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4.4 Synthèse et motivation des expériences de cette thèse

5.1.2 Un décit de compétence ou de performance ?

Certaines théories stipulent que les connaissances morphosyntaxiques et syn- taxiques des apprenants sont bien intégrées, mais qu'ils rencontrent des problèmes pour associer la forme phonologique et la fonction syntaxique. En eet, plusieurs études montrent qu'il est possible pour des apprenants d'une L2 de traiter de nou- velles structures comme des locuteurs natifs : la diérence entre voix passive et participe-passé en allemand (Weber et Lavric,2008), l'accord de genre en espagnol

(Alemán Bañón et al., 2014) ou même des structures dans une langue articielle

telle que Brocanto ou Brocanto2 (Friederici,2002;Morgan-Short et al.,2010,2012). Si les représentations des apprenants sont similaires à celles des natifs, d'autres facteurs doivent expliquer leur performance très variable. McDonald (2006) a testé d'abord des apprenants et des locuteurs natifs sur les mêmes tâches : des mesures d'empan en mémoire de travail (ré-ordonner des items entendus par groupe de 3, 4, 5 ou 6), de décodage de la parole (deviner le plus rapidement possible un mot découpé en segments très courts), de rapidité de traitement (appuyer sur une touche lorsqu'un mot particulier est entendu) et de jugement de grammaticalité. Sans sur- prise, les apprenants étaient moins performants que les natifs sur toutes les tâches. Ils rencontraient également plus de dicultés pour certaines structures morphosyn- taxiques comme la morphologie du passé que pour d'autres points de syntaxe comme l'ordre des mots. McDonald et ses collègues ont ensuite testé des locuteurs natifs soumis à des conditions de stress : plus ou moins de chires à retenir en mémoire de travail, bruit blanc ajouté dans la tâche de décodage, pression de temps pour répondre à la tâche de détection du mot ou parole compressée. Dans ces conditions, les locuteurs natifs avaient une performance similaire à celle des apprenants, avec des décits de jugement sélectifs : des structures telles que la morphologie du passé étaient plus vulnérables que d'autres telles que l'ordre des mots. Cette étude suggère donc que les erreurs observées chez les apprenants seraient le résultat de dicultés d'accès, de récupération ou de contrôle des connaissances, à cause d'une capacité de décodage inférieure à celle des natifs, d'un traitement plus lent, et/ou d'une limita- tion des ressources cognitives et notamment d'une plus faible capacité de mémoire de travail en L2. Un des problèmes principaux des théories de la performance est l'observation que les dicultés des apprenants avec la morphosyntaxe ne se limitent pas à la production mais s'étendent à la compréhension : les apprenants n'utilisent pas toujours les indices morphosyntaxiques présents dans l'input pour interpréter celui-ci.

Certaines théories (celle de l'intégration sélective des connaissances linguistiques

deJiang, 2007ou l'hypothèse de la Structure Syntaxique Creuse de Clahsen et Fel-

ser, 2006) estiment donc que les dicultés auxquelles les apprenants font face vont au-delà d'un problème de traitement en temps réel et impliquent l'état de leurs re- présentations mentales. Les connaissances morphologiques sont considérées comme n'étant pas complètement acquises : elles peuvent exister (et potentiellement être parfaitement exprimées dans une tâche métalinguistique hors-ligne) mais ne sont pas intégrées, et pas utilisées en parole spontanée. Par exemple, l'expérience deMc-

Carthy(2008) montre que des apprenants L2avancés adoptent souvent le masculin

comme forme par défaut au lieu de l'accord de genre correct : les auteurs inter- prètent cela comme un décit dans les représentations au niveau morphologique. En revanche, Alemán Bañón et al. (2017) n'ont pas trouvé d'adoption excessive des défauts masculins chez leurs participants avancés qui, comme ceux de Gruter

et al. (2012), font peut d'erreurs d'inconstances : les violations d'accord sont dues

à une mauvaise représentation lexicale du genre, c'est-à-dire à une représentation mentale de mots féminins comme masculins et vice-versa. Pour les théories postu- lant un décit de compétence, les occurrences d'utilisation correcte de la morpho- logie exionnelle chez les apprenants seraient uniquement dues à leur utilisation de

connaissances explicites. La notion de compétence est comprise comme la capacité à utiliser une structure correctement en parole spontanée sans y prêter attention et sans recourir à desconnaissances explicites. Selon les diérents modèles, ce problème de représentations mentales s'applique soit à l'intégralité de l'acquisition de la L2, soit seulement aux stades initiaux.

Les études neurocognitives récentes (voir Roncaglia-Denissen et Kotz, 2016) tendent à soutenir des modèles de décit de la compétence, du moins au début de l'apprentissage de la L2. Cependant, comme nous l'avons vu plus haut (voir 2.1.3), une meilleure maitrise de la L2 est accompagnée par le développement et l'impor- tance croissante de lamémoire procédurale, ce qui se traduit par une internalisation des règles et une utilisation des indices morphosyntaxiques plus similaire à celle des natifs. SelonSteinhauer (2014), les études en potentiels évoqués bien contrôlées vont également dans le sens de cette hypothèse de la convergence : les mécanismes de traitement entre L1 et L2 sont diérents au départ puis deviennent de plus en plus semblables à mesure que le niveau de compétence des apprenants augmente. Mais même à des niveaux de compétence très élevés, des erreurs persistent. Les dif- cultés des apprenants varient entre les individus mais aussi entre les structures, et plusieurs facteurs semblent avoir un impact sur la maitrise du système exionnel d'une L2, allant de diérences individuelles de capacités cognitives aux conditions d'exposition ou à la similarité entre les deux langues de l'apprenant.

5.2 Plusieurs facteurs inuencent le succès de l'ac-