PARTIE III : Les adolescents français, l’École et la culture numérique
Chapitre 3 La genèse des usages, de la culture « mainstream » aux constructions les plus
Avant que l’usage ne s’installe, avant même que la première utilisation ne s’expérimente, la perception initiale de l’utilité, celle qui va contribuer au déclenchement du processus d’utilisation ne peut exister sans que l’individu ne dispose d’une représentation de l’instrument. La perception initiale de l’utilité repose donc sur l’élaboration d’hypothèses sur les possibilités d’instrumentation offertes par un objet. Il semble prématuré à cette étape de parler d’artefact dans la mesure où l’artefact qui sera mis en œuvre dans le processus d’instrumentation sera souvent un sous‐ensemble d’un objet technique plus complexe. Cette sélection est d’autant plus nécessaire avec les technologies numériques que celles‐ci affichent une polyvalence inédite. À l’exemple classique du marteau de charpentier qui combine deux outils, l’un instrumentant le clouage et l’autre l’arrachage des clous, correspond l’ordinateur connecté à internet qui propose une multitude d’instrumentations possibles. De même, la versatilité des schèmes d’utilisation produit de façon combinatoire un nombre important d’instruments. Ainsi, non seulement l’ordinateur connecté à internet offre une quantité virtuellement inépuisable d’artefacts mais chacun d’entre eux pourra être associé à de multiples destinations d’usage. La question est donc de comprendre le processus par lesquels les choix d’artefacts et de schèmes d’utilisation sont sélectionnés. Dans la logique de l’hypothèse culturelle développée dans la première partie, le processus d’instrumentation comporte des déterminants psychologiques, sociologiques et anthropologiques. Le schéma proposé (paragraphe 3.3) comme une esquisse d’un modèle culturel de la genèse postule un isomorphisme entre l’existence de la zone proximale de développement mise en évidence par Vygotsky et l’existence d’une zone proximale de la genèse instrumentale. Il permet d’appréhender la façon dont s’élaborent les hypothèses d’instrumentation dans les interactions entre individu(s) et groupe(s). Selon le modèle présenté dans la première partie et en adoptant le point de vue individuel, on distingue cinq situations principales (cf. figure n°28) : a) les pratiques instrumentales déjà actualisées (aires n°1, 2 et 3) ; b) l’instrumentation potentielle située dans la zone proximale de développement des usages de l’individu et correspondant à des usages actualisés de sa sphère sociale (aire n°4) ; c) l’instrumentation potentielle située dans la zone proximale de développement des usages de l’individu et correspondant à la zone proximale de développement des usages de la sphère sociale (aire n°5) ; d) l’instrumentation potentielle située dans la zone proximale de développement des usages de l’individu et ne correspondant pas à la zone proximale de développement des usages de la sphère sociale (aire n°6) ; e) l’instrumentation hors zones des pratiques instrumentales actualisées ou potentielles de l’individu comme de la sphère sociale (aire n°9).
