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Une (brève) histoire du Block et du quartier de Redfern

Dans le document Du traumatisme à la résilience (Page 176-179)

- D EUXIEME P ARTIE -

4. Le Gamarada : description du dispositif

4.1. Un bref historique

4.2.1. Une (brève) histoire du Block et du quartier de Redfern

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population à laquelle il était confronté, ce dernier devient plus général, plus global, plus vendable ; il continue d’être inscrit dans les jeux de langage du traumatisme et de l’aboriginalité mais se rattache en plus, de manière plus prononcée, à celui du DP. Le dispositif se resserre autour de deux pratiques : la thérapie par la parole et le Dadirri. Le matériau ethnographique récolté à la base de l’analyse qui va suivre le fut durant cette phase.

Notre enquête maintenant située dans l’histoire du programme, cherchons à la situer dans l’espace ; cherchons à comprendre l’importance de l’implantation du Gamarada dans le quartier de Redfern ; à comprendre ce que ce retour au RCC signifie, tant pour les membres que pour le programme lui-même.

4.2. Le lieu

4.2.1. Une (brève) histoire du Block et du quartier de Redfern

L’histoire de Redfern – et tout particulièrement celle du Block – est indissociable de celle de l’activisme aborigène (Attwood & Markus 1999 ; McComsey 2013 ; Norman 2015). Le quartier est aujourd’hui considéré par les Aborigènes – et par les non-Aborigènes – comme un lieu emblématique de la résistance aborigène : centre névralgique de divers groupes, manifestations, lieu d’occupation militante et lieu de commémoration, le Block est, à lui tout seul, une pièce importante de l’histoire du pays.

Mus par la recherche d’un avenir meilleur, résidant notamment dans la promesse de perspectives d’emploi (dans des usines du centre-ville) et d’éducation, les Aborigènes firent rapidement de Redfern – dès 1920 – un point de ralliement. Mais ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale, lorsque de nombreux Aborigènes errants des quartiers alentours furent chassés par le conseil communal de Randwick et trouvèrent refuge chez leurs parents habitants à Redfern, que ce dernier quartier gagna ses premiers gallons d’épicentre de la communauté noire urbaine (Turnbull 1999). Idéalement situé à deux pas du centre-ville de Sydney, Redfern se changea naturellement en un pôle attractif pour les nombreux Aborigènes du pays à la recherche d’une qualité de vie supérieure. C’est ainsi que dans les années 1960, poussés cette fois-ci par l’espoir et la volonté de retrouver leurs proches – dispersés un peu partout en Australie par voie de conséquence directe des détournements de l’Aboriginal Protection Act –, de nombreux Aborigènes commencèrent à débarquer massivement à Redfern. Cette tendance fut accrue durant cette décennie, notamment par l’optimisme ambiant qui fit suite à l’obtention du droit de vote des Aborigènes en 1962 et l’obtention en 1967 de la reconnaissance à être recensés comme citoyens (Turnbull 1999 : 51). Cette

concentration d’individus – majoritairement pauvres et partageant de mêmes racines culturelles – stimula les imaginaires racistes et, très vite, les habitants aborigènes de Redfern en subirent le coup : de nombreuses altercations avec la police locale finirent par mener à la création du premier bureau de l’Aboriginal Legal Service (ALS) (maintenant étendu à tout l’état de Nouvelle-Galles du Sud). Dans la foulée de cette création, apparut également à Redfern en 1971, le premier

Aboriginal Medical Service (AMS) du pays. Deux militants – Frederick Hollows et Colleen Shirley

Perry Smith (Mum Shirl) – luttant pour la cause aborigène, choqués par les conditions de vie des Aborigènes dans le quartier, furent à l’initiative de ce projet (MumShirl & Sykes 1987). En 1972, un groupe de militants luttant contre la tendance de l’époque des propriétaires terriens du quartier à chasser les Aborigènes de leurs habitations de fortune, parvinrent à créer l’Aboriginal Housing

Compagny (AHC) et, partant, s’arrangèrent pour racheter les 68 maisons du Block – une à une – afin

de reconstruire et de rénover ces dernières pour les octroyer par la suite à des Aborigènes. En 1974, ce fut le Black Theatre Arts & Cultural Centre qui vit le jour121 ; en 1975, l’Aboriginal Children’ Service, offrant une aide précieuse aux familles aborigènes dont les enfants continuaient d’être enlevés, établit ses locaux dans le bâtiment du AHC, situé au Block ; en 1988, le Redfern Park fut désigné comme point de départ de la première marche du Survival Day, contestant la date officielle de la fête nationale de l’Australie.

