• Aucun résultat trouvé

La parole en action : dissensus sur les accommodements raisonnables lors des auditions en commission parlementaire au Québec (2010-2011)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La parole en action : dissensus sur les accommodements raisonnables lors des auditions en commission parlementaire au Québec (2010-2011)"

Copied!
277
0
0

Texte intégral

(1)

La parole en action :

Dissensus sur les accommodements raisonnables

lors des

auditions en commission parlementaire au Québec (2010-2011)

Thèse

Samar Ben Romdhane

Doctorat en communication publique

Philosophiæ doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

(2)

La parole en action :

Dissensus sur les accommodements raisonnables lors des

auditions en commission parlementaire au Québec

(2010-2011)

Thèse

Samar Ben Romdhane

Sous la direction de :

Florence Piron, directrice de recherche

Ratiba Hadj-Moussa, codirectrice de recherche

(3)

iii

Résumé

La question du pluralisme religieux est au Québec, l’objet de désaccords et de variations dans son mode de régulation et ses instruments d’action publique. La consultation publique sur le projet loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’Administration gouvernementale et dans certains établissements, est au cœur de ceux-ci. En se basant sur l'analyse des séances d’auditions publiques en commission parlementaire qui ont eu lieu au Québec entre mai 2010 et janvier 2011 sur le projet de loi n° 94, cette thèse vise à interroger les enjeux liés à la publicisation des prises de positions et de l’échange d’arguments entre différents acteurs.

À partir d’une méthodologie par théorisation enracinée et d’un cadre conceptuel qui se rattache à la communication publique, cette thèse cherche à mettre en évidence quelques-unes des propriétés des interactions verbales et non verbales qui composent et incarnent cette activité délibérative. Elle approche ces interactions du point de vue de leur publicisation en s’appuyant sur deux principes : la participation publique en tant qu’un instant de la construction du problème public et l’audition publique en commission parlementaire comme maillon d’un réseau dialogique qui participe à la publicisation du désaccord sur les accommodements raisonnables.

Mettant l’accent sur l’usage du langage (verbal, non verbal et para verbal), l’objectif de cette thèse est de mieux comprendre comment des groupes minoritaires et majoritaires, engagés dans une arène publique où les points de vue par rapport aux accommodements raisonnables sont confrontés et mis en visibilité, gèrent leur situation de parole publique. La démarche de recherche a combiné deux stratégies d’analyse : la première stratégie d’inspiration conversationnelle, qui observe chaque séquence comme objet indépendant, a permis de saisir le déroulement des séances d’audition en respectant le caractère séquentiel des tours de parole La deuxième stratégie reviens sur les principaux résultats de l’analyse des séances d’auditions pour valider les résultats et parvenir à la saturation théorique pour élaborer une modélisation.

L’exploitation des données selon cette approche qualitative a abouti au repérage de trois dynamiques. La première fait état des contraintes discursives. La seconde met en évidence le rôle des dimensions motivationnelles et socioculturelles dans la construction des positionnements et dans l’adoption d’un registre polémique. La troisième souligne la portée de la parole publique en termes d’actualisation des rapports de pouvoir et de confirmation de son caractère polémique. La modélisation proposée par cette thèse représente le registre polémique comme un élément constitutif de l’engagement argumentatif des acteurs sociaux mais qui est considérablement enchâssé dans d’autres éléments contextuels et motivationnels qui vont orienter sa portée. En tant qu’elle est exprimée dans un site dialogique, la parole publique en situation d’audition publique

(4)

iv

en commission parlementaire est en mesure de créer de nouvelles intrigues et d’une possibilité de coexister dans le dissensus.

Le principal apport de cette thèse est qu’elle propose une articulation, concrète et originale entre une approche de la parole publique en tant que révélatrice d’autre chose que d’elle-même (nécessaire à tout éclaircissement des points de vue dans cette controverse) et une approche de la parole publique en tant que performance conduisant à la transformation du monde social. D’où, le titre de la thèse : la parole en action.

Mots clefs : parole publique, discours, arène publique, pluralisme religieux, accommodements raisonnables, controverses, dissensus, théorisation enracinée

(5)

v

Abstract

Quebec's religious pluralism brings a firestorm of controversy to the foreground as well as a various styles of regulation and a numerous public action instruments. The public consultation of the Bill No. 94, an Act that establishes guidelines for governing accommodation requests within the Administration and certain institutions, is in the corner stone of this phenomenon.

Based on the analysis of public hearings sessions of the parliamentary committee that took place in Quebec between May 2010 and January 2011, within the framework of public consultations on Bill 94, this thesis aims to examine issues related to the publicization of antagonistic positions. It endeavors to explore properties of the verbal and nonverbal interactions embodied in this deliberative activity by using the grounded theory methodology and the conceptual framework related to the domain of public communication. It approaches these interactions in terms of their publicization, based on two principles: the public participation as a moment of the public issue construction and the public hearings as a bond in a dialogic network participating in the publicization of the dissensus regarding the reasonable accommodations.

By focusing on the use of the language (verbal and nonverbal), the goal of this thesis is to explain how minority and majority groups manage the situation of public speaking once they are engaged in a public arena where points of views about reasonable accommodations are confronted and visibilized,

The research approach combined two analytical strategies: the first strategy is inspired by the conversational analysis that consists on observing every sequence independently. In fact, it has allowed understanding the progress of auditing sessions by respecting the sequential nature of speaking slots. The second strategy is directed to the main results of the analysis of hearing sessions. The main goal is to validate results and to achieve the theoretical saturation that will develop a modeling.

According to this qualitative approach, the use of data led to the identification of three features of talk: the first reports discursive constraints; the second notices the role of motivational and sociocultural dimensions in adopting a positioning and in choosing the discursive register; the third one highlights the range of public speaking in terms of updating the relations of power and in terms of confirmation of its polemical form. The modeling proposed by this thesis represents the polemical register as a fundamental element of the social actor’s argumentative commitment.

(6)

vi

At the same time, this register is significantly embedded in other contextual and motivational elements that influences its outcome. As it is expressed in a dialogical site, public speaking during parliamentary committee hearings is able to create a new intriguers and a possibility to coexist in the dissensus.

The main contribution of this thesis, is that it offers a practical and original dual approach combining between a perspective approaching public speech as indicator of many things other than itself (necessary for the positions and opinions explanation) and a perspective approaching public speaking as performance leading to the transformation of the social world. Hence, the title of the thesis: the speaking in action.

Keywords: public speaking, public arena, religious pluralism, reasonable accommodations, controversies,

(7)

vii

Table des matières

RESUME ... III ABSTRACT ... V TABLE DES MATIERES ... VII LA LISTE DES FIGURES ... X REMERCIEMENTS ... XIII

INTRODUCTION ... 1

LA PAROLE PUBLIQUE SUR LES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES ... 14

LES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES A L’EPREUVE DE LA PARTICIPATION PUBLIQUE AU QUEBEC ... 15

Les accommodements raisonnables : du fait social au problème public ... 15

Les accommodements raisonnables : enjeu de politique publique ... 19

Les accommodements raisonnables : objet de participation publique ... 30

LE CONTACT INTERCULTUREL COMME COMPOSANTE DE LA PAROLE PUBLIQUE SUR LES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES ... 35

La parole publique dans une situation interculturelle ... 36

La parole publique en situation interculturelle : d’une logique d’intégration à une logique praxéologique ... 42

CONCLUSION DU CHAPITRE ... 46

CADRE CONCEPTUEL ET OBJET DE RECHERCHE ... 49

LE DISSENSUS PORTANT SUR LA QUESTION DES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES D’UN POINT DE VUE DE COMMUNICATION PUBLIQUE ... 50

L’ancrage dans le champ de la communication publique ... 52

La publicisation ... 53

Problème général : Dissensus sur un enjeu public ... 54

Problème spécifique : la focalisation sur les discours conversationnels dans une arène publique 60 CONSIDERATIONS ONTOLOGIQUES ET EPISTEMOLOGIQUES ... 66

