PARTIE I : Vers une définition du concept de culture numérique
Chapitre 2 ‐ Définir la culture numérique
2.2 Anthropologie, sociologie, psychologie : articulations et démarcations
Le foisonnement des courants et travaux scientifiques relatifs à la culture et aux questions culturelles des deux derniers siècles (19ème et 20ème), invite, compte tenu des objectifs assignés à cette analyse, à basculer d’une logique historique à un traitement plus
thématique. Seront présentées et discutées des problématiques susceptibles d’éclairer ultérieurement les différentes dimensions de la culture numérique.
La variété des cadres épistémologiques fournis par les différentes disciplines mobilisées (anthropologie, sociologie, psychologie) explique en bonne part celles des approches de la culture. L’anthropologie se donne comme projet d’articuler l’unité du genre humain avec la diversité des manifestations de son adaptation au milieu. Pour ce qui nous concerne, il s’agira davantage d’« anthropologie sociale et culturelle » telle que la définit Claude Lévi‐ Strauss (1974), en introduction de son ouvrage intitulé « Anthropologie structurale »35. Il présente cette discipline comme la désignation anglo‐saxonne équivalente à l’ethnologie européenne et la décrit comme l’étude des institutions considérées comme des systèmes de représentation et des techniques au service de la vie sociale. L’anthropologie ne saurait donc considérer la culture qu’à l’échelle globale d’une société voire d’une nation, sans subdiviser l’humanité en la myriade de groupes sociaux que la sociologie identifie et qui procède du découpage d’une population selon sa localisation géographique, sa formation, son âge, son genre, son emploi, ses préférences sexuelles ou toute autre caractère ou combinaison de caractères. Elle ne saurait non plus réduire son objet de recherche à l’individu et aux processus intra‐individuels qui intéressent la psychologie, le considérant avant tout comme un être social formant partie d’une unité culturelle. C’est pourquoi l’anthropologie envisage les questions culturelles à l’échelle sociétale et choisit parfois de confondre, à l’instar des philosophes des Lumières, « culture » et « civilisation ». La culture représente, pour l’anthropologie comme la sociologie, la cohérence symbolique de l’ensemble des pratiques et représentations sociales. Elle constitue ainsi le substrat collectif des comportements individuels, l’échelle d’observation pertinente variant selon la discipline. Ce qui définit la culture n’est pas tant la présence ou l’absence de tels ou tels traits spécifiques mais son orientation globale, ses « patterns » de pensée et d’action qui s’imposent finalement comme un schéma inconscient et encadrent activités et comportements individuels et sociaux. Les problématiques élaborées à partir de la description de ce qui fait culture, c’est‐à‐dire de l’ethnographie36, sont notamment celles de la compréhension de la nature des cultures et de leurs évolutions, celles finalement assez symétriques de leurs fonctions et celles des mécanismes de la construction de l’identité culturelle des individus.
35 L’utilisation du terme « anthropologie » référera, sauf indication contraire, à l’anthropologie sociale et culturelle dans la suite de ce document. 36 Toujours selon Claude Lévi‐Strauss, l’ethnographie « consiste en l’observation et l’analyse de groupes humains considérés dans leur particularité [..,] et visant à la restitution, aussi fidèle que possible, de la vie de chacun » (Lévi‐Strauss, 1974, p.10). Définie ainsi, l’ethnographie fournit les matériaux nécessaires à l’anthropologie sociale et culturelle, soit à l’ethnologie.
