PARTIE III : Les adolescents français, l’École et la culture numérique
Chapitre 1 ‐ Le numérique dans la culture des jeunes
1.3 Une appétence pour l’École variable selon les âges mais faible
Depuis longtemps et aujourd’hui encore, l’une des premières vertus attribuées par l’institution scolaire aux technologies numériques, c’est leur effet motivationnel. Cette thèse est reprise par de nombreux auteurs et l’on cite souvent à ce sujet l’article déjà ancien de Thérèse Laferrière, Alain Breuleux et Robert Bracewell (1999) pour qui la seule présence des technologies à l’École est susceptible d’augmenter la motivation des élèves. Elle est également très discutée, le plus souvent en distinguant l’usage des technologies des activités qu’elles sont susceptibles d’instrumenter, reportant vers ces mêmes activités l’effet motivationnel. Selon ces propositions, les technologies joueraient un rôle essentiel mais indirect en rendant possible l’organisation d’activités intrinsèquement motivantes.
Là encore, il semble important d’appréhender les représentations des jeunes afin de chercher à comprendre le rôle éventuel des technologies dans la motivation dont il font preuve à l’égard de l’École. À vrai dire, si l’intérêt des élèves à l’égard de l’École fait l’objet d’études régulières de grandes institutions nationales ou internationales comme l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé (INPES) ou l’Office Mondial de la Santé (OMS), les travaux portant sur la place de l’ordinateur dans les représentations que les élèves ont de l’École et des activités scolaires semblent pratiquement inexistants. S’agissant des représentations de l’École, notre enquête confirme les résultats collectés lors de
l’enquête Health Behaviour in School‐aged Children67 (HBSC68) réalisée en 2006 pour caractériser la santé et les comportements des élèves de 11, 13 et 15 ans.
Malheureusement, l’Inde ne participe pas à ce programme, ce qui n’a pas permis d’établir des comparaisons entre nos propres données et celle de l’OMS pour les jeunes Indiens. Parmi les 43 pays et régions participant au programme HBSC, nous avons choisi de présenter les données de 5 d’entre eux incluant la France, en raison de l’importance des différences qui les séparent. Selon les données fournies par HBSC, l’intérêt déclaré par les élèves à l’égard de l’École décroît avec l’âge. Comme l’illustrent les données du tableau suivant, le genre est aussi une variable de clivage significative, les filles plus que les garçons déclarant aimer l’École.
Tableau n°1 : Appétence des élèves à l’égard de l’École selon l’enquête HBSC 2006
Le faible nombre d’élèves déclarant aimer l’École et sa décroissance en fonction de l’âge constitue évidemment un signe inquiétant pour l’École. Ce constat est aggravé lorsque l’on confronte les données collectées par HBSC au cours des trois dernières campagnes de ce programme. Comme le montrent les deux tableaux de données suivants réalisés à partir des rapports 1998, 2002 et 2006 d’HBSC, le goût des élèves pour l’école se dégrade. L’analyse des données par pays montre en effet que la France se situe parmi les 10 pays dans lesquels l’altération est la plus forte.
67 Inequalities in young people’s health, http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0005/53852/E91416.pdf (site consulté le 6 juin 2010) 68 Initié en 1982, HBSC est un programme de recherche international et longitudinal sur la santé et les comportements des jeunes liés à la santé. Aux côtés de travaux portant sur la sexualité ou les comportements d’addiction, HBSC conduit également des recherches sur les comportements des jeunes vis‐à‐vis de l’École. Une enquête récurrente est réalisée tous les 4 ans. Le dernier rapport disponible fait état de l’enquête réalisée en 2006. HBSC, auquel 43 pays et régions participent, est aujourd’hui l’un des programmes de l’OMS. HBSC 2006 Filles Garçons
11 ans 13 ans 15 ans 11 ans 13 ans 15 ans
France 41% 19% 13% 29% 13% 11% Italie 26% 11% 8% 17% 7% 9% Espagne 44% 25% 17% 31% 17% 9% Norvège 51% 49% 31% 46% 44% 29% Portugal 39% 25% 18% 25% 14% 17% Moyenne 43% 33% 27% 22% 22% 18%
Figure 25 : Evolution du goût des élèves à l’égard de l’École en France selon les enquêtes HBSC 1998, 2002 et 2006
Les données HBSC montrent également une corrélation significative avec le niveau de ressource des familles, les enfants des familles aisées aimant plus l’École que les autres. Le traitement statistique des données collectées par HBSC ne montre pas de corrélation significative avec la distribution selon des aires géographiques. En revanche, il fait apparaître de grandes disparités entre pays (ou régions) comme le montre la carte précédente représentant l’affection des garçons de 15 ans à l’égard de l’École parmi six cartes croisant la variable âge (11, 13, 15) et la variable genre. Les six cartes présentent les mêmes disparités. Nos propres données (données EUROMIME 2009) portent sur un intervalle d’âge plus important (11 à 18 ans) avec un découpage plus fin (1 an). Globalement, elles indiquent la même décroissance de l’appétence des jeunes à l’égard de l’École tout en présentant des valeurs systématiquement plus faibles et en présentant quelques anomalies de distribution.
