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Chapitre 2 L’incertitude inhérente à l’information géographique et ses impacts

2.3 Certains impacts découlant de l’incertitude

2.3.2 Une analyse et une prise de décision hasardeuses

Les systèmes d’information géographique sont utilisés avant tout pour résoudre des problèmes géographiques [Longley, Goodchild, Maguire et Rhind, 2001]. La résolution de problèmes ou la prise de décision par les individus est reconnue pour être davantage un exercice irrationnel [Dab, 1993] et subjectif [Zhang et Goodchild, 2002]. Le processus construction/résolution de problème demande des capacités cognitives qui ne sont pas toujours présentes chez l’individu [Ngo-Mai et Rochhia, 2001].

Il est admis que l’incertitude dans les données géographiques mène à une incertitude dans les résultats des analyses subséquentes [Longley, Goodchild, Maguire et Rhind, 2001]. Les erreurs dans les données peuvent s’accumuler très rapidement dans un court intervalle de temps et dégrader la fiabilité des résultats [Edwards et collab., 1998]. L’éventail des applications mettant à profit les systèmes d’information géographique n’est plus à démontrer mais ces systèmes ne détectent pas et ne gèrent pas l’incertitude [Glemser, Fritsch, Klein et Strunz, 2000]. Lorsque connectés à des jeux de données géographiques, les systèmes peuvent émettre des avertissements sur des questions techniques mais ils ne sont pas conçus pour produire de tels avertissements en rapport avec la qualité du produit ou en rapport avec les fonctions ou manipulations envisagées. Les systèmes ne sont donc dotés d’aucun mécanisme formel visant à freiner la confiance du public. La prise de décision peut alors apparaître aisée et fondée mais les résultats des

opérations effectuées peuvent être peu significatifs ou même dangereux207 [Zhang et

207 La cause Rudko c. Canada [1983, A.C.F. no 915 CF] en constitue un exemple probant. Des skieurs de randonnée dans un parc national furent incapable de se repérer et se retrouvèrent dans l’impossibilité de revenir à leur point de départ. Une personne perdit la vie par hypothermie alors qu’une autre a dû subir des amputations après de sévères engelures. Une dichotomie entre les informations apparaissant sur la carte et la configuration réelle des lieux provoqua cette confusion. Au moment du départ de la randonnée, la préposée aux renseignements avait dessiné à la main sur la carte une piste existante sur le terrain mais non indiquée sur la carte. Elle suggéra aux randonneurs de s’engager sur cette piste de façon à pouvoir jouir d’une excursion d’une durée raisonnable selon le vœu de ses clients. Il ne fut question d’aucune autre piste dans ce secteur. Toutefois, la réalité fut tout autre et les skieurs, une fois sur les lieux, durent choisir entre plusieurs pistes. Par malheur, leur choix ne fut pas adéquat et ils s’aventurèrent sur une mauvaise piste. Malgré l’incomplétude de la carte et les renseignements erronés fournis par la préposée au départ, le tribunal ne considéra pas que la carte était la causa causans des dommages. Les randonneurs avaient, selon le tribunal, commis de nombreuses autres erreurs de jugement.

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Goodchild, 2002] et demeureront (ou devraient demeurer) d’un usage restreint [Lunetta et collab., 1991].

Dans l’éventualité où l’usager ne serait pas enclin à accorder d’office toute sa confiance dans les données transmises, la prise de décision devient beaucoup moins limpide, heureusement d’ailleurs. Toutefois, le preneur de décision risque d’être confronté soit à un produit final, soit à des données statistiques ou soit à d’autres résultats sans pouvoir compter sur les informations nécessaires pour évaluer adéquatement la qualité des données ou le niveau de confiance qu’il devrait y accorder [Lunetta et collab., 1991]. Et même si des informations sont transmises au sein des différents rapports sur la qualité des données, lors de l’utilisation quotidienne, les cartes numériques sont souvent séparées des informations sur la qualité transmises verbalement ou par écrit [Van del Wel, Hootsman et Ormeling, 1994, cité par Evans, 1997], sans compter sur leur nature parfois trompeuse. La qualité des données demeure alors douteuse ou inconnue et la prise de décision devient plus ardue [Loshin, 2001].

Des données incertaines ou de qualité douteuse risquent de provoquer une insatisfaction chez le consommateur, une diminution de la productivité et parfois même, la volonté de procéder à une nouvelle collecte de données amenant du même coup une redondance et une hausse des coûts [Loshin, 2001]. Lorsqu’une incertitude subsiste, il peut se produire un délai indu pour prendre une décision [Byrom et Pascoe, 2000]. Dans certaines situations, un tel délai peut devenir juridiquement déraisonnable208.