Rappel de la figure n°19 : Elaboration individuelle de l’instrumentation et interactions sociales
La première situation (aires n°1, 2 et 3) est donc celle des pratiques déjà instrumentées. Elle se distingue des quatre autres en ce que l’individu a déjà fait l’expérience de l’instrument. Pour peu que l’artefact soit encore disponible, il pourra la renouveler s’il le décide. Ici, la représentation de l’utilité est donc liée à l’utilisation préalable de l’instrument. S’agissant de l’usage des technologies numériques par les jeunes, c’est bien sûr le cas le plus fréquent. Comme le montrent les entretiens que nous avons conduits, les pratiques les plus répandues sont bien de véritables usages installés et récurrents. Dit autrement, on observe une corrélation entre le nombre d’individus faisant le choix du même instrument et la fréquence d’utilisation de l’instrument. En première analyse, on identifie un nombre d’instruments relativement réduit (téléphone pour échanger des SMS, ordinateur pour chatter, ordinateur pour rechercher de l’information, jeux de console pour jouer … ). Une observation plus attentive, qui gagnerait à être répétée et outillée, dévoile une situation plus complexe. D’une part, comme le souligne Pascal Lardellier (2006, pp. 22‐23), les usages sont corrélés à des tranches d’âges très précises, les lycéens estimant par exemple que leurs benjamins font un usage immodéré de certains services comme le chat alors qu’eux mêmes adoptent la distance qui sied à l’usage des outils. D’autre part, La plupart des usages reposent sur un nombre très limité d’instruments alors qu’un très grand nombre d’instruments sont élaborés et mis en œuvre de façon plus épisodique ou éphémère, par des sous‐groupes voire des individus isolés. Cette observation soulève la question qui traverse les travaux déjà cités
de Michel de Certeau (1980) et de Jacques Perriault (1989) de l’appropriation comme tension entre des usages prescrits, que ce soit de façon directive comme à l’école par exemple ou au moyen d’une pression sociale (potentialisation), et les choix individuels. La thèse défendue par ces deux auteurs donne ou restitue à l’individu une autonomie de conduite de ses actes, cet « art de faire » qui témoigne de la nature même de ces catachrèses. On sait que les tenants de la globalisation culturelle défendent a contrario l’idée que les technologies numériques instrumentent l’affaiblissement, voire la disparition tendancielle des différences culturelles. C’est d’ailleurs l’une des conclusions de la large enquête conduite par Frédéric Martel sur la circulation de contenus culturels et des stratégies de leur diffusion (Martel, 2010). Ce travail ne porte pas sur les mêmes pratiques que celles que nous observons puisqu’il traite essentiellement de l’industrie de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma et met ainsi à jour les mécanismes géopolitiques des évolutions de nos cultures. Il montre des acteurs industriels et politiques en nombre limité mais très influents et décrit la guerre qu’ils se livrent sur le terrain de la diffusion des contenus culturels. Il défend l’idée que la survie culturelle est subordonnée aux succès de ces stratégies de marché et montre que, malgré des cultures nationales fortes, l’Europe et les européens peinent à assurer leur existence culturelle. Cette culture dominante, portée par les stratégies les plus efficaces, c’est la culture « mainstream » que l’auteur définit comme « l’inverse de la contre‐culture, de la subculture, des niches ». Elle conditionnerait en particulier le comportement des jeunes, strate importante du public cible du commerce des bien et services culturels. Ce que nous retenons de la proposition de Frédéric Martel doit être rapproché du modèle d’appropriation proposé par Didier Paquelin (2009) et qui montre l’importance de l’ensemble des processus de potentialisation. La culture mainstream est d’abord une force de potentialisation. À ce titre, elle joue un rôle de premier plan dans les choix d’instrumentation fait par les jeunes. Les stratégies des entreprises sont habiles qui inscrivent les attentes des jeunes dans leur offre, augmentant ainsi l’efficacité de la potentialisation. Rien de nouveaux bien sûr dans ces démarches si ce n’est le ciblage des plus jeunes pour des produits « hightech » réservés à des publics plus âgés il y a peu. L’exemple des publicités de la société Universal mobile en est une illustration magistrale. Toutes ciblent les adolescents et fondent leur argumentaire sur les technologies comme remède à l’aliénation des jeunes aux contraintes que leur imposent la famille et l’École. Le slogan est simple : « Pourquoi être jeune si on ne peut pas en profiter ? » et vise la vente de forfaits de communications adaptés aux attentes des jeunes. Quelques mois après son lancement , la première vidéo d’une série très largement diffusée au travers de toutes les plateformes de vidéo en ligne, « Jeunes et limités » a été visionnée plus de 3 millions de fois sur la seule plateforme Youtube.
