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Chapitre 2. La réforme foncière malgache : illustration du nouveau référentiel relatif à

2.2. Le lancement de la réforme foncière

2.2.2. Le cadre légal et la procédure de certification

En février 2005, un atelier présidé par le Premier Ministre confirme la réorientation fondamentale : la décentralisation de la gestion foncière, et plus généralement, l’amélioration des dispositifs de sécurisation. Formulée par une Lettre de Politique Foncière (MAEP, 2005), la réforme foncière repose sur quatre axes stratégiques :

• Restructuration et modernisation des services fonciers en charge de l’immatriculation des propriétés privées (sous la responsabilité de la DDSF1). Cet axe consiste en la numérisation des archives via l’acquisition d’équipements pour les services fonciers. Il prévoit également de repenser les compétences de l’administration foncière pour ne conserver que leurs fonctions régaliennes et stimuler le secteur privé en matière de topographie. Cet axe a pour objectif « l’amélioration du service public,

de la garantie de la propriété et de l’information foncière au profit des détenteurs de titres et des acquéreurs de terrain domanial ».

• Amélioration et décentralisation de la gestion foncière. Ce deuxième axe porte sur la création d’une administration foncière de proximité, le guichet foncier communal ou inter-communal, habilité à la délivrance et à la gestion de certificats fonciers selon des procédures locales, publiques et contradictoires. Il s’agit donc de créer une administration foncière « parallèle » aux services des domaines, dont la vocation est de régulariser et de formaliser les pratiques de sécurisation foncière sur les terres qui n’ont pas fait l’objet d’une immatriculation.

• Création d’un programme national de formation aux métiers du foncier et de communication et d’un Observatoire du Foncier, chargé de suivre l’avancement et les effets de la réforme foncière.

• Rénovation de la réglementation foncière et domaniale, afin d’adapter la législation à un principe de décentralisation et de régulariser d’anciens statuts juridiques sans correspondance avec la réalité actuelle de l’occupation des terrains. La Tableau 3 illustre le changement de statut juridique des terrains dans le domaine de compétence des services fonciers décentralisés, les guichets fonciers.

Tableau 3. Les statuts de la terre à Madagascar de 2005 : alternative au principe de domanialité1

Source : Programme National Foncier, 2007

La loi dite « cadre » de 20052 fixant les principes régissant les statuts juridiques des terres traduit un transfert du domaine privé national à la « Propriété Privée Non Titrée » (PPNT). Le régime juridique de la PPNT est celui qui s’applique aux terrains qui ne sont ni immatriculés, ni cadastrés. « Cette loi de cadrage contient une innovation majeure : la propriété privée peut

toujours être matérialisée par un titre foncier, mais elle est également reconnue sans titre. En tenant compte de terrains détenus en vertu d’un droit de propriété non titré, cette nouvelle loi supprime la présomption de domanialité » (Teyssier et al., 2009 : 281). La propriété privée

titrée quant à elle reste dans le domaine de compétence des services fonciers déconcentrés, les services des domaines et les services topographiques (Rochegude, 2005).

Le Tableau 4 indique les différences entre deux procédures de formalisation légale des droits en vigueur à Madagascar : la procédure de certification et la procédure de titrage.

1 Les terrains à statut spécifique comprennent les réserves naturelles.

Tableau 4. Immatriculation et certification foncière à Madagascar

Procédure d’immatriculation Procédure de certification Cadre

juridique

Inspiré du système Torrens : les terrains non titrés par l’Etat ou par une personne privée sont présumés appartenir à l’Etat (domaine privé national) ; titre inattaquable, sauf nécessité d’utilité publique

Les terrains occupés selon les coutumes et les usages locaux sont présumés appartenir à l’exploitant (PPNT) ; droits opposables au tiers jusqu’à preuve du contraire, sauf nécessité d’utilité publique

