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Le « paradigme d’adaptation » et les recommandations actuelles en matière d’intervention

Chapitre 1. Sécurisation des droits fonciers : esquisse de l’évolution du référentiel

1.3. Le « paradigme d’adaptation » et les recommandations actuelles en matière d’intervention

Il s'agit, partant du constat de l'évolution des systèmes coutumiers (individualisation et marchandisation des droits), sous l’influence de facteurs à la fois démographiques, économiques, sociaux et politiques, de passer du « paradigme de substitution » au «paradigme d’adaptation »2 (Bruce et al., 1994). Les idées majeures de ce paradigme sont les suivantes. a) Un programme de formalisation des droits ne s'impose pas systématiquement. Selon le référentiel actuellement dominant en matière de politique foncière, les conditions sous lesquelles un programme de formalisation serait justifié sont les suivantes, dès lors que l'État peut mobiliser les moyens nécessaires (voir les références in Colin et al., 2009) :

• absence de système coutumier (zones pionnières) ;

• régions où les conflits fonciers sont nombreux, comme dans des zones de migration ; • si un projet de développement doit être mis en place, qui aura une incidence foncière ; • s'il est possible d'anticiper raisonnablement un meilleur accès au crédit après la délivrance

de titres fonciers ;

• ou encore, dans les contextes de forte valorisation des terres et de développement d'un marché foncier (zones péri-urbaines ou de production commerciale intensive).

b) La reconnaissance des droits peut être réalisée au nom d'un collectif et non uniquement d'un individu. « La reconnaissance formelle des droits n’impose pas nécessairement leur

individualisation : il convient de ne pas exclure la reconnaissance de droits fonciers collectifs et la délivrance de titres collectifs » (Colin et al., 2009 : 17). Il s’agit d’être en mesure

d’intégrer au cadre légal des systèmes fonciers coutumiers (reconnaissance juridique des droits locaux), les normes et les pratiques coutumières dans le droit.

c) Les recommandations actuelles des experts vont dans le sens d'un assouplissement des procédures de reconnaissance des droits (Platteau, 1996 ; Lavigne Delville, 1998a ; Deininger et Feder, 2001 et 2009 ; World Bank, 2003 ; Comité technique Foncier et Développement, 2009). Selon la Banque Mondiale : "formal title is not always necessary or sufficient for high

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Se basant en particulier sur les travaux de Atwood (1990), Platteau (1992), Bruce et al., (1994), Deininger et Binswanger (2001), World Bank (2003), Van den Brink et al. (2006), Deininger et Feder (2009).

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A l’instar du droit foncier dans les anciennes métropoles, la fabrication de la propriété « par le bas » consiste à laisser les situations de fait (la possession paisible du terrain, son occupation longue et continue sans contestation) se transformer en situations de droit (la propriété foncière) (Comby, 2007 : 39).

levels of tenure security. Increasing security of tenure does not necessarily require issuing formal individual titles, and in many circumstances more simple measures to enhance various dimensions of security can make a big difference at much lower cost than formal titles"

(World Bank, 2003 : 39). Le cadastre n’est ainsi plus vu comme un outil indispensable de la gestion foncière, le développement de dispositifs « plus simples » permettrait de diminuer fortement les coûts d’obtention d’un document opposable à tiers, tout en assurant une validité juridique aux droits de propriété. Puisque la procédure garantit un consensus social local, le levé de parcelle joue un rôle moindre, un bornage n’est pas toujours indispensable. Il existe des outils spécifiques d’aménagement et de développement communal foncier tels que le PFR au Bénin, le PLOF à Madagascar, le Dossier rural au Niger…. Pour Toulmin (2008), « for the

vast majority of people, cheaper, simpler, locally grounded systems of rights registration can better meet their needs for secure tenure » (Toulmin, 2008 : 10).

Depuis les années 90, les recommandations de la Banque Mondiale notamment vont dans le sens d’une réduction du nombre d’institutions centralisées impliquées dans la gestion foncière. Pour Falloux (1987), « land should be administrated at the village level under the

responsability of the village community ». Cet auteur énonçait notamment les raisons

suivantes (Falloux, 1987: 204) :

• les administrations en charge de la gestion du foncier doivent se trouver à proximité des paysans ;

• donner des responsabilités aux paysans dans la gestion foncière est certainement plus efficient que des agences décentralisées au niveau du village ;

• dans beaucoup de contextes, la communauté villageoise a, ou avait, une longue tradition de gestion foncière.

