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4.3 Potentiels évoqués et conditions d'apprentissage

4.3.2 Impact des conditions d'apprentissage

La question commune à ces études est de savoir si des apprenants peuvent conver- ger vers un traitement de la L2similaire à celui des locuteurs natifs grâce à l'entrai-

nement, et si oui, comment la nature de cet entrainement joue un rôle sur le dévelop- pement du traitement syntaxique. Nous avons vu plus haut (voir2.3.2.1, p.37) qu'il existe un avantage pour les entrainements de type explicite sur les mesures com- portementales de performance enL2, mais que les biais des tests favorisent ce type d'instruction. Ces avantages peuvent ainsi disparaitre si l'entrainement implicite est donné dans le cadre d'une pratique où la maitrise grammaticale est essentielle à la complétion de la tâche. Qu'en est-il au niveau des potentiels évoqués ?

Plusieurs études se sont intéressées à l'eet d'entrainements, notamment fon- dés sur l'instruction, sur les réponses en potentiels évoqués. Mueller (2005) a fait apprendre à des locuteurs natifs de l'allemand une version miniature du japonais, appelée mini-nihongo, à l'aide d'un jeu d'ordinateur audiovisuel. Les participants devaient apprendre le sens et la structure de la langue par essais et erreurs. Après quatre à dix heures d'entrainement, les violations de structure syntaxique et les violations de marques de cas provoquaient chez ces apprenants une P600, comme c'était le cas chez un groupe de locuteurs natifs du japonais. De plus, les violations de structure syntaxique provoquaient une négativité antérieure comme celle attendue chez les natifs, et les violations de cas étaient suivies d'une N400. Six mois plus tard

(Mueller et al.,2007), après trois heures d'entrainement pour rafraichir la mémoire

des participants, les violations de cas provoquaient une P600. Chez les locuteurs natifs, celle-ci était précédée d'une N400. Dans une autre expérience, Mueller et al.

(2008) ont exposé un autre groupe de participants au système de cas en mini-nihongo grâce à un jeu d'ordinateur leur apprenant à construire et analyser la structure syn- taxique de la langue sans référence à l'information sémantique. Il s'agissait donc d'un entrainement purement explicite et basé sur la grammaire. Après deux à huit heures d'entrainement, les violations de cas provoquaient chez ces participants une négativité similaire à une N400 suivie d'une P600, comme ce qui était observé chez les natifs. Dans ce cas, l'entrainement le plus explicite était donc celui qui condui- sait à des réponses en potentiels évoqués les plus proches de celles des natifs. Dans l'expérience deDavidson et Indefrey (2007), des locuteurs natifs du néerlandais ap- prenaient explicitement des règles de déclinaison des adjectifs en allemand ainsi que les règles régissant l'accord de genre. Ces explications métalinguistiques étaient sui- vies d'un entrainement avec feedback pendant vingt minutes. Une semaine plus tard, les violations de déclinaison, mais pas celles de genre, provoquaient chez ces appre- nants une P600, alors que les deux types de violations conduisaient chez les natifs à l'apparition d'une P600. L'entrainement explicite conduisait donc à des réponses similaires à celles des natifs, mais pas pour le type de violation fonctionnant de manière conictuelle dans les deux langues.Friederici (2002) a utilisé la langue arti- cielle Brocanto pour étudier l'apprentissage d'uneL2 des stades initiaux au stades naux. À l'aide d'un jeu d'ordinateur, leurs participants apprenaient la langue de manière implicite en communiquant en Brocanto, une langue articielle miniature

fondée sur la structure de langues naturelles et comportant des pseudo-mots suivant la prononciation et les règles phonotactiques de l'anglais. Cette langue est en eet associée à un jeu d'ordinateur : le vocabulaire de quatorze mots du Brocanto permet de désigner les pions du jeu, les verbes renvoyant à des types de mouvements pou- vant être eectués sur la grille. Après avoir appris le vocabulaire, les participants devaient eectuer un mouvement et le décrire à haute voix en Brocanto, an que leur opposant puisse mettre à jour sa grille de jeu. Ainsi, pour compléter cet en- trainement, les participants devaient maitriser la compréhension et la production du Brocanto. Après entrainement, les violations de structure syntaxique provoquaient chez ces apprenants une négativité antérieure précoce maximale sur les électrodes de la ligne médiale puis plutôt postérieure, suivie d'une P600. Ces réponses sont très proches de ce que l'on attend chez un groupe de locuteurs natifs en réponse à des violations de structure : les auteurs en concluent donc que les mêmes processus pré- coces et automatiques peuvent être recrutés dans l'apprentissage d'une L2 avec un petit système de règles, y compris sans explications métalinguistiques. White et al.

