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4.1 Intérêt et fonctionnement des potentiels évoqués

4.1.3 Principales composantes pour le traitement du langage

Les composantes des potentiels évoqués sont généralement décrites selon leurs caractéristiques de distribution, de polarité et de latence (Fabiani et al., 2007). Certaines d'entre elles ont été identiées comme particulièrement liées au traitement du langage.

4.1.3.1 ELAN

L'Early Left Anterior Negativity (ELAN)est une composante très précoce, maxi- male entre 150 et 200 ms et, comme indiqué par son nom, localisée dans la région antérieure gauche (Caarra et al., 2015; Hahne et Friederici, 1999; van Hell et To-

kowicz, 2010). Elle a été observée notamment pour des violations de la structure

syntaxique de la phrase, c'est-à-dire lorsqu'un mot est remplacé par un autre mot d'une catégorie grammaticale diérente et illicite à cette position de la phrase (Frie- derici, 1995, 2002; Friederici et al., 1993; Friederici et Weissenborn, 2007; Hahne,

2001; Hahne et Friederici, 1999; Mueller, 2005; Mueller et al., 2005; Rossi et al.,

2006). L'ELAN est considérée comme reétant le traitement syntaxique en catégo- ries grammaticales (parsing) précoce et automatique : ces catégories grammaticales sont utilisées pour créer une première structure en constituants (Friederici, 2002;

Friederici et Weissenborn, 2007). Cependant, l'existence de cette composante est

controversée :Steinhauer et Drury (2012) relèvent que dans de nombreuses études, elle apparait alors même que la violation grammaticale n'a pas été présentée (c'est le cas dans la majorité des études utilisant comme point de synchronisation le début du mot critique alors que la violation n'apparait parfois qu'à la n de ce mot, et que la présentation auditive de celui-ci n'est pas terminée au bout de 100 ms). De plus, l'ELAN n'est pas toujours observée pour les violations de catégorie grammaticale chez les locuteurs natifs (Bowden et al., 2013).

4.1.3.2 LAN

Une deuxième composante intéressante est la négativité antérieure (AN), parfois latéralisée à gauche et dans ce cas appelée LAN, ou Left Anterior Negativity. Celle- ci est maximale autour de 400 ms sur les électrodes antérieures. Elle est bilatérale ou concentrée sur l'hémisphère gauche, selon les cas. Elle a été observée pour des violations de diérentes sortes, liées principalement à la structure en constituants des phrases ou à des violations morphosyntaxiques intégrées dans un contexte de

phrase. Ainsi, Weber-Fox et Neville (1996), Isel et al. (2007), Zawiszewski et al.

(2011), Bowden et al. (2013), et Newman et al. (2007) l'ont observée en réponse

à des violations de catégorie de mots. Elle peut également apparaitre après des violations de l'accord sujet-verbe (Chen et al., 2007; Molinaro et al., 2011; Ojima

et al., 2005; Rossi et al., 2006), de l'accord de nombre entre déterminant et nom

(Barber et Carreiras, 2005) ou nom et adjectif (Alemán Bañón et al.,2014; Gillon-

Dowens et al., 2010; Lemhöfer et al., 2014) ou de l'accord de genre (Gillon-Dowens

et al.,2010). D'autres équipes l'ont observée après la violation de marques des temps

(Moreno et al., 2009), plus particulièrement des marques du passé, par exemple en

réponse à des régularisations de participes irréguliers (Hahne et al., 2006) ou des erreurs sur des marques exionnelles régulières (Newman et al.,2007). Les violations de marque des cas peuvent également provoquer une LAN (Mueller et al., 2008).

La LAN n'est cependant pas observée de manière systématique : elle n'est parfois pas présente dans des situations où elle serait attendue, par exemple avec l'accord sujet-verbe (Bond et al., 2011; Tanner et al., 2013), des accords en nombre (Bond

et al., 2011) ou des accords de genre (Foucart et Frenck-Mestre, 2012). Cette va-

riation dans l'apparition de la LAN est considérée par certains comme due aux diérences individuelles (Morgan-Short et al., 2015b). Cette composante n'est pas aectée par la proportion de violations par rapport aux items corrects dans les sti- muli. Elle est considérée comme un indice du traitement grammatical automatique et régi par des règles (Gunter et al., 2000; Morgan-Short et al., 2015b). Elle peut ainsi être due à des dicultés à intégrer des informations morphosyntaxiques dans la structure de la phrase dans une optique d'assignation des rôles thématiques (Caf- farra et al.,2015; Friederici, 2002; Kaan, 2007), ou à la détection d'une incongruité dans les processus de liage et de dépendance dans le traitement de l'accord (Bar-

ber et Carreiras, 2005; Bornkessel et Schlesewsky, 2006). Certains avancent qu'elle

reète parfois une charge plus générale en mémoire de travail (Kaan, 2007), bien que d'autres chercheurs soutiennent que la LAN est qualitativement diérente des composantes à polarité négative liées à cette charge de mémoire (Martín-Loeches et al., 2005).

