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La « fracture numérique » comme problématique d’application

PARTIE II  : Culture et instrumentation numérique

Chapitre 1  ‐ Les interactions entre culture et médiation

1.2  La « fracture numérique » comme problématique d’application

1.2 La « fracture numérique » comme problématique d’application 

La problématique de la fracture numérique fait l’objet de différentes définitions. Elle est à la  fois  ancrée  dans  des  préoccupations  d’ordre  social  et  des  questionnements  propres  aux  caractéristiques  des  technologies  numériques.  Elle  en  est  même  emblématique  et  elle  constitue  à  ce  titre  un  thème  propice  pour  une  première  mise  à  l’épreuve  de  la  médiation  instrumentale des interactions entre technologies numériques et culture.  

1.2.1 Une lecture sémiologique et rhétorique du concept de fracture 

numérique 

La  fracture  numérique  francophone  se  fait  « brecha  digital »  en  Espagne  et  dans  les  pays  hispanophones alors qu’elle est « digital divide » pour les Anglo‐saxons. En revanche, elle est  « inclusão  digital »  au  Portugal  et  dans  les  pays  lusophones.  Les  mots  disent  beaucoup,  surtout  dans  leurs  usages  métaphoriques,  pour  véhiculer  concepts  et  idéologies.  Bruno  Ollivier  (qui  ne  se  réfère  qu’aux  trois  premières  variantes  linguistiques)  s’interroge  aussi  sur  la  valeur  rhétorique  de  l’expression.  Il  formule  l’hypothèse  qu’érigée  au  niveau  de  concept,  la  fracture  numérique  nous  contraint 

« à  adopter  les  positions  de  certains  des 

acteurs  du  débat,  sans  même  [nous]  demander  quelles  implications  ce  slogan  porte  avec 

lui »

  (Ollivier,  2006,  p.33).  Selon  ce  point  de  vue,  la  fracture  numérique  renvoie  aux  deux 

temps  d’une  division  que  les  technologies  numériques  auraient  opérée  et  qu’il  faudrait  réduire. La terminologie française est à cet égard plus évocatrice de la dimension humaine  de  cette  question  que  les  autres  en  ce  qu’elle  procède  d’une  métaphore  biologique49.  La  fracture suppose un état antérieur dans lequel la fracture n’existe pas, puis la fracture elle‐ même  et  suggère  le  temps  ultérieur  de  sa  réduction.  On  notera  que  l’acception  lusophone  envisage la même problématique d’une toute autre façon, en substituant une dynamique (un  mouvement),  celle  de  l’inclusion  à  une  procédure,  celle  de  la  réparation  (réduction  de  la  fracture ou comblement de la brèche). Comme Bruno Ollivier en fait l’hypothèse, la grande  popularité  de  l’expression  la  rend  performative.  On  en  parle  beaucoup  et  donc,  non  seulement elle existe mais elle est affectée d’un caractère de gravité emprunté à celle de la  fracture. Il va alors de soi qu’il s’agit d’un mal qu’il convient de combattre.  

Tous  ces  mots  qui  expriment  la  division  (fracture,  brecha,  divide)  supposent  l’existence  d’une  ligne  de  séparation,  dont  on  peut  se  demander  si  elle  marque  d’abord  le  seuil  d’acculturation numérique d’un individu ou bien si elle a pour vocation de différencier les  individus eux‐mêmes. En ce sens, la fracture numérique ne peut être que sociale. Une étude  historique  du  concept,  notamment  au  travers  des  publications  annuelles  de  l’OCDE  citées  dans  la  première  partie  (OCDE,  2002,  p.12 ;  OCDE,  2004,  p.8)  montre  que  la  fracture  est 

      

 

49 C’est dire la force du rapport de l’homme aux technologies que l’on retrouve aussi dans les origines anthropologiques de  la conceptualisation saint‐simonienne du réseau en référence à la circulation sanguine. 