Possibilité de vendre, de faire hériter, de mettre en location, d’hypothéquer, pour le titre comme pour le certificat

Loi n°60-004 du 15 février 1960, lois et décrets correspondants (propriété privée titrée)

Loi n°2005-019 du 17 octobre 2005, Loi n°2006-031 du 24 novembre 2006, Décret d’application n°2007-1109 du 18 décembre 2007, Loi n°2008-14 du 13 juillet 2008. Procédure de reconnaissance des droits

Immatriculation foncière avec commission de reconnaissance domaniale

Certification locale, avec commission de reconnaissance locale, publique et contradictoire, en présence du voisinage Services

responsables

de la

procédure

Direction des Domaines et des Services Fonciers et services fonciers déconcentrés, compétents pour l’établissement, la délivrance et la mutation des titres fonciers (détiennent le Livre Foncier)

Commune, équipée d’un service communal spécialisé et pérenne, le Guichet foncier, compétent pour l’établissement, la délivrance et la mutation des certificats fonciers (détient le Registre Parcellaire)

Coûts et délais moyens

Un titre est obtenu en 6 ans en moyenne et coûte de l’ordre de 500 US$ (MAEP 2008)

Un certificat est obtenu en 150 jours en moyenne et coûte de l’ordre de 20 US$1 ; le coût dépend de la nature et de la superficie du terrain

Source : adapté de Teyssier et al., 2009 : 287

Depuis 2005, les acteurs peuvent choisir de faire enregistrer leurs droits de propriété soit par les services des domaines (délivrant un titre), soit par les services communaux (délivrant un certificat foncier) : il y a coexistence entre l’administration déconcentrée et l’administration décentralisée. La reconnaissance des droits consacrée par un certificat foncier délivré par le guichet foncier communal, est définie suivant la promulgation de la loi sur la PPNT2. Selon l’article n°11, pour la reconnaissance de droits de propriété sur les terrains non titrés occupés, le service compétent de la Collectivité Décentralisée met en œuvre une procédure répondant aux conditions suivantes :

a) La procédure doit être publique et contradictoire. A cette fin, des mesures de publicité sont prises pour permettre à toute personne intéressée d’émettre des observations ou de former d’éventuelles oppositions. Les modalités d’application seront fixées par décret.

b) Cette procédure est menée par une commission de reconnaissance locale, dont la composition est fixée comme suit : le Chef de l’Exécutif de la Collectivité de base du lieu de

1 Données communiquées par l’Observatoire du Foncier en octobre 2010, calculs sur environ 1500 certificats.

la situation des terrains ou son représentant ; le(s) Chef(s) de fokontany du lieu de la situation des terrains occupés objet de la reconnaissance ; des Raiaman-dreny (personnes âgées) du

fokontany choisis sur une liste établie annuellement par le chef de fokontany sur proposition

de la population de celui-ci, et publiée sur les placards de la Collectivité Décentralisée ainsi que du ou des fokontany intéressés. Les membres de la commission choisissent leur président. Un agent du Service Administratif concerné de la Collectivité Décentralisée de base assure le secrétariat de la commission.

c) Le Chef de l’Exécutif local fixe la date de la reconnaissance, nomme et convoque les membres de la commission. La décision (d’effectuer la reconnaissance), outre sa notification au demandeur, est affichée sur les placards administratifs de la collectivité locale de base jusqu’à la date de la reconnaissance sur le terrain. La date de la décision est le point de départ de la période de publicité et de recevabilité des oppositions, dont la durée est fixée par décret. d) L’opération de reconnaissance, publique et contradictoire, consiste en : l’identification de la (des) parcelle(s) objet de la demande de reconnaissance ; la constatation des droits d’occupation conformément aux dispositions de l’article 33 de la loi n°2005-019 du 17 octobre 2005 ; la réception des observations et oppositions éventuelles ; le règlement amiable des litiges et oppositions. A l’issue de l’opération de reconnaissance, sur les lieux, un procès-verbal est dressé et signé avec avis motivé par les membres de la commission, les riverains et les demandeurs après lecture publique devant les assistants.

