Québec, voir notamment Guy Rocher (1973). Le Québec en Mutation,

Montréal, Éditions Hurtubise. Courtois, S. (2007). « La politique du multiculturalisme est-elle compatible avec le nationalisme québécois? », Globe. Revue internationale d’études québécoises, vol. 10, no. 1, p. 53-72.

47 Ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration (MCCI) (1981). Autant de façons d’être Québécois. Plan d’action à

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