d’abord considérée dans son aspect technique et matériel, la ligne de partage séparant les  pays (dimension anthropologique) ou les groupes sociaux (dimensions sociologiques) selon  leur niveau d’équipement. Comme le montre la figure n°5, la radiographie de cette fracture  là  se  superpose  assez  bien  avec  celle  que  l’on  obtient  en  cartographiant  les  indicateurs  classiques  du  développement  (PIB,  ratios  démographiques  …  ),  surtout  si  la  référence  territoriale représentée est le pays. On observe tout de même des différences qui mettent en  évidence les stratégies de pays qui misent sur les technologies numériques.       Figure n° 5 : Distribution mondiale du nombre d’internautes en 2009 (en haut)   et du PIB par habitant 2008 (en bas), source wikipedia   Ce type de représentation cartographique a pour effet d’en écraser la dimension sociale. Les  cartographies  prenant  en  considération  des  indicateurs  sociaux  montrent,  elles,  d’importantes  disparités  d’équipement.  On  observe  des  dynamiques  de  déploiement  qui  rappellent  plus  celles  du  téléphone  que  de  la  télévision.  Les  infrastructures  de  réseau  commuté  sur  lesquelles  se  fonde  essentiellement  aujourd’hui  internet  (celles  de  la  téléphonie)  sont  davantage  soumises  aux  contraintes  de  politiques  territoriales  en  raison  des  multiples  équipements  installés  localement  (câblages,  relais  …  ).  La  pénétration  de  la  télévision  a  suivi  une  autre  logique  par  l’absence  d’équipements  technologiques  intermédiaires  entre  les  principaux  émetteurs  et  les  terminaux  de  réception.  Le  développement  des  infrastructures  de  communication  en  réseau  suit  donc  une  logique  sociale  qui  est  avant  tout  celle  de  l’économie :  irriguer  en  priorité  les  zones  solvables  et  productives.  Dans  nos  sociétés  dites  occidentales,  l’équipement  débute  ainsi  par  le  bureau  du  cadre  citadin  pour  se  retrouver  dans  les  chambres  de  tous  les  enfants  ou  presque.  Les  mêmes  indicateurs  appliqués  à  des  contextes  sociétaux  différents  peuvent  se  révéler  trompeurs.  Les  coutumes  de  partage  familial  ou  de  voisinage  par  exemple  ou  les  modes  d’utilisation de biens collectifs publics ou non comme les cybercafés peuvent troubler notre 

compréhension  de  la  question  de  disponibilité  des  accès.  La  fracture  peut  donc  aussi  être  celle des points de vue, quand bien même seraient‐ils forgés avec des données objectives.   Aujourd’hui,  la  « fracture  numérique »,  se  mesure  moins  aujourd’hui  en  termes  d’équipements que d’usage, du moins dans les pays les plus riches. Elle se décline selon des  variables de clivage relatives aux catégories socioprofessionnelles mais aussi d’âge. Comme  le  montre  Cédric  Fluckiger  (2007)  dans  son  étude  doctorale  sur  l’appropriation  des  technologies  numériques  par  les  adolescents,  la  fracture  numérique  ne  se  limite  pas  à  distinguer les utilisateurs des technologies numériques de ceux qui ne les utilisent pas. Elle  se traduit surtout par une diversification des modes d’usage, des compétences et finalement,  des usages.  

