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5.3 La morphologie des temps avec l'auxiliaire en français et en anglais

5.3.3 Le problème de l'acquisition

5.3.3.1 En L1

Chez les enfants, les études montrent des eets de facilitation entre les mor- phèmes : il semble que la productivité de l'auxiliaire DO par exemple soit liée à celle du -s de troisième personne et à l'utilisation de la copule BE (Rispoli et al.,

sont acquis plus tardivement. Nicoladis et al. (2012) ont étudié l'évolution de la maitrise du passé chez des enfants bilingues français et anglais. Ils ont constaté que ces enfants avaient plus de dicultés avec les verbes irréguliers qu'avec les verbes réguliers tant en français qu'en anglais.

5.3.3.2 En L2

L'acquisition du temps et de l'aspect en L2 a fait l'objet de nombreuses études. Trois étapes ont été identiées (Bardovi-Harlig, 2000) :

1. étape pragmatique

2. étape lexicale (utilisation d'adverbes de temps tels que yesterday) 3. étape morphologique

Les apprenants atteignent l'étape morphologique avec des taux de succès divers, voire n'y parviennent jamais. L'acquisition de la morphologie de temps et d'aspect suit de plus les principes généraux suivants (Bardovi-Harlig, 2000; Dietrich et al.,

1995; Klein,1993) :

 Le développement de l'expression du temps est lent et graduel.

 La forme précède souvent la fonction : la morphologie verbale peut émerger alors que le contraste fonctionnel n'est pas acquis. La morphologie utilisée n'est alors pas liée à un sens clair.

 La morphologie irrégulière précède la morphologie régulière : on peut remar- quer ici que ce principe va à l'encontre de ce que Nicoladis et al. (2012) ont observé dans le développement de la langue maternelle d'enfants bilingues.  Les apprenants font généralement l'hypothèse initiale que le temps est marqué

par des suxes uniquement, et font abstraction des marques discontinues telles que [AUX + V-exion de temps]. Ils ont ainsi tendance à commencer une séquence avec un verbe échi alors que la forme cible inclut un auxiliaire.

Paradis et al. (2008) remarquent également que les auxiliaires sont acquis avant la

morphologie exionnelle. Bardovi-Harlig (2000) propose ainsi l'ordre d'acquisition suivant pour l'anglais en tant que seconde langue chez des adultes :

1. prétérit

2. aspect progressif 3. present perfect 4. past perfect

Plusieurs facteurs expliquent cet ordre d'acquisition : la complexité syntaxique et sémantique de la forme, sa fréquence dans l'input, et sa charge fonctionnelle.

L'acquisition du DO périphrastique est un problème à part, impliquant des connaissances sémantiques, syntaxiques et morphologiques (Dimroth, 2008, p.118). En eet, puisqu'il porte les marques de temps et d'accord alors que le verbe principal

est non ni, l'auxiliaire de soutien DO est parfois considéré comme un morphème de temps libre (Paradis et al., 2008). Des études de corpus ont pourtant observé que l'acquisition de DO posait moins de problèmes que celle d'autres morphèmes

