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Chapitre 3. Problématique et méthodologie

3.1. Orientations générales de la recherche

3.1.3. Une approche compréhensive et processuelle

Nous avons opté pour une approche compréhensive pour analyser les processus d’accès à la terre, et de sécurisation des droits, dans les contextes de leur déroulement et depuis la perspective des acteurs. « Dès lors que le principe de rationalité substantive est rejeté,

comprendre les pratiques d’acteurs nécessite de prendre en compte la perception que ces derniers ont de leur situation et des options qui leur sont offertes » (Colin, 2002 : 5 rappelant

la vision weberienne). En d'autres termes, nous avons cherché à expliciter les logiques d'acteurs au regard de la construction de leurs droits fonciers, de la circulation de ces derniers, de leur validation locale et/ou légale. Ces logiques sont nécessairement contingentes du

1 Peirce a développé la notion d’abduction. “Peirce (1974) describes the process of abductive inference as follow: the surprising fact C is observed; but if A were true, then C would be a matter of course; hence there is a reason to suspect that A is true” (Tashakkori et Teddlie, 2003 : 481).

contexte local et dépendent des perceptions qu’ont les acteurs de leur situation (économique, sociale, familiale). Les logiques d’acteurs sont ainsi objets directs d’investigation (Colin, 2002). Selon Simon : « […] for empirical inquiry at the micro-level-detailed study of decision

makers engaged in the task of choice […] they are not questions that are easily answered by even the most sophisticated econometric analysis of aggregate data. To understand the processes that the economic actor employs in making decisions calls for observing these processes directly while they are going on, […] and/or interrogating the decision maker about beliefs, expectations, and methods of calculation and reasoning » (Simon, 1986).

Nous avons pris en compte la dimension processuelle1 des stratégies de sécurisation, en explorant le « quoi », le « pourquoi » et le « comment » relatifs à ces stratégies. Selon Pettigrew : “What happens, how it happens, why it happens, what results it brings about is

dependent on when it happens, the location in the processual sequence, the place in the rhythm of events characteristic for a given process. So time and history are at the centre of any process analysis” (Pettigrew, 1997 : 339). Les interactions sociales à propos des droits

fonciers, en étudiant l’historique de la parcelle, les trajectoires de vie des individus et leurs stratégies d’accès à la terre, les principes mobilisés pour justifier ou contester des revendications sur la terre, les litiges intra et extra familiaux et la manière dont ils sont résolus, demandent une lecture processuelle des régulations foncières.

Nous nous sommes référés aux faisceaux de droits qui constituent un cadre analytique de l’ethnographie des droits, s’intéressant au contenu des droits et des devoirs qui leur sont associés en fonction de la situation socio-politique de leurs détenteurs, de l’origine de ces droits et de la nature des autorités intervenant dans leur définition. Concrètement, ces obligations, constituant le pendant des droits, sont inhérentes à l’appartenance de l’individu au groupe social et conditionnent l’exercice de ces droits. Le contexte du déroulement des actions prend alors une place importance. “Context is not just a stimulus environment but a

nested arrangement of structures and processes where the subjective interpretations of actors perceiving, learning, and remembering help shape process” (Pettigrew, 1997: 341).

Nous nous sommes appuyés sur la Figure 1 qui explicite les champs de variables à considérer pour une telle approche.

1 “The driving assumption behind process thinking is that social reality is not a steady state. It is a dynamic process. It occurs rather than merely exists” (Pettigrew, 1997: 338, se basant sur Sztompka, 1991).

Figure 1. Éléments du transfert des droits d'accès à la terre

Source : Colin 2008 : 234

• Le contenu des droits : droits individuels et collectifs et obligations socio-politiques qui leur sont associées.

• L’origine des droits, ou encore les dispositifs de transfert de ces droits (héritage, donation, achat, location, prêt), qui sont susceptibles d’avoir une incidence directe sur le contenu des droits (les droits d’un individu sur une terre héritée peuvent différer fortement des droits sur une terre qu’il a achetée).

• Les profils des détenteurs de ces droits (position sociale et spatiale, situation dans un système d’activité et familial, types de relations interpersonnelles) dont l’identification empirique permet tout à la fois de vérifier l’individualisation éventuelle des droits, mais aussi d’apprécier le degré de concentration des droits. • Les instances d’autorité, de régulation, de pouvoir qui interviennent

éventuellement dans leur définition, leur mode de reconnaissance, leur validation et l’application de sanctions en cas de non-respect des droits et obligations.

La dimension processuelle permet de cerner les interprétations ainsi que les jeux d’acteurs autour des différentes règles. Les règles ne sont plus vues comme les déterminants univoques des comportements des acteurs, les droits (sur la terre) ne sont plus « donnés », les jeux stratégiques des acteurs ouvrent un espace d’indétermination (Moore, 1978 : 39-40 ; Colin, 2008 : 243).

Dans ce type d’approche processuelle et compréhensive, l’accès à la terre doit être positionné par rapport aux principes qui le légitiment, aux normes de comportement, aux pratiques foncières effectives. Colin (2004), explicite ces différents concepts.

Les principes sont mobilisés dans une logique de justification, sans que leurs conditions effectives d’application ne soient précisées. Ils relèvent du système de valeurs des acteurs (ou de certains acteurs), comme par exemple le principe de justice intergénérationnelle.

• La norme dit ce qui doit être, elle est par définition prescriptive, comme, par exemple, « le père doit assurer à son fils l’accès à la terre, lorsque ce dernier se marie ».

• Le droit ouvre un champ d’action légitimé et régulé socialement, qui trouve sa source dans des principes et des normes. Il suppose l’existence d’une instance de

contrôle, d’autorité, de sanction : le conseil de famille, des autorités foncières spécifiques, des instances publiques régissant l’ordre et le respect de la loi, etc. • La pratique correspond à l’accès effectif à la ressource (non limité au « droit »).

Une distance entre la pratique foncière observée et le droit énoncé peut s’expliquer par le jeu du pluralisme légal, par l’existence d’une interprétation possible dans la mise en œuvre du droit, ou encore par un rapport de force, une négation du droit.

Principes, normes et droits ne sont en rien figés ou univoques. C’est le jeu social spécifique autour des principes, des normes et des droits qui conduira, en fonction des individus en présence et des conditions de leur interaction, à telle ou telle configuration de pratiques foncières. Une approche compréhensive et processuelle conduit ainsi à mettre au cœur du questionnement les conditions d’accès à la ressource foncière et non le droit d’accès formulé comme norme intangible telle qu’on la retrouve dans le cadre légal, ou formulée selon la théorie locale (Colin, 2004).

Notre orientation de recherche, compréhensive et processuelle, accorde donc, logiquement, une importance majeure au rapport au terrain.

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