208 Par exemple, dans la cause Bayus c. Coquitlam (City) [1993, B.C.J. No. 1751 BCSC], le tribunal considéra déraisonnable le délai encouru par les pompiers répondant à un appel d’incendie. Les cartes utilisées étant incomplètes, la conduite de la ville fut considérée comme négligente. L’accès à la maison située dans un cul de sac était mal indiqué faisant en sorte que les pompiers arrivèrent par la mauvaise direction pour entrer dans le cul de sac. De plus, certaines bornes fontaines étaient mal positionnées ce qui augmenta encore le délai avant le début du combat contre l’incendie. Dans une autre cause similaire, Bell c. Winnipeg (City) [1993, M.J. No. 256 ManQB], il se produisit un délai déraisonnable après l’appel d’incendie. La maison en feu n’était pas érigée en bordure d’un chemin public mais plutôt en bordure d’un chemin secondaire sur lequel le propriétaire jouissait d’un droit de passage. Or, les routes sans noms, les routes privées et les droits de passage n’apparaissaient pas sur les cartes ainsi qu’au sein du système d’information géographique utilisé par le répartiteur. Il se produisit donc une certaine confusion qui amena le répartiteur à transférer l’appel à la municipalité voisine croyant que la maison en proie des flammes ne se situait pas à l’intérieur des limites de sa municipalité. Lorsqu’ils arrivèrent à proximité des lieux, les pompiers constatèrent que l’incendie se trouvait en dehors des limites de leur municipalité et retournèrent un appel au répartiteur pour lui signifier que l’incendie se déroulait véritablement au sein de sa

Lorsqu’une décision implique un attribut d’un objet ou d’un phénomène, elle est dite non spatiale (aspatial). Si la décision implique une référence spatiale, elle est dite spatiale (spatial) [Cornélis et Brunet, 2002]. Dans le cas d’une décision non spatiale, la mesure de l’incertitude est souvent exprimée par des nombres ou sous forme de probabilités comme par exemple le degré de véracité d’un attribut [Glemser, Fritsch, Klein et Strunz, 2000]. Toutefois, il existe de nombreuses situations où une évaluation numérique de l’incertitude est irréaliste [Krause, Fox, Judson et Mukesh, 1998]. De plus, une telle valeur permet difficilement à l’usager d’évaluer la valeur des résultats issus de ses analyses.

Dans le cas des décisions spatiales, une mesure de l’incertitude consiste souvent à transmettre le degré de précision quant à la position de l’objet ou du phénomène représenté. Or, une grande précision (Ex. : 1 cm) ne garantie pas pour autant l’exactitude d’une position. Par exemple, pour la fixation de la limite de propriété entre un cours d’eau et une propriété riveraine, même si le levé sur le terrain permet une telle précision, l’interprétation par l’analyste pourrait être, elle, sujette à un biais supérieur à dix mètres (10 m) en certaines circonstances.

L’échelle de la carte constitue aussi une source de confusion lors de la prise de décision. Dans le cas des cartes sur support papier, la notion d’échelle ne causait pas trop de problèmes et était relativement facile à comprendre. Le ratio exprimé (Ex. : 1 : 10000) permettait à l’usager de connaître le facteur applicable pour reporter dans la réalité les détails apparaissant sur la carte. Dans le cas des bases de données numériques, la notion

municipalité. Malgré le délai déraisonnable engendré, le tribunal déclina la responsabilité de la municipalité sous le motif que le citoyen avait transmis, comme étant son adresse, son numéro de lot cadastral et un point de repère, soit la présence d’une tour de radio à proximité de sa maison. Or, aucune de ses informations ne se trouvait sur les cartes et dans les ordinateurs du répartiteur, celui-ci ne pouvant se référer qu’à des adresses ou à des intersections de rues. Au Québec, des problèmes similaires ont été soulevés récemment dans la Ville de La Tuque où les ambulances et les pompiers seraient souvent dirigés au mauvais endroit. Les autorités conseillent aux citoyens qui appellent le service d’urgence 9-1-1 d’être très précis dans leurs indications de façon à contourner l’absence de connaissance du territoire par les répartiteurs parfois basés ailleurs que dans la ville en cause [Source : Le Nouvelliste, édition du 2 juillet 2003]. La ville de Shawinigan a aussi connu des problèmes d’incomplétude des cartes servant à diriger les services d’urgence [Source : Le Nouvelliste, 21 janvier 2003].

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d’échelle devient beaucoup plus complexe et trompeuse. La valeur de l’échelle devenant inutile dans l’univers numérique, il a alors fallu créer des conventions permettant d’associer une précision planimétrique à une valeur d’échelle. Par exemple, il peut être décidé qu’une carte numérique réputée être à une échelle de 1 : 20 000 possède une précision planimétrique de six mètres (6m). Toutefois, les conventions existent en nombre et diffèrent entre elles. L’usager peut donc effectuer des opérations de mesure coutumières mais rattachées cette fois à un système de conventions complexe, difficile à apprendre et à comprendre particulièrement lorsqu’il est novice [Longley, Goodchild, Maguire et Rhind, 2001]. L’absence d’uniformité dans les normes de production est propice à alimenter la confusion.