4.1.3.3 N400

La N400 est un eet à polarité négatif, maximal autour de 400 ms sur les élec- trodes centro-postérieures. Elle est typiquement associée au traitement sémantique du langage. Ainsi, elle apparait en réponse à des anomalies lexico-sémantiques, quand le mot est dicile à intégrer ou à prédire sur la base du contexte (Federmeier,2007;

Kutas et Federmeier,2011;Kutas et al.,1977). Son apparition peut aussi dépendre de l'organisation fonctionnelle de la mémoire sémantique (Kutas et Federmeier, 2000) ou de contraintes contextuelles locales (DeLong et al., 2005). Mais la N400 a aussi été observée en réponse à des violations syntaxiques. Dans les études deWeber-Fox

et Neville(1996),Proverbio et al.(2002),Kotz(2009), etGuo et al.(2009), des vio- lations de structure syntaxique provoquaient ainsi une N400. C'était également le cas de violations de marque des cas (Zawiszewski et al.,2011), des temps (Weber et Lavric, 2008) et d'erreurs dans les accords sujet-verbe (Tanner et al.,2014;Tanner et van Hell, 2014;Xue et al., 2013;Zawiszewski et al., 2011), les accords en nombre (Barber et Carreiras, 2005; Batterink et Neville, 2013a; Osterhout et al., 2006) et en genre (Barber et Carreiras, 2005;Foucart et Frenck-Mestre,2012; Morgan-Short

et al., 2010). Une N400 a aussi été observée lorsque les violations syntaxiques re-

querraient une intégration sémantique plus profonde (Mancini et al., 2011a,b), en réponse à des eets de garden-path (Nickels et al.,2013;Pauker et al.,2011), et lors des processus de récapitulation de n de phrase (Hagoort,2003). La N400 reète l'in- tégration sémantique du mot dans son contexte, les processus pré-sémantiques que sont l'analyse orthographique et phonologique et l'accès aux connaissances séman- tiques (Isel,2017; Morgan-Short et al.,2015b). Elle pourrait être liée aux processus sous-tendus par le système de mémoire déclarative. Elle serait donc observée pour le traitement des violations morphosyntaxiques lorsque celui-ci, du fait de dié- rences individuelles, fait appel à la mémoire déclarative plutôt que procédurale, ou lorsque les locuteurs s'appuient davantage sur des informations lexico-sémantiques pour traiter la syntaxe plutôt que sur des processus basés sur des règles.

4.1.3.4 P600

La P600 est la composante qui est observée le plus souvent dans le traitement du langage, puisqu'elle est provoquée par une grande variété de phénomènes et ce de manière relativement systématique. Il s'agit d'une onde positive maximale autour de 600 ms, parfois plutôt dès 500 ms lorsque les stimuli sont présentés de manière auditive (Osterhout et Holcomb,1992;Patel et al.,1998b;Qi et al.,2017), et localisée sur les électrodes postérieures. Elle est régulièrement observée en réponse à des violations de catégorie grammaticale (Batterink et Neville,2013b;Bowden et al.,

2013;Friederici,2002;Friederici et al.,1993;Hahne,2001;Kotz et al.,2008;Mueller,

2005;Newman et al., 2007;Pakulak et Neville,2010;Zawiszewski et al., 2011). Elle est également provoquée par diverses sortes de variations d'accord : des accords de nombre ou personne entre sujet et verbe (Batterink et Neville, 2013b; Deng et al., 2015; Frenck-Mestre et al., 2008; Osterhout et al., 2006; Tanner et al., 2014;

Tanner et van Hell,2014;Xue et al., 2013;Zawiszewski et al.,2011), ou impliquant des noms (Alemán Bañón et al., 2014, 2017; Batterink et Neville, 2013b; Gillon- Dowens et al., 2011; Lemhöfer et al., 2014; Osterhout et al., 2006), ou des accords de genre (Alemán Bañón et al., 2014, 2017; Foucart et Frenck-Mestre, 2010, 2012;