(2012) a testé des locuteurs natifs du coréen et du chinois avant et après un en- trainement intensif de neuf semaines en anglais, basé sur l'instruction. Les réponses en potentiels évoqués étaient enregistrées pendant que les participants lisaient des phrases en anglais contenant des violations de la forme régulière du passé, une struc- ture fonctionnant de manière diérente en coréen et n'existant pas en chinois. Si ces violations ne provoquaient pas d'eet lors du pré-test, elles conduisaient à l'appari- tion d'une P600 lors du post-test chez les participants des deux langues, mais plus tardive chez les locuteurs du chinois. Cet entrainement explicite conduisait donc bien à des changements dans les réponses en potentiels évoqués s'approchant d'un traitement similaire à celui des natifs, mais inuencé par la similarité entre L1etL2. De plus, les réponses plus précoces et associées à un traitement plus automatiques n'étaient toujours pas présentes à la n de l'entrainement.

D'autres chercheurs se sont intéressés à l'eet de l'entrainement de manière moins directe, dans des études longitudinales par exemple, mais aussi à travers les eets de l'immersion. Ces études montrent notamment que la durée de l'immersion impacte la LAN, qui apparait lorsque l'immersion est supérieure à cinq ans. Les entrainements longs ou moyennement longs semblent eux avoir un impact sur la P600 (Caarra et al., 2015).

Comparaison d'entrainements explicites et implicites Peu d'études ont com- paré précisément l'eet de types d'entrainements plus ou moins explicites et impli- cites sur les processus neurocognitifs recrutés pour le traitement d'une L2. À notre connaissance, ces études sont les suivantes. Carpenter (2008) a entrainé une tren- taine de locuteurs natifs de l'anglais sur la langue articielle Brocanto2, une exten- sion de Brocanto (Morgan-Short et Bowden, 2006). Ses participants étaient répartis

en deux groupes suivant un entrainement implicite ou explicite. Les participants du groupe Implicite étaient exposés à Brocanto2 durant une session d'entrainement grâce à des exemples sémantiquement pertinents ; pendant ce temps, les participants du groupe Explicite recevaient des informations métalinguistiques et un plus petit nombre d'exemples. Cette phase initiale d'entrainement était suivie d'une pratique commune basée sur la communication et la pertinence de la maitrise de la gram- maire pour la tâche, grâce à une procédure similaire à celle deFriederici (2002). Les donnéesEEGétaient enregistrées pendant que les participants complétaient un juge- ment de grammaticalité. Après l'entrainement, les violations d'accord provoquaient chez les participants du groupe Explicite une négativité similaire à une N400. Chez les participants du groupe Implicite, les résultats étaient inuencés par les capacités en mémoire procédurale des participants. Ainsi, les violations donnaient lieu, pour les participants ayant les plus grandes aptitudes en apprentissage procédural, à une négativité antérieure bilatérale sur les électrodes frontales et latéralisée à gauche sur les électrodes centrales. Chez les participants moins performants en apprentis- sage procédural, ces violations provoquaient une négativité latéralisée à gauche sur les électrodes frontales et centrale sur les électrodes plus postérieures, ce que l'au- teur interprète comme reétant la possible présence d'une négativité antérieure chez certains participants et d'une N400 chez d'autres. Les violations de structure syn- taxique provoquaient chez les participants du groupe Explicite une N400 tardive, mais une négativité antérieure entre 200 et 600 ms chez les participants du groupe Implicite. La négativité antérieure précoce, reet de processus plus automatiques, était donc observée uniquement à un haut niveau de compétence et seulement pour les apprenants ayant reçu un entrainement implicite, qui pourrait donc aider à la

procéduralisation des connaissances grammaticales.

