• Aucun résultat trouvé

3.3 Mesurer les connaissances explicites et implicites

3.3.1 Mesures classiques

3.3.1.1 Jugements de grammaticalité

Une des mesures d'apprentissage les plus utilisées en recherche en AL2 est le jugement de grammaticalité. Dans ce type de tâche, le participant doit classer un stimulus comme grammatical ou agrammatical. Cependant, malgré son succès, le jugement de grammaticalité fait aussi l'objet de certains débats, notamment pour savoir à quel type de connaissances il fait appel. Pour certains chercheurs, le ju- gement de grammaticalité constitue seulement une mesure de performance et non pas une fenêtre directe sur la compétence implicite du participant (Loewen, 2009). D'après Ellis (2005b), le traitement d'un stimulus lors d'un jugement de grammati- calité se fait en trois étapes : d'abord un traitement sémantique, suivi d'une étape de détection lors de laquelle le participant cherche à établir si le stimulus entendu est formellement incorrect, et enn une étape de réexion où le participant se demande ce qui n'est pas correct et pourquoi. En réalité, un certain nombre de paramètres du jugement de grammaticalité peuvent inuencer le type de traitement auquel il fait appel. Ainsi, plusieurs études ont observé une diérence entre jugements de grammaticalité réalisés en temps limité ou libre (Ellis,2009b;Godfroid et al.,2015). Les jugements de grammaticalité lors desquels il y a une limite de temps pour ac- cepter ou rejeter la phrase feraient davantage appel aux connaissances implicites, alors que ceux sans pression temporelle laisseraient au participant le temps d'accé- der à ses connaissances explicites et de passer par les trois étapes décrites par R. Ellis. Celui-ci note d'ailleurs :  to ensure that learners rely only on their implicit knowledge, a GJT [Grammaticality Judgment Task] must not allow time to reect on the sentence  (Ellis, 2009b, p.96). Godfroid et al. (2015) observent également une diérence en eye-tracking : lorsque l'expérience comporte une limite de temps, les apprenants ne font pas de régressions oculaires (c'est-à-dire ne reviennent pas en arrière dans leur lecture), au contraire des natifs. De plus, natifs et non natifs font plus de régressions lorsqu'ils peuvent prendre leur temps, un signe de traitement

plus explicite. Lorsque les jugements de grammaticalité ne sont pas limités dans le temps, il est possible que l'on observe des eets spéciques à ces jugements et non caractéristiques d'un traitement de laL2(ouL1) en temps réel. En revanche, la pres- sion de temps contraint peut-être les représentations métalinguistiques disponibles : dans ce cas, les apprenants n'ont pas le temps d'utiliser des processus plus contrôlés et plus explicites. Cependant, l'idée que la pression de temps garantit le recours à des processus implicites a été remise en question récemment : les résultats deSuzuki

(2017b) etSuzuki et DeKeyser (2017) suggèrent que le jugement de grammaticalité

en temps limité mesure davantage lesconnaissances explicites très automatiséesque lesconnaissances implicites.

Le type d'item est également un paramètre important. En eet, Ellis (2005b)

et Roehr-Brackin (2015) notent que le traitement des stimuli grammaticaux fait

appel auxconnaissances implicites, alors que les items agrammaticaux demandent le recours auxconnaissances explicites. Identier un stimulus comme non grammatical favorise le recours aux connaissances métalinguistiques de ce qui est acceptable ou non : le principe même du jugement de grammaticalité incite donc à l'utilisation des

connaissances explicites. En outre, le niveau de compétence de l'apprenant joue un rôle : un apprenant plus avancé tend à s'appuyer davantage sur son intuition, alors qu'un participant de niveau intermédiaire s'appuiera plus sur la traduction ou ses connaissances métalinguistiques (Ellis, 2009b).

