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Chapitre 2 L’incertitude inhérente à l’information géographique et ses impacts

2.2 L’incertitude dans la production de l’information géographique

2.2.1 Incertitude conceptuelle

Selon Bédard [1986b], la description de la réalité permet de connaître ce de quoi

nous parlons. L’incertitude conceptuelle proviendrait de l’impossibilité pour l’être

humain de procéder à une représentation de la réalité de façon parfaite. La réalité ou l’univers est beaucoup trop complexe. L’univers confronte l’humain à une surabondance de signaux perceptibles par les sens et l’oblige invariablement à procéder à un processus

d’abstraction104 ou à une modélisation de la réalité. L’incertitude conceptuelle (ou de 1er

ordre) réfère donc au caractère vague de l’identification de la réalité.

La modélisation de la réalité s’exécuterait au détriment d’une perte plus ou moins prononcée de détails. La modélisation serait affectée par des facteurs internes, c’est-à- dire propres à l’individu, comme par exemple, ses connaissances personnelles, ses émotions, ses intentions, ses valeurs. Elle serait aussi potentiellement gouvernée par différents facteurs externes reliés au contexte particulier dans lequel se trouve l’individu, comme par exemple, le budget alloué ou le temps disponible pour réaliser le travail.

Lorsqu’il se situe en dehors des classes d’objets initialement prévues, tout objet ou phénomène qui se présentera à l’observateur sera automatiquement exclu ou ignoré. Un modèle incomplet est donc un modèle qui ne permet pas de capter tous les objets ou

104 En psychologie, l’abstraction est définie comme étant une « opération cognitive consistant à isoler, au sein d’une représentation, un élément, une qualité ou une relation. » [Tiberghien et collab., 2002, p. 14]. L’abstraction est assimilée à la formation de concept. Les propriétés des objets sont extraites en vue de les utiliser dans le choix de différentes actions ou comme critères de catégorisation dans la description des objets. Une caractéristique importante du processus d’abstraction est que les entités sont dissociées de leur réalité ou de leur contexte dans lequel elles ont été perçues et utilisées. « L’abstraction relève essentiellement d’une idée et peut être évoquée à partir de traits communs à d’autres objets. » [Tiberghien et collab, 2002, p. 14]. Cette approche confirme le caractère subjectif du processus d’abstraction. Ce dernier peut donc s’effectuer de plusieurs façons différentes selon différents besoins.

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phénomènes d’intérêt en fonction des objectifs initiaux ou de l’application prévue. Une telle incomplétude peut d’ailleurs causer de graves préjudices105.

Bref, il est admis que la modélisation de la réalité ou le processus d’abstraction qu’elle sous-tend comporte une part de subjectivité et dépend du contexte. Même dans les meilleures conditions, la même réalité ne serait probablement pas modélisée de la même façon par différentes personnes ou par la même personne à des moments différents [Bédard, 1986b].

Deux facteurs fondamentaux ont un effet direct sur la précision d’un modèle, soit

l’étendue et la résolution (ou la granularité) [Worboys, 1998b]. L’étendue d’un modèle

concerne entre autres les aspects sémantiques. À tout modèle est associé un certain vocabulaire permettant d’identifier une collection d’objets ou de phénomènes. Le vocabulaire, normalement issu du langage naturel, insère de l’incertitude compte tenu de l’imprécision dans la définition de certains thèmes utilisés pour décrire les entités et leurs attributs. « L’usage d’un mot, même conforme à la définition qu’en donne le dictionnaire,

comporte un halo de signification supplémentaire plus ou moins important, et qui varie avec chaque individu » [Quine, 1978, cité par Gagnon et Hébert, 2000, p. 275].

L’étendue d’un modèle peut être aussi appréhendée d’un point de vue spatial, c’est-à-dire en fonction des frontières d’un territoire. Ainsi, tous les objets ou phénomènes localisés à l’extérieur des frontières préalablement fixées ne seront pas considérés. Il est donc possible qu’un usager requière des informations qui excèdent les frontières fixées par le producteur provoquant ainsi, du point de vue de l’usager, une certaine forme d’incomplétude [Worboys, 1998b].

105 Un exemple d’un modèle incomplet se retrouve dans la cause Bell c. Winnipeg (City) [1993, M.J. No. 256 DRS 93-10232]. Dans cette cause, les requérants plaidaient un délai déraisonnable après un appel d’urgence concernant un incendie sur le territoire de la municipalité. Leur maison était située en zone de villégiature et n’était contiguë à aucun chemin public. Or, dans la base de données de la municipalité, toutes les routes sans nom, les routes privées et les droits de passage n’étaient pas répertoriés et n’apparaissaient ni dans l’ordinateur ni sur les cartes géographiques utilisées pour ces situations d’urgence. Lors de l’appel des requérants, il s’ensuivit une certaine confusion et un délai excessif causant la perte totale du bâtiment.

La résolution ou la granularité avec laquelle s’effectue l’appréhension de la réalité constitue un facteur de limitation de la modélisation. La résolution peut se définir comme étant « the smallest object or feature which is included or is discernible in the

data » [Goodchild, 1991, cité par Joao, 1998]. La résolution d’un modèle spécifie le

niveau de détails obtenus lors d’une observation utilisant ce modèle [Worboys, 1998b]. Des spécifications peuvent être imposées par le producteur quant à la longueur minimale des lignes représentées106 (voir figure n°2) ou quant aux superficies107. La résolution spatiale est donc la distance minimale ou la superficie minimale ( minimum map unit) à partir de laquelle les changements dans la réalité sont enregistrés. Le choix des points établis lors du captage dépend souvent de l’opérateur et devient à cet égard subjectif.

La résolution spatiale peut être considérée comme une première mesure de la généralisation effectuée. Quoiqu’elle constitue une mesure adéquate pour les bases de données de type matricielle, elle apparaît trompeuse en regard des bases de données de type vectoriel. Dans ce cas, la résolution spatiale ne représente pas toujours une valeur fixe pour l’ensemble de la carte mais peut varier en fonction de l’endroit où l’on se trouve sur la carte [Longley, Goodchild, Maguire et Rhind, 2001].

106 Par exemple, on peut prévoir que toute ligne ayant une longueur inférieure à dix mètres (10 m) sera omise volontairement. Cela peut faire en sorte que certains points d’angle à l’intérieur des deux extrémités d’une ligne ne seront pas considérés.

107 Par exemple, lors de la cartographie de bâtiments, des spécifications particulières peuvent prévoir que tous les bâtiments ayant une superficie inférieure à dix mètres carrés (10 m²) ne seront pas considérés.

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En plus de la résolution du point de vue spatial, il est possible aussi d’appréhender la résolution d’un point de vue sémantique. Dans une approche de représentation de type vectoriel, la résolution ou la granularité sémantique peut être exprimée comme le niveau de détails fournis par les classes d’objets disponibles dans la hiérarchie108 (figure n°3) [Worboys, 1998b]. On peut y faire un parallèle avec le principe de la généralisation dans la modélisation orientée objet [Muller, 1999]. La résolution affecte donc le pouvoir de

discrimination de l’observateur, provoque une certaine incomplétude, augmente le niveau

d’incertitude [Worboys, 1998b] et contribue à dégrader la qualité.109

108 La figure 3 montre un exemple de cette hiérarchie et de la limite de la résolution fixée par l’analyste dans la construction de son modèle. Dans cet exemple, le niveau de détails au sein de la modélisation empêcherait un observateur de distinguer