Batterink et Neville (2013b) ont comparé l'eet des deux types d'entrainement

sur les réponses en potentiels évoqués à trois types de violations : violations d'ac- cord sujet-verbe, d'accord en nombre déterminant-nom et d'ordre des mots. Leurs soixante-sept participants étaient des locuteurs natifs de l'anglais, et ont été exposés à une version miniature du français, langue dont ils n'avaient aucune connaissance préalable. Quarante-quatre d'entre eux ont reçu un entrainement implicite, et vingt- trois un entrainement explicite. Vingt-quatre natifs francophones ont également été testés. Pendant l'entrainement, les participants avaient comme tâche de comprendre au mieux de petites histoires présentées mot par mot à l'écran et accompagnées d'images pour en éclairer le sens. Les participants du groupe Explicite recevaient également une instruction formelle sur les règles de grammaires impliquées avant le début de l'exposition à la langue. Aucune mention de la grammaire n'était faite pour le groupe Implicite. Contrairement à la tâche de Carpenter (2008), la maitrise de la grammaire n'était ici pas nécessaire à la réalisation de la tâche pendant l'entrai- nement. Les participants étaient ensuite testés sur un jugement de grammaticalité

avec de nouvelles phrases présentées visuellement, puis complétaient un question- naire pour mesurer leurs connaissances explicitesdes structures cibles. Le tout était réalisé en une seule session. Les résultats en potentiels évoqués montrent que les violations d'accord sujet-verbe et d'ordre des mots provoquaient chez les natifs une LAN suivie d'une P600, et les violations d'accord déterminant-nom une P600 seule. Chez les apprenants ayant un haut niveau de compétence, toutes les violations pro- voquaient une P600, quel que soit le type d'entrainement. Les violations d'accord sujet-verbe provoquaient également une négativité pour les participants du groupe Explicite. Chez les participants du groupe Implicite ayant une faible performance sur le jugement de grammaticalité, les violations ne provoquaient aucune P600. Les participants du groupe Explicite avaient globalement une meilleure performance sur le jugement de grammaticalité, et la performance prédisait à son tour l'amplitude de la P600. Le type d'entrainement n'avait donc qu'une inuence indirecte sur l'am- plitude de la P600. Ces résultats montrent qu'un entrainement implicite même bref permet l'apparition d'une P600 chez certains apprenants, qui peuvent donc recruter des mécanismes similaires à ceux des natifs par le biais de ce type d'apprentissage.

Les expériences deMorgan-Short et al. (2010,2012) ont été conduites avec Bro- canto2. Quarante et un natifs de l'anglais n'ayant jamais été exposés aux langues romanes ont participé à l'étude. Après apprentissage du vocabulaire, les partici- pants suivaient un entrainement initial selon leur groupe de traitement : implicite ou explicite. Le groupe Explicite recevait une instruction avec des explications méta- linguistiques sur la structure du Brocanto, accompagné de 33 exemples signicatifs. Le groupe Implicite ne recevait aucune explication et était seulement exposé à de nombreux exemples (les 33 exemples présentés au groupe Explicite ainsi que 94 exemples additionnels). Aucune traduction n'était donnée et la durée de cet entrai- nement initial était la même pour les deux groupes, soit en moyenne treize minutes et demi. La pratique commune était similaire à celle de Friederici (2002), excepté qu'elle s'eectuait contre l'ordinateur et non pas contre un autre participant. Les apprenants pratiquaient donc tour à tour la compréhension et la production de phrases en Brocanto. Dans les blocs de compréhension, ils devaient déplacer un pion sur l'écran selon l'instruction donnée en Brocanto. Dans les blocs de production, ils devaient décrire un mouvement visionné à l'écran. Compréhension et production alternaient tous les deux blocs. Les participants recevaient un feedback immédiat, leur indiquant uniquement si leur réponse était correcte ou non, et leur score était augmenté ou réduit de dix points. Lorsque les participants avaient atteint un niveau de compétence susant, c'est-à-dire lorsque leur performance était meilleure que le hasard lors de deux blocs consécutifs, le premier enregistrement enEEGétait réalisé. Pendant cet enregistrement, les participants devaient juger de la grammaticalité de nouvelles phrases dont la moitié comportait une violation des règles de Brocanto2 : violation d'ordre des mots dans Morgan-Short et al. (2012) et violation d'accord

de genre dansMorgan-Short et al. (2010). Les participants revenaient ensuite pour une deuxième session expérimentale, lors de laquelle ils suivaient à nouveau l'en- trainement initial spécique à chaque groupe, puis une deuxième phase de pratique commune similaire à celle de la première session mais avec de nouvelles phrases. Ils revenaient enn pour une dernière session lors de laquelle ils complétaient les der- niers blocs du deuxième entrainement jusqu'à atteindre une performance supérieure à 80 %. Un deuxième enregistrement EEG était alors réalisé. La performance com- portementale nale était similaire dans les deux groupes. Au niveau des potentiels évoqués, les auteurs ont observé lors du premier EEG une N400 en réponse aux violations d'ordre des mots (Morgan-Short et al., 2012) uniquement chez le groupe ayant suivi un entrainement implicite, aucun eet n'ayant été relevé chez le groupe Explicite. Lors du deuxièmeEEG, ces violations engendraient chez les participants du groupe Implicite une négativité antérieure suivie d'une P600, combinaison bi- phasique généralement observée chez les natifs en réponse à ce type de violation, alors que les réponses des participants du groupe Explicite comprenaient une po- sitivité suivie d'une P600. Les violations d'accord de genre Morgan-Short et al.

