Chapitre 4. Les systèmes fonciers dans la commune étudiée
4.3. Dispositifs de reconnaissance des droits
4.3.1. L’immatriculation foncière à Faratsiho
4.3.1.1. Des titres en désuétude et un manque certain d’information sur la procédure
d’immatriculation
Les discussions avec les personnes âgées (ray-amen-dreny), les chefs de fokontany, d’anciens
employés des services des domaines d’Antsirabe, les agents du guichet foncier et des exploitants de parcelles titrées, nous ont conduit au constat suivant : l’ensemble des acteurs manquent cruellement d’informations sur les procédures d’immatriculation effectuées dans la commune par le passé ou plus récemment, induisant de nombreuses confusions (et confirmant les défaillances de ce système évoquées supra).
L’installation du guichet foncier dans la commune en 2006 a permis d’accéder à des informations. L’article 4 de la loi 2006-031 du 24 novembre 2006 pose clairement le principe
de la collaboration entre les services des domaines et le guichet foncier : « la collectivité
décentralisée de base, en collaboration avec les services domaniaux et topographiques déconcentrés territorialement compétents, met en place selon ses moyens, à l’échelle de son territoire, le plan local d’occupation foncière. (…) Toutes les opérations ainsi que les mises à jour obligatoires des informations effectuées sur le PLOF sont communiquées réciproquement entre le service décentralisé de la collectivité et le service déconcentré territorialement compétent ». Les parcelles titrées ou en cours de titrage sont donc censées apparaître sur le Plan Local d’Occupation foncière (PLOF), après numérisation des archives et transmission des informations par les services des domaines. Au vu du mauvais état de leur conservation – à l’évidence sous-estimé par les porteurs de la réforme – l’actualisation des domaines de compétence du guichet foncier (PPNT) n’est pas assurée avec précision. Par exemple, les informations relatives aux parcelles titrées (identité du titulaire du titre, date du titre, etc.) ne sont pas disponibles car non numérisées. Dans le meilleur des cas, seuls les contours des parcelles titrées apparaissent. Jusqu’en 2011, l’échange d’informations entre les deux administrations était quasi inexistant par faute d’organisation. De plus, selon les agents du guichet foncier, les agents des services des domaines n’auraient pas été assez formés à la technique du PLOF et plus largement, à l’utilisation des SIG (Système d’Information
La carte ci-dessous est issue du PLOF du guichet foncier de Faratsiho, d’après les données
transmises par les services des domaines entre 2006 et 20081.
Figure 5. Les 7 fokontany étudiés et les terrains immatriculés ou en cours d’immatriculation
Source : Image issue du PLOF du guichet de Faratsiho (Juillet 2008)
Les terres concernées par la procédure d’immatriculation se trouvent principalement dans le fokontany centre de Faratsiho ; plusieurs grandes parcelles apparaissent également titrées au
nord de la Commune, entre les fokontany de Tsaratanana et de Fisoronana.
Il semble que la majorité des titres du centre de la commune (fokontany de Faratsiho) ne
soient pas établis aux noms de Français (durant la période coloniale) mais de Malgaches ayant bénéficié d’une position au sein de l’administration. Plus généralement, les terres ont majoritairement été titrées voilà plus de trois générations par des individus relativement aisés, et installés dans la partie la plus urbanisée de la zone. Aujourd’hui, il s’agit principalement de terrains construits, ne respectant pas les limites des titres.
Le titre foncier relativement grand au nord de la commune (fokontany de Tsaratanana et de
Fisoronana) recouvre une superficie d’environ 300 hectares et serait établi au nom du Ministère de l’Agriculture. Dans cette localité (Ampahary), l’administration coloniale avait
1
Elle date de 2008 et depuis, des données concernant d’autres parcelles titrées ont été actualisées : en 2010, les agents du guichet ont reçu une nouvelle version du PLOF. Lors de notre deuxième séjour dans la commune, les virus informatiques présents sur l’ordinateur ont rendu impossible la copie du nouveau PLOF.
mis en place une ferme d’État rattachée à la Province de Tananarive, que la République
gardera plusieurs années. « Suite à une campagne de sensibilisation, les paysans de la région
ont signé avec un collecteur national un contrat de vente de produits de variétés [de pomme de terre] Spunta et Meva pour le compte d’un importateur mauricien en 2004/2005. L’opération a été suspendue sans que la quantité voulue ait été atteinte, car les exigences de qualité n’ont pas été respectées, les producteurs ayant trouvé les prescriptions de conditionnement non rentables » (Bernard et al., 2009 : 125). Aujourd’hui les bâtiments sont inoccupés et délabrés et les habitants voisins exploitent certaines portions de terrain. L’histoire de cette ferme ne semble pas être connue, beaucoup d’agriculteurs ne savent pas
que les 300 hectares sont titrés, et considèrent ces terres comme des « tany solam pangady »,
c’est-à-dire des terres libres qu’ils exploitent, se considérant ainsi propriétaires. Dans le fokontany de Tsaratanana, certains enquêtés disent qu’ils vont chercher du bois sur ces terres
qui appartiennent « aux gens du fokontany ». Bien que nous ne soyons pas en mesure de
retracer l’historique des procédures de titrage dans la commune, la situation illustre, une fois encore, les limites du système du livre foncier pour sécuriser les droits des acteurs ruraux aujourd’hui. Avec le PLOF, certains ménages ont appris que la terre qu’ils avaient achetée, reçue en héritage ou même défrichée, était titrée. Certains ménages n’ayant aucune information supplémentaire se sentent exclus d’une possible reconnaissance légale de leurs droits (ces parcelles étant hors de compétence du guichet foncier). C’est le cas d’une portion du fokontany de Sahomby Firaisana qui est concernée par une concession coloniale n’ayant jamais abouti. La majorité des parcelles concernées par l’immatriculation se trouve donc au
niveau des deux fokontany centre et ne concernent pas les exploitants actuels. Les individus
savent que leur terre est titrée (particulièrement si elle a été bornée) mais n’ont aucune idée de
qui a titré et quand. De plus, il arrive qu’un individu dise que sa parcelle est titrée mais il ne
sait pas où en sont les limites (il peut y avoir une seule borne par exemple).