2.2.1 L’histoire des paradigmes culturels proposés par l’anthropologie
Les premières conceptions modernes que l’anthropologie fournit de la culture cherchent à cerner la nature de la culture. Le culturalisme des années 1920 propose le concept d’une « personnalité de base » déterminée par les traits culturels partagés au sein d’une société. Il répond ainsi à la question de la nature de la culture par une vision somme toute essentialiste où les sociétés apparaissent avec une grande autonomie culturelle qui confine à l’indépendance et enferme l’individu dans les mailles de ses déterminants. C’est aussi le cas du « fonctionnalisme », courant porté par Bronislaw Malinowski (1968), qui définit la culture comme le moyen que se donne une société de répondre aux besoins des individus qui la composent. Ces travaux qui cherchent à montrer ou suggèrent l’unité et la parfaite cohérence culturelle des sociétés, proposent eux aussi une vision essentialiste de la culture. À l’inverse, plusieurs courants proposent des modèles qui laissent place à différentes formes possibles de « relativisme culturel », que celui‐ci traduise l’adaptation de l’homme à des biotopes divers et changeants ou bien qu’il soit l’expression des interactions qui se produisent entre les sociétés. C’est le cas du « diffusionnisme » qui s’est attaché à montrer que les évolutions culturelles n’étaient pas toutes endogènes et qu’elles procédaient également de migrations de traits culturels d’une société à une autre, au travers de processus d’emprunt et d’influence. Selon cette approche, chaque société possède son identité culturelle, son « modèle culturel », culture et identité culturelle représentant les deux faces d’une même réalité qui se construit aussi dans les relations qu’une culture entretient avec les autres. Cet acquis de l’anthropologie, autrefois contesté mais aujourd’hui établi au rang de vérité scientifique, témoigne de l’adaptabilité et de l’adaptation de l’homme à son milieu. Il résiste malgré tout souvent au sens commun et peine, encore aujourd’hui à s’imposer, si ce n’est au plan théorique, du moins dans son expression pragmatique quotidienne. Claude Lévi‐Strauss (1952), au nom de l’anthropologie structurale, rappelait déjà dans son ouvrage « Race et Histoire », qu’il a toujours été difficile d’imaginer que la diversité des culture résulte des interactions entre les sociétés. Dans le même ouvrage (1952, p.79), il défendait bien au contraire l’idée selon laquelle la force d’une culture réside justement dans sa capacité de collaboration et d’emprunts à d’autres et affirmait que
« le progrès culturel est fonction des coalitions entre cultures »
. Selon ce point de vue, la conception essentialiste de la culture est définitivement disqualifiée. La culture d’une société ne peut se comprendre qu’en étudiant ses relations avec les autres.La compréhension de ce qui donne forme à la culture emprunte à deux logiques distinctes, apparemment opposées mais complémentaires et en interaction. La première envisage d’abord la culture comme l’ensemble des éléments (construction symbolique, institutions … ) pour en étudier l’impact sur les comportements individuels et collectifs. La deuxième, à l’inverse cherche à comprendre comment les comportements, attitudes, attentes et besoins des individus donnent forme à la société et donc à la culture qui en est le vecteur
symbolique. « L’anthropologie structuraliste » illustre la première approche et le fonctionnalisme la deuxième. L’anthropologie structuraliste cherche à identifier tous les invariants culturels nécessaires à la vie sociale (la prohibition de l’inceste par exemple) comme des matériaux à partir desquels différentes structurations sont possibles pour l’individu. Pour l’expliquer, Claude Lévi‐Strauss recourt à la métaphore du joueur qui construit son jeu à partir de cartes qu’il n’a pas choisies mais qui lui ont été distribuées, tirées d’un jeu préexistant. Cette construction, s’appuyant sur un ensemble évolutif mais fini d’éléments sociaux prédéfinis, constitue les processus de structuration et caractérise le « structuralisme ». Face à la même question, le fonctionnalisme opte pour une définition de la culture qui s’élabore en fonction des besoins des individus. Il montre notamment le rôle des institutions comme base de l’organisation culturelle au service d’une régulation des attentes sociales.
La question des processus de construction de l’identité culturelle des individus est fortement débattue, d’une approche de l’anthropologie culturelle à l’autre. Pour les tenants d’une vision essentialiste de la culture et donc de sa stabilité et de son intégrité, les processus d’héritage sont privilégiés. Pour le « culturalisme » des années 1920 par exemple (Lindon, 1959), le patrimoine culturel d’une société, se transmet inchangé, de génération en génération. Une décade plus tard, la doctrine culturaliste s’infléchit. Pour Margaret Mead (1963), la culture n’est plus un « donné » que l’individu reçoit au cours de son éducation mais une appropriation progressive de la culture de son groupe, appropriation dont elle précise qu’elle ne peut être qu’incomplète. Elle préfère d’ailleurs évoquer des processus de réinterprétation individuels, dont la portée première est l’éducation de l’individu. Selon elle, ces processus de réinterprétation expliquent aussi les évolutions culturelles. Celles‐ci sont l’agrégation des réinterprétations de l’ensemble des individus qui composent une société. D’une certaine façon, l’anthropologie structurale et le culturalisme convergent sur ce point, quant aux possibilités de s’approprier les déterminants culturels de la société dans laquelle l’on s’inscrit.