Positionnement ontologique ... 66

Positionnement épistémologique ... 70

CONCLUSION DU CHAPITRE ... 72

LA PAROLE EN COMMISSION : ASPECTS INSTITUTIONNELS ET DESIGN PARTICIPATIF ... 74

UNE PAROLE SITUEE DANS UN PROCESSUS LEGISLATIF ... 75

UNE PAROLE FAÇONNEE PAR UN DESIGN PARTICIPATIF ... 78

La qualification citoyenne : Qui participe aux auditions publiques ? ... 79

(8)

viii

Pourquoi les actants participent-ils aux auditions publiques? ... 83

Comment se déroulent des auditions publiques en commission parlementaire? ... 84

CONCLUSION DU CHAPITRE ... 89

ENJEUX METHODOLOGIQUES ... 90

LE DEFI DE L’INDUCTION ... 91

LE DEFI DE PROXIMITE : LE « PORT » D’UNE PROBLEMATIQUE ... 94

PROBLEMATISATION THEORIQUEET SELECTION DU CAS D’ETUDE ... 98

Un corpus inédit pour la théorisation enracinée... 101

Échantillonnage théorique intracas ... 103

CODAGEET CATEGORISATION AU MOYEN DE NVIVO ... 108

Le choix de Nvivo ... 109

Le codage ouvert et ses unités ... 113

Codage axial ... 116

CONCLUSION DU CHAPITRE ... 119

ANALYSE DES SEQUENCES D’OUVERTURE : LES CONTRAINTES ... 120

SPECIFICITE DE LA SEQUENCE D’OUVERTURE : EXPRESSION DES CONTRAINTES DISCURSIVES ... 120

LA DOUBLEADRESSE: UNE CONTRAINTE A LA PAROLE PUBLIQUE ... 121

Création d’une attention publique à travers l’allocation de parole ... 121

Des discours conversationnels contraints par le souci d’image publique ... 123

Évocation du tiers ... 125

LA THEMATIQUE DU DEBAT ET LE POTENTIEL « POLEMIQUE » ... 126

INCIDENCE DU CADRE INSTITUTIONNEL : L’INVITATION A L’ACTION CONJOINTE COMME CONTRAINTE DISCURSIVE ... 127

INCIDENCE DU CONTACT INTERCULTUREL : PROBLEMES CONVERSATIONNELS ET ECHANGES REPARATEURS ... 132

CONCLUSION DU CHAPITRE ... 135

ANALYSE DES SEQUENCES DES EXPOSES ... 138

SPECIFICITE DE LA SEQUENCE DES EXPOSES : L’ENGAGEMENT ARGUMENTATIF ... 138

ENGAGEMENT ARGUMENTATIF ET CONSTRUCTION D’UNE IDENTITE DE POSITIONNEMENT ... 142

Diagnostiquer ... 145

Pronostiquer ... 153

Prescrire ... 154

LA PAROLE POLEMIQUE ... 156

Justifications antagonistes et parole polémique ... 156

Hétérogénéité discursive : dialogisation et interdiscursivité ... 161

(9)

ix

QUAND « LE » POLEMIQUE S’ALIMENTE DES FORCES MOTIVATIONNELLES ... 176

Les forces motivationnelles exprimées à travers des actions réflexives ... 176

L’incidence des forces motivationnelles sur le registre discursif ... 178

CONCLUSION DU CHAPITRE ... 191

ANALYSE DES SEQUENCES D’ECHANGE AVEC LES ELUS ... 193

SPECIFICITE DE LA PERIODE D’ECHANGE : L’IMPLICITE EVALUATION DES EXPOSES ... 193

LA PORTEE PREVUE DE LA PAROLE SUR LES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES EN CONTEXTE D’AUDITION PUBLIQUE ... 195

L’actualisation des processus de minorisation et de majoration ... 195

Visibilité de la coexistence dans le dissensus ... 211

LA PORTEE EMERGENTE DE LA PAROLE PUBLIQUE EN COMMISSION PARLEMENTAIRE : CREATION DE NOUVELLES INTRIGUES ... 213

CONCLUSION DU CHAPITRE ... 215

MODELISATION DES DISCOURS CONVERSATIONNELS SUR LES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES EN SITUATION DE COMMISSION PARLEMENTAIRE ... 217

DISCUSSION DU PROCESSUS CENTRAL : LA PAROLE PUBLIQUE SUR LES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES EN COMMISSION PARLEMENTAIRE ... 217

DISCUSSION DES RESULTATS EN LIEN AVEC LES INCIDENCES DES PARAMETRES DE LA SITUATION DE PAROLE SUR LES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES ... 223

DISCUSSION DES RESULTATS EN LIEN AVEC LES MOYENS DE LA PUBLICISATION DE LA PAROLE SUR LES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES ... 226

DISCUSSION DES RESULTATS EN LIEN AVEC L’INCIDENCE DES FORCES MOTIVATIONNELLES SUR LE REGISTRE DISCURSIF ... 230

DISCUSSION DES RESULTATS EN LIEN AVEC LA PORTEE DE LA PAROLE PUBLIQUE SUR LES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES ... 232

CONCLUSION GENERALE... 234

(10)

x

La liste des figures

Figure 1 Objet de la recherche --- 8

Figure 2 Les deux dimensions de l’objet de recherche --- 47

Figure 3 Organisation de la problématique selon la logique de l’entonnoir --- 51

Figure 4 Une forme de parole publique située dans un processus plus large --- 76

Figure 5 Déroulement séquentiel d'une séance d'audition publique en commission parlementaire --- 87

Figure 6 Approche qualitative séquentielle d'exploration des données --- 88

Figure 7 Éléments du cas choisi --- 99

Figure 8 Niveaux d’analyse et choix stratégiques --- 104

Figure 9 Liste des cas analysés --- 109

Figure 10 un aperçu sur les composantes de mon projet Nvivo --- 112

Figure 11 Exemple de codage d’un acte non verbal --- 117

Figure 12 La coopération pour une action conjointe : une co-construction du sens --- 131

Figure 13 Incidences des contraintes situationnelles sur les propriétés du discours conversationnel --- 136

Figure 14 Gestes autocentrés durant la phase narrative de l’exposé --- 139

Figure 15 Gestes orientés vers l’auditoire durant l’étape argumentative --- 140

Figure 16 Modalités de positionnement --- 144

Figure 17 Le diagnostic positif selon les types d’intervenants --- 146

Figure 18 L’évaluation négative du projet de loi selon les types d’intervenants --- 147

Figure 19 Les symptômes négatifs selon les champs de parole --- 149

Figure 20 Les références au code ``cibler un group particulier`` selon les groupes --- 150

Figure 21 une stratégie en double mouvement : la portée limitée du projet de loi et la prescription d’une alternative --- 154

Figure 22 Polarisation des assertions et des justifications --- 159

Figure 23 Dimensions de l’hétérogénéité discursive dans les exposés des groupes --- 162

Figure 24 les sous-catégories de la dialogisation --- 163

Figure 25 Les discours convoqués pour établir une justification --- 165

Figure 26 Les sources associées aux différents types de sources motivationnelles --- 179

Figure 27 L’image préalable comme source de motivation --- 180

Figure 28 Le lien entre la double allégeance et l’image préalable --- 181

Figure 29 Comparaison entre la grandeur des drapeaux et la grandeur des signes religieux --- 186

Figure 30 Les mécanismes discursifs qui actualisent les rapports minorités-majorités --- 196

Figure 31 La posture vers l’avant de la ministre pendant la période d’échange --- 197

Figure 32 Expression d’un visage souriant --- 198

Figure 33 L’embarras face à une menace de face --- 207

Figure 34 Geste de réparation pour apaiser l’affrontement --- 209

Figure 35 Gestes d'évitement --- 210

Figure 36 Mimique réflexive accompagnant l'interruption de l'énonciation --- 210

(11)

xi

Figure 38 Modélisation de la parole publique des acteurs sur les accommodements raisonnables en audition parlementaire --- 219

(12)

xii

À Said et Zohra, sans qui rien. À Adel, Amena et Mayar, avec qui tant.