À côté des comportements très typés voire stéréotypés, observables à grande échelle et imputables à la forte potentialisation « mainstream », d’autres instrumentations sont élaborées selon des contextes plus locaux où les groupes d’amis et les appartenances à d’autres types de communautés jouent un rôle prédominant. L’inscription à un réseau social plutôt qu’à un autre pourra ainsi répondre à une logique « mainstream » quand il résulte de
la guerre économique entre grandes entreprises du domaine. C’est le cas, par exemple au Brésil où les jeunes continuent de préférer le réseau social Orkut (Google) à Facebook. L’évolution de la distribution des adhérents aux différents réseaux sociaux matérialise l’efficacité des politiques développées par ces entreprises comme le montrent les deux cartes suivantes réalisées par Vincenzo Cosenza75 à partir des données publiées par « Alexa » et « Google trends ». Décembre 2009 Décembre 2010 Figure n°29: Diffusion des réseaux sociaux dans le monde
Le choix de réseau social pourra aussi répondre à des logiques communautaires développées à des échelles bien plus réduites. L’appartenance à un groupe d’amis pourra se traduire par l’affiliation à un réseau social spécifique comme pourra l’être aussi la participation à telle association ou tel club qui a fait le choix d’un réseau social spécifique. Plusieurs enquêtes montrent qu’à cette diversité des matrices de socialisation correspond une stratégie d’affiliation multiple qui, elle aussi, s’inscrit parfaitement dans la thèse de l’homme pluriel de Bernard Lahire. Selon une étude conduite par l’IFOP76 et publiée en janvier 2010, 35% des internautes âgés de 18 à 24 ans (l’enquête ne porte pas sur les tranches d’âges plus jeunes) sont membres de 4 réseaux sociaux ou plus. L’hypothèse d’utilité susceptible de déterminer le choix est formulée dans l’interaction entre la zone de développement des usages individuels et les usages sociaux avérés.
Dans le même temps, on observe l’adoption massive par les jeunes de smartphones les plus performants. L’enquête publiée par l’association française des opérateurs de mobiles (2010) montre que, s’agissant des équipements personnels, ce sont les jeunes de 12 à 24 ans qui sont les mieux équipés en smartphones ou les plus désireux d’en faire l’acquisition. Ces données peuvent étonner aujourd’hui car elles viennent à la fois en décalage avec l’image du smartphone comme symbole de l’équipement du cadre et avec la connaissance que l’on a du budget que les jeunes peuvent consacrer à leur téléphone. Ces données sont intéressante car
75 Source : http://www.vincos.it/world‐map‐of‐social‐networks/ (document consulté le 2 janvier 2011) 76 Source : http://www.ifop.fr/media/poll/1032‐1‐study_file.pdf (document consulté le 2 janvier 2011°
elles témoignent d’un équipement nouveau pour les jeunes, équipement dont la perception de l’utilité provient moins des publicités qui ne les ciblent pas encore que des hypothèses qu’ils peuvent élaborer à partir de deux sources principales : les usages qu’en font leur entourage adulte (aire n°4) où les usages imaginés avec leurs pairs (aire n°5).
Manque à cette analyse la figure du geek technophile, telle qu’elle est véhiculée par des œuvres cinématographiques tels que Tron de Steven Lisberger ou Wargames de John Badham, tous les deux réalisés en 1983. À l’image des personnages de ces films, on l’imagine plutôt de genre masculin, connaissant quelques difficultés de socialisation et disposant d’importantes capacités d’innovation et de compétences techniques. Comme les deux films choisis pour cette évocation, cette représentation appartient à un temps où les équipements informatiques personnels étaient rares et où l’utilisation de l’ordinateur ne s’envisageait guère sans programmation. Si cette image classique du geek technophile renvoie à l’idée que l’instrumentation peut aussi reposer sur la création (l’invention) de l’artefact lui‐même (programmation), deux éléments concourent aujourd’hui à d’autres comportements où l’invention lorsqu’elles se manifestent, porte davantage sur les schèmes d’utilisation que sur la création des artefacts eux‐mêmes. Dans un premier temps, la diffusion massive des ordinateurs a pu laisser penser que les jeunes programmeurs allaient devenir légion. La réalité a rapidement démenti cette hypothèse, la diversité et la richesse des applications et services possibles écartant les comportements propres à la situation de pénurie des débuts. L’observation historique des usages scolaires présente de fortes analogies avec ce constat concernant les pratiques personnelles des jeunes. Dans les mêmes années 80, l’École a d’abord inscrit la programmation comme mode d’usage des ordinateurs avant de s’approprier progressivement les produits et services disponibles. L’organisation de véritables concours de programmation adressés aux jeunes des années 90 (comme les festivals « Soft Qui Peut » 96, 98, 2000 et 2003 par exemple) ont laissé place à des concours de productions de contenus numériques (concours de la création numérique, concours d’images 3D, concours de films d’animation, concours de jeux vidéo … ). S’il ne nous a pas été donné de rencontrer de geeks technophile au cours de notre enquête, au sens où ils viennent d’être décrits, plusieurs des jeunes rencontrés utilisent les technologies de façon réellement créatives en élaborant des instruments nouveaux avec les artefacts dont ils disposent. Le plus souvent, le processus emprunte aux interactions avec la sphère sociale (aires n° 1, 4 et 5) mais les démarches novatrices plus individuelles peuvent aussi être observées (aire n°9).