3.3.1.2 Temps de réaction

L'idée qu'il faut utiliser plus que de simples mesures d'exactitudes (telles que le jugement de grammaticalité) pour évaluer la nature des connaissances des appre- nants s'est beaucoup développée. Sanz et Grey (2015) recommandent par exemple d'utiliser les temps de réaction, après avoir ltré les extrêmes dus à l'inattention ou à des réponses rapides au hasard, et en n'utilisant que les temps correspondant à des réponses correctes. Ces mesures peuvent en eet éclairer l'utilisation deconnais- sances implicites : Leung et Williams (2011) ont montré que les temps de réaction diminuaient durant l'exposition implicite à une règle complexe puis augmentaient brutalement si la règle était soudainement modiée, introduisant des violations par rapport à la règle de départ.

3.3.1.3 Rapports verbaux rétrospectifs

An d'avoir une meilleure idée qualitative des processus de traitement des appre- nants, certaines études incluent des rapports verbaux. Ceux-ci peuvent être réalisés pendant l'expérience : les participants doivent par exemple décrire ce à quoi ils pensent lorsqu'ils exécutent la tâche demandée, ou sont incités à verbaliser toute règle remarquée (Rebuschat, 2013). Ces rapports peuvent aussi être rétrospectifs :

pendant l'entretien de n d'expérience, les participants doivent verbaliser les règles retenues, ou expliciter la manière dont ils ont rééchi pendant la tâche. Les connais- sances sont alors considérées comme non conscientes lorsqu'un eet d'apprentissage est observé mais que le participant est incapable de décrire les connaissances qui sous- tendent sa performance. Les études montrent une dissociation entre les performances sur la tâche et la verbalisation des connaissances (voir par exemple Rebuschat et

Williams, 2012). Cependant, l'idée que les connaissances ne sont pas conscientes

lorsqu'elles ne sont pas verbalisées est critiquée car ce critère est incomplet et n'est pas susamment sensible. En eet, des connaissances peuvent être explicites sans être verbalisables, et l'incapacité à rapporter ces connaissances a posteriori ne si- gnie pas nécessairement que les celles utilisées pendant la tâche sont uniquement implicites.

3.3.1.4 Imitation provoquée

Pour tester plus spéciquement les connaissances implicites, certains chercheurs ont recours à des tâches d'imitation provoquée (elicited imitation). Dans ce type de tâche, le participant doit écouter attentivement des séquences nouvelles et les répéter. Parfois, il doit entre temps eectuer une tâche de distraction comme dire s'il est d'accord avec l'armation ou évaluer sa plausibilité. Certains stimuli pré- sentés sont agrammaticaux. L'idée derrière cette tâche est que si les représentations grammaticales des apprenants correspondent à la source (le stimulus entendu), alors il leur sera facile de répéter. De plus, si les participants ont la compétence implicite correspondante, ils corrigeront les stimuli non grammaticaux spontanément, sans en être conscients (Jessop et al., 2007).

3.3.1.5 Tests directs et indirects

Certains chercheurs font une diérence entre ce qu'ils nomment tests directs et indirects (Rebuschat,2013). Les test directs demandent explicitement au participant d'utiliser ses connaissances et l'encouragent donc à faire appel à toute connaissance consciente pertinente. À l'inverse, les tests indirects mesurent la performance sans donner aucune instruction concernant les connaissances acquises à utiliser. Ainsi, la performance sur un jugement de grammaticalité sans limite de temps est un test direct alors que l'utilisation de temps de réaction ou l'imitation provoquée sont des tests indirects. Les connaissances sont alors considérées comme non conscientes si un test indirect indique un eet d'apprentissage mais pas un test direct. Ellis

(2009b) recommande donc de combiner ces diérentes sortes de tests. Il préconise

d'utiliser comme test des connaissances implicites une tâche d'imitation provoquée avec des phrases grammaticales et agrammaticales, une tâche de narration orale ou un jugement de grammaticalité en temps limité. Pour les connaissances explicites, il

suggère d'avoir recours à un jugement de grammaticalité sans limite de temps ou un test de connaissances métalinguistiques. Roehr-Brackin (2015) propose également d'utiliser un test écrit sans pression de temps, puisque la capacité à juger les stimuli non grammaticaux s'appuie sur le même facteur que la capacité à donner les règles sous-jacentes.