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Le Block comme niche socio-matérielle

Dans le document Du traumatisme à la résilience (Page 179-200)

- D EUXIEME P ARTIE -

4. Le Gamarada : description du dispositif

4.1. Un bref historique

4.2.2. Le Block comme niche socio-matérielle

Mais les annales du Block (et, dans une certaine mesure, de l’entièreté du quartier de Redfern) s’inscrivent au-delà des livres ; elles prennent avant tout place dans la mémoire de ses habitants et de ceux qui le fréquentent. Pour ces individus, le Block est tout d’abord une place forte tenue par les Aborigènes – comme Bill Simons (2009) ou Mum Shirl (MumShirl & Sykes 1987), par exemple – qui l’ont fait vivre, animée, entretenue, défendue, reconstruite et développée125 ; et c’est grâce à d’autres Aborigènes plus contemporains – comme Jenny Munroe, Shane Phillips ou encore Ken Canning – que le quartier continue ainsi de vivre et d’irradier. C’est grâce à ces derniers que ce lieu est aujourd’hui connu dans tout le pays et qu’il représente, aux yeux de beaucoup, l’endroit par excellence de la vie urbaine et contemporaine aborigène. Aussi n’est-il pas rare de voir le gigantesque drapeau aborigène (peint sur l’entièreté de l’un des murs formant les limites du Block) pris pour arrière-plan d’une interview politique importante, d’une rencontre officielle entre Aborigènes et non-Aborigènes, d’une photo illustrant un article sur la résistance aborigène ou encore de shows télévisés de divertissement plus populaires comme Move it Mob Style126. D’autres évènements – historiques – comme les excuses de Paul Keating en 1992 au Redfern Park ou les émeutes suivant la mort tragique de TJ Hickey participent également à faire la renommée de cet endroit.

Les quatre rues délimitant l’aire géographique du Block sont Eveleigh, Caroline, Louis et Vine Street ; la gare de Redfern, le RCC ainsi que l’AHC bordent ses frontières. En 2008, la zone entière fut l’objet d’un projet de relooking urbain – nommé « Eora Journey » – destiné à rendre visible les traces historiques qui façonnent son histoire, proprement aborigène. Plusieurs artistes aborigènes furent invités à repeindre les murs, ainsi que de nombreux bâtiments du quartier, aux couleurs, motifs et symboles de la culture aborigène127. Certaines de ces peintures murales sont célèbres dans toute l’Australie : l’emblématique « Welcome to Redfern » réalisé sur la façade d’une ancienne maison du quartier, le soldat aborigène de l’ANZAC sur la façade de l’AHC ou encore, le grand drapeau aborigène peint sur l’un des murs de Vine Street. Le lieu jouit ainsi d’une atmosphère unique, suggérant au passant comme à l’habitant, certaines thématiques politiques importantes. Aussi, l’histoire précoloniale du pays y apparaît-elle comme vivante – donc actuelle – et complexe ; les

Herald du 27 aout 2015, par Daisy Dumas intitulé « Redfern Aboriginal tent embassy given seven days to pack up and leave ».

125 Voir, notamment, http://redfernoralhistory.org

126 Pour plus d’informations concernant ce show destiné à la jeunesse aborigène, voir http://www.moveitmobstyle.com.au

127 Pour plus d’informations concernant ce projet, voir http://www.cityofsydney.nsw.gov.au/vision/towards-2030/communities-and-culture/eora-journey, ainsi que http://www.abc.net.au/news/2018-04-28/iconic-redfern-mural-repainted-in-the-face-of-gentrification/9705354?pfmredir=sm