(2010) induisaient le même type de réponses que les violations d'ordre des mots lors du pré-test : une N400 chez les participants entrainés de manière implicite, et rien chez les participants ayant été exposés aux règles. Lors du post-test, donc à haut niveau de compétence, les violations d'accord de genre entre nom et adjectif provoquaient une N400 pour les participants des deux groupes. Les violations entre déterminant et nom, en revanche, engendraient une P600 pour les participants. Les auteurs concluent de ces résultats que, s'il est possible d'atteindre la même maitrise au niveau comportemental quel que soit le type d'entrainement suivi, ce type d'en- trainement façonne la neurocognition de la L2. Il semble que seul un entrainement de type implicite permette d'atteindre des réponses en potentiels évoqués  et donc un traitement neurocognitif  similaires à celles des natifs, et ce quel que soit le niveau de compétence des apprenants. Cependant, il y a également une interaction avec le type de structure linguistique : les conditions d'apprentissage ont eu un eet diérentiel sur les réponses aux violations d'ordre des mots, mais pour les violations d'accord de genre dansMorgan-Short et al. (2010).

Un eet du type d'entrainement ? Ces quelques études ont donc obtenu des résultats contradictoires. Certaines n'observent pas d'eet de l'entrainement :

Batterink et Neville (2013b) pour des violations de l'accord de nombre, l'accord

sujet-verbe et de l'ordre des mots ; etMorgan-Short et al.(2010) pour des violations d'accord de genre à haut niveau de compétence. Dans ces études, ce qui semble déterminer la nature des réponses relève davantage d'autres facteurs vus plus hauts : la compétence dans la L2 et la similarité de la structure cible avec la L1.

ment peut avoir une incidence dès le début de l'apprentissage, puisque des réponses diérentes sont observées après seulement quelques blocs d'entrainement. De plus,

Morgan-Short et al. (2012) et Carpenter (2008) montrent bien une inuence des

conditions d'apprentissage sur les violations d'ordre des mots, à haut et bas niveau de compétence. La diérence avec les résultats de Batterink et Neville(2013b) sur le même type de violations vient peut être du fait que, d'une part, l'entrainement pour Brocanto2 était plus long et plus abouti, conduisant peut être à un plus haut ni- veau de compétence, et d'autre part l'entrainement implicite deBatterink et Neville

(2013b) n'était pas basé sur une pratique de la grammaire essentielle à la tâche, ce

qui a pu conduire les participants à moins prêter attention à la structure des phrases. Plusieurs expériences montrent donc que seul un entrainement implicite peut mener à l'apparition d'un motif biphasique complet en potentiels évoqués en ré- ponse à des violations syntaxiques (Morgan-Short et al.,2012). À un haut niveau de compétence, les entrainements implicite et explicite peuvent mener à des eets P600

(Morgan-Short et al.,2015a). Les conditions d'apprentissage peuvent aussi interagir

avec le type de structure (Morgan-Short et al.,2010) et donc peut-être sa similarité avec la L1, de même qu'avec les diérences individuelles de capacités en mémoire déclarative et mémoire procédurale (Carpenter, 2008). La diérence principale ob- servée entre les types d'entrainement avec des langues articielles et miniatures est que l'entrainement implicite peut mener à l'observation d'une négativité antérieure, mais pas l'entrainement explicite, qui a plutôt tendance à provoquer l'apparition d'une positivité. Cette diérence est également régulièrement observable entre ap- prenants et natifs : la présence de la négativité antérieure chez les apprenants n'est pas systématique, et est associée à un très haut niveau de compétence qui implique que certains mécanismes implicites sont probablement en place. Une grande partie de ces résultats a été obtenu avec des langues totalement (ex. Brocanto, Brocanto2) ou partiellement (ex. mini-nihongo) articielles, dans quelques cas avec des langues miniatures. Ces résultats peuvent-ils être étendus aux langues naturelles ?

4.3.3 Langues articielles et langues miniatures : les résultats