De réelles confusions et un manque d’informations certain sur les procédures d’immatriculation ainsi que sur les différents services responsables de celles-ci ressortent systématiquement des entretiens.
4.3.1.2. Une très faible demande de titre
Dans notre échantillon, seules 8 demandes de titres ont été déposées1, et seules 4 ont abouti à
la délivrance du titre ; les autres sont en attente depuis plus de 20 ans.
Outre le manque d’information et de compréhension sur la procédure d’immatriculation, les raisons justifiant l’absence de volonté d’entreprendre une telle démarche évoquées par les enquêtés sont les suivantes.
• Les coûts liés aux déplacements
Les services fonciers se trouvent à Antsirabe, et se rendre dans cette capitale régionale
nécessite de prendre le taxi-brousse (20000 ariary l’aller-retour1) car un nombre très limité de
personnes possède une voiture. Il faut également envisager de passer la nuit sur place, source également de dépenses si aucune relation n’est susceptible de fournir un hébergement.
• La durée de la procédure
La vingtaine d’étapes nécessaires à l’obtention du titre foncier et au bornage de la parcelle n’est à l’évidence pas connue des enquêtés. Cela dit, tous la considèrent comme bien trop
longue : ils envisagent les différents déplacements à Antsirabe, la multitude de taratasy à faire
passer d’un service à un autre. Ils émettent de forts doutes quant au bon fonctionnement « des
bureaux du fanjakana [puissance publique] » et envisagent une procédure interminable. Les histoires entendues à la radio, les rumeurs transmises par les voisins alimentent également cette perception, particulièrement depuis la réforme foncière et les campagnes de sensibilisation (avec des chiffres clés quant aux statistiques de l’immatriculation).
• Les coûts de la procédure
Les ménages, sans avoir connaissance de la tarification exacte de la procédure, l’associent à des sommes exorbitantes. Les informations sont issues d’articles de presse, de rumeurs de communes voisines, et concernent en général de grandes superficies. Cela conforte les paysans dans leur perception d’une procédure considérée hors de portée. Sur un ton ironique,
un enquêté nous a dit : « le titre c’est pour les très riches, ceux qui ont des villas à
l’européenne et des terres tellement grandes qu’ils ne marchent pas, ils conduisent des tracteurs ! ».
• Une mauvaise expérience avec les services des domaines
Certains enquêtés ont fait des demandes de titre il y a plus de vingt ans sans avoir aujourd’hui aucune information sur l’état d’avancement de la procédure. Selon un enquêté ayant déposé une demande de titre en 1996 et s’étant rendu à plusieurs reprises inutilement aux services des
domaines à Antsirabe : « ce n’est pas possible d’avoir des informations sur mon titre ; ils
disent que je dois déposer une autre demande ! Ils n’ont rien retrouvé ». Un autre enquêté, un ancien maire d’une commune voisine, raconte qu’il a dû se rendre plus de 10 fois aux services des domaines, avant de décider de soudoyer des employés pour faire aboutir sa demande.
Dans ses termes : « j’ai dû leur donner des cadeaux pour que mon dossier ne reste pas sur la
table ! Ils inventaient toujours des excuses, le dossier n’avançait pas, alors j’ai décidé de leur proposer de l’argent pour les motiver et les aider à engager la procédure. Au final ça m’a coûté plus de 100000 ariary en plus ! ». Les individus ayant eu une mauvaise expérience avec les services des domaines n’ont aucune envie de renouveler l’expérience.
L’immatriculation est clairement considérée comme inaccessible et les ménages n’envisagent pas d’être en mesure de le faire sauf exception. Ils citent cependant toujours le titre comme le document ayant le plus de valeur pour se protéger d’éventuelles contestations. Le caractère inattaquable du titre est bien présent dans l’esprit, quand bien même il serait désuet. Pour un
enquêté : « personne ne peut rien faire contre un titre ; on ne peut plus te prendre la
parcelle ». Cette idée de sécurisation ultime est exacerbée par l’étape consistant à déposer des bornes sur la parcelle en cours d’immatriculation.
Depuis 2006, la commune de Faratsiho est équipée d’un guichet foncier responsable de la procédure de certification sur les terres relevant de la PPNT (Propriété Privée Non Titrée). Les parcelles titrées ou en cours de titrage sont hors de compétences du guichet foncier et ne sont pas légalement certifiables. Elles restent sous la responsabilité des domaines et non du guichet foncier.