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3.2 Le débat de l'interface

3.2.2 Une inuence indirecte des connaissances explicites ?

Han et Finneran (2014) considèrent que les indices empiriques recueillis par les

diérentes études sont plutôt en faveur d'une interface faible, mais certains élé- ments restent diciles à expliquer par cette théorie, comme la fossilisation ou les diérences inter- et intra-individuelles dans l'acquisition de laL2. Lafossilisationest le phénomène selon lequel un apprenant continue à commettre des erreurs de per- formance malgré des conditions d'apprentissage favorables : son interlangue est gée dans une production non conforme à la cible et l'apprenant ne fait plus de progrès sur cet aspect de sa L2. Par exemple, un apprenant vivant dans un pays où sa L2

est parlée peut connaitre une fossilisation de ses erreurs et, même après des années d'immersion, ne jamais corriger certaines productions grammaticales non-conformes à la cible. Ce phénomène très courant est bien exemplié par Patty, l'apprenante de l'anglais d'origine japonaise longuement étudiée par Lardiere (1998, 2003). Même après dix ans d'immersion aux États-Unis, Patty continue de ne pas produire les morphèmes grammaticaux du passé comme les natifs alors que d'autres aspects de son interlangue sont totalement conformes à la langue cible. La fossilisation af- fecte uniquement certains sous-systèmes  plus souvent la morphosyntaxe ou la prononciation. Dans de nombreux cas, cette xation des erreurs semble liée à une déconnexion entre connaissances explicites et implicites (Han et Finneran, 2014). La plupart du temps, ces apprenants ont une bonne voire très bonne connaissance explicite du système grammatical qui leur pose problème : leur production écrite et leur capacité à corriger ces erreurs sans pression de temps sont proches de celles de natifs, alors qu'ils continuent de produire ces erreurs en situation de communication. Le phénomène de fossilisation semble donc indiquer que, au moins pour certaines structures, les connaissances explicites ne parviennent pas à devenir implicites. Les données issues des neurosciences sont également en faveur de deux systèmes qui res- tent séparés : ce qui est stocké en mémoire déclarative ne peut pas se transformer en mémoire procédurale. Les réseaux neuronaux sous-jacents sont distincts et non transformables.

Pourtant, il existe aussi des éléments suggérant que lesconnaissances explicites

PASqD'INTERFACE

Connaissancesq Explicitesq Déclaratives Compétenceq Impliciteq Procédurale Connaissancesq métalinguistiques Compétenceq Linguistique processus explicites processus implicites

INTERFACEqFAIBLE

Compétenceq Linguistique Instruction Input Connaissancesq Explicites Connaissancesq Implicitesq aide à la détection Quand l'implicite échoue =qinfluenceqindirecte

INTERFACEqFORTE

pratique =qinfluenceqdirecte Connaissancesq Explicites Connaissancesq Implicitesq Apprentissageq déclaratif Apprentissageq procédural Automatisation

Figure 3.1  Représentation schématique des trois grandes positions sur le débat de l'interface

très complète de Suzuki et DeKeyser (2017) montre par exemple que le niveau de

connaissances explicites très automatiséesimpacte l'utilisation desconnaissances im- plicites. L'aptitude à l'apprentissage explicite prédit l'acquisition de connaissances explicites automatisées, qui à son tour a une inuence sur l'acquisition de connais- sances implicites. L'automatisation des connaissances explicites serait-elle l'inter- médiaire entre connaissances déclaratives et implicites ? Si les deux systèmes sont bien séparés et non directement inuençables, l'automatisation ne peut pas être une simple étape dans la procéduralisation, comme l'entend par exemple l'hypothèse de l'interface forte. Le phénomène de procéduralisation ne correspond donc pas à une transformation des connaissances explicites en connaissances implicites mais à un remplacement de l'usage des unes par les autres, comme le détaille Paradis (2009, p.16) :

[Proceduralisation] could not refer to the transformation of particular explicitly known rules into implicit computational procedures, but only to the gradual replacement of the use of explicit knowledge in construc- ting sentences by the use of the implicit competence newly (and indepen- dently) acquired through repeated use, allowing the speaker to automati- cally generate sentences.

Il y a néanmoins deux manières pour les connaissances déclaratives automatisées d'inuencer les connaissances implicites. D'une part, elles peuvent aider les appre- nants à traiter l'input de manière plus ecace, en sélectionnant les bonnes infor- mations et les bons indices pour l'interprétation. Les mécanismes implicites peuvent alors agir sur les bons signaux et extraire les constructions de manière plus conforme à laL2. D'autre part, lesconnaissances explicitespeuvent permettre aux apprenants d'utiliser fréquemment des structures grammaticales correctes et pertinentes, grâce à un contrôle de la production et un haut niveau d'attention. Ces structures cor- rectes permettent de créer de l'input qui nourrit à son tour les systèmes implicites. L'apprentissage expliciteest la forme dominante de l'apprentissage, et, par ces voies détournées, il peut aider les apprenants à acquérir des connaissances automatiques et implicites. On a donc un continuum dans l'utilisation de processus contrôlés au début de l'apprentissage à automatiques à l'état nal. Les deux systèmes restent séparés mais interagissent (voir Figure 3.2).

Le but de l'apprentissage explicite est donc d'une part d'aider les apprenants à traiter l'input d'une manière qui favorise l'acquisition implicite (Andringa et Rebu- schat, 2015), en portant l'attention sur des aspects de l'input an de favoriser leur détection et leur assimilation ; et d'autre part d'ancrer les associations et routines de traitement propres à la L2, en permettant un raccourci par rapport à l'appren- tissage statistique qui s'opère dans l'acquisition de la L1. Ainsi, le développement de connaissances explicites et implicites sera favorisé. Mais comment évaluer ce dé- veloppement ?

Input correct Locuteurs natifs Production Compétence faible en L2 Compétence élevée en L2 Connaissances implicites Connaissances explicites

Mémoire déclarative Mémoire procédurale

Apprentissage explicite Calculs statistiques implicites Monitoring Feedback Détection d'éléments

Figure 3.2  Représentation de la théorie d'une inuence indirecte des connais- sances explicites sur les connaissances implicites

3.3 Mesurer les connaissances explicites et impli-