2.2.2 La culture numérique à l’aulne des paradigmes de l’anthropologie
Ces différentes conceptions de la culture se retrouvent dans le discours public relatif à la culture numérique. Ainsi les discours d’ordre essentialiste sont‐ils nombreux. Selon eux, la culture numérique découlerait des caractéristiques propres aux technologies. Considérée ainsi, la culture numérique se caractérise par son autonomie. Elle est nouvelle, différente et ne provient pas d’un métissage culturel. Elle peut être décrite à la fois par la place occupée par les technologies dans les institutions (dématérialisation des actes administratifs, lois successives sur l’adaptation de la protection des droits d’auteurs au contexte numérique) et par des patterns comportementaux valorisés (les pratiques collaboratives par exemple) ou rejetés (les pratiques compulsives par exemple). La culture numérique essentialiste se conjugue au singulier car elle est alors pensée comme une sorte d’aboutissement des processus de globalisationL. D’une part, elle relève de technologies qui déterritorialisent la culture et qui obligent à repenser le rapport du local au global (Baillargeon, 2002, p. 22).
Deux thèses s’affrontent alors, l’une qui prédit une irrémédiable globalisation culturelle alors qu’une autre défend l’hypothèse d’un renforcement des singularités locales. C’est cette dialectique que Serge Proulx (1999) explore en discutant « l’américanité » des technologies de l’information et de la communication. Il montre que si l’hypothèse d’un déterminisme technologique n’est pas vérifiée, les technologies contraignent tout de même notre façon de penser le monde. Pour Henri Jenkins, la convergence culturelle serait inhérente aux technologies numériques elles‐mêmes. Henry Jenkins (2006) soutient que l’évolution des technologies numériques vers un accroissement de leur interopérabilité entraîne aussi bien un rapprochement des producteurs de contenus et donc des contenus eux‐mêmes (un film peut aussi être un roman, un jeu vidéo ou une série télévisée. Dans le même temps, ce « télescopage » des technologies favorise des comportements « migrateurs » des usages qui passent aisément d’un support à un autre. L’analyse exprimée par Henri Jenkins peut être mise au service d’une vision essentialiste de la culture numérique. Le discours inaugural prononcé le 24 mai 2011, par Nicolas Sarkozy à l’ouverture du « e‐G8 »37 s’inscrit dans cette perspective. Il s’adresse aux experts et acteurs industriels d’internet présents comme « [aux] femmes et [aux] hommes dont le nom est aujourd'hui attaché à l'émergence d'une nouvelle forme de civilisation ». Pour lui, « cette révolution totale est immédiatement et irrémédiablement globale ».
La culture numérique est parfois présentée selon le paradigme fonctionnaliste. Le fonctionnalisme postule que le rôle de la culture est de répondre aux besoins des individus. Selon Bronislaw Malinowski (1970, p. 73), la culture est « le corps complet d'instruments, les privilèges de ses groupes sociaux, les idées, les croyances et les coutumes humaines, [qui] constituent un vaste appareil mettant l'homme dans une meilleure position pour affronter les problèmes concrets particuliers qui se dressent devant lui dans son adaptation à son
environnement pour donner cours à la satisfaction de ses besoins ». Les discours qui
accréditent l’idée que les technologies numériques sont au service de l’homme répondent à cette logique. Les politiques initiées ou défendues par de grandes institutions nationales ou internationales en témoignent. Dans le domaine de l’éducation, L’UNESCO, par exemple, présente le rôle des technologies numériques dans sa politique éducative comme des technologies qui « peuvent contribuer à consolider une planification et une gestion de l’éducation démocratiques et transparentes […] amplifier l’accès à l’apprentissage, améliorer
la qualité et assurer l’inclusion »38.