Gillon-Dowens et al., 2011, 2010; Molinaro et al., 2011; Morgan-Short et al., 2010;

Tokowicz et MacWhinney,2005). La P600 apparait aussi en réponse à des violations

et al., 2011; Tokowicz et MacWhinney, 2005; Weber et Lavric, 2008; White et al.,

2012) y compris pour des violations de marques exionnelles du passé (Newman et al., 2007) ; pour des violations de marque de cas (Mueller, 2005; Mueller et al.,

2008; Osterhout et al., 2006) ou de la forme des déclinaisons (Davidson et Indefrey,

2009), ou même encore pour des erreurs sur le placement des pronoms (German

et al., 2015). Cette composante a également été observée pour des problèmes de

structure thématique du verbe (Bornkessel-Schlesewsky et Schlesewsky,2008;van de

Meerendonk et al., 2009). Elle n'est pas provoquée uniquement par des violations,

mais aussi par la complexité de certaines structures syntaxiques. Par exemple, elle a été observée en réponse à des phrases contenant des garden-paths (Friederici et Meyer,2004;Nickels et al.,2013;Nickels et Steinhauer,2018;Osterhout et Holcomb,

1992, 1993; Osterhout et al., 1994; Pauker et al., 2011) : elle apparait au point

auquel il devient évident que la structure syntaxique construite initialement a besoin d'être revue (Osterhout et al.,1994), et dépend du degré auquel les mots rencontrés correspondent aux attentes syntaxiques en temps réel (Kaan, 2007).

Il semble que la présence de la P600 soit inuencée par plusieurs facteurs (Morgan-

Short et al., 2015b). Ainsi, contrairement à la LAN, elle dépend de la probabilité

des violations dans l'input: lorsque celles-ci sont plus communes, son amplitude est réduite (Sassenhagen et al., 2014). Elle dépend également de l'information séman- tique disponible : des violations sémantiques fortes et très saillantes provoquent une N400 suivie d'une P600, alors que cette dernière n'apparait pas en réponse à des violations sémantiques moins saillantes (Sassenhagen et al., 2014). La présence de la P600 est liée à la nature de la tâche expérimentale : si on l'observe systémati- quement lorsque la tâche est un jugement de grammaticalité, ce n'est pas toujours le cas lorsqu'il est demandé aux participants de se concentrer sur la cohérence sé- mantique. Son amplitude est plus grande lorsque les violations syntaxiques sont pertinentes pour la tâche en cours, mais elle est réduite ou absente lorsque ce n'est pas le cas. Lorsque l'attention n'est pas orientée vers ces erreurs grammaticales, les composantes négatives précoces sont généralement observées mais pas nécessaire- ment la P600 (Sassenhagen et al., 2014). La proéminence de la violation inuence aussi l'amplitude de la P600 : plus la violation est saillante, plus l'amplitude de la P600 est grande (Pélissier et al., 2017; Sassenhagen et al., 2014). La P600 est également alignée sur la réponse comportementale du sujet, comme l'est la compo- sante P3 : Sassenhagen et al.(2014),Sassenhagen et Bornkessel-Schlesewsky(2015)

et Bornkessel-Schlesewsky et al. (2011) proposent donc que la P600 est en réalité

une composante de la P3. Celle-ci, comme la P600, marque un point où le stimulus a atteint une certaine proéminence subjective et où une forme d'adaptation et de réanalyse est en train de se produire.

Si cette théorie ne fait pas l'unanimité, la signication générale de la P600 fait en revanche l'objet d'un consensus large : elle est comprise comme la marque de

processus tardifs et contrôlés d'analyse syntaxique et de réparation après la détec- tion d'une anomalie, lorsque celle-ci produit des dicultés d'intégration du stimulus dans la structure déjà construite (Caarra et al.,2015;Friederici, 2002;Kaan,2007;

Molinaro et al., 2008; Morgan-Short et al.,2015b). Elle traduit également les couts de monitoring, de vérication et de retraitement de l'input (van de Meerendonk et al.,2009). Les processus tardifs d'intégration qu'elle reète ne sont cependant pas nécessairement spéciques à la syntaxe (Brouwer et al., 2012; Shen et al., 2016). Il est possible également qu'elle soit la signature de plusieurs processus sous-jacents pouvant être plus ou moins explicites ou contrôlés (Morgan-Short et al., 2015b), no- tamment mécanismes de monitoring et de réanalyse partagés avec d'autres domaines (Shen et al.,2016).

