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4.4 Synthèse et motivation des expériences de cette thèse

4.4.2 Questions de recherche générales

De ces observations découlent plusieurs questions générales qui ont guidé ce travail de recherche.

1. Peut-on reproduire les résultats obtenus en langues articielles sur du langage naturel, en partant non pas d'un état zéro mais d'un état intermédiaire dans lequel l'apprenant a certaines connaissances de la L2?

(a) Les réponses électrophysiologiques peuvent-elles dans ce cas toujours être modiées par l'entrainement ?

(b) Les entrainements explicite et implicite peuvent-ils toujours avoir un eet diérent sur ces réponses ?

2. L'entrainement implicite peut-il sure à progresser sur la détection des erreurs même quand la structure fonctionne de manière conictuelle en L2et en L1? 3. Quels types de connaissances sont développés par ces entrainements chez des participants ayant déjà une connaissance explicite de certains aspects de la langue ?

4. Peut-on étendre ces résultats en utilisant un paradigme moins biaisé vers l'apprentissage explicite? C'est-à-dire :

(a) Peut-on entrainer des apprenants à utiliser des indices prosodiques enL2

pour prédire la structure syntaxique des phrases en temps réel et résoudre les ambigüités temporelles ?

(b) Un apprentissage explicitea-t-il dans ce cas un eet plus bénéque ? An de tenter de répondre à ces questions, deux expériences ont été réalisées. La première (Partie II) examine plus particulièrement les questions 1, 2 et 3, en s'intéressant à l'acquisition de la morphosyntaxe et plus précisément d'un élément problématique pour les francophones : la morphologie du passé lorsque des auxiliaires sont impliqués, soit dans des questions polaires au prétérit et au present perfect. Cette expérience vise à reproduire le type d'entrainement eectué avec des langues articielles avec une langue naturelle dans laquelle les participants ont déjà un niveau intermédiaire, en utilisant pendant l'EEGune tâche moins explicite qu'un jugement de grammaticalité.

La deuxième expérience (PartieIII) vise plus particulièrement à éclairer les ques- tions 1 et 4. À l'aide d'un paradigme incluant non pas des violations strictes mais des ambigüités temporelles ou des incongruités prosodiques, elle s'intéresse à la pré- diction de la structure syntaxique en temps réel par des apprenants intermédiaires et

à l'utilisation d'indices prosodiques pour résoudre les ambigüités, ce que font les lo- cuteurs natifs (Nickels et al.,2013) et les apprenants avancés (Nickels et Steinhauer,

2018). Elle vise également à examiner l'ecacité d'entrainements pour améliorer cette utilisation.

Deuxième partie

Expérience 1 : Eets d'entrainements

explicite et implicite et de la

similarité L1-L2 sur l'acquisition

d'une structure morphosyntaxique de

l'anglais L2

Chapitre 5

Acquisition et traitement de la

morphosyntaxe en L2

Sommaire

5.1 Acquisition de la morphosyntaxe en L2 . . . 102 5.1.1 Un ou deux mécanismes de traitement ? . . . 102 5.1.2 Un décit de compétence ou de performance ? . . . . 104 5.2 Plusieurs facteurs inuencent le succès de l'acquisi-

tion de la morphosyntaxe . . . 106 5.2.1 Diérences individuelles . . . 106 5.2.2 Propriétés de l'input . . . 108 5.2.3 Similarité entre première et deuxième langue . . . 110 5.3 La morphologie des temps avec l'auxiliaire en fran-

çais et en anglais . . . 112 5.3.1 Utilisation des temps et aspects pour le passé en fran-

çais et en anglais . . . 112 5.3.2 Comparaison syntaxique des auxiliaires et temps com-

posés en anglais et français . . . 113 5.3.3 Le problème de l'acquisition . . . 124 5.3.4 Récapitulatif : la structure cible . . . 128 5.4 Questions de recherche . . . 129

Tout enseignant d'anglais a pu constater que, même après des années d'instruc- tion, les étudiants francophones n'utilisent pas toutes les marques exionnelles, et oublient par exemple fréquemment le -s de troisième personne. Les erreurs mor- phosyntaxiques sont persistantes dans la production des apprenants, même à un niveau très avancé, avec une très grande variabilité entre les individus.Toth (2000, p.174) remarque que, même dans des conditions optimales, certains facteurs comme

l'inuence de la L1 ou la formulation d'hypothèses sémantiques erronées peuvent conduire à la production de formes non conformes à la cible :

(...) [T]he learnability problem for morphosyntax is such that, even un- der optimal conditions of input and explicit instruction, internal factors such as L1 transfer and incorrect semantic hypotheses may extend the appearance of nontargetlike structures well beyond the initial exposure to an L2 form.

De nombreuses études témoignent de cette persistance des erreurs morphosyntaxiques à un très haut niveau de compétence.Lardiere(1998) s'est intéressée au cas de Patty, une locutrice native du mandarin résidant aux États-Unis depuis 18 ans dans une situation d'immersion complète. Son étude montre la fossilisation de la grammaire de Patty et une absence quasi totale de production de l'accord (96 % d'omission du morphème régulier dans les contextes obligatoires), malgré une compétence syn- taxique similaire à celle des natifs dans d'autres domaines et notamment les verbes à montée14. Dans l'analyse de son propre multilinguisme,Todeva(2010) rapporte que,

même après avoir atteint une très grande compétence en L2, elle est toujours sujette à des omissions et substitutions d'allomorphes, et sa production de la morphologie exionnelle de l'anglais n'est pas systématique. Gruter et al. (2012) ont testé des apprenants anglophones tardifs de l'espagnol à des niveaux très avancés, utilisant la langue dans leur activité professionnelle, sur leur maitrise du genre grammatical, une structure n'existant pas dans leur langue maternelle. Les résultats montrent que la performance de ces participants est très bonne en compréhension sans pression de temps, mais que des erreurs persistent dans leur production. L'étude de McCarthy