Le paradigme relativiste est lui aussi sous‐jacent à certains discours et points de vue exprimés sur la culture numérique. C’est le cas des analyses qui montrent comment les technologies numériques contribuent à l’évolution des sociétés et des cultures. L’évolution
37 Source : http://www.elysee.fr/president/les‐actualites/discours/2011/discours‐d‐inauguration‐du‐e‐g8‐ forum.11440.html (document consulté le 29 mai 2011) 38 Source : http://www.unesco.org/new/fr/unesco/themes/icts/policy/ (site consulté le 31 mai 2011)
du concept d’identité avec la multiplication des traces que l’on laisse sciemment ou non de soi dans les réseaux en est un exemple. L’identité, qu’il s’agisse de la conscience de soi ou bien du sentiment d’appartenance est une dimension sociale et culturelle importante. Selon François Perea (2010, p. 157), « Entre liberté, déconnexion des références organisatrices sociales premières, et aliénation à la machine virtuelle, l'identité‐écran porte donc en elle la trace des mutations subjectives contemporaines ». Les technologies numériques sans être les seuls agents de ces transformations jouent là un rôle déterminant. De même, des discours moins audibles se font jour pour défendre l’idée d’un diffusionnisme culturel relatif au numérique. Les uns stigmatisent l’impérialisme culturel d’une « macdonaldisation » portée par la mise en réseau du monde. C’est le thème de l’américanité des technologies numériques déjà évoqué (Proulx, ibidem) et, plus largement ce que Serge Latouche (1989, p. 11) qualifie d’impérialisme culturel occidental, en précisant que « l’occident est une notion beaucoup plus idéologique que géographique ». Impérialisme, ou domination occidentale qu’il convient de nuancer au regard du développement des technologies numériques dans certaines autres régions du monde (Japon, Inde, Corée du Sud et Chine en particulier). D’autres soulignent que la globalisation de la culture ne signifie pas pour autant son homogénéisation mais plutôt, comme l’avance Jackie Assayag (1998, p. 205) « l’expression d’une culture transnationale et d’un état désordonné des cultures ». La réaction des Indiens Mapuche à la traduction de Windows en Mapudungún mise en perspective avec leur appétence pour internet et les technologies numériques illustre magistralement ce double mouvement. Elle positionne la culture numérique en tension entre uniformisation et expression des singularités. Elle illustre comment le global n’existe que pas son ancrage au local.
On le voit, les technologies numériques sont invoquées pour décrire, expliquer ou incarner la ou les cultures d’aujourd’hui. Réciproquement, tous les paradigmes proposés dans l’histoire de l’anthropologie sont convoqués pour analyser cette culture numérique, y compris les plus anciens (essentialisme et fonctionnalisme) dont l’obsolescence est pourtant actée depuis longtemps par la communauté scientifique. Il en résulte une variété de définitions qui repose sur un choix de paradigme pas toujours assumé ni explicite. Pour les uns, le numérique est le déterminant principal de notre culture d’aujourd’hui, pour d’autres la culture numérique est emblématique de certains groupes sociaux (les jeunes, certaines catégories socioprofessionnelles … ). La culture numérique est parfois considérée comme le processus et le produit d’une convergence culturelle inéluctable alors qu’elle est comprise par d’autres comme l’expression potentielle de toutes les diversités et de tous les métissages.
2.2.3 De la vision anthropologique à celle de la psychologie
Certaines approches anthropologiques de la culture établissent explicitement des liens avec la psychologie pour articuler unité collective et singularités individuelles. C’est le cas du structuralisme qui suggère les marges de liberté dont l’individu dispose pour construire son jeu. C’est aussi celui du culturalisme qui distingue la personnalité de base des spécificités
individuelles. Dans le travail de Margaret Mead (1963) dont les apports se situent à la confluence de l’anthropologie et de la sociologie, les ressorts psychologiques de l’action, et notamment ceux qu’explique la psychanalyse, tiennent une place essentielle. C’est en procédant ainsi qu’elle a montré, s’agissant de la place de la femme dans la société, combien les comportements individuels étaient culturels, c’est‐à‐dire soumis aux processus intra‐ individuels de la psychologie mais influencés par des « patterns culturels », donc sociaux. Les mécanismes de réinterprétation avancés par le culturalisme expliquent la construction des comportements individuels en mobilisant le concept de personnalité comme équivalent du « moi » freudien qui assure la médiation entre les pulsions individuelles (le « ça ») et le « surmoi » qui intègre les attendus du cadre social.