(13)

xiii

Remerciements

En tant que preuve écrite que l’on est capable de mener avec rigueur les étapes d’une recherche scientifique, de maîtriser une méthodologie et de mobiliser des connaissances théoriques, une thèse de doctorat semble souvent un manuscrit dépourvu de vitalité, très froid, très aride, très scientifique bien évidemment.

Pourtant, la thèse ne se résume pas à une aventure intellectuelle. Sa réalisation est une aventure riche d’enseignements sur le plan humain. Elle est teintée de belles et inspirantes rencontres avec des personnes qui ont, chacune à sa façon, et ce, à différentes étapes de mon cheminement, contribué à son accomplissement. Je les remercie ici du fond de mon cœur.

Je remercie d’abord ma directrice de recherche, Madame Florence Piron de m’avoir guidé patiemment tout en me laissant la latitude nécessaire à mon développement professionnel et mon autonomie. Merci de m’avoir poussé à me dépasser et à donner le meilleur de moi-même. Merci pour les suggestions que tu m’as fournies pour améliorer les différentes versions de ce travail.

Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à ma codirectrice de recherche, Madame Ratiba Hadj-Moussa qui m’a continuellement prodigué de précieux conseils pour raffiner mon propos. Sa question « où est ton objet ?», m’a appris comment contextualiser les choses pour éviter ce qu’elle nomme l’aspect « dry » de l’analyse. Ses commentaires instructifs m’ont aidé à développer les dimensions embryonnaires de ma pratique de chercheure. Merci Ratiba de m’avoir témoigné ta confiance et ton encouragement en m'impliquant dans des activités de recherche. Merci pour ton attitude bienveillante, ta grande sensibilité et ta générosité aussi bien sur le plan humain que scientifique.

J’adresse mes sincères remerciements à Monsieur David Koussens pour avoir accepté généreusement d’évaluer ma thèse.

La participation de Julien Rueff à mon jury de soutenance a été un grand plaisir pour moi. Ses propositions m'ont apporté un éclairage enrichissant.

Je suis aussi très reconnaissante à l’égard de Monsieur Gilles Gauthier qui a accepté de siéger sur mon comité de thèse et de me prodiguer des commentaires constructifs.

Je suis particulièrement reconnaissante à Monsieur François Demers qui a bien voulu présider ma soutenance et veiller au bon déroulement de mon cheminement au programme de Doctorat en communication publique.

(14)

xiv

Mes remerciements vont également à l’endroit de personnes que j’ai rencontrées à l’Université de Moncton : Monsieur Jimmy Bourque pour m’avoir donné l’opportunité de travailler dans un local équipé du matériel dont j’avais besoin pour l’analyse des données.

Sur une note plus personnelle, les mots me manquent pour remercier, à sa juste valeur, ma famille qui m’a motivée et encouragée à entreprendre ce périple.

Mes parents dont les larmes versées, à chaque départ, m’ont engagé à ne pas les décevoir. Mes parents qui m’ont donné les raisons sérieuses et profondes de persévérer et de surmonter tous les obstacles du parcours : Ma mère qui pense à mon bonheur avant tout, qui me souhaite toujours d’être heureuse dans ce que j’ai choisi et entrepris, même si cela m’amène loin d’elle. Mon père qui m’a transmis sa persévérance et son optimisme inébranlable. Sa présence à mes côté a agi comme un phare à certains moments où l’épreuve semblait insurmontable.

Je dois et j'adresse un remerciement tout particulier à mes deux trésors confrontés à une maman doctorante : Merci Mayar pour les coups que tu m’as donnés pendant ta gestation dans mon ventre au moment de l’analyse des données. En me rappelant que tu commences à être à l'étroit dans mon utérus, tu nourrissais ma motivation et mon enthousiasme. Il fallait finir l’analyse avant ton arrivée au monde !

Merci Amena pour les cœurs que tu dessinais dans le tableau quand tu passais à mon bureau. C’est parce que tu es une fille formidable, autonome et débrouillarde que j’ai réussi à passer à travers les difficultés de la conciliation travail, famille et études. Merci pour les moments de bonheur et de fierté que tu m’apportes. Adel, mon conjoint, mon interlocuteur, mon conseiller, mon bibliothécaire de référence à domicile, mon réconfort le plus présent, le plus proche, le plus constant. Merci Adel, d’avoir cru en moi. Merci de m’avoir expliqué si sagement qu’il y a des bienfaits dans chaque situation, qu’il faut prendre une situation difficile comme une chance, pour s’améliorer... pour apprendre.

Finalement, je tiens à remercier celles et ceux qui m‘ont toujours demandé : alors, tu n’as pas encore fini ta thèse? Oui, vous avez bien raison, il est temps de passer à une nouvelle étape.

(15)

1

Introduction

Et je veux terminer en disant que je termine ces consultations et ces auditions, encore plus convaincue de la nécessité d’une charte de la laïcité. Au-delà des critiques exprimées sur le projet de loi, l’exercice des consultations donc a démontré, à mon point de vue, à notre point de vue, de ce côté-ci, la nécessité de tenir un débat plus large sur la forme de laïcité que nous voulons au Québec. Le gouvernement, de notre point de vue toujours doit donc reculer, à la limite retirer ce projet de loi qui ne fait, et là c’est-ce qu’on pense, qu’inscrire dans une loi une jurisprudence existante, et qui confirme l’étude, au cas par cas, de chaque demande et qu’il faut proposer aux Québécois une charte de la laïcité. Pour notre part, nous soumettrons, nous l’avons dit, aux Québécois un projet de charte de la laïcité afin de répondre à cet enjeu fondamental (extrait 01, cas 52)

La promesse « nous soumettrons, nous l’avons dit, aux Québécois un projet de charte de la laïcité afin de répondre à cet enjeu fondamental » que la députée Louise Beaudoin, porte-parole de l’opposition officielle en matière de laïcité et de condition féminine exprime dans cet extrait, remet à un avenir indéterminé la résolution du dissensus par rapport à une question controversée. Le dissensus porte plus précisément sur un enjeu public qui soulève les passions et suscite bien des débats, par son caractère controversé et identitaire : l’exercice de la liberté de religion dans un contexte laïc et sécularisé. Cet enjeu se définit essentiellement selon deux grandes thèses : celle de la laïcité dite ouverte qui assure aux individus le droit d’exprimer leurs croyances dans la sphère publique et celle de la laïcité qui insiste sur l’importance de la neutralité de l’État et de ses institutions tout en renvoyant l’expression du religieux à l’extérieur de la sphère privée.

La promesse de résoudre la controverse ultérieurement entérine l’inaptitude immédiate à s’entendre sur les modalités de résolution du problème controversé (Chateauraynaud et Doury, 2010). La députée l’a d’ailleurs confirmé en soulignant qu’après les discussions en commissions parlementaires, elle est encore plus convaincue de la nécessité d’une charte de la laïcité. Elle continue à camper sur sa position. Elle témoigne ainsi d’une « persistance de la différence d’opinions » (Plantin, 2003 : 379). Un tel phénomène communicationnel semble correspondre à la définition que donne Catherine Kerbrat-Orecchioni de la polémique : « c’est un dialogue de sourds (la polémique est plus souvent vaine que fructueuse), mais c’est un dialogue tout de même » (1980 : 26).

Cette forme d’échange sur des questions controversées de la vie sociale et politique place les différents acteurs qui s’y impliquent face aux dilemmes de l’usage du langage (verbal, non verbal et para verbal) quand ils sont soumis au regard du public : comment parler et agir en situation publique? Comment se montrer à la hauteur du public? Comment exprimer et justifier sa prise de position? Comment gérer la tension qui résulte de la confrontation avec des positions opposées?