(2008) montre que la variabilité de performance dans l'accord de genre grammati- cal est moins grande chez les apprenants avancés qu'intermédiaires, mais que cette population utilise le masculin comme forme par défaut tant en production qu'en compréhension. Paradis et al. (2008) notent également que l'acquisition des mor- phèmes exionnels, notamment la marque de troisième personne singulier (-s) et le morphème du passé en anglais (-ed), est plus problématique pour les apprenants d'uneL2que pour les enfants ayant des troubles du langage au niveau grammatical. La performance des apprenants en production est donc très variable, même à un niveau avancé. Mais certains auteurs notent que ces dicultés s'étendent à la compréhension et aux jugements de grammaticalité (Clahsen et al., 2010; Gruter

et al., 2012; McCarthy, 2008), ce qui suggère que les problèmes rencontrés par les

apprenants ne sont pas liés uniquement à la production. Les dicultés de traitement morphosyntaxiques des apprenants s'observent aussi lors de tâches de perception en

14. Les verbes à montée impliquent le mouvement d'un argument d'une proposition subor- donnée vers la proposition principale : par exemple, le sujet de la subordonnée devient le sujet syntaxique mais non sémantique d'un verbe à montée comme seem en anglais (She seems to be happy.).

temps réel, comme dans l'étude deGruter et al. (2012) : les apprenants utilisent les indices de genre de manière moins ecace que les natifs, même pour des noms qui leurs sont familiers. Les auteurs ayant utilisé des jugements de grammaticalité en temps limité observent aussi des dicultés spéciques avec des structures morpho- syntaxiques comme l'accord sujet-verbe ou le cas, quelle que soit la langue maternelle des participants. McDonald (2000) a ainsi observé des dicultés similaires pour le traitement de l'accord sujet-verbe en anglais chez des locuteurs natifs de l'espagnol et du vietnamien. Dans l'étude deSato et Felser(2008), des locuteurs de l'allemand, du japonais et du chinois étaient tous moins sensibles aux violations d'accord qu'à celles de cas en anglais, indépendamment de la présence ou absence de la structure dans leurL1. Des diérences comportementales ont également été observées dans des expériences de lecture à son propre rythme (self-paced reading) (Jiang, 2004, 2007) et en eye-tracking (Keating, 2009). L'observation des potentiels évoqués révèle éga- lement des dicultés de traitement morphosyntaxique même chez des apprenants avancés. Par exemple, l'étude de Gillon-Dowens et al. (2010) s'est intéressée à des apprenants anglophones très avancés de l'espagnol ayant été exposés longtemps à leur L2 (une vingtaine d'années en moyenne). Les résultats étaient qualitativement similaires entre apprenants et natifs mais des diérences quantitatives de latence et d'amplitude des réponses neuronales persistaient. Lorsque la structure cible avait un fonctionnement similaire en L1 et L2 (accord en nombre), la P600 des apprenants était précédée par une négativité plus précoce que celle des natifs. Dans le cas d'une structure spécique à la L2 (accord de genre), les violations donnaient lieu à une négativité suivie d'une P600 proches de celles des locuteurs natifs lorsque cette vio- lation d'accord se produisait au sein d'un même syntagme, mais uniquement à une P600 lorsque l'accord impliquait plusieurs syntagmes. Les auteurs interprètent ces résultats comme indiquant qu'un traitement de la morphosyntaxe similaire à celui des natifs est possible, mais que les eets de transfert peuvent persister même à un niveau de compétence et d'exposition très élevé. Dans Pélissier et al. (2017), nous montrons que des apprenants francophones avancés ayant séjourné un an en pays an- glophone peuvent traiter l'accord sujet-verbe en anglais de manière qualitativement similaire à celle des natifs (performance équivalente au jugement de grammatica- lité, présence d'une négativité précoce suivie d'une P600) mais que des diérences persistent : la négativité précoce antérieure chez les natifs se transforme en négati- vité plus longue et étendue aux régions centrales et postérieures chez les apprenants. Contrairement à d'autres aspects du langage comme le lexique ou même la syn- taxe, la morphologie exionnelle semble être particulièrement réfractaire à l'acquisi- tion tardive enL2. Quelles sont les causes de ces dicultés ? Nous reviendrons tout d'abord sur un des grands débats en traitement et acquisition de la morphosyntaxe tant en L1 qu'en L2 : l'opposition entre les modèles postulant un seul mécanisme

de traitement pour les verbes réguliers et irréguliers et les modèles postulant deux mécanismes de traitement. Ce débat rejoint en eet celui des mécanismes d'acquisi- tion : sont-ils associatifs ou font-ils appels à des règles ? Nous examinerons ensuite les deux approches principales du problème de l'acquisition de la morphologie en

L2 : les dicultés des apprenants sont-elles dues à un décit au niveau des méca- nismes de traitement et de contrôle (décit de performance) ou à un décit au niveau des représentations mentales de la grammaire (décit de compétence) ? Enn, nous verrons que plusieurs facteurs peuvent avoir un eet sur l'état nal du système de morphologie exionnelle d'apprenants d'une L2 : des diérences individuelles, les propriétés de l'inputou encore la similarité entre première et deuxième langue et la richesse morphologique de chacune.

5.1 Acquisition de la morphosyntaxe en L2