Ces disparités s’expliquent essentiellement par des différences de contextes et modes de collecte des données. La première explication tient à l’année de collecte de données : 2006 pour HBSC et 2009 pour EUROMIME. La faiblesse relative des données s’explique probablement partiellement par cette différence de date de collecte. Les valeurs moyennes inférieures aux données HBSC 2006 s’inscrivent dans le mouvement d’altération du goût des élèves pour l’École. La deuxième explication tient aux questions posées : une question globale et unique pour HBSC (« Aimes‐tu l’École ? ») alors que cette question est affinée dans l’enquête EUROMIME 2009 en distinguant notamment l’École (« Aimes‐tu l’École ? ») des cours (« Aimes‐tu les cours ? »). La troisième explication tient au fait que la stratification d’HBSC est établie relativement à l’âge des répondants au moment de la réponse à l’enquête alors que l’enquête EUROMIME procède d’une stratification par classe (de la 6ème à la
Terminale). Ainsi, un décalage des âges existe‐t‐il entre l’âge théorique correspondant à un niveau et l’âge moyen réel des élèves.
Figure 26 : Distribution géographique de l’appétence des garçons de 15 ans à l’égard de l’École selon l’enquête HBSC 2006
Selon les statistiques fournies par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éducation nationale69, seuls 78,9% des élèves 6ème avaient 11 ans à la rentrée 2009 (3,3% des élèves sont « en avance » et 17,8% « en retard » d’au moins un an). De plus, la proportion des élèves dont l’âge réel est supérieur à l’âge théorique s’accroît avec les années, tout au long de la scolarité secondaire (40% en terminale pour les lycées d’enseignement général et technique et 77,2% pour les élèves de bac professionnel). Cette différence accentue mécaniquement le décalage des données HSBC et EUROMIME.
La stratification plus fine des âges dans l’enquête EUROMIME 2009 montre que la décroissance du goût pour l’École déclaré par les élèves n’est pas constante durant leur scolarité secondaire. On observe au contraire un regain d’intérêt lors du passage du collège au lycée (cf. figure n°27) ce qui suggère l’hypothèse selon laquelle la motivation serait notamment fonction du renouvellement des activités et de leurs contextes, au‐delà de la valeur accordée globalement à l’École.
69 Les élèves du second degré. Repères et références statistiques, édition 2010, http://media.education.gouv.fr/file/2010/74/3/4_Les_eleves_du_second_degre_151743.pdf (document consulté le 1er novembre 2010)
Figure 27 : Appétence des jeunes collégiens et lycéens à l’égard de l’École selon l’enquête EUROMIME 2009
Les entretiens, quant à eux, nuancent les données de l’enquête. Avoir la dent dure à l’égard de l’École, c’est aussi un comportement lié à l’âge et l’adolescence, concept flou s’il en est qui se définit sans doute au mieux comme les années où l’enfant construit son identité par rapport (et parfois en opposition) aux propositions des adultes et de leurs institutions. Rien d’étonnant alors de mesurer une baisse de leur adhésion à l’École qui incarne tant les valeurs déclarées de leurs parents tout au long du collège.
L’intérêt porté aux cours, quant à lui, croît avec l’âge. Quand plus de 50% des élèves estiment, en 5ème et en 4ème que les cours sont les moments les moins intéressants du temps scolaire (par comparaison avec d’autres activités comme les activités sportives ou les plages horaires de récréation), il sont moins de 18% à le déclarer en classe de première. Pourtant, si les déclarations des élèves attribuent le plus souvent des valeurs négatives à l’École, ils les adressent peut‐être moins à l’École comme institution qu’aux activités qu’elle leur propose, ce qui doit nous interroger sur l’adéquation de l’École à son public. Lorsque 30% seulement des élèves de notre échantillon déclarent aimer l’École (de 58,5% en 6ème à 19% en terminale), 47,3% déclarent en premier choix que les apprentissages constituent leur raison première d’aller à l’École (70,7% classent les apprentissages parmi les deux raisons principales d’aller à l’École et 88,5% parmi les trois premières) alors que les activités de socialisation avec leurs pairs, dont on imagine qu’elles sont premières dans l’envie d’aller à l’École, n’arrivent qu’en 3ème position (en premier choix) avec 12% des élèves et cumulent 84% dans les trois premières positions. De même, des raisons plus formelles comme le souhait « d’échapper à la vie à la maison » n’apparaissent qu’en fin de classement. L’adolescence est rebelle aux formes organisées du pouvoir comme le sont la famille et l’école. C’est probablement ce qu’il faut comprendre des données collectées mais
leur analyse fine montre que ce qui constitue une tendance se traduit aussi par des positions et situations individuelles très contrastées. Ainsi, tous les jeunes ne rejettent‐ils pas la famille et l’École. Cette expression de la responsabilité des élèves vient d’une certaine façon contredire la définition que le sociologue américain Parson, l’ « inventeur » de la « culture jeune » en donna en la qualifiant de culture de l’irresponsabilité (Galland, 2001).