Les terrains urbains et ruraux peuvent être certifiés sous deux conditions : être occupés selon les coutumes et usages locaux et ne pas être déjà immatriculés au registre foncier.

Le certificat foncier est un acte qui établit sur les terres relevant de la PPNT un droit de propriété reconnu par le tribunal. La valeur juridique du certificat foncier est posée par la loi 2005-019 du 17 Octobre 2005. Elle définit ce dernier comme «un acte administratif attestant

de l’existence de droits d’occupation, d’utilisation, de mise en valeur, personnels et exclusifs, portant sur une parcelle de terre, établi par suite d’une procédure spécifique légalement définie. Le certificat reconnaît un droit de propriété opposable aux tiers jusqu’à preuve du contraire ». L’article 37 de la même loi précise les prérogatives attachées à ce certificat qui «

permet à son détenteur d’exercer tous les actes juridiques portant sur des droits réels et leurs démembrements reconnus par les lois en vigueur, notamment la cession à titre onéreux ou gratuit, la transmission successorale… ». La valeur juridique de « titres de propriété » délivrés à l’issue de la procédure d’immatriculation et de certification est différente dans la mesure où le titre est considéré comme « inattaquable », le certificat quant à lui, étant opposable aux tiers jusqu’à preuve contraire1.

2.2.3. Évolution de la réforme

Le premier guichet foncier de Madagascar a été inauguré à Amparafaravola le 7 Juillet 2005 et les premiers certificats ont été émis le 2 février 2006. En 2012, plus de 480 communes (sur 1557) sont équipées d’un guichet foncier et plus de 95.000 certificats ont été délivrés. Le

1

Graphique 1 illustre l’évolution du nombre de certificats et de guichets fonciers entre 2006 et 2012.

Graphique 1. Évolution du nombre de certificats fonciers demandés et délivrés entre 2006 et 2012

Source : données fournies par l’Observatoire du Foncier, 2013

Du fait de la crise politique de 2009, le président de la Haute Autorité de la Transition (encore au pouvoir en 2013) n’étant pas reconnu par la communauté internationale, le principal bailleur de fonds, le MCA, a stoppé ses financements.

Les manœuvres d’appropriation foncière à grande échelle tentées par les entreprises Daewwo et Varun International à Madagascar ont participé à la déstabilisation du gouvernement Ravalomanana (Teyssier et al.; 2010 ; Comby, 2012 ). Elles reflètent des modèles de développement hésitants : d’une part l’accent est mis sur la sécurisation des droits des populations locales, et d’autre part, Madagascar devient la terre d’accueil d’investissements étrangers. En effet, tandis qu’à grand renfort d’aides internationales, on parvenait à sécuriser 50 000 hectares au profit de la petite paysannerie, la cession de baux à long terme était sur le point d’être accordée à une multinationale sur plus d’un million d’hectares (Merlet, 2009 ; Comby, 2012). Les préoccupations gouvernementales sont alors apparues comme mettant en jeu des modèles de développement différents, l’un confiant le développement du pays à l’agrobusiness d’exportation, l’autre priorisant la souveraineté alimentaire et une politique foncière favorable aux exploitations familiales (Teyssier et al., 2010 : 135). « La mise en

œuvre de la réforme foncière reflète la permanence d’une vision tiraillée par une ambiguïté de fond et source d’incohérences : la décentralisation de la gestion des terres non titrées s’installe progressivement tandis que la délivrance d’autorisations d’occupation foncière pour les investisseurs est centralisée au plus haut niveau de l’État » (Teyssier et al., 2010 :

155).