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inégalités en matière de justice sociale, passées et présentes, subies par les populations indigènes du pays deviennent apparentes dans plusieurs peintures ; les difficultés que ces dernières rencontrent au quotidien, à l’échelle de leur population, vis-à-vis de l’usage de stupéfiants, de l’abus d’alcool ou encore de pertes de repères sociaux et culturels, également128. Bref, sont donnés à voir tous ces éléments interconnectés qui forment la trame principale du jeu de langage de l’aboriginalité que nous avons étudiés plus haut129. Inscrite de cette façon dans les murs, l’histoire du quartier est bien connue de ses habitants ; fière de cette dernière, la communauté aborigène de Redfern lutte activement pour maintenir celle-ci en vie, notamment par la collecte de souvenirs de ses membres les plus anciens130. Ces traces du passé, que cela soit au moyen des murs ou des activités militantes qui s’y déroulent, fonctionnent donc, pour les individus qui fréquentent le quartier, comme un rappel de tous les instants de cette histoire noire – élargie, pour l’occasion, à l’entièreté des Aborigènes. Difficile en effet, de se promener dans les rues du quartier, de traverser le Block ou de se rendre au RCC, sans être confronté à un prospectus, une peinture murale, ou une exposition d’œuvres artistiques cherchant à rappeler l’appartenance de cette communauté à celle, plus vaste, des Aborigènes (qu’on se souvienne, à cet égard, de l’arrivée des membres du Gamarada au RCC dans la scène introductive) ; difficile de ne pas prendre la mesure de la différence de traitement entre les Aborigènes et les non-Aborigènes lorsqu’on traverse un attroupement d’activistes réunis pour une occasion ou pour une autre, au milieu du Block ; difficile donc, avec tous ces rappels permanents, de ne pas se sentir « pris », enveloppé par tous ces éléments du jeu de langage de l’aboriginalité.

De par ses caractéristiques historico-géographiques et matérielles, le Block fonctionne donc comme une « niche socio-matérielle » (Tasia 2016b), un contexte écologique cognitivement et affectivement déterminant pour les individus qui le traversent (Hutchins 2010 ; Ingold 2002 ; Krueger 2015). Un tel contexte – parce qu’il influence nos états affectifs en participant à « l’échafaudage » de ceux-ci (Colombetti & Krueger 2015) et que, stimulant notre perception, il organise notre cognition (Gibson 1979) – peut être considéré comme « affordant », c’est-à-dire comme une niche dans laquelle les différents acteurs, via leurs organes perceptifs, viennent puiser les ressources nécessaires à l’alimentation de leurs états affectifs et leurs principes cognitifs

128 Voir Image I en Annexe.

129 Une série intitulée Redfern Now, diffusée sur la chaîne australienne ABC1 à partir de novembre 2012 qui se déroule dans le quartier de Redfern, illustre ces différents éléments. Le premier épisode de la série traite d’ailleurs de la question des enfants aborigènes arrachés à leurs familles par le département des services communautaires – DOCS – aujourd’hui ; cette série a rencontré un véritable succès en Australie, comme ailleurs (voir http://seriestv.blog.lemonde.fr/2015/02/26/redfern-now-le-pari-gagne-des-aborigenes-12/)

130 Voir le site internet http://redfernoralhistory.org. Voir également le site interactif http://www.sbs.com.au/theblock/

(Griffiths & Scarantino 2009). Le regard qui se pose sur un dessin mural spécifique et déclenche alors un souvenir associé à celui-ci, le bruit du drapeau aborigène claquant au-dessus du RCC, la crispation des visages et la détermination des regards provoquée par l’agitation d’une manifestation ou d’un discours militant au sein du Block, tous ces éléments – qui sont autant « d’affordances »131 (Gibson & Pick, 2000) – contribuent ainsi à l’élaboration et à l’entretien des principes cognitifs et affectifs que les individus utilisent pour orienter leurs actions.

Cette niche socio-matérielle qu’est le Block fonctionne donc comme le terreau social et matériel dans lequel les individus – qui y vivent ou qui ne font que passer – vont venir puiser pour alimenter l’interaction, le souvenir et l’élaboration de la pensée (Bietti & Sutton 2015 ; Hutchins 1995 ; Ramstead & Al. 2016 ; Sutton & Al. 2010) en rapport avec la question générale de l’aboriginalité, et, partant, façonner leurs états affectifs vis-à-vis de cette question. Cette niche participe de ce fait à influencer l’organisation perceptuelle des lieux (en tant que symbole de la « Cause »), et contribue également à la production, à l’élaboration et la formation du jeu de langage de l’aboriginalité – qui, selon un principe de circularité rétroactive (Bateson 1987), vient guider la perception – chez les individus plongés dans un tel environnement. Ce processus s’applique, bien évidemment, aux membres du

Gamarada. Ces derniers, se réunissant tous les lundis au cœur de ce lieu spécifique, ne sont pas

insensibles à ces éléments affordants, comme le suggère l’extrait suivant. ***

Extrait du carnet de terrain n°6 (Redfern, Gamarada, Séance du 28 mars 2016)