La psychanalyse, et en particulier son approche freudienne, n’est pas le seul paradigme de la psychologie impliqué pour rendre compte de l’articulation des comportements individuels aux processus sociaux. Toutes les approches qui prennent ces deux niveaux en considération y contribuent. On ne peut donc manquer de signaler ici les travaux de la psychologie constructiviste et en particulier ceux de Jérôme Bruner (1997) pour qui « la culture donne forme à l’esprit » et l’ensemble des travaux portant sur la dimension socioconstructiviste des apprentissages, qu’il s’agisse de l’école russe de psychologie (Lev Vygotsky, Leontiev) ou de l’école de Genève (Willem Doise, Anne‐Nelly Perret‐Clermont, Yves Mugny). Aux interactions intra‐individuelles de la psychologie cognitive et aux interactions individu‐objet du constructivisme, la théorie socioconstructiviste de l’action ajoute les interactions sociales en conservant une attention à la complexité des processus individuels que l’anthropologie et la sociologie ont légitimement tendance à estomper. Pour Lev Vygotsky, l’être humain est justement caractérisé par sa « sociabilité primaire ». Comme il l’écrit en 1932 :
« C’est par l’intermédiaire des autres, par l’intermédiaire de l’adulte que
l’enfant s’engage dans ses activités. Absolument tout dans le comportement de l’enfant est
fondu, enraciné dans le social. Ainsi, les relations de l’enfant avec la réalité sont dès le
début des relations sociales. Dans ce sens, on pourrait dire du nourrisson qu’il est un être
social au plus haut degré »
(Ivic, 1994). De son côté (à l’Ouest), Henri Wallon (1959) n’estpas en reste. Il affirme, à peu près à la même période, que l’individu est génétiquement social.
C’est aujourd’hui par l’analyse des usages des technologies que différentes disciplines de la psychologie contribuent à la définition et à la compréhension de la culture numérique. La médiatisation des actes humains par les technologies numériques introduit une médiation instrumentale dans la relation du sujet à l’objet et des sujets entre eux. La psychologie, en particulier son approche cognitiviste, en aborde la dimension sémiocognitive. La sensibilité des comportements humains au contexte culturel altère les processus cognitifs que l’on a longtemps attachés à l’individu épistémique, envisagé par Jean Piaget (1968, p. 51) comme « l’ensemble des mécanismes communs à tous les sujets du même niveau ». Les travaux de la psychologie culturelle remettent en question l’intangibilité de l’individu épistémique en cherchant au‐delà des différences interindividuelles le rôle des caractéristiques culturelles
dans le développement cognitif. Les travaux restent peu nombreux qui explorent cette voie et inexistants à notre connaissance s’agissant de la culture numérique en tant que telle. D’autres exemples de travaux de psychologie culturelle sont de bons indicateurs de ce qui pourrait être entrepris pour observer la contribution de la culture numérique au développement des processus cognitifs. Bertrand Troadec (2003) montre par exemple, au travers d’une étude comparative réalisée à Tahiti et en France métropolitaine, l’influence de la culture sur la construction de la représentation de l’espace. Ainsi l’usage de descripteurs spatiaux relatifs égocentrés (à ma gauche, droite … ) ou exocentrés (à la gauche de, droite de … ) avec des descripteurs absolus indépendants des sujets (dans le coin de la pièce … ) constituent‐ils des indicateurs pour appréhender les représentations de l’espace qui s’avèrent différentes entre les deux publics. Cette recherche expérimentale accrédite l’hypothèse selon laquelle le contexte culturel de l’apprentissage joue un rôle dans le développement cognitif. À la lecture des travaux de Bertrand Troadec, la question se pose de l’influence de la pratique intensive des écrans sur la construction des représentations spatiales. De façon plus générale apparaît la légitimité des apports potentiels de la psychologie culturelle appliquée à la culture numérique.
2.2.4 L’inscription de la culture dans le champ de la sociologie
Quand le concept de culture est mobilisé au service de questionnements portant sur les caractéristiques relatives aux différents segments d’une société, c’est la sociologie qui prend le relais de l’anthropologie. La paternité de l’implication de la sociologie dans le champ culturel est double. Américains et Européens investissent très tôt ce champ (au début du 20ème siècle) avec des postulats et perspectives distinctes. Alors que les recherches