4.1.3.5 P3

La P3 comporte deux sous-composantes : la P3a, et la P3b. La P3a est une déection positive précoce (maximale entre 250 et 280 ms) sur les électrodes fronto- centrales, reétant l'engagement de l'attention et le traitement d'éléments nouveaux et inattendus (Isel, 2017). La P3b, dont la P600 est donc potentiellement une sous-composante, est une vaste onde positive, maximale au niveau des électrodes centro-pariétales et apparaissant généralement entre 250 et 500 ms, parfois plus tar- divement. Elle est provoquée par des stimuli inattendus et surprenants (Isel, 2017;

Sassenhagen et al., 2014), subjectivement très saillants pour le participant mais

pertinents pour l'exécution de la tâche en cours. Plusieurs théories existent sur sa signication (voir Sassenhagen et al., 2014). Nieuwenhuis et al. (2005) propose que la P3 est associée à la réorientation cognitive et à l'attention. D'après cette théorie, la P3 est associée au système de délivrance de norépinéphrine (ou noradrénaline) par le locus coeruleus, un noyau sous-cortical du tronc cérébral. Ce noyau délivre de la norépinéphrine à des sites corticaux cibles pour augmenter l'excitabilité corti- cale et permettre la réorientation cognitive, nécessaire par exemple à l'exécution ou l'inhibition d'une réponse comportementale. Il est important de noter que cette ré- orientation ne résulte pas nécessairement d'un comportement conscient et manifeste : elle peut se faire sans que le participant ait conscience d'avoir réagi à un stimulus saillant (Sassenhagen et Bornkessel-Schlesewsky, 2015). Ce modèle implique que la latence de la P3 dépend du temps qu'il faut au sujet pour traiter le stimulus à un niveau auquel ses aspects subjectivement importants sont reconnus.

4.1.3.6 N400 ou P600 ?

La conception selon laquelle un type de violation syntaxique provoque l'appari- tion d'une composante en particulier est remise en cause par les études de Tanner

l'inuence des diérences individuelles sur la nature et la polarité de la réponse à des violations morphosyntaxiques dans la langue maternelle des locuteurs. Ils ont ainsi mis en évidence un continuum chez des locuteurs natifs de l'anglais entre N400 et P600 en réponse à des violations d'accord sujet-verbe. Cela pourrait être dû au fait que tous les locuteurs monolingues n'utilisent pas les mêmes stratégies de traitement pour interpréter leur langue maternelle. Ainsi, dans une récente mise à jour de l'hypo- thèse de la Structure Syntaxique Creuse, qui stipulait que les apprenants n'utilisaient pas des représentations syntaxiques hiérarchisée mais s'appuyaient uniquement sur les indices sémantiques et pragmatiques, Clahsen et Felser (2018) avancent que ce type de traitement n'est pas nécessairement l'apanage des apprenants. En eet, plu- sieurs stratégies de traitement peuvent coexister et être privilégiées diéremment par les individus :

(...) there is more than one way of processing and mentally represen- ting morphologically complex cwords, and more than one way of guring out who did what to whom during sentence comprehension. (Clahsen et Felser, 2018, p.5)

Certains natifs pourraient donc également privilégier les indices lexico-sémantiques et ainsi manifester une N400 en réponse aux violations syntaxiques. De même, Qi

et al. (2017) ont observé que les ambigüités syntaxiques temporaires provoquaient

chez certains natifs une P600 et chez d'autres une N400. Ceux chez qui les violations syntaxiques provoquaient plutôt une P600 étaient plus performants dans l'appren- tissage de la morphosyntaxe d'une nouvelle langue.

Ces diérentes études ont permis d'établir un modèle de traitement auditif du langage en plusieurs étapes, chacune associée à une composante en potentiels évoqués

(Friederici (2002), voir Figure 4.1). Cependant, toutes ces réponses n'apparaissent

pas de la même manière lors du traitement de la L2, ni au même stade d'appren- tissage : nous allons voir maintenant les diérences observées en potentiels évoqués entre le traitement de la première et de la deuxième langue.

4.2 Diérences entre L1 et L2 dans les réponses en