Mais, malgré cette montée en puissance, aux alentours des années 1990, le quartier fut cependant nécrosé par l’usage massif d’héroïne ; Redfern, qui pourtant jouissait maintenant d’une réputation nationale122, sombra dans une période difficile. Les nombreux stigmates d’ordres socio-économique et hygiénique du quartier participèrent ainsi à la fabrication et à l’entretien d’amalgames concernant d’une part, les problèmes de drogues, de désobéissance civile (échauffourées avec les forces de l’ordre, etc.) et de squats et, de l’autre, les Aborigènes (voir Cowlishaw 2003). Le quartier se façonna alors une réputation négative et fut, jusqu’il y a peu, négligé par les populations plus aisées ; Redfern devint ainsi le quartier « noir » du centre-ville, place ambivalente cristallisant à la fois l’une des forces militantes aborigènes les plus réactives et les plus symboliques du pays, et à la fois un des quartiers les plus pauvres et les plus difficiles du centre de Sydney.

En 2004, un évènement devait venir figer – pour les quelques années à venir – cette image néfaste de Redfern. Cet évènement, ce fut la mort tragique d’un jeune aborigène de 17 ans,

121 Un film intitulé The Redfern Story (Johnson 2014), qui traite de la question militante aborigène au travers du récit de la création de ce théâtre, est d’ailleurs paru en 2014.

122 En 1996, Anthony Carter, alors secrétaire de l’AHC, déclarait sur les ondes de la radio nationale ceci : « Redfern deviendra un endroit de véritable célébration. Redfern deviendra, au même titre qu’Uluru est l’identité de l’Australie traditionnelle, l’identité de l’Australie contemporaine ».

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Thomas – T.J. – Hickey, qui en est à l’origine. Les circonstances entourant la chute à vélo qui, in

fine, devait entraîner la mort du jeune homme restent, aujourd’hui encore, nébuleuses et prêtèrent

à l’époque à deux interprétations contradictoires. D’une part, les forces de l’ordre prétendirent avoir trouvé le corps meurtri de TJ Hickey au cours d’une patrouille de surveillance dans le quartier, et déclarèrent lui avoir administré les soins de premiers secours avant d’appeler l’ambulance. D’autre part, les parents du jeune homme – et plus globalement, la communauté aborigène de Redfern – se basant sur divers témoignages et sources controversés, déclarèrent que c’est cette même patrouille de police qui, pourchassant à tort TJ Hickey, l’aurait poussé à l’accident. L’incident provoqua, dès le lendemain, une vague de contestation de la part de la communauté aborigène du quartier à l’encontre des forces de l’ordre. Ceci entraîna des émeutes importantes aux alentours du Block, blessant de part et d’autre des dizaines de personnes. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, la mort de TJ Hickey est considérée, par la population locale, comme un des symboles du racisme anti-aborigène rongeant la société australienne.

Mais le quartier, situé à la lisière du campus universitaire et au milieu d’autres quartiers du centre-ville en pleine gentrification (Randwick, Newtown et Surry Hills notamment), commença malgré tout à attirer un autre type de population. Ces nouveaux venus, pour la plupart blancs et nettement plus fortunés et diplômés que la population aborigène d’alors, attirés par la recherche de logements centraux meilleurs marchés qu’aux alentours, commencèrent à envahir Redfern. Ces derniers furent suivis de près par l’arrivé et le développement de nombreux cafés, petits restaurants, petites boulangeries, etc. qui valent aujourd’hui à Redfern le statut de « nouveau Newtown123 », où, autrement dit, de quartier à la mode et en plein processus de gentrification. La population urbaine aborigène, toujours bien ancrée dans ses rues, se mit alors à côtoyer ces nouveaux « bobos », majoritairement de gauche, végétariens ou végans, sensibles à la résonance écologique de la culture aborigène et donc, sensibilisés (pour la plupart), à la cause de ces derniers. Une nouvelle population vit ainsi le jour et, avec elle, une nouvelle image de Redfern et du Block124.

123 Newtown étant un autre quartier du centre-ville de Sydney très prisé et réputé pour ses petites boutiques, son cinéma, ses restaurants et ses bars.

124 Malgré certaines apparences, divers conflits importants existent néanmoins entre les étudiants de Redfern et les Aborigènes du quartier. Parmi ces derniers, le récent projet de l’AHC – nommé Pemulwuy Project qui consiste en une transformation d’une partie du Block en complexe commercial et en habitations estudiantines – cristallise particulièrement ce type de tensions entre deux conceptions du monde fortement différentes, l’une orientée – pour les étudiants – sur le développement d’un monde de plus en plus cosmopolite et international, assujetti au fonctionnement néolibéral du capitalisme, et l’autre, orientée – pour les Aborigènes – vers le développement d’un monde qui reconnaitrait le droit à la différence culturelle et à l’autodétermination des peuples soumis par le passé par les forces coloniales de l’Occident. Ce projet, pourtant dirigé par un Aborigène du nom de Mike Mundine, suscite une nette et franche opposition de la part de plusieurs militants aborigènes – dont notamment Jenny Munroe – qui mena à la création de la Redfern Aboriginal Tent Embassy. Pour plus d’informations concernant ceci, voir l’article du Sydney Morning

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