C’est le lundi de Pâques. Lorsque j’arrive devant le RCC, Claire, John, Kevin et un autre homme que je n’ai encore jamais vu, attendent sur un banc que Karl arrive. Ça rigole beaucoup. On charrie un peu Karl en son absence, car il est en retard alors qu’il demande toujours à tout le monde d’être à l’heure. Finalement, celui-ci arrive. On se moque de lui, gentiment, amicalement. Il salue tout le monde. On rigole encore, on se dit qu’on est le seul programme qui continue à avoir lieu, malgré le fait que ce jour soit férié. On rigole enfin du fait qu’on n’a même pas un endroit où se réunir [le RCC étant fermé ce jour-là]. On en profite pour regarder le Block tout autour.

Karl évoque ses souvenirs du Block, et explique comment cela a bien changé. Il pointe du doigt les

131 Le terme « affordance », dérivé du verbe anglais « to afford », « se permettre de », est une notion centrale de la théorie écologique de la perception de James Gibson (1979). Reprenant à son compte les postulats théoriques de ce dernier, Eleanor Gibson et Anne Pick définissent les affordances comme « des propriétés de l’environnement reliées aux animaux de par leurs capacités à les utiliser. Elles incluent autant des objets que des propriétés d’agencement comme les surfaces, les coins, les trous. Les affordances sont également présentes dans les événements, tels que les événements sociaux que sont un visage menaçant, aimant ou fâché » (2000 : 15 n.t.).

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différents lieux qui ont bougé avec le temps. Kevin évoque également ses souvenirs.

- Karl : Ouais, je me souviens qu’à l’époque, vous savez, à l’époque de TJ Hickey, il y avait toujours des

flics par là…

- Kevin : J’adore cet endroit… Il y a toujours une histoire à raconter [à propos de lui].

On mentionne la géographie des lieux, changeante. On se rappelle de l’histoire du lieu. Je sens bien que le Block est pour eux chargé d’histoire… On parle de l’histoire de TJ Hickey en pointant un bâtiment qui s’est effondré depuis. Kevin et Claire évoquent chacun la rencontre de leurs parents respectifs, ici, au sein du Block.

***

Le Block est donc un lieu où la mémoire collective se mélange aux mémoires individuelles ; où l’histoire se confond avec le présent (ou, tout du moins, le façonne de manière tangible) ; c’est un lieu où les jeux de langage du traumatisme et de l’aboriginalité se trouvent très généralement instanciés – de par les caractéristiques spécifiques de l’endroit, qui participent à générer son atmosphère si singulière. Que les membres du Gamarada s’y réunissent ainsi toutes les semaines, ce n’est donc pas anodin. Cela permet à la fois d’inscrire le groupe dans un « quelque chose » qui le dépasse – ce quelque chose étant le jeu de langage de l’aboriginalité et celui du traumatisme – et à la fois, de conditionner les membres à une certaine attitude en inscrivant ces derniers dans des formes de vie spécifiques. Dans ce contexte, le RCC, créé en 2004, fonctionne comme le carrefour organisationnel et pratique (de par sa position, son espace interne et sa fonction initiale) de ces formes de vie. Qu’on se souvienne, à cet égard, du début de la scène introductive, là où le RCC semblait concentrer entre ses murs la quintessence même du Block : on y retrouvait, en effet, en même temps la séance du Gamarada, mais également une réunion spéciale « Men Speak out for

Treaty » (un débat citoyen sur la question de la reconnaissance des Aborigènes dans la constitution

australienne) ainsi qu’une exposition de quelques tableaux de l’artiste Jemima Whitford sur la question de la Stolen Generation. Ainsi inscrits matériellement au cœur du Block, les membres du

Gamarada sont-ils situés au point névralgique où discours et enjeux (locaux et nationaux)

concernant les Aborigènes et la colonisation se croisent, s’entrecoupent et se mélangent ; où mémoires et histoire se chevauchent, formant un contexte affectif et discursif qui rentre particulièrement en résonance – comme nous allons le voir – avec les activités qui se déroulent au cours des séances du lundi soir.