Le dynamisme de la réforme a ainsi été enrayé du fait du retrait des bailleurs de fonds. Le nombre de guichets fonciers mis en place a continué à augmenter mais moins fortement que

Nombre annuel de demandes de certificats fonciers Nombre cumulé de demandes de certificats fonciers Nombre cumulé de certificats fonciers délivrés

les années précédentes. Certaines communes sont appuyées par d’autres bailleurs toujours présents, d'autres se sont spontanément dotées d’un guichet foncier, certains guichets ont cessé de fonctionner, faute de moyens. La différence entre le nombre cumulé de certificats délivrés et le nombre cumulé de demandes reçues est due à la fermeture de certains guichets, mais aussi à certains problèmes de fonctionnement (manque de moyens techniques et financiers pour assurer le traitement des dossiers de demandes). « Un état des lieux établi par

le Programme National Foncier en 2012 a montré que 11 % des guichets ont cessé leurs activités, 56 % se maintiennent tant bien que mal et 33 % ont réussi à fonctionner de manière autonome » (Observatoire du Foncier, 2012).

Conclusion Chapitre 2

Un diagnostic d’insécurité foncière généralisée ainsi qu’une forte demande de sécurisation légale (exprimée par un grand nombre de demandes de titres en attente) sont les deux postulats sur lesquels la réforme légale et institutionnelle malgache de 2005 s’est fondée. Les défaillances de la procédure d’immatriculation foncière mise en place depuis l’époque coloniale (1895/1960) ont fait consensus : les services des domaines en charge de cette procédure manquent cruellement de moyens financiers, techniques et humains, sont considérés comme incompétents, tant dans l’aboutissement des dossiers de demandes, que dans leur actualisation et conservation, nécessitant une modernisation.

Par ailleurs, les pratiques diversifiées de sécurisation foncière, avec recours à l’écrit ou non, sont jugées par certains auteurs comme ayant des limites en termes de sécurisation des droits. Les pratiques n’étant pas homogènes, le pluralisme des registres (relatif au cadre légal ou au droit coutumier) est considéré comme susceptible d’être source d’insécurité. La formalisation écrite locale croissante, dans une société orale, est interprétée comme le marqueur d’une demande accrue de sécurisation.

La procédure de certification a pour objectif d’enregistrer les droits non écrits et de rendre légaux les droits écrits (mais non enregistrés par les services des domaines) en impliquant les populations et les autorités locales. La phase de reconnaissance locale des droits et des détenteurs de ces droits, publique et contradictoire, constitue sur ce point une réelle innovation. La réforme foncière est cependant basée sur les mêmes présupposés que les réformes précédentes : les acteurs sont en situation d’insécurité foncière et leur demande pour des droits légalement enregistrés est forte. Les attentes de la réforme sont les mêmes que celles des politiques de titrage : la certification foncière est considérée comme une condition préalable nécessaire à la réduction des conflits, à l’amélioration de l’offre et de la demande de crédit, au développement des marchés fonciers et à l’augmentation des investissements productifs (MAEP, 2005). La certification foncière apparaît comme une nouvelle option pour faire reconnaître les droits de propriété des exploitants présumés propriétaires (création de la PPNT), le recours à l’immatriculation étant toujours possible.

Compte tenu des échecs de la procédure de titrage – très faible recours au niveau national en plus de 100 ans –, mais aussi des limites émises quant aux nouvelles réformes – idéalisation de la communauté, occultation des possibles jeux de pouvoirs locaux, difficile opérationnalisation – il est intéressant d’explorer les motivations et contraintes à la demande de formalisation légale des droits (par le titre ou le certificat). La nouvelle procédure de certification sera l’objet central de notre étude et sera considérée comme une alternative à la demande de titre. Au-delà de la dichotomie « sécurisation formelle » et « sécurisation informelle », la certification foncière sera également étudiée au regard des pratiques existantes (empiriquement renseignées) envisagées comme faisant référence à des pratiques de sécurisation des transferts et/ou de sécurisation des droits fonciers.

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