(16)

2

Avant de s’attarder sur ces questions, il importe de voir dans cet exemple introductif une continuité au débat public sur les accommodements raisonnables, entamé quelques années plutôt. Avant de souligner sommairement les enjeux de ce débat et de revisiter brièvement ses différents épisodes (voir chapitre1), il faut préciser d’emblée que par accommodement raisonnable, il faut entendre une notion propre à la jurisprudence canadienne. L’accommodement raisonnable est en effet, un élément de la politique publique de gestion de la diversité dans la mesure où il constitue l’un des principaux outils juridiques de gestion de la diversité religieuse. Pour mieux clarifier le terme d’accommodement raisonnable, il importe de préciser qu’il prend racine dans le domaine juridique. Comme l’explique Pierre Bosset (2007), la notion d’accommodement raisonnable est considérée par la Cour suprême du Canada, depuis 1985, comme un principe inhérent au droit à l’égalité1. Cela veut dire qu’il s’applique seulement lorsque le droit à l’égalité se trouve à être vraiment limité. En d’autres mots, ce principe s’applique seulement dans le cas d’une distinction fondée sur un motif énuméré à l’article 10 de la Charte des libertés et des droits de la personne2 : la race, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, la religion, les convictions politiques, etc. Il s’agit alors d’un « arrangement qui relève de la sphère juridique, plus précisément de la jurisprudence; qui vise à assouplir l’application d’une norme en faveur d’une personne menacée de discrimination en raison de particularités individuelles protégées par la loi » (Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, 2007). L’accommodement tel que présenté dans cette définition relève donc de la jurisprudence, c’est-à-dire qu’il est développé par les tribunaux et non pas stipulé explicitement dans les Chartes québécoises et canadiennes.

Cette obligation juridique adoptée comme outil juridique doit être alors distinguée d’autres types d’arrangements qui tiennent davantage de la tolérance ou du compromis. Comme le souligne Stéphane Bernatchez, « l’accommodement raisonnable semble être devenu un terme générique désignant l’ensemble des arrangements auxquels aboutit la “gestion” des conflits de valeurs ou de droits, particulièrement dans les rapports interculturels » (2007 : 244).

Bien qu’il ait subi plusieurs significations avec son extension à différents motifs comme le handicap ou l’état de grossesse et différents domaines d’activité, le principe d’accommodement raisonnable, au Québec, est essentiellement associé à la manifestation de la religion dans l’espace public. Ce principe est vu par ses défenseurs comme un moyen nécessaire pour favoriser l’égalité entre les citoyens, en permettant des exceptions lorsque la liberté de religion de certains individus se trouve contrainte. Il est en revanche qualifié par ses détracteurs comme un principe arbitraire et opposé aux valeurs du Québec.

1Commission ontarienne des droits de la personne (O’Malley) c. Simpsons-Sears [1985] 2 R.C.S. 536.

2 La charte peut être consultée en ligne :

(17)

3

C’est notamment lorsqu’une différence religieuse fait l’objet d’une demande d’accommodement et surtout en cas de tension entre la liberté de religion et l’égalité entre les sexes que l’acceptabilité de ce principe devient controversée : comment juger qu’une demande de nature prétendument religieuse, soit sincère et honnête, plutôt que capricieuse ou relevant d’un refus d’intégration à la société?

Ce principe semble alors continuellement remis en question et bien souvent contesté. Des décalages entre les faits réels et la perception qu’en donnent les médias, ont, dans certains cas engendré des incompréhensions ou interprétations erronées. C’est ce qui a vraisemblablement amené Gérard Bouchard et Charles Taylor, coprésidents de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux pratiques culturelles, à décrire le débat sur les accommodements raisonnables comme une « crise des perceptions »3. Devant l’expression d’opinions antagoniques4 sur des accommodements consentis à certaines minorités religieuses, le gouvernement Charest (2002-2012) a mis sur pied la commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (2007). Or, le rapport de la Commission Bouchard-Taylor (Bouchard et Taylor, 2008), devenu un élément central des réflexions intellectuelles concernant la gestion du pluralisme religieux au Québec, n’a pas mis fin aux débats sur les accommodements raisonnables. Suite à un incident impliquant une femme qui portait le niqab et qui, refusant de dévoiler son visage, a été expulsée du Cégep Saint-Laurent, à Montréal, le débat qui est demeuré l’enjeu d’affrontement entre différents acteurs de l’espace public québécois a été relancé. L’opposition a adressé au gouvernement Charest des critiques relatives à l’absence de directives claires touchant les accommodements pour motifs religieux. En réponse à cette relance du débat, le premier ministre Jean Charest et la ministre de la Justice et la Procureure générale du Québec, ont annoncé, le 24 mars 2010, le dépôt du projet de loi n ° 945, Loi établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’Administration gouvernementale et dans certains établissements. Ce projet de loi qui prévoit que les relations entre l’État et les usagers des services publics, au Québec, devront se dérouler à visage découvert est mort au feuilleton à la fin de la session parlementaire et l’élection de la 40e législature du Québec lors de l’élection générale tenue le 4 septembre 2012. Le gouvernement Pauline Maroisqui a exercé le pouvoir de 2012 à 2014 a mis en évidence la nécessité d’établir des balises et de définir des principes quant à la place de la religion dans la sphère publique. Il a alors proposé le projet de loi n° 60 : Charte affirmant les valeurs de

3 Gérard Bouchard et Charles Taylor, « La crise des perceptions », Le Devoir, 24 mai 2008.

4 Je donne ici l’exemple des chercheurs et universitaires québécois qui ont affronté leurs positions par le biais de lettres

aux journaux. Voir collectif d’auteurs, « Manifeste pour un Québec pluraliste », Le Devoir, 3 février 2010

http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/282309/manifeste-pour-un-quebec-pluraliste et collectif d’auteurs, « Déclaration pour un Québec laïque et pluraliste », Le devoir, 16 mars 2010. En ligne :

http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/285021/declaration-des-intellectuels-pour-la-laicite-pour-un-quebec-laique-et-pluraliste

5 Voir le projet de loi à l’adresse suivante :

(18)

4

laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement. Lorsque le gouvernement du Québec a justifié cette action publique, il l’a fait en des termes qui insistent sur le caractère laïc de la société québécoise : le but est de poursuivre « la démarche de séparation des religions et de l’État, entamée il y a plus de 50 ans dans le sillage de la Révolution tranquille » (gouvernement du Québec, 2013). Après la défaite électorale du Parti québécois, le 7 avril 2014, ce projet de loi a été enterré. Or, le débat sur les accommodements raisonnables ne s’est jamais définitivement clôturé. La survenue de nouveaux faits ou l’arrivée de nouveaux acteurs ne cessent de remettre le débat en chantier. Ces épisodes que j’ai rapidement survolés montrent que le débat sur la question des accommodements raisonnables se déploie dans une multitude d’arènes entendues comme des lieux de débats qui ne se déroulent pas dans le secret, des espaces de mise en visibilité (Bastien et Neveu, 1999). C’est une mosaïque d’arènes6 que l’on retrouve dans le cas du débat sur les accommodements raisonnables au Québec. Si l’on peut suivre les travaux de Potvin et al (2008) pour souligner le rôle des médias de masse7 dans le développement du débat sur la question des accommodements raisonnables, il serait hasardeux, en revanche, d’en déduire que le déploiement de ce débat se limite à l’espace médiatique8. Ainsi, la question des accommodements raisonnables est en débat dans l’arène associative, parmi les différentes associations travaillant sur le terrain de la gestion de la diversité religieuse. Cette question est aussi mise en débat dans l’arène médiatique, avec les témoignages en direct des auditeurs des stations de radio ou avec des textes d’opinion (éditoriaux, chroniques, blogues, lettres d’opinions des lecteurs9), dans les forums de discussion en ligne, dans les talk-shows débattant de la question de gestion du pluralisme religieux. Elle est également discutée dans les arènes juridiques avec les décisions des cours juridiques concernant le droit de porter des signes religieux. La question des accommodements raisonnables est aussi en débat dans des arènes institutionnelles. Les arènes institutionnelles me semblent appeler une attention plus soutenue ici, dans la mesure où elles sont à la fois un espace de publicisation des positions antagonistes et un lieu de résolution de désaccords qui s’expriment en amont. Un exemple emblématique de ces arènes institutionnelles retiendra mon attention, celui des commissions parlementaires.