Maintenant géo-localisé et historiquement situé, l’analyse du Gamarada en même et pour lui-même peut être abordée. Commençons par chercher à en comprendre le logiciel. Quel est donc le principe du Gamarada ? Quel est son but ? Qu’y fait-on ? Ensuite, nous chercherons à en saisir le protocole, la structure. Comment cette dernière se présente-t-elle ? Quelles sont ses caractéristiques ? Quel impact ces derrières ont-elles sur le principe et le fonctionnement du groupe ?

4.3. Le principe

Nous l’avons vu, avec le temps, le programme du Gamarada se resserre autour de la pratique du

Dadirri et de l’usage cathartique du langage ; son objectif devient plus précisément thérapeutique.

Initialement pourtant, le Gamarada était considéré par les habitants du quartier de Redfern comme un groupe destiné aux hommes, aborigènes de surcroit – un Men’s group. Situé dans l’espace liminaire entre le Babana Men’s group (dont le principe est toujours d’offrir un espace où ces individus peuvent se réunir entre eux, pratiquer et transmettre leur culture aux jeunes générations et sensibiliser la communauté locale et le monde politique aux difficultés de santé publique dont ils souffrent132) et le Tribal Warrior (dont le principe, aujourd’hui encore, est de proposer un programme de réinsertion professionnelle aux Aborigènes défavorisés étant passés, le plus souvent, par la case prison133), le Gamarada était perçu comme un lieu destiné aux hommes et à la culture aborigène. Le programme se voulant situé au croisement de la réinsertion socio-professionnelle, de l’espace thérapeutique et culturel, il s’inscrit, à l’époque de sa création, dans cet ethno-marché propre au centre-ville de Sydney, comme un produit hybride : ni tout à fait social, ni tout à fait culturel, ni tout à fait thérapeutique. Le principe étant avant tout, comme nous le rappelle Larry (voir extrait n°3), de proposer un espace sécurisant et sécurisé (a safe space) pour les Aborigènes ressentant le besoin d’un tel espace.

En cela, le programme est resté identique à son projet initial : souvenons-nous en effet des propos de Vernon et de Claire dans la scène introductive (« ceci est un endroit sécurisé » ; « c’est un espace sécurisé »). Au détour de ses transformations, le projet s’est resserré autour de ce dernier trait – celui qui consiste à dire que le Gamarada est un espace spécifique. Aujourd’hui encore, pour ses membres, le

Gamarada est avant tout un tel espace, un espace où l’on peut se sentir suffisamment à l’aise pour

se confier et se taire134, se (re)construire et se découvrir ; c’est un lieu sécurisé, sécurisant (a safe

132 Pour plus d’informations sur le Babana Men’s Group, voir http://www.redfernfoundation.org.au/babana.html 133 Pour plus d’informations concernant le Tribal Warrior, voir http://www.redfernfoundation.org.au/tribal.html 134 Nous verrons plus loin que cela va même jusqu’à l’assoupissement parfois (voir extrait n°16).

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place) où l’intimité et le sentiment de sécurité sont tels que les autres deviennent une sorte de

seconde famille. Comme le déclare Karl lui-même lors d’une séance,

Pour moi, le Gamarada, c’est la famille ; c’est une famille étendue. A l’origine, lorsque je travaillais encore à l’AMS, c’était un programme de bien-être social et émotionnel pour homme. Cela fait des années… Mais je pense qu’au fond, pour moi… Vous savez, me reconnaissant comme dans le besoin [d’un soutien propre

à une souffrance psychique importante] et reconnaissant que certaines personnes qui viennent ici sont

aussi disloquées que je l’étais alors… je dirais que le Gamarada est une sorte de famille. Ça a toujours été une sorte de famille… Ici, je me sens compris, je sens qu’il y a un esprit de groupe qui remplit l’espace… C’est un endroit sécurisé (a safe space)…

(Séance du 21/03/16) Ou encore Claire,

Je viens ici [au Gamarada] parce que c’est ma famille, ce sont mes amis. C’est un excellent endroit pour guérir.

(Séance du 15/02/16)

Espace spécifique, donc, car lieu intime, d’échange et de partage ; sorte de seconde famille où l’on vient se ressourcer, se confier, guérir. Car, comme nous le rappellent ces derniers propos de Claire, le Gamarada est aussi pour ses membres – et peut-être même avant tout – un espace thérapeutique ; c’est une famille, certes, mais une famille avec qui l’on cherche à faire quelque chose de spécifique : se soigner ; guérir. Se soigner de quoi ? Guérir de quoi ? La réponse, c’est une nouvelle fois Karl qui nous la donne, comme nous le montre l’extrait suivant.

