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Chapitre 3. Problématique et méthodologie

3.1. Orientations générales de la recherche

3.1.1. Problématique générale

La question centrale est celle de la certification foncière considérée comme une option parmi d'autres dispositifs de sécurisation existants – que ces derniers fassent référence à des dispositifs de sécurisation des droits ou de sécurisation des transferts de droits. Nous analysons les logiques d’acteurs face à cette gamme de dispositifs de sécurisation.

Les économistes s’intéressant aux relations entre insécurité des droits fonciers et comportements économiques étudient principalement l'impact des politiques de formalisation des droits sur le comportement d’investissement des ménages sur les parcelles concernées, alors considérées comme sécurisées par cette formalisation (Feder et Onchan, 1987 ; Besley,

1995). Nous nous positionnons « en amont » de cette perspective, en analysant les déterminants de la demande de formalisation légale à travers la certification foncière. Plus largement, nous étudions les processus de sécurisation des droits des acteurs ruraux, que ces droits soient transférés via le marché, via les relations intra-familiales, ou encore, acquis à la suite d’un travail de mise en valeur.

Certains travaux analysent les mécanismes de complémentarité ou de substituabilité entre les règles formelles et informelles (Moore, 1973 ; North, 1990 ; Ellickson, 1991 ; Williamson, 1996 ; Mantzavinos, 2001 ; Voigt, 2004 ; Zasu, 2007 ; Steer et Sen, 2010 ; Casson et al., 2010). Dans le champ foncier, l’intervention publique visant à formaliser les droits peut conduire à accentuer et non à réduire le pluralisme normatif, dès lors que les régulations coutumières continuent à opérer de facto (Colin et al., 2010 : 12 ; voir également Roth et al., 1989 ; Atwood, 1990 ; Bruce et al., 1994 ; Platteau, 1996), ou que les interprétations du nouveau cadre légal induisent de nouveaux comportements (Jansen et Roques, 1998 ; Aldashev et al., 2007). Par pluralisme normatif – ou encore légal ou juridique – on entend l’existence de plusieurs registres de normes au sein d’un champ social (Griffith, 1986 : 1). Certains auteurs distinguent le pluralisme légal (le droit coutumier, le droit moderne) d’un pluralisme institutionnel, faisant référence quant à lui à la coexistence de différentes autorités chargées de dicter ou de faire respecter les règles issues des ordres légaux. Moore prend en considération les processus de complémentarité et d’effectivité des règles issus des différents ordres légaux1 en notant qu’au sein d’un même champ social, les acteurs peuvent les mobiliser et les interpréter différemment (Moore, 1973 : 743). Nous analysons dans cette recherche la place que prend la procédure de certification foncière parmi les dispositifs de sécurisation existants ; concrètement, il s’agit d’étudier si la nouvelle politique foncière induit un remplacement de certains dispositifs par la certification, ou si cette dernière vient plutôt s'ajouter aux dispositifs existants le cas échéant. En d'autres termes, y a-t-il substitution, juxtaposition ou complémentarité des dispositifs ?

Dans les contextes fonciers africains notamment, et dans les termes de Benjaminsen et al.:

« while the colonial administration inculcated the dichotomy of modern versus customary, the coexistence of a written formal general law, state-sanctioned selected customary law, and local indigenous rules often prevailed and mutually influenced each other » (Benjaminsen et al., 2009 : 2). De nombreux travaux font ainsi référence aux limites d’une vision

dichotomique opposant légal et coutumier2, moderne et traditionnel, ou encore formel et informel (Moore, 1973 ; Jansen et Roquas, 1998 ; Chauveau et al., 2001 ; Benjaminsen et

1 Selon Moore, la loi fait référence à : “a short term for a very complex aggregation of principles, norms, ideas, rules, practices, and the activities of agencies of legislation, administration, adjudication and enforcement, backed by political power and legitimacy” (Moore, 1973 : 719).