1.2.2 Les modèles linéaires en strates 

Voilà plusieurs années que l’OCDE ne reconnaît plus l’équipement comme seul indicateur de  la fracture numérique, sans doute en raison de l’affaiblissement de son pouvoir discriminant  pour  une  organisation  constituée  de  pays  « développés ».  Elle  fait  reposer  ces  analyses  sur  une série d’indicateurs qui marquent des étapes dans l’accès au numérique, comme d’autres  indicateurs  jalonnent  pour  la  plupart  des  institutions  internationales  le  parcours  des  pays  vers le « développement ». D’une certaine façon, ce nouveau choix d’indicateurs reconnaît la  prévalence  de  la  valeur  d’usage  des  technologies  (Cerisier  &  Marchessou,  2001).  Ironie  amère, ce changement fait naître la crainte que les populations non connectées résiduelles,  invisibles  des  statistiques  et  sans  grand  intérêt  pour  l’économie  du  numérique,  ne  soient  oubliées  des  programmes  d’équipement,  abandonnées  au  bord  des  « autoroutes  de  l’information ».  C’est  la  crainte  exprimée  par  Roxana  Morduchowicz  (2009),  après  analyse  des  données  de  l’enquête  qu’elle  a  réalisé  en  2007  en  Argentine  sur  le  modèle  de  l’étude  européenne Mediappro (Bevort & Breda, 2006) et déjà signalée dans la partie précédente.  Quand  les  conclusions  européennes  de  l’enquête  centrent  la  problématique  de  la  fracture  numérique  sur  les  usages,  Roxana  Morduchowicz  montre  combien  la  question  des  équipements reste entière pour des pays comme le sien dont l’indice de développement est  pourtant très élevé. C’est la problématique de l’accès universel à internet qui est posée. Cette  question  est  à  l’origine  de  l’initiative  du  Président  sénégalais  Abdoulaye  Wade  en  2003  lorsqu’il  a  proposé  la  création  du  « Fond  mondial  de  Solidarité  Numérique »  (FSN)  à  l’occasion de la première phase du Sommet mondial sur la société de l’information (Sagna,  2006).  L’expérience  de  la  téléphonie,  encore  une  fois,  est  éclairante  pour  en  imaginer  les  perspectives  à  court  et  moyen  termes.  Reconnu  comme  un  droit  pour  tous  par  l’Union  Internationale des Télécommunications (UIT), l’accès téléphonique universel se décline sur  le terrain en fonction des réalités sociotechniques. Comme le rappelle Olivier Sagna (ibidem,  p.16), cela varie en ce qui concerne l’Afrique, de l’objectif de rendre disponible un téléphone  pour  500  habitants  au  Ghana,  dans  un  rayon  de  5  kilomètres  au  Sénégal  et  à  moins  de  30  minutes de marche en Afrique du sud.  

 

Illustration n° 8 : Anamorphose relative à l’impact du TGV sur les temps de déplacement, source Reuters  (carte réalisée avant l’ouverture de la ligne du TGV est) 

Les  infrastructures  de  communication  provoquent  des  anamorphoses  dont  les  conséquences  socioéconomiques  sont  importantes.  Ainsi  évoque‐t‐on  par  exemple  le  désenclavement  d’un  territoire  lors  de  son  raccordement  routier  ou  ferroviaire.  C’est  un  exemple, nous y reviendrons, du fait que les technologies de communication instrumentent  notre  rapport  à  l’espace  et  au  temps.  L’illustration  n°8  montre  l’impact  de  la  mise  en  services des lignes de Train à Grande Vitesse (TGV) sur les temps de circulation en France.  Elle  rend  compte,  en  creux,  de  la  façon  dont  les  décisions  politiques  relatives  au  développement des infrastructures de communication, ferroviaires en l’occurrence, influent  ou  souhaitent  influer  sur  le  développement  socioéconomique  des  territoires.  Les  géographes, spécialistes des questions de développement territorial montrent qu’il n’existe  pas de relation causale entre le développement des infrastructures de communication et le  développement économique. Ainsi, Pascal Bérion et al. (2007, p. 660) précisent‐ils, à partir  de différents travaux économétriques que « l’invalidation […] du concept d’effets structurants  positifs  et  automatiques  des  infrastructures  sur  le  développement  économique  est  fondatrice  des  recherches  développées  depuis,  notamment  en  France,  à  l’égard  des  autoroutes  et  des  lignes  ferroviaires  à  grande  vitesse ».  Il  est  possible  que  l’économie  du  numérique  soit  différente  à  cet  égard.  La  délocalisation  de  nombreux  téléservices  francophones  dans  les 

pays du Maghreb en témoigne (Essadki, 2006). Choisir le pays d’installation d’un hub majeur  ou décider du positionnement d’un satellite joue un rôle considérable sur l’accessibilité des  technologies. Ces choix qui se jouent souvent au niveau macroscopique dans une logique de  maillage  régional  du  monde  opèrent  aussi  de  profondes  distorsions  locales  quand  les  liaisons  locales  sont  défaillantes  et  accroissent  la  connectivité  des  centres  sans  augmenter  celle de la périphérie. C’est ainsi par exemple, que le ciel africain est pratiquement dépourvu  de  satellites  de  communication.  Il  ne  représente  pas  un  investissement  suffisamment  rentable aujourd’hui. 