Quelle que soit la situation d’interaction dans laquelle se situent ces démarches d’instrumentation, elles prennent des formes que l’on peut rapporter aux processus d’apprentissage des paradigmes constructivistes et socioconstructivistes ainsi que le propose la paragraphe 3.1 de la première partie du document. Les situations d’instrumentations se présentent ainsi pour l’individu selon leur degré de familiarisation avec l’instrument et par analogie aux deux processus centraux de l’apprentissage décrits par Jean Piaget, soit comme une assimilation instrumentale soit comme une accommodation
instrumentale. Dans le cas de l’assimilation, l’instrumentation est incorporée à la structure d’accueil de l’individu sans que cette dernière n’en soit modifiée. L’assimilation suppose donc une forme de compatibilité entre les structures cognitives d’accueil et les schèmes d’utilisation instrumentaux. L’assimilation procède d’une intégration progressive de nouvelles instrumentations. Dans le cas contraire, l’instrumentation produit une accommodation des structures cognitives d’accueil. Dans ce deuxième cas et contrairement à l’assimilation, le sujet est transformé par le processus d’instrumentation. Cette analyse qui situe les processus d’instrumentation et d’appropriation comme autant de processus d’apprentissage apporte un élément de réponse à la question du rôle joué par l’usage des technologies numériques par les jeunes. Les technologies sont non seulement au service des jeunes qui les instrumentent en fonction de l’utilité qu’ils leur attribuent mais l’usage qu’ils en font les transforment en retour.
Si l’assimilation et l’accommodation donnent un cadre conceptuel à l’instrumentation vue comme un apprentissage, ces processus ne disent rien par eux‐mêmes de la nature de ce qui les déclenche et qui nait des interactions entre individus et de leurs sphères sociales dans le respect des limites imposées par leurs zones respectives de développement des usages. Emprunté une fois encore aux travaux de Piaget, le conflit cognitif semble le moteur principal du déclenchement de l’instrumentation dans les situations où l’instrumentation trouve place dans la zone proximale de développement instrumentale de l’individu mais hors de toute influence sociale (aire n°6). C’est le déséquilibre entre la position de l’individu et son environnement qui fait apparaître la nécessité de l’instrumentation. La réalité de cette situation reste à démontrer au sens où il est difficile (exclus selon Vygotsky) que le conflit cognitif ne mette pas en jeu des mécanismes sociaux.
Par l’état de déséquilibre interne qu’ils engendrent au moyen de confrontations sociales ou plus strictement cognitives, les conflits cognitifs et sociocognitifs sont susceptibles d’expliquer cette mise en mouvement de l’individu vers l’instrumentation. Si l’un ou l’autre peuvent révéler l’utilité des technologies à leurs potentiels usagers, cette utilité perçue peut exprimer la satisfaction de besoins d’ordres différents, des besoins les plus matériels et individuels aux besoins exprimant d’abord l’inscription sociale de l’individu (estime de soi, reconnaissance sociale). Les spécialistes du marketing se réfèrent d’ailleurs souvent aux travaux de Malslow sur la motivation et sa représentation hiérarchique des besoins à satisfaire (Maslow, 2004) pour susciter le sentiment d’utilité susceptible de déclencher un achat. Les données que nous avons collectées, on l’a vu, montre la prédominance des besoins sociaux ressentis par les jeunes mais si d’autres, plus individuels, apparaissent également, notamment le sentiment d’accomplissement personnel que peut procurer l’usage des technologies à des fins créatives (production ou écoute musicales en particulier).
