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Chapitre 2 L’incertitude inhérente à l’information géographique et ses impacts

2.4 Stratégies de gestion de l’incertitude

Selon Bédard [1986], il n’existe que trois stratégies possibles en regard de l’incertitude présente au sein des données géographiques. La première consiste à laisser la totalité de l’incertitude au sein des données et l’incertitude sur le partage des risques.

La deuxième consiste à réduire214 l’incertitude à l’aide de méthodes appropriées.

Finalement, la troisième et dernière stratégie vise à absorber215 partiellement ou

totalement l’incertitude.

La première stratégie, soit transmettre les données sans autres indications ou traitements à l’égard de l’incertitude, constitue la solution la plus risquée ou la plus dangereuse notamment dans un contexte où des usagers profanes peuvent y être confrontés sans en saisir les tenants et aboutissants (Ex. : responsabilité civile). Au plan juridique, la réceptivité d’une telle pratique apparaît d’ores et déjà comme étant une stratégie de gestion fort hasardeuse.

En regard de la deuxième stratégie, soit la réduction de l’incertitude, de nombreuses recherches scientifiques ont été menées depuis plusieurs années avec l’objectif ultime de mesure ou de réduction de l’incertitude. Plusieurs des méthodes proposées, généralement de nature technique [Agumya et Hunter, 2002], reposent sur une

approche probabiliste216, le raisonnement logique217, le développement de systèmes

214 La réduction de l’incertitude (chaque catégorie d’incertitude peut être réduite), est possible dans la mesure où des méthodes fiables existent pouvant permettre à un utilisateur de procéder à une certaine évaluation du degré d’incertitude présent au sein de l’information géographique [Bédard, 1986b].

215 Elle se produit lorsque le producteur (le concepteur du modèle) garantit le modèle de la réalité et compense les usagers pour les dommages causés par des données de mauvaise qualité. Elle se produit aussi lorsque des modèles non-garantis sont utilisés et que la compensation offerte en regard de l’utilisation d’un modèle garanti est incomplète. Dans ce cas, l’usager, et non le producteur, absorbe l’incertitude. À partir du moment où l’usager (ou le producteur) décide d’absorber l’incertitude résiduelle, le modèle de la réalité devient artificiellement vrai, c’est-à-dire que l’usager le considère ou peut le considérer désormais comme étant vrai. Contrairement à la réduction de l’incertitude qui est un choix technique, l’absorption de l’incertitude demeure un choix institutionnel [Bédard, 1986b].

216 À ce sujet, voir Edwards et collab. [1998], Dragicevic et Marceau [2000], Glemser, Fritsch, Klein et Strunz [2000]. L’incertitude y est souvent exprimée sous forme d’une valeur numérique. Même pour les problèmes les plus simples, l’incertitude se limite rarement à une probabilité [Smithson, 1989]. La signification ou l’implication d’une statistique (ou les méthodes quantitatives) peut ne pas être comprise par un usager (surtout profane) puisqu’elle requiert des connaissances spécialisées. De plus, les statistiques impliquent que l’erreur soit quantifiable, ce qui est rarement le cas [Hunter et Goodchild, 1996]. Ces

experts, la logique non monotone et la théorie des ensembles flous [Davis et Keller, 1997]. Elles requièrent parfois la révision des procédures de captage voire le captage d’informations additionnelles et procèdent majoritairement par comparaison [Burrough, 1989, Burrough, MacMillan et VanDeursen, 1992, cités par Davis et Keller, 1997]. Toutefois, pour effectuer la comparaison, l’usager doit pouvoir compter sur un deuxième jeu de données (pratiquement inimaginable dans un marché de consommation de masse) et la comparaison s’opère normalement que sur un thème à la fois, rendant le processus fastidieux, même pour un expert.

À l’heure actuelle, les méthodes développées dans le but de mesurer l’incertitude

et de modéliser les erreurs en position demeurent complexes et incomplètes particulièrement quant aux mesures de distances et de superficies [Longley, Goodchild, Maguire et Rhind, 2001] et sont de loin beaucoup trop compliquées pour un usager normal [Zhang et Goodchild, 2002]. Les méthodes connues possèdent une capacité limitée à manipuler l’information incomplète et la modélisation de la propagation des erreurs demeure un exercice laborieux [Arbia, Griffith et Haining, 1998].

D’autres chercheurs ont développé différentes méthodes visant la

communication218 de l’incertitude aux usagers, la communication pouvant être

appréhendée telle une démarche visant la réduction de l’incertitude ou de la méta- incertitude. La modélisation et la communication de l’incertitude à l’usager demeurent pour le moment un défi au sein du monde de la recherche [Zhang et Goodchild, 2002]. Les méthodes appropriées pour transmettre à l’usager le degré d’incertitude associé à un jeu de données particulier sont absentes [Hunter et Goodchild, 1996]. Bref, toutes théories sur l’incertitude sont complexes et difficiles à comprendre pour beaucoup d’usagers [Shi, Goodchild et Fisher, 2002].

valeurs statistiques sont souvent représentatives et valides pour un territoire ou un jeu de données spécifique. Or, comme l’incertitude et les erreurs varient au sein de l’espace représenté [Hunter et Goodchild, 1996], ces valeurs peuvent difficilement guider l’usager dans un secteur particulier plus restreint.

217 À ce sujet, voir les travaux de Worboys [1998a], Worboys [1998b], Krause, Fox, Judson, Mukesh [1998].

Chapitre 2 L’incertitude inhérente à la production et ses impacts 107

La troisième stratégie, l’absorption de l’incertitude, est à géométrie variable. Elle peut être la responsabilité du fournisseur, de l’utilisateur, des deux à la fois (dans une proportion qui reste à déterminer) ou d’une tierce partie. Il s’agit donc d’identifier qui doit absorber l’incertitude résiduelle sur les données ou sur les résultats issus des analyses effectuées à partir des données, bref, d’identifier qui doit prendre le risque relatif à l’utilisation des données.

Pour certains auteurs, les consommateurs devraient connaître et comprendre les limitations inhérentes aux données géographiques [Dangermond, 1995, p. 337] et être en mesure de constater l’impact de l’incertitude sur les résultats obtenus [Glemser, Fritsch, Klein et Strunz, 2000]. Certains y voient un élément crucial pour le développement de l’industrie [Duckham et McCreadie, 2002]. Pour d’autres, cette responsabilité incomberait davantage aux cartographes ou aux producteurs [Evans, 1997]. Ces derniers seraient en meilleure posture pour conseiller le décideur (consommateur) des conséquences d’utiliser un produit particulier [Hunter et Goodchild, 1996].

En fait, cette question constitue le cœur de notre analyse. L’exploration des différentes obligations juridiques sera de nature à identifier qui, entre le producteur et l’utilisateur, doit absorber l’incertitude résiduelle et comment le processus d’absorption doit se réaliser. Elle nous aidera justement à clarifier cette géométrie variable caractérisant le processus d’absorption de l’incertitude en décrivant la nature et l’ampleur des efforts de réduction de l’incertitude devant être entrepris par le producteur avant de transmettre les données aux utilisateurs.