Les nouvelles recommandations en matière d’intervention publique réhabilitent le niveau local en prônant une décentralisation de la reconnaissance légale des pratiques foncières. La décentralisation de la gestion foncière est ainsi devenue un chantier institutionnel majeur, basé sur une hypothèse qui reprend le crédo contemporain de la « bonne gouvernance1 » : la gestion foncière gagnera en efficacité et en équité si elle est placée sous la responsabilité des collectivités locales et si les populations locales sont impliquées dans les procédures. Pour Fauroux (2002), cela « repose sur l’idée simple, voire évidente aujourd’hui, qu’aucune

politique ne peut être couronnée de succès si elle ne bénéficie pas de l’adhésion et de l’appui réel de ceux qui doivent la mettre en œuvre » (Fauroux, 2002 : 125).

Ces recommandations ont conduit à de nouvelles vagues de réformes foncières cette dernière décennie dans plusieurs pays : des politiques de certification foncière, et non plus de titrage.

1 La diversité des emplois du terme gouvernance est grande mais deux facettes de l’usage normatif sont formulées par Bertrand et Moquay : une version managériale qui préconise un Etat aux pouvoirs diminués, centré sur l’accompagnement des acteurs privés ; une version démocratique qui insiste, pour sa part, sur la nécessaire expression des acteurs concernés et leur participation à la définition et à la mise en œuvre des actions publiques, sans que cela exige en soi une réduction des attributions des pouvoirs publics (Bertrand et Moquay, 2004).

Ces interventions publiques basées sur le paradigme d’adaptation se veulent ancrées dans les pratiques locales existantes, gradualistes, et de fait, des innovations légales sont indispensables, selon une démarche progressive, couplant expérimentations de terrain et évolution du cadre juridique et institutionnel national.

Le Tableau 1 résume les principales différences entre ces deux types de formalisation des droits.

Tableau 1. Les principales différences entre la procédure de titrage et la procédure de certification foncière

Titrage (paradigme de substitution) Certification (paradigme d’adaptation)

Principes généraux

Régularisation de la tenure foncière par l’enregistrement des droits et la délivrance d’un titre foncier de propriété.

Gouvernance locale du foncier ; validation des pratiques locales par des procédures d’enregistrement des droits selon des procédures variables, localement définies.

Choix politique

Immatriculation et principe de domanialité : les terrains non titrés sont présumés appartenir à l’État (les autres types d’occupation sont considérés comme des squats et des occupations illégales).

Reconnaissance juridique des droits locaux : intégration des normes et pratiques coutumières dans le droit, reconnaissance des droits et gestion des conflits sur la base de consensus locaux.

Outils techniques

Intervention lourde de l’État à travers la procédure d’immatriculation foncière : les droits sur le sol n’acquièrent une reconnaissance juridique qu’après avoir été immatriculés ; la procédure d’immatriculation est un ensemble d’étapes, assurée par l’Administration, dont une enquête publique de constatation des droits, et un bornage obligatoire. Le plan cadastral est constitué par services topographiques, puis il y a inscription du droit au registre foncier1

Puisque la procédure garantit un consensus social local, le levé de parcelle joue un rôle moindre, un bornage n’est pas toujours indispensable. Il existe des outils spécifiques d’aménagement et de développement communal foncier (PFR au Bénin, le PLOF à Madagascar, le Dossier rural au Niger)

Valeur juridique

du document

Le titre est « imprescriptible » : il ne peut tomber en désuétude, même s’il cesse d’être exercé, sans limitation de durée.

Les livres fonciers sont conservés par les services déconcentrés de l’État (service des domaines).

Le certificat est incontestable jusqu’à preuve contraire

Les « dossiers » fonciers sont conservés par les services de proximité.

Remarque : des innovations légales sont indispensables, selon une démarche progressive, couplant expérimentations de terrain et évolution du cadre juridique et institutionnel national. Source : élaboration de l’auteur à partir de Lavigne Delville (1998a) et Comby (2007)

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