Le  modèle  de  la  fracture  numérique  auquel  se  réfèrent  beaucoup  d’institutions  internationales comporte trois strates : la première, déjà évoquée, est celle de l’accessibilité  technique. La deuxième est relative aux compétences de mises en œuvre des technologies.  Elle repose sur des compétences de différents niveaux, des compétences opératoires de bas  niveau aux compétences intermédiaires de la maîtrise des codes et langages à celles de haut  niveau  relatives  aux  opérations  de  planification  et  de  stratégies  (Cerisier,  Rizza,  Devauchelle, & Nguyen, 2008). La maîtrise de l’ensemble des trois niveaux de compétences  est requise pour une utilisation finalisée des technologies. Autrement dit, leur mobilisation  coordonnée est nécessaire pour parvenir à satisfaire les objectifs que l’on s’est assigné. La  distribution  de  ces  compétences,  nous  y  reviendrons,  répond  à  des  déterminants  sociaux  d’âge  et  des  déterminants  socioculturels.  Le  rôle  de  l’École  dans  l’acquisition  de  ces  compétences se détermine en fonction du projet que chaque société attribue à son système  éducatif.  Le  dispositif  mis  en  place  en  France,  aujourd’hui  déployé  de  l’école  primaire  à  l’Université,  contribue  peu  à  la  réduction  des  inégalités  d’origines  socioculturelles.  Rappelons  qu’il  s’agit  de  certifier  les  compétences  construites  par  les  élèves  au  travers  du  Brevet  Informatique  et  Internet  (B2i)  à  l’école  (B2i  école),  au  collège  (B2i  collège)  et  au  lycée  (B2i  lycée).  À  l’université,  le  dispositif  s’intitule  Certificat  Informatique  et  Internet  (C2i)  et  comporte  deux  niveaux.  Dans  l’enseignement  scolaire  (hors  l’université),  le  dispositif  repose  sur  la  validation  de  compétences  figurant  dans  un  référentiel  national.  Suivant les instructions officielles, les compétences peuvent être validées par l’ensemble des  enseignants des établissements scolaires à la demande des élèves. Les compétences ne font  pas  l’objet  d’activités  d’apprentissage  spécifiques  mais  elles  sont  mises  en  œuvre  à  l’occasion  des  diverses  activités  réalisées  en  classe50.  Depuis  2006,  nous  conduisons  une  étude  longitudinale  de  la  validation  des  compétences  du  référentiel  B2i  des  élèves  des  collèges  de  l’Académie  de  Poitiers.  Nous  avons  pu  montrer  que  certaines  compétences  n’étaient  pratiquement  jamais  validées.  C’est  notamment  le  cas  des  compétences  relatives  au traitement numérique des données, à la modélisation numérique et à la simulation. Nous  formulons l’hypothèse que ces compétences ne s’acquièrent pas seulement par l’expérience 

      

 

50 Pour une présentation plus détaillée du dispositif, on pourra se reporter à l’article Training young people in the use of  digital media: the highs and lows of establishing the Information Technology and Internet  Proficiency  Certificate (B2i) in  France (Cerisier, Rizza, Devauchelle, & Nguyen, 2008) 

mais qu’elles exigent l’organisation d’activités d’apprentissage spécifiques. Nous avons aussi  observé  que  le  nombre  des  compétences  validées  par  élève  dépendait  des  établissements  scolaires  fréquentés.  Si  l’on  excepte  « l’effet  établissement »,  c’est‐à‐dire  le  résultat  de  la  politique  pédagogique  conduite  dans  chaque  Établissement  Public  Local  d’Enseignement  (EPLE),  on  observe  une  dépendance  du  nombre  de  compétences  validées  aux  caractéristiques socioculturelles des bassins de recrutement des établissements. Autrement  dit,  les  élèves  issus  des  catégories  socioprofessionnelles  (CSP)  les  plus  aisées  (CSP+)  disposent, selon les données relatives au B2i de plus de compétences que ceux issus des CSP  défavorisées (CSP‐). L’interprétation de ces données repose sur la nature certificative plus  que formatrice du B2i. Bruno Devauchelle avait montré dès les premières années de la mise  en  œuvre  du  B2i  que  les  compétences  validées  par  l’institution  scolaire  étaient  pour  l’essentiel  construites  hors  l’École.  Notre  suivi  longitudinal  ajoute  à  cette  analyse  que  l’inégalité des milieux sociaux des élèves se répercute en termes de compétences de maîtrise  des  technologies  numériques.  Autrement  dit,  le  dispositif  mis  en  place  par  l’institution  scolaire  est  égalitaire  mais  inéquitable.  Égalitaire  car  il  propose  à  tous  les  élèves  le  même  dispositif de validation des compétences même si toutes les collectivités territoriales ne sont  pas en mesure ou ne font pas le choix d’équiper les EPLE de la même façon. Inéquitable car  le dispositif ne contribue pas à réduire la fracture numérique.  