***

Extrait du carnet de terrain n°7 (Pyrmont, Café, 23 janvier 2016)

Aujourd’hui j’ai rendez-vous avec Karl pour un entretien. Nous nous retrouvons dans un café du quartier de Pyrmont, près de son domicile. Lors de cet entretien, en plus de négocier mon entrée en tant qu’anthropologue au sein du groupe qu’est le Gamarada, je tente d’en apprendre un peu plus sur celui-ci ainsi que sur Karl lui-même. Je finis par lui demander de m’expliquer les raisons qui l’ont poussé à créer le programme.

- Moi : Puis-je te demander pourquoi tu as commencé à organiser cela [le Gamarada] ?

- Karl : Hum… [parce que] je suis dans le besoin… Clairement, je suis dans le besoin d’un soutien en matière

de santé mentale (mental health support)…

- Moi : Tu es donc aborigène toi-même ?

- Karl : Ouais, mec, je suis dans le besoin [d’un soutien en matière de santé mentale]. […]

- Moi : Et quelle est la source de toute cette détresse ? - Karl : La colonisation.

***

Ce que l’on cherche à guérir, à soigner, ce sont les maux, les dégâts, encore vifs et présents, de la colonisation ; ce que l’on veut réparer, au sein du cercle sécurisé et sécurisant qu’est le Gamarada, c’est l’individu cassé, dans le besoin d’un soutien en matière de santé mentale. Du reste, ce principe, nous en avions déjà trouvé des traces dans la scène introductive. Il n’est guère étonnant, dès lors, de retrouver parmi les membres du Gamarada, certains descendants de la Stolen Generation, comme Claire, Kevin ou Tommy. Claire, d’ailleurs, n’en fait pas un secret :

- Claire : Personnellement, la première fois que je suis venue au Gamarada, c’est parce que j’avais des

problèmes… et je ne savais pas comment me soigner de tout ce trauma qui m’est tombé dessus… ce trauma intergénérationnel… […] Je pense que le Gamarada est un outil adapté pour soigner le trauma à venir, ce trauma intergénérationnel.

(Séance du 15/02/16)

- Claire : C’est difficile, pour le moment, avec ma mère… vous savez, avec ce trauma intergénérationnel…

En ce moment, la meilleure amie de ma maman est une junkie qui prend de l’Ice et hum… C’est juste que beaucoup de membres de ma famille prennent de la drogue et boivent de l’alcool et, honnêtement, ça me donne le mal de tête… Donc, je continue de me soigner au travers de ce groupe, je continue de rester forte et loin de tout cela… Mais, ouais, pour le moment, je dois faire face à ce trauma intergénérationnel car ma mère ne cesse de me nourrir avec… Cela m’épuise !

(Séance du 28/03/16)

De même, nous ne serons pas beaucoup plus surpris de découvrir, sur le site web du Gamarada, dans la rubrique « à qui est destiné ce programme », une liste de personnes potentiellement concernées par celui-ci dans laquelle figurent, en première ligne, « les membres de la Stolen Generation et leur famille »135. S’inscrivant de plein droit dans le jeu de langage de l’aboriginalité et du traumatisme, le principe du Gamarada se trouve donc raccord – puisque raccordé – avec l’histoire, celle de l’espace public qui s’appuie sur la mémoire collective, cette histoire officielle que nous avons analysée dans la première partie de ce travail.

On notera cependant, dans le court extrait n°7 ci-dessus, dans lequel Karl répond aux questions de l’enquêteur, deux choses remarquables : d’abord, l’usage de l’indicatif présent dans la réponse de Karl ; ensuite, la supposition de l’ethnographe – cristallisée dans ce « donc » (« Tu es donc aborigène

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toi-même ? ») – lorsqu’il demande à Karl si ce dernier est bien aborigène.

Que les réponses de Karl soient toutes données à l’indicatif présent n’est pas anodin. Cela permet de donner à montrer l’actualité, la contemporanéité de l’histoire, présentifiée dans les propos de

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