(Pfenninger,2014). D'aprèsVanPatten(1996), les apprenants débutants et intermé-

diaires d'une L2ne traitent pas DO comme un item lexical séparé : en eet, celui-ci n'ayant que peu de valeur communicative, il est facilement ignoré durant le traite- ment de l'input, surtout pour la négation. Le temps peut donc pendant un moment être marqué à la fois sur l'auxiliaire non analysé et sur le verbe (Littlewood,1984). Eet phonologique Un point supplémentaire est à prendre en considération pour le cas particulier des marques de temps en anglais : un potentiel eet phonologique. En eet, la forme phonétique du morphème du passé ainsi que l'environnement phonétique dans lequel il se trouve ont un eet sur le taux de présence des marques du passé en L2(Lardiere,2003;Wolfram,1985). Beaucoup de contraintes de surface peuvent jouer un rôle, notamment celles liées aux groupes de consonnes. Plus la diérence entre la forme du passé et la forme du présent est saillante, plus le passé est utilisé (Ellis et Larsen-Freeman,2006) : cela explique le plus grand taux de succès avec l'utilisation des verbes irréguliers qu'avec les verbes réguliers en L2. Au sein même des verbes irréguliers, plus le passé est diérent phonétiquement plus il est susceptible d'être utilisé par l'apprenant. Il y a également un eet de fréquence : les formes irrégulières fréquentes telles que  went ,  came , ou  did , portent plus souvent les marques de temps. Le segment qui précède et qui suit la marque du passé a aussi son importance : plus celui-ci est sonore (par exemple une semi- voyelle précédant le morphème -ed ou une voyelle le suivant), plus le morphème est susceptible d'être présent. Les processus de réduction des groupes de consonnes expliquent également que le passé soit plus souvent marqué à l'écrit qu'à l'oral.

Un autre facteur possible est l'impact des contraintes imposées par les repré- sentations prosodiques de la L1 de l'apprenant (Goad et al., 2011, 2003). En eet, d'aprèsSelkirk(1996), les traits de temps et d'accord sont axés au mot prosodique mais restent en dehors de celui-ci (voir Arbre 23).

(23) PWd PWd Ft σ j  l σ d/z `yelled'/`yells'

Ainsi, lorsqu'une syllabe est ajoutée à un mot lexical en anglais à cause d'un morphème exionnel, l'accentuation du mot ne change pas (de"cide vs. de"cided).

Goad et al.(2011) montrent que ce n'est pas le cas en français : l'accent est considéré comme étant toujours sur la dernière syllabe, y compris lorsqu'une exion ajoute une syllabe supplémentaire (il éc"rit vs. il écri"vit, voir Exemple24). L'accentuation est ainsi alignée à la droite du mot et la exion fait partie du mot prosodique (voir Arbre 25). (24) a. [vi"zit] visit-pst.1/2/3sg `visite' b. [vizi"t˜O] visit-pst.1pl `visitons' c. [vizi"tE] visit-imp.1/2/3sg `visitait/visitais' (25) PWd σ v i Ft σ z i σ ’t - E `visitait'/`visitais'

Certains chercheurs font donc l'hypothèse qu'un problème de perception (voir

Solt et al.,2004) serait à l'origine du problème de production de la morphologie du

temps. En eet, en anglais, le passé est réalisé par trois allomorphes qui ne sont pas tous aussi saillants : l'allomorphe [Id] est plus saillant phonétiquement que [t] et [d]. L'ajout du morphème du passé crée souvent des codas complexes avec des groupes de consonnes. De plus, beaucoup de langues n'autorisent pas les codas consistant en un [t] ou [d] nal  celles-ci sont cependant possibles en français. La diculté de perception persiste même chez les apprenants avancés. Solt et al. (2004) font donc l'hypothèse que l'incapacité des apprenants à percevoir le morphème d'une manière systématique empêche de produire la forme cible.

Leur expérience montre bien que le morphème [Id] est mieux perçu que les deux autres, [t] étant légèrement mieux perçu que [d]. Le décit perceptif est observé même chez des apprenants avancés par rapport à des natifs, mais la performance de tous les participants sur un test écrit sur des formes en contexte est similaire. Les

apprenants avancés parviennent donc à compenser ce décit perceptif en utilisant le contexte lexical pour accéder à leurs connaissances grammaticales et produire les morphèmes correctement. Les participants de niveau plus faible de Solt et al.

(2004) possédaient eux aussi les connaissances grammaticales explicites nécessaires à l'utilisation du passé, mais ils ne percevaient pas les morphèmes et ne parvenaient pas à exploiter les indices lexicaux contextuels pour produire les marques du passé, même à l'écrit.

La phonologie des marques du passé peut donc jouer un rôle dans la performance sur une tâche de perception de ces morphèmes et doit être prise en compte. La ma- nière dont cela a été fait dans notre expérience est détaillée dans la partie Méthodes (voir Section6.2.1 p.139).