La question relative aux compétences doit être élargie à l’ensemble des capacités humaines,  englobant  les  questions  liées  au  handicap.  C’est  cette  acception  de  l’accessibilité  qui  fait  aujourd’hui  l’objet  de  normes  dédiées,  notamment  au  travers  du  consortium  World  Wide  Web Consortium (W3C). Elle fait en France l’objet d’un encadrement légal au travers de la  loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes  handicapées.  Elle  stipule  notamment  dans  son  article  n°47  que  « Les  services  de  communication  publique  en  ligne  des  services  de  l'Etat,  des  collectivités  territoriales  et  des  établissements  publics  qui  en  dépendent  doivent  être  accessibles  aux  personnes 

handicapées »51

Reste une dernière strate qui est culturelle, c’est‐à‐dire celle de l’inscription socioculturelle  des  usages  que  l’on  fait  ou  non  des  technologies.  Le  thème  déjà  évoqué  des  usages  des  réseaux  sociaux  en  est  une  illustration.  Il  souligne  que  cette  inscription  culturelle  diffère  selon  les  âges,  selon  les  milieux  sociaux  mais  aussi  selon  les  cultures  au  sens  le  plus  générique de l’anthropologie. Il montre que jouent là tous les processus d’appropriation, des  réinterprétations de Margaret Mead au braconnage de Michel de Certeau.  

      

 

51 Source : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000809647&dateTexte= (document  consulté le 5 juin 2011) 

Dans  le  foisonnement  déjà  signalé  des  travaux  théoriques  et  empiriques  sur  la  problématique  de  la  fracture  numérique,  le  modèle  de  Peters  (2003)  présenté  par  Sagna  (2006) complète le modèle standard.  Modèle standard  modèle de Peters  Accessibilité matérielle  Disponibilité  Accessibilité cognitive  Accessibilité    Abordabilité  Accessibilité culturelle  Adaptabilité  Figure n° 6 : Dimensions de la fracture numérique selon les modèles en strates 

Ce  modèle  distingue  la  problématique  des  infrastructures  de  celles  des  équipements  terminaux.  Il  pose  ainsi  la  question  économique  d’une  autre  façon  en  la  renvoyant  pour  partie  au  pouvoir  d’achat  individuel.  Il  permet  de  mettre  en  évidence  la  problématique  de  l’articulation  du  local  et  du  global.  Pour  en  rendre  compte,  il  ajoute  une  quatrième  strate,  « l’abordabilité ». Il décrit par ailleurs la dimension culturelle des usages comme répondant  aux processus d’adaptabilité de l’offre à la demande ou au besoin. 

Ces modèles en strates, quel que soit le nombre de strates qui les compose, sont linéaires. En  ce  sens,  ils  se  conforment  aux  modèles  traditionnels  mais  dépassés  de  la  diffusion  de  l’innovation  (la  technologie  crée  le  besoin,  donc  l’usage).  Ils  traduisent  également  une  conception du développement fondée sur l’idée libérale qui explique la situation des pays du  sud par un « retard » de développement, suivant la logique selon laquelle ce qui est bon pour  les  pays  du  Nord  le  sera  pour  les  pays  du  Sud.  De  ce  fait,  ils  sont  à  la  fois  porteurs  d’une  conception à la fois essentialiste et diffusionniste de la culture numérique selon laquelle il  existerait une culture numérique unique qu’il conviendrait d’installer partout. Dans un texte  qui  retrace  les  théories  et  les  stratégies  du  développement  depuis  1960,  Louis  Favreau  (2004,  p.  3)  indique  que  cette  conception  du  développement  reste  prégnante  dans  les  politiques  de  coopération  internationale  même  si  elles  sont  réfutées,  notamment  par  la  plupart des organisations non gouvernementales agissant dans ce domaine.  

1.2.3 Analyse de la fracture numérique avec la matrice M(T*C) 

Les  modèles  en  strates  révèlent  essentiellement  la  dimension  socioéconomique  de  la  fracture numérique. Dans une moindre mesure, ils en pointent la dimension cognitive (sous  l’angle  des  compétences  requises)  mais  la  subordonne  entièrement  à  la  résolution  des  problèmes premiers d’accès matériels aux équipements. De plus cette approche induit une  représentation binaire de la fracture numérique en distinguant les usagers des technologies  numériques  des  non  usagers.  Elle  est  impuissante  à  considérer  la  fracture  numérique  en  termes de différenciation des usages qui nécessiterait une prise en compte des dimensions  socioculturelles et anthropologiques. L’application à cette problématique de la matrice 

de 

la  médiation  instrumentale  des  interactions  entre  technologies  numériques  et  culture 

vise à introduire ces dimensions dans l’analyse.  

Il est possible de soumettre cette question à l’application systématique des 30 cellules de la  matrice.  Nous  avons  choisi  de  dresser  un  tableau  plus  pointilliste  en  ne  retenant  que  certaines  cellules  en  raison  de  leurs  apports  spécifiques  à  la  problématique  de  la  culture  numérique.  Ce  choix  limite  aussi  l’ampleur  du  travail  d’analyse  pour  des  raisons  de  faisabilité. Il permet de rendre compte de l’opérationnalité de la matrice M(T*C) sans pour  autant  traiter  toutes  les  pistes  d’analyse  ouvertes.  Celles‐ci  nécessiteraient  des  recherches  complémentaires et approfondies qui n’ont pas leur place dans ce document. 

Cellule A5 (Système de communication * Registre réflexif) 

   

M(T*C) 

m io co gn it if   Sen so ri m o teu Pr ax éo lo gi q u e   Rel at io n n el   Réf lex if  

Culture de l’individu  A1  A2  A3  A4  A5 

Patrimoine culturel  B1  B2  B3  B4  B5  Image du monde  C1  C2  C3  C4  C5  Patterns culturels  D1  D2  D3  D4  D5  Acquis  E1  E2  E3  E4  E5  Système de communication  F1  F2  F3  F4  F5 

 

La cellule A5 matérialise la façon dont la médiation réflexive opérée par l’instrumentation  numérique  interagit  avec  la  culture  de  l’individu,  et  notamment  son  capital  culturel  incorporé. Toutes les cellules de rang A rendent compte d’une modification de la culture de  l’individu. Toute pratique instrumentale retourne au sujet des informations sur lui‐même et  l’impact du processus est d’autant plus grand qu’il s’agit de technologies de communication.  L’usage  de  la  hache  vous  renseigne  sur  la  résistance  et  la  dureté  de  l’arbre  que  vous  avez  entrepris  d’abattre,  sur  les  qualités  de  l’instrument  que  vous  tenez  entre  vos  mains  mais  aussi  sur  votre  habileté,  votre  force  et  votre  persévérance,  soit  sur  tous  les  éléments  du  système  au  sein  duquel  la  hache  est  l’instrument  de  la  médiation.  La  pratique  des  technologies  numériques  retourne  de  la  même  façon  des  informations  sur  l’objet,  sur  l’instrument et sur soi (le sujet). Non seulement cette dimension « méta » fonctionne dans la  synchronie de l’action (effet retour de l’action comme la perception de sa force dans le cas  de  la  hache)  mais  elle  est  amplifiée  à  la  fois  par  la  persistance  des  traces  laissées  et  par  l’ampleur  que  leur  donne  une  visibilité  souvent  collective.  La  conscience  de  soi  (celle  que  l’on  a  de  soi  comme  celle  que  les  autres  en  ont,  l’une  et  l’autre  interagissant)  est  ainsi  nécessairement  distincte  selon  le  côté  de  la  fracture  numérique  où  l’on  se  situe.  La  fréquentation des technologies numériques donne à ses usagers, la sensation de faire partie  du  monde  de  la  culture  numérique.  C’est  la  fonction  inclusive  qui  produit  un  sentiment