2 Par exemple, « the procedures for claiming property rights are largely in accordance with rules established by law. So called customary rights are in fact not customary at all, but are interpretation based on legal procedures and recognized by the state and the judicial powers” (Jansen et Roques, 1998 : 94; étude au Honduras). Et pour De Villers (1996) notamment : « …le critère du rapport à la loi (donc la distinction entre les activités et les pratiques selon leur degré de conformité avec l’ordre légal et réglementaire) est un critère d’une pertinence limitée dans des sociétés ou l’ensemble des pratiques sociales (celles des agents de l’état comme celles de la société civile) sont des pratiques de contournement ou de manipulation opportunistes de la loi et des institutions » (De Villers, 1996 : 8, se basant sur de Villers, 1992).

Lund, 2003 ; Lavigne Delville, 2006). Dans la pratique, les oppositions entre droit positif et droit coutumier ne sont en effet pas si claires : « les acteurs – pouvoirs coutumiers, acteurs

ruraux et urbains, agents de l’État – jouent, à des degrés divers, sur les différents tableaux, empruntant à l’une et à l’autre conception » (Lavigne Delville, 2006 : 28). Selon Mathieu, « [L]es pratiques informelles sont produites et inventées par des bricolages institutionnels locaux à partir de ce qui est disponible sur place. Ce sont des pratiques composites ou syncrétiques : elles combinent avec plus ou moins d’ambiguïté ou de clarté des opérations qui relèvent du registre du contrat, du « papier » (de l’écrit) et de l’échange marchand avec d’autres qui appartiennent à l’ordre de la « coutume » et des rapports sociaux inter personnels tels qu’ils sont vécus de façon dynamique dans les sociétés locales » (Mathieu,

1996 : 11). Des études empiriques décrivent ainsi la délégation de la gestion des conflits des agents « formels » (maire, préfet, secrétaire de l’arrondissement, gendarme, garde champêtre) aux autorités « coutumières », considérées plus aptes à élaborer un arbitrage (Mathieu, 1996 ; Burnod, 2007).

Les pratiques sont alors qualifiées de « ni purement traditionnelles ni purement modernes », « d’intermédiaires », de « métissées » (Le Roy, 1997), « d’extra-légales mais tolérées voire légitimées par l’administration » (Hesseling et Mathieu, 1986 ; Mathieu, 1996), de « bricolage institutionnel » (Cleaver, 2003), de « jeu sur le pluralisme juridique » (Lavigne Delville, 1998a), de « forum shoping » (Von Benda Beckmann, 1981). Pour Madagascar également, les auteurs évoquent des « pratiques foncières à cheval sur plusieurs sources de droits, de normes et d’instances », « d’appropriation foncière entre deux », « de reconnaissances officieuses par les autorités publiques », ou encore « d’emboitement des modalités de régulation des conflits » (Maldidier, 1999). Dans cette perspective, les logiques d’acteurs dans le champ foncier ne peuvent être considérées comme purement formelles ou informelles.

A Madagascar, les procédures d’immatriculation et de certification pourraient être assimilées à des dispositifs de reconnaissance formels, « les autres dispositifs » étant alors considérés comme informels. Ces « autres » dispositifs écrits étant apparus dans notre étude comme fortement standardisés suivant des procédures bien établies, nous n’emploierons pas les qualificatifs « formels » ou « informels ». Afin d’éviter toute confusion quant aux différentes acceptions de ces termes, nous qualifierons dans cette thèse les procédures de titrage et de certification de « dispositifs de formalisation légale », et les procédures faisant référence aux divers documents élaborés localement, de « dispositifs de formalisation locale » (tout en n'ignorant pas que les dispositifs de formalisation légale peuvent avoir une forte dimension locale, comme dans la certification). Les dispositifs de reconnaissance/sécurisation des droits renvoient donc aux formalisations légales et locales, mais aussi aux principes issus du droit coutumier merina, aux relations inter-personnelles et aux relations de confiance susceptibles d’intervenir dans les processus de sécurisation de droits sans nécessairement un recours à l’écrit.

Nous ne considérons donc pas le changement institutionnel malgache comme le passage d’une régulation informelle à une régulation formelle. Nous étudions la place de la procédure de certification au sein des pratiques de sécurisation existantes, sans considérer a priori de hiérarchie, en termes de sécurisation, entre les différents dispositifs de reconnaissance des droits et des transferts existants.

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