Parmi les autres processus d’apprentissage mis en lumière par l’école russe de Psychologie (les travaux précurseurs de Vygotsky prolongés de ceux de Leontiev) et leurs successeurs
(Bandura, Bruner), deux sont susceptibles de jouer un rôle majeur dans l’instrumentation : la vicariance et l’étayage cognitif.
La vicariance décrit le processus d’apprentissage reposant sur l’association de comportements d’observation et d’imitation. Elle est manifestement, selon les déclarations des jeunes, l’un des processus centraux dans leurs processus d’instrumentation des technologies numériques. Ils apprennent ainsi des autres, aussi bien d’ailleurs de leurs erreurs que de leurs succès. Il semble bien, du moins le déclarent‐il ainsi, ce qui corrobore d’autres études, qu’ils apprennent davantage de leurs pairs que de l’École, d’autant plus lorsque l’École propose peu ou ne propose pas d’activités dédiées à ces apprentissages. L’importance de l’imitation dans les apprentissages des technologies numériques par les jeunes répond aux remarques faites par Bandura qui en opposant la vicariance au « modeling » (Bandura, 2003) rend compte de la différence qu’il y a entre l’appropriation que permet la vicariance et la réplication systématique de modèles (le « modeling »). Bandura montre également à ce propos que la vicariance, comme plusieurs autres des processus sociaux en jeu dans les apprentissages, est sensible à la proximité sociale. C’est des pairs que l’on apprend le plus alors que les dissymétries interindividuelles (âge, différences sociales) génèrent des processus inhibiteurs. Ainsi sont renforcées les dynamiques communautaires d’instrumentations des technologies numériques par les jeunes.
Il est à noter également que le premier terme du couple observation/imitation est non seulement l’un des comportements clés de la vicariance mais aussi l’une des activités support du conflit sociocognitif. Voir les autres posséder et/ou utiliser tel ou tel artefact constitue une situation inductrice du sentiment de besoin, d’autant plus fort pour des technologies dont la possession et l’usage sont autant de marqueurs sociaux.
L’observation et les déclarations des jeunes montrent l’importance de l’étayage dans les processus d’instrumentation. La définition de l’étayage renvoie à place que la psychologie socioconstructiviste accorde aux relations d’aide dans les apprentissages. Jérôme Bruner le définit comme l’ensemble des interactions d’assistance qui permet à un individu d’apprendre à résoudre seul un problème qu’il ne sait pas résoudre seul initialement (Bruner, 1983). La vicariance n’implique directement finalement que peu celui qui est imité. Son rôle se réduit à celui de l’exemple qui va faire l’objet d’une démarche d’appropriation. L’étayage suppose une réelle collaboration entre celui qui apprend et celui ou ceux qui aident l’apprenant en interaction avec lui. Si on l’a vu, l’imitation est un puissant moteur du développement de l’usage des technologies numériques et donc de l’instrumentation, l’étayage en est souvent un moyen privilégié. On observe combien les jeunes demandent l’aide de leurs pairs pour les assister dans la mise en œuvre de tel ou tel artefact avant de se l’approprier et de devenir autonome dans son utilisation à moins qu’ils ne le rejettent. Comme la vicariance, l’efficacité des processus d’étayage est fonction de la proximité de celui qui apprend par rapport à celui qui sait même si cette proximité n’est pas strictement
requise. D’ailleurs, les travaux de Bruner portent essentiellement sur l’acquisition du langage par les enfants dans l’interaction avec les parents et plus spécifiquement avec leurs parents. Les étayages qu’il analyse sont en conséquence ceux que les adultes accordent aux jeunes. Dans le cas des technologies numériques, on observe l’importance des étayages entre jeunes de même âge, au sein de groupes de pairs mais on sait aussi l’importance de l’aide apportée par les jeunes à l’égard de leurs aînés : aide apportée aux parents, aide des élèves assez fréquemment signalée par les enseignants. On assiste là à une sorte de retournement de l’étayage tel qu’il est décrit par la psychologie socioconstructiviste et qui explore toutes les voies par lesquelles les apprentissages enfantins s’inscrivent dans des processus d’héritage de leurs aînés. Ici, l’étayage est assez massivement celui que les plus jeunes accordent à leurs aînés, ce qui pose la question du rôle des adultes et de l’École quant