• Aucun résultat trouvé

3.2 Le débat de l'interface

3.2.1 Les positions

Il y existe trois grandes familles de théories sur la question de l'interface (voir

Ellis, 2005b; Han et Finneran, 2014; Slabakova, 2015). La première est celle de

l'absence d'interface entre connaissances expliciteset implicites, qui avance que les

connaissances explicites ne peuvent jamais être converties en connaissances impli- cites : il s'agit de deux processus indépendants, et lesconnaissances explicites n'ont pas d'inuence sur le développement de la compétence implicite. C'est notamment la position deKrashen(1981,1982) ouBialystok(1978). D'autres chercheurs comme

DeKeyser (2000) ou Sharwood Smith (1981) argumentent en faveur d'une interface

forte : une pratique intensive sur des points spéciques permet le développement des

connaissances implicites, et passer par des connaissances explicitesest le seul moyen pour des adultes d'améliorer leur compétence implicite. L'hypothèse de la détection (Noticing Hypothesis) de Schmidt (1990, 1993, 1995b, 2010) est également classée dans cette catégorie. Enn, certains auteurs proposent l'existence d'une interface faible, qui a plusieurs déclinaisons. Le point commun de ces théories est l'hypothèse que les connaissances explicitesont une inuence indirecte sur le développement des

connaissances implicites : l'instruction et la pratique permettent un ajustement de l'input et de l'output qui permet ensuite à l'apprenant d'acquérir les structures sous- jacentes. C'est la position deEllis(1994),Ellis et Larsen-Freeman(2006),VanPatten

(1996, 2002) ou White (1991, 1992).

Pas d'interface La position de l'absence d'interface est d'abord associée à la théorie de monitoring (Monitor Theory) de Krashen (1981, 1982), qui établit une diérence très claire entre apprentissage (explicite) et acquisition (implicite) d'une langue. Apprentissage etacquisitionsont considérés comme deux mécanismes dié- rents qui n'interagissent pas. Tout ne peut pas être appris : certaines règles doivent impérativement être acquises pour être maitrisées, car le langage est trop complexe pour être expliqué. Les tenants de cette position considèrent que ce qui est appris explicitement ne peut pas être réutilisé dans la communication : il n'y a pas d'ac- cès automatique en temps réel aux connaissances explicites. La spontanéité dans la production peut uniquement venir de l'expérience avec l'input (Bialystok, 1978;

Hulstijn, 2002;Paradis,2004). Certains chercheurs considèrent cependant que l'ap-

prentissage intentionnel produit des connaissances explicitesmais aussi des connais- sances implicites : l'apprentissage implicite peut alors se produire en même temps que l'apprentissage explicite(Hulstijn,2015;Paradis,2009).

Interface forte À l'inverse, les partisans de la théorie d'une interface forte (De-

découle desconnaissances explicites. Il y a plusieurs étapes successives d'apprentis- sage. La première est un apprentissage déclaratif totalement explicite. Cette étape est suivie par une internalisation de la règle grammaticale, et enn par une automa- tisation complète de l'accès à la règle. Petit à petit, grâce à la pratique, les règles apprises deviennent implicites et peuvent être utilisées pour comprendre et produire laL2en interaction. Le postulat de départ est que l'acquisition d'une seconde langue à l'âge adulte est nécessairement consciente. Elle débute par des connaissances ex- plicites, déclaratives et conscientes, qui à terme peuvent être intégrées et devenir implicites.

Interface faible Enn, la théorie d'une interface faible comporte plusieurs ver- sions. D'après R. Ellis (1993), les connaissances explicites peuvent devenir impli- cites avec la pratique sous certaines conditions. Certaines connaissances sont dépen- dantes d'étapes développementales : dans ce cas, elles pourront devenir implicites lorsque l'apprenant sera prêt. D'autres connaissances ne sont pas liées au dévelop- pement : celles-ci pourront devenir implicites à n'importe quel moment de l'ap- prentissage de la L2. Pour Sharwood Smith (1981), les apprenants utilisent leurs

connaissances explicites pour produire la L2, et c'est sur ces productions que les mécanismes d'apprentissage impliciteeectuent ensuite leurs calculs. Pour N. Ellis (Ellis et Larsen-Freeman, 2006; Ellis, 1994), l'apprentissage est largement implicite et associatif : les constructions présentes dans l'inputsont identiées de manière in- tuitive et implicite. Les connaissances explicites contribuent au développement des

connaissances implicites de manière indirecte seulement, en rendant certains traits saillants et en aidant à la détection, nécessaire pour l'apprentissage de structures qui sont conictuelles avec la L1 ou simplement absentes de celle-ci. Les connais- sances explicites permettent à l'apprenant de contrôler sa production. En situation de communication, les connaissances explicites peuvent prendre le relais lorsque la compétence implicite fait défaut ou ne parvient pas à suivre sous la pression tem- porelle.

Coexistence Han et Finneran (2014) suggèrent que les trois types de position pourraient en réalité coexister chez les apprenants au cours de leur instruction. Il pourrait en eet théoriquement y avoir des interfaces complexes : les connais- sances explicites peuvent, dans certains cas, échouer à devenir implicites ; ou bien une interface forte peut se produire avec le mauvais type de connaissances expli- cites; ou encore les connaissances explicites peuvent s'éroder et ne plus jouer leur rôle. Le type d'interface pourrait, selon Han et Finneran(2014), dépendre du type d'élément de langage. Par exemple, les éléments qui sont faciles à apprendre ex- plicitement mais diciles à internaliser comme les morphèmes exionnels seraient concernés par une absence d'interface : il est aisé d'acquérir des connaissances ex-

plicites de ces morphèmes, mais celles-ci ne permettent pas une internalisation et une production correcte en temps réel. Les éléments qui ne peuvent pas être appris mais uniquement acquis, tels que l'interface entre syntaxe et sémantique ou entre syntaxe et pragmatique, seraient aussi confrontés à une absence d'interface expli- cite / implicite. En eet, si on peut apprendre certaines propriétés formelles de ces structures, on ne peut pas apprendre comment les appliquer : les règles en sont trop complexes. Les trois types d'interface pourraient donc se succéder ou coexister lors de l'apprentissage.