6 L’expression est empruntée à François Bastien et Érik Neveu (1999).

7 Potvin et al (2008) ont aussi montré le rôle central des médias dans la transformation de ce débat en crise de société.

Ils ont démontré ces derniers ont contribué à mettre ce sujet à l’ordre du jour et d’élever certains faits anecdotiques au rang de crise de société.

8 Cette remarque rejoint la thèse qui critique le médiacentrisme, voir notamment Philip Schlesinger, « Repenser la

sociologie du journalisme », Réseaux, 51,1992.

9 Pour une analyse des lettres d’opinion des lecteurs dans le cadre du débat sur les accommodements religieux, voir

Quérin,J. (2008), « Accommodements raisonnables » pour motifs religieux : étude d’un débat public. Mémoire de maîtrise en sociologie. Université de Montréal.

(19)

5

Les commissions parlementaires sont des institutions politiques qui constituent des sous-groupes de l’Assemblée nationale, la chambre élue dans le système parlementaire québécois formant (avec le lieutenant-gouverneur du Québec) le pouvoir législatif au niveau provincial. L’Assemblée nationale utilise les commissions parlementaires10 « pour étudier les lois, certains règlements édictés par le lieutenant-gouverneur en conseil, et les crédits que le gouvernement doit se faire octroyer annuellement » (Harmegnies, 1974 : 76). Dans le régime parlementaire québécois, les commissions parlementaires sont aussi un lieu de consultation publique qui permet aux députés d’entendre les préférences des groupes et des citoyens sur différentes questions. Elles se définissent de la manière suivante :

Une commission parlementaire est un groupe composé d’un nombre restreint de députés chargé d’examiner toute question relevant de la compétence que l’Assemblée leur attribue et d’exécuter tout mandat qu’elle leur confie. Constituant le lieu privilégié du travail parlementaire, les commissions permettent aux députés d’exercer pleinement leur rôle de législateur par l’examen en profondeur des projets de loi. Elles sont également un important outil du contrôle parlementaire de l’administration publique et le forum de consultations publiques sur les grands enjeux sociétaux (Direction des travaux parlementaires, 2012)11.

Les commissions parlementaires peuvent constituer ainsi, un des lieux de traitement législatif du problème de gestion du pluralisme religieux. Depuis leur apparition dans l’espace public, les commissions parlementaires ont favorisé de façon toute particulière les échanges directs, en personne et en public, entre des députés et des groupes, mais aussi des citoyens individuels. En tant que dispositif de consultation qui fait appel à des citoyens, les auditions publiques représentent une opportunité pour les acteurs sociaux qui souhaitent se faire entendre sur des projets de loi particuliers. Par acteurs sociaux, j’entends les acteurs qui y prennent part, qu’il s’agisse des protagonistes individuels ou collectifs. À cet effet, je souligne que la portée de mon cas d’étude réside non seulement dans le fait de permettre l’étude de la parole de différents types d’acteurs sociaux, mais aussi d’offrir une occasion d’examiner un instant particulier du débat public, à savoir, la consultation sur un projet de loi qui implique une variation d’acteurs (acteurs collectifs, acteurs individuels, organisme consultatif paragouvernemental, associations militantes, groupes religieux) ainsi qu’une variation de situations discursives (séquences d’ouverture, séquences d’exposés, séquences de questions-réponses).

Distinctes des autres arènes publiques, tant par l’organisation de leur déroulement que par l’hétérogénéité des acteurs qui s’y impliquent, les commissions parlementaires ont aussi l’intérêt d’être connectées à un réseau dialogique12. Malgré leur évidente pertinence, la description scientifique de ce type d’arène publique est

10 Notons qu’à côté des activités législatives et budgétaires, les commissions parlementaires peuvent aussi contrôler les

entreprises publiques.

11 En ligne, http://www.assnat.qc.ca/fr/exprimez-votre-opinion/participer-consultation-publique/#Avisconsultation, consulté

en juin 2014.

12 Cette idée s’entend au sens que lui confère les travaux de Baudouin Dupret, Enrique Klaus, et Jean-Noël Ferrié qui

(20)

6

relativement absente. Ce sont ces auditions publiques en commission parlementaire en tant qu’arène publique où continue de se déployer le débat public sur les accommodements raisonnables, qui méritent de focaliser mon attention analytique. Il paraît important de souligner ici que l’apport principal de cette thèse se situe dans une mise en avant de ce moment trop souvent occulté de l’analyse des problèmes publics. Il s’agit notamment de leur traitement législatif dans une arène institutionnelle. On s’arrête trop souvent au traitement médiatique des débats publics, mais trop peu à leur mise en débat dans d’autres lieux de publicisation du désaccord.

En privilégiant une focalisation microsociologique sur la parole publique, ma thèse s’ajoute au canevas des recherches qui portent sur ce que Marc Relieu et Franck Brock (1995) nomment le « parler en interaction ». Cela veut dire que mon objet d’investigation est la parole, l’usage du langage verbal et non verbal qui se réalise en interaction, à travers un jeu d’arguments et de contre-arguments, de confrontation de positions divergentes ou adverses, de polarisation, de justifications ou de disqualifications. Cette parole ne se réduit pas alors, à des conversations et des tours de parole organisés. Elle est aussi située dans les éléments sociaux et institutionnels dans lesquels elle se déploie.

C’est pourquoi j’appelle cette parole, plus précisément, `` des discours conversationnels `` : il s’agit de discours dans la mesure où cette parole se rapporte à une situation de discours, à une thématique bien précise, à des acteurs particuliers, etc. Il s’agit de conversation, dans la mesure où l’échange apparaît comme modelé par le déroulement séquentiel des auditions publiques. Ces discours conversationnels sont examinés sous l’angle de leurs contraintes (chapitre 5), de leur fonctionnement (chapitre 6) et de leur portée publique (chapitre7). Cette appellation montre que l’étude de la dimension publique de la parole (phénomène communicationnel) s’arrime au déroulement ordonné des interactions (phénomène interactionnel) (Relieu et Brock, 1995 : 77). En tant que phénomène interactionnel, c’est-à-dire un phénomène qui se construit progressivement en étant affecté par le jeu d’actions et de réactions des partenaires de l’échange, les discours conversationnels incluent des interactions dans lesquelles des élus et des acteurs de la société civile occupent alternativement les positions de locuteurs et d’auditeurs. De ce fait, à partir d’un échantillon d’auditions publiques en commission parlementaire, cette recherche se propose d’envisager la parole publique des acteurs sociaux non pas comme une essence qui se fige de façon définitive dans l’arène publique, mais comme le résultat d’interactions traversées par de possibles problèmes conversationnels, des motivations, des jeux de pouvoir, des rapports de force, des stratégies de présentation de soi et de représentation des autres.

dialogique, fait d’occurrences distantes dans le temps et dans l’espace, médiatisées et connectées entre elles thématiquement, interactivement et argumentativement » (2008 : 372)

(21)

7

En tant que phénomène communicationnel, les discours conversationnels en situation d’audition publique se caractérisent par la publicité. Ils incluent ainsi un tiers, face auquel se joue la confrontation des discours. En effet, les auditions sont accessibles aux publics. Les travaux des commissions sont enregistrés sur bande sonore, puis entièrement retranscrits pour être relatés au Journal des débats. Les séances sont aussi télédiffusées soit en direct, soit en différé sur le Canal de l’Assemblée nationale. Elles sont accessibles dans la section vidéo et audition du site Internet de l’Assemblée. En d’autres termes, les actants ne se contentent pas de participer à une consultation publique sur un projet de loi, ils contribuent à la construction de la parole publique autour des accommodements raisonnables. L’a d’ailleurs fait remarquer Talpin « ce qui importe dans une arène délibérative n’est pas ce que les gens pensent, mais ce qu’ils disent et font, les arguments qu’ils avancent publiquement » (2006 : 5).

Sur ces bases, j’envisage les discours conversationnels en situation d’audition publique en commission parlementaire comme un processus de publicisation, c’est-à-dire un processus interactionnel qui rend publique la prise de position de différents acteurs sur la thématique des accommodements raisonnables, la « fait exister dans une arène publique » (Cefaï , 1996 : 52). Comme l’illustre la figure ci-dessous, l’analyse de ce processus de publicisation implique de distinguer deux objets qui sont pourtant en interrelation constante : l’objet des discours conversationnels, c’est-à-dire leur thématique et la situation de ces discours, c’est-à-dire le cadre dans lequel ils se déroulent.

Pour mieux expliquer cette figure, rappelons que dès le moment où le pluralisme religieux n’est plus qu’une simple réalité sociale, mais devient une question perçue comme un problème appelant un débat public, voire l’intervention des autorités politiques (voir chapitre 1), les protagonistes commencent à se demander comment la société doit s’y prendre pour maintenir un équilibre entre la neutralité religieuse de l’État et la liberté de religion. C’est de cet équilibre entre le respect du pluralisme et le principe de laïcité dont il est question dans ces discours conversationnel. C’est ce que j’appelle dans cette figure, l’objet des discours conversationnels.

Ces discours conversationnels se déroulent dans une situation qui implique un contact interculturel. Les discussions sur le projet de loi nº 94 sont alors un terrain particulièrement intéressant parce qu’ils présentent une situation de rencontre entre des individus de cultures différentes, une situation où la culture commune québécoise (en position dominante) est en contact avec l’autre religieux (en position minoritaire). Ce terrain rend compte de la participation des personnes de religions dites minoritaires13 notamment musulmanes, juives et sikhes. C’est ce que je nomme dans cette figure, la situation des discours conversationnels.

13 Les frontières entre majoritaires et minoritaires étant difficiles à délimiter, je souligne au chapitre1, que je privilégie

(22)

8

Figure 1 Objet de la recherche

Cette forme de parole publique à propos d’enjeux liés au pluralisme religieux a une spécificité par rapport aux controverses sur le nucléaire ou sur les énergies renouvelables dans la mesure où elle implique des dimensions identitaires et des processus de minorisation basés essentiellement, mais pas uniquement, sur la religion comme trait différentiel. Quelles sont donc ces dynamiques de minorisation/majorisation auxquelles nous renvoie la question des accommodements raisonnables?

De ce qui précède, les lecteurs comprendront que c’est le processus de mise en visibilité des discours conversationnels entre les acteurs sociaux impliqués dans cette délibération publique à propos de la question des accommodements raisonnables au Québec que j’essaie de caractériser d’un point de vue de communication publique. Ma recherche porte donc sur « la façon dont les acteurs rendent visibles pour autrui, notamment par leurs jeux de langage » (Pharo, 1985 : 127), leurs positionnements, leurs relations à l’autre et leurs motivations. De ce fait, cette thèse examine les contraintes, le fonctionnement, ainsi que la portée de ce processus de mise en visibilité.

Je souligne à cet effet que la démarche qualitative adoptée vise l’approfondissement des connaissances concernant les enjeux du processus selon lequel des acteurs sociaux impliqués dans des auditions publiques rendent publiques leurs prises de position à propos d’une controverse qui se noue autour de l’exercice de la liberté de la religion en contexte de neutralité de l’état (en l’occurrence, la question des accommodements raisonnables). Cela veut dire que le but est de développer des catégories à partir des données empiriques provenant des verbatims et des enregistrements de ces auditions publiques pour les intégrer à l’intérieur d’une

La parole en action en contexte d'audition publique

Les discours conversationnels

Situation des discours conversationnels

Rencontre interculturelle et rapports de

minorisation-majorisation

Objet des discours conversationnels La question des

(23)

9

modélisation qui résume et donne un sens au processus de publicisation des discours conversationnel accomplies lors de ces auditions publiques. En d’autres mots, l’objectif général de cette analyse inductive est de découvrir des propriétés qui caractérisent le processus de publicisation des prises de position des acteurs impliqués dans des auditions publiques à propos de la thématique générale de l’équilibre entre la laïcité de l’État et les libertés individuelles. Plus spécifiquement, l’objectif est d’examiner les contraintes, le fonctionnement, ainsi que la portée des discours conversationnels ayant pour objet la question des accommodements raisonnables.

Partant de cet objectif général qui concerne la façon, dont les acteurs sociaux publicisent leur prise de position lors d’une audition parlementaire considérée comme une arène publique où les points de vue par rapport à la question des accommodements raisonnables sont confrontés et mis en visibilité, mon analyse portera tout particulièrement sur les deux composantes substantives du phénomène de la parole en action; à savoir la dimension publique et la dimension interactionnelle et praxéologique. Prenant ces deux composantes en ligne de compte, la question générale de recherche a été formulée comme suit : au regard de quelles contraintes, par quels moyens et avec quelle portée, des acteurs sociaux publicisent-ils leur prise de position dans les différentes séquences discursives (ouverture, exposé, échange) qu’implique une séance d’audition publique en commission parlementaire où est débattue la question des accommodements raisonnables?

Pour répondre à cette question générale, les séances d’auditions publiques sur le projet de loi nº 94 ont fait l’objet d’une analyse centrée sur les discours conversationnel entre les acteurs impliqués. Pour extraire le sens derrière les données qui proviennent des vidéos et des verbatims, l’analyse des données est guidée par les objectifs et les questions suivantes :

1. Rendre compte des données du contexte des discours conversationnels.

Comme je l’ai précisé, la parole publique repose fondamentalement sur une arène publique. Il convient donc de s’interroger au premier lieu sur les finalités communicatives de cette arène publique. Les acteurs impliqués dans cette arène publique sont là pour quoi faire? Qui parle à qui dans cette arène publique? À propos de quoi? Dans quel cadre d’espace et de temps?

2. Observer comment les acteurs sociaux engagés dans cette arène publique s’ajustent avec les contraintes et les attentes associées aux spécificités de ce processus de mise en visibilité. Il s’agit en effet d’explorer les incidences des paramètres de la situation sur la parole publique.

Ne l’oublions pas, la parole publique en commission parlementaire est un phénomène conversationnel. En effet, les auditions publiques, comme je l’aborderais avec plus de détails au chapitre 3, sont formalisées par un

(24)

10

protocole précis, un rituel qui n’est pas sans produire un effet contraignant sur les interactions. En effet, les tours de parole, le temps alloué et la conduite des acteurs sont institutionnellement structurés. Les questions qui se posent alors sont les suivantes : comment fonctionne la prise de parole dans une audition publique? Quels sont les éléments situationnels qui contraignent cette parole publique? En quoi les paramètres de la situation peuvent-ils influer sur les propriétés du discours? La parole publique vise-t-elle seulement à construire un positionnement ou bien aussi à projeter une présentation de soi et des autres? Dans quelle mesure la situation de contact interculturel affecte-t-elle le déroulement des interactions?

3. Repérer et caractériser les formes de langage et les stratégies discursives employées pour persuader le public.

Comme je l’ai évoqué plus haut, ce n’est pas la simple co-construction d’une prise de position qui m’intéresse. Je veux aussi comprendre les enjeux qui sous-tendent le fait de rendre ce positionnement publiquement visible, c’est-à-dire les enjeux qui sous-tendent le fait de parler dans une situation de parole publique, et non pas dans n’importe quelle situation (interaction en classe, téléphonique, etc.). Comment les acteurs font-ils usage des volets communicationnels verbaux, non verbaux et paraverbaux pour construire des modalités de positionnements? Comment, à travers la participation à une audition publique en commission parlementaire, la position qu’occupe l’acteur social dans le champ discursif est-elle visibilisée? En postulant que les discours conversationnels en contexte d’auditions publiques en commission parlementaire sont porteurs de messages qui, tout en étant issus d’un ensemble d’interactions, sont néanmoins destinés à un public physiquement absent, j’ai appelé cette forme de parole publique, à la suite de Ruth Amossy (2002), une situation de « double adresse ».

Étant donné que la confrontation des thèses antagonistes est d’autant plus problématique qu’elle est soumise au regard du public à travers le dispositif de médiatisation, comment les acteurs sociaux, placés dans un contexte public, gèrent-ils le dissensus? Dans quelle mesure la participation à une audition publique s’apparente-t-elle à l’argumentation polémique?

4. Décrire le rôle des dimensions motivationnelles dans le registre discursif :

La parole des acteurs est-elle décontextualisée ou bien au contraire, procède-t-elle à un tissage des actions et des sources motivationnelles qui la précèdent? Comment ces forces motivationnelles sont-elles manifestées dans les interactions? Comment l’image préalable (l’éthos pré discursif) des actants dits minoritaires influence-t-elle les comportements discursifs de ceux-ci?

(25)

11

Cette thèse s’intéresse à l’un de ces moments que la sociologie pragmatique14 nomme des « moments effervescents »15. Par moment effervescent, il convient de comprendre des périodes de désaccord caractérisées par l’effervescence des passions et l’exacerbation des rivalités, comme les scandales ou les controverses16. Dans le cas qui m’occupe, le désaccord sur les manières de trouver un équilibre entre la laïcité de l’État et les libertés individuelles pourrait être une occasion pour les acteurs de l’espace public de remettre en cause certaines idées (égalité, laïcité, etc.) ou certains rapports de force (minorités, majorités). Prendre l’un de ces événements ou moments déstabilisateurs comme point de départ de la recherche, entraîne une conséquence qui mérite d’emblée d’être soulignée, à savoir l’inscription dans une perspective sociologique qui considère les moments effervescents comme des « épreuves » (Boltanski et Chiapello, 1999 : 73) et leur examen dans leurs dimensions performatives. Concevoir les moments effervescents qui concernent l’équilibre entre la laïcité de l’État et les libertés individuelles au Québec, comme une épreuve, c’est reconnaître leurs capacités transformatrices. Ce sont des moments « de transformation sociale » selon les termes de Damien de Blic et Cyril Lemieux (2005). Selon cette perspective, il importe de voir dans les controverses « des actions collectives conduisant à la transformation du monde social » (Lemieux, 2007 : 192). Les questions qui y sont posées sont les suivantes : que fait, aux acteurs qui y sont impliqués, la parole publique qui touche l’équilibreentre laïcité de l’État et les libertés individuelles dans un contexte interculturel? Qu’est-ce que la parole fait ou transforme? Les rapports de pouvoir sont-ils neutralisés en contexte institutionnel, ou bien au contraire, sont-ils réactualisés discursivement? La publicisation de la parole dans le contexte des auditions publiques en commission parlementaire a-t-elle pour corollaire la clôture du désaccord ou bien au contraire une persistance de celui-ci? Comment se déroule l’échange avec les députés lorsqu’un actant délibérant à propos de la place de la religion à l’espace public porte lui-même un signe religieux?

Après avoir exposé la question générale, les objectifs de la recherche et les questions spécifiques qui en découlent, je présente maintenant, la structure de cette thèse qui est composée de huit chapitres :

Le premier chapitre introduit la problématique et rappelle les éléments du contexte politique québécois qui permettront au lecteur de comprendre l’objet de mon propos. Étant donné que la spécificité de cette problématique tient notamment au fait que l’échange porte sur une controverse liée à la diversité ethnoculturelle

14 Si certains travaux se sont focalisés sur la dimension théorique de la délibération (Bohman et Rehg, 1997 ; Elster, 1998

; Macedo, 1999 ; Freeman, 2000) d’autres travaux empiriques (en fait pragmatiques) ont repris la question de délibération pour rendre compte des transformations contemporaines de l’espace public (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001; Cefaï et Pasquier, 2003; Latour et Peter, 2005).

15 Damien de Blic et Cyril Lemieux (2005) reprennent cette notion à Émile Durkheim (1912) qui l’a problématisée dans les

formes élémentaires de la vie religieuse pour caractériser ces moments de changement social.

16 Pour une distinction entre les notions de débat, polémique, controverse, scandale, voir notamment Boltanski, L., Claverie,

E., Offenstadt, N., & Van Damme, S. (2007). Affaires, scandales et grandes causes (de Socrate à Pinochet). Les Essais (Paris. 2003).

(26)

12

(la question des accommodements raisonnables) se tient aussi dans un contexte de diversité ethnoculturelle, c’est-à-dire entre des personnes de cultures différentes (et plus spécifiquement, des croyances différentes), j’ai divisé ce chapitre en deux parties : dans la première partie, je présente la question des accommodements raisonnables comme un élément de politique publique. Cette partie situe ma problématique dans le contexte québécois et introduit le lecteur aux particularités du contexte québécois, soit la pratique de participation publique, le modèle québécois de gestion de la diversité, le processus de sécularisation et, finalement, la construction du problème des accommodements raisonnables. Dans la deuxième partie, en abordant l’interculturel à travers la perspective interactionniste, je souligne en quoi la mise en visibilité des positions par rapport aux accommodements raisonnables a une portée différente de celle d’une situation de parole publique à l’occasion d’autres types de controverses.

Je consacre un deuxième chapitre au cadre conceptuel à partir duquel je souhaite apporter des éclairages sur une pratique de communication publique, en l’occurrence, la parole publique en situation d’audition publique en commission parlementaire. Il s’agit de préciser les paramètres de l’objet de recherche en définissant les notions et concepts qui servent à l’identifier. Le recours au concept d’arène publique a pour but d’examiner les ressources conceptuelles qu’offre la sociologie des problèmes publics lorsqu’une problématique tente d’appréhender une situation de parole publique. Cela me permet de soulignent que les discours conversationnels analysés sont soumis non seulement aux contraintes institutionnelles et interactionnelles, mais aussi à celles de la publicisation. Les concepts clés de l’approche proposée méritent réflexion et discussion : quelle est la signification des notions d’arène publique, de site dialogique? Ces concepts sont définis afin d’élucider la sensibilité théorique avec laquelle l’objet de recherche est approché. À la fin de ce chapitre, je formule des considérations épistémologiques et ontologiques qui fondent l’ancrage paradigmatique de la recherche.

À l’issue de cet état de la question où l’arène publique est envisagée comme un lieu de publicisation des prises de position, j’expose dans un troisième chapitre, le contexte institutionnel des discours conversationnels qui font l’objet de l’analyse, c’est-à-dire, le processus législatif et le design participatif du dispositif de consultation qu’est l’audition publique en commission parlementaire. Je décris ensuite la procédure de participation et le déroulement séquentiel des séances d’auditions et j’explique l’organisation des trois séquences principales qui composent les auditions : les séquences d’ouverture, de l’exposé et de l’échange.

Le quatrième chapitre donne un aperçu détaillé des choix et procédures méthodologiques qui orientent l’analyse. Comme suite aux précisions concernant la méthodologie de théorisation enracinée adoptée, je présente les principaux défis posés par ce choix (le défi de l’induction, le défi de la proximité de la chercheuse). Par la suite, il est question des deux types de décision : la sélection d’un site (les auditions publiques en commission

(27)

13

parlementaire) et l’échantillonnage à l’intérieur de ce site (les cas analysés). Enfin, les opérations conduites au moyen du logiciel d’aide à l’analyse des données qualitatives NVivo sont décrites. À ce propos, la contribution de cette thèse comprend l’introduction d’un nouvel objet de recherche (l’échange en commission parlementaire comme pratique de communication publique) et la proposition d’une approche par théorisation enracinée de cette pratique de communication publique.

Les chapitres cinq, six et sept sont les chapitres analytiques proprement dits et consacrés à la présentation des résultats. Chacun de ces trois chapitres analytiques commence avec une précision sur la spécificité de la séquence analysée qui s’appuie sur les données empiriques.

Le cinquième chapitre est consacré à l’étude des moyens observables par lesquels les actants, dans les séquences d’ouvertures, désignent les paramètres situationnels du contexte de l’échange qui paraissent pertinents pour eux. Le chapitre six est consacré à l’analyse des exposés des groupes et personnes entendus alors que le chapitre sept analyse les séquences de l’échange avec les députés.

En guise de synthèse de l’ensemble des analyses, je présente dans un huitième chapitre la dernière étape de l’analyse par théorisation enracinée, soit la modélisation et la théorisation. Tout en rappelant que mon approche d’analyse des données, essentiellement inductive, vise à faire émerger des catégories et à lier dans un schéma explicatif, les divers éléments du phénomène observé (Paillé, 1994; Strauss et Corbin, 2004), en l’occurrence la parole publique sur la question des accommodements raisonnables, je propose, à l’aide d’une modélisation, une schématisation des relations entre les catégories de mon analyse.

En conclusion générale, je fournis une synthèse des principaux résultats en réitérant les idées essentielles de mon cadre conceptuel et je propose quelques pistes de recherches. Cette conclusion permet aussi de dégager les contributions et les limites de cette thèse tant sur le plan conceptuel et analytique que sur le plan méthodologique.

(28)

14

La parole publique sur les accommodements

raisonnables

Dans une société démocratique où les citoyennes et les citoyens peuvent exprimer librement leurs idées, il existe toujours des moments de désaccords véhéments, des situations où l’échange d’arguments divergents autour d’un phénomène ou d’une situation est mis en scène devant le public. De tels moments sont ce que j’appelle des controverses. Il s’agit, comme l’écrit Cyril Lemieux, de conflits qui « ont toujours une structure triadique : ils renvoient à des situations où les différends entre deux parties sont mis en scène devant un public tiers placé dès lors en position de juge » (2007 : 195). Les acteurs (qu’ils soient individuels ou collectifs) qui y prennent part occupent des positions diversifiées, différenciées ou même antagonistes à propos des principes qui légitiment les lois et les actions publiques qui les engagent de façon mutuelle.

L’objet d’une controverse peut être de différents types. Il importe de les rappeler brièvement afin de spécifier le type particulier qui m’intéresse dans cette thèse, à savoir les controverses portant sur la question de l'exercice de la liberté de religion dans le contexte des sociétés multiculturelles et laïques. Il existe en effet, des controverses dans le domaine de l’environnement, de la santé, de l’innovation technologique et de bien d’autres dossiers de politique publique. Qu’on les qualifie de climatiques, de sociales, de politiques ou de technoscientifiques, les controverses impliquent généralement une divergence de points de vue et par conséquent, un degré quelconque de polémicité. Par polémicité, j’entends une forme de communication qui, selon Jérôme Jacquin, consiste à argumenter par disqualification (attaque directe sur la personne, pouvant s’apparenter à l’insulte) et/ou décrédibilisation (mise en faux, mise en contradiction) de l’adversaire face à un tiers (2011 : 35). Cela veut dire que ceux qui sont impliqués dans la discussion sur le désaccord tentent non seulement d’argumenter en faveur de leur point de vue, mais aussi de disqualifier la thèse adverse ou ceux qui la soutiennent. Ce caractère polémique, à cause de plusieurs éléments contextuels qui seront détaillés dans ce chapitre, est particulièrement éminent dans le cas des désaccords sur un aspect spécifique de la diversité ethnoculturelle, soit la religion et les pratiques et croyances qui lui sont associées. Aux aspects politiques de cette controverse s’entremêlent des questions morales, culturelles, juridiques, sociales, religieuses, etc.

Pourquoi analyser la parole publique dont l’objet est la controverse des accommodements raisonnables? En quoi la parole publique dont l’objet est la question des accommodements raisonnables est-elle pertinente?

C’est à ces questions que je veux répondre dans ce premier chapitre en proposant deux axes de réflexion centrés respectivement sur l’objet ou la thématique des interactions d’une part, et les enjeux que recouvre la situation interculturelle dans laquelle se déroulent ces interactions, d’autre part.

(29)

15

Dans la première partie de ce chapitre, je montre que le désaccord porte bel et bien sur un enjeu politique : comment gérer le pluralisme religieux dans une société sécularisée où le religieux a perdu, pour plusieurs, sa centralité dans les pratiques quotidiennes? Si, au Québec, des symboles religieux chrétiens sont fréquemment vus comme un patrimoine historique à préserver, comment gérer alors les pratiques religieuses étrangères au patrimoine québécois comme le port du voile intégral?

Je souligne à cet effet que le Québec offre l’exemple d’une société où des demandes d’accommodements pour motifs religieux posent le problème des impératifs démocratiques de la reconnaissance des différences identitaires et plus particulièrement religieuses dans un contexte de neutralité de l’État. La question des accommodements raisonnables est ainsi comprise comme une clé de compréhension des enjeux de la question plus générale du pluralisme religieux. Elle est l’expression de mutations sociales et de rapports de pouvoir qu’il convient de comprendre.

Dans la deuxième partie de ce chapitre, je montre que les interactions peuvent impliquer un potentiel polémique lorsque des enjeux liés à l’identité et à la présentation de soi y surgissent. En effet, les divergences des points de vue liées à cet aspect spécifique de la diversité ethnoculturelle, qui est la religion et les pratiques et croyances qui lui sont associées, impliquent des situations de confrontation des thèses antagonistes où se jouent rapports interculturels et processus de présentation de soi et de l’autre. Par ailleurs, l’engagement des acteurs dans ce type de situations est en partie motivé par des valeurs ou des croyances non partagées. C’est pour cela que les interactions pourraient occasionner, comme on le verra dans l’analyse, des montées en tension qui peuvent s’exprimer à travers des émotions telles que l’indignation ou la colère ou des actes de disqualification de l’autre, d’insultes ou d’évitement.

Les accommodements raisonnables à l’épreuve de la

participation publique au Québec

Rappelons-le, l’analyse que je propose dans cette thèse porte sur le désaccord engageant des élus et des acteurs individuels et collectifs à propos des balises d’encadrement des accommodements raisonnables. Il s’agit d’une controverse qui mobilise et divise une variété d’acteurs (élus, universitaires, mouvements féministes, associations, médias) et donne lieu à de nombreux débats virulents. Avant d’aller plus loin, je retrace dans la partie suivante l’émergence du problème des accommodements raisonnables et je montre comment cette question est devenue un problème public.

Les accommodements raisonnables : du fait social au problème public

Pour spécifier d’emblée le phénomène que j’entends désigner en parlant de problème public, je fais appel à la définition que donne Érik Neveu à cette notion « Du plus tragique au plus anecdotique, tout fait social peut potentiellement devenir un “problème social” s’il est constitué par l’action volontariste de divers opérateurs (Presse, mouvements sociaux, partis, lobbies, intellectuels...) comme une situation problématique devant être mise en débat et recevoir des

Figure

Figure 1 Objet de la recherche
Figure 2 Les deux dimensions de l’objet de recherche
Figure 3 Organisation de la problématique selon la logique de l’entonnoir
Figure 4  Une forme de parole publique située dans un processus plus large
+7

Références

Documents relatifs

La formation initiale et continue des professionnels de santé ainsi que leur information sur le handicap doivent être améliorées afin de garantir aux personnes

L'article 1 39a de la loi sur les communes permet au Conseil d'État de repourvoir les sièges vacants lorsque la Municipalité ne peut être constituée ou n'est provisoirement

En effet, vu la topographie du centre historique de La Chaux-de- Fonds et les charges de trafic mesurées aujourd’hui et calculées pour 2025, seule la

(38) Exposé des motifs et projet de décret accordant au Conseil d'Etat un crédit d'études de CHF 1'400'000 pour financer les études relatives à la réunion des cours du

concernant l’instauration d’une coopération plus étroite entre les cinq pays nordiques, notamment pour l’édification de la paix, la police aérienne et la surveillance maritime,

Objectif de la note : Conformément aux informations transmises lors de la COFI du 17 décembre 2020, l’objectif consiste à informer la COFI des dernières

Article premier Un crédit d’engagement de 2'400’000 francs est accordé au Conseil d’État pour financer les travaux d’optimisation du sentier du Lac.. 2 Les

Le Conseil des aînés est conscient que le contexte économique difficile et l'état des finances publiques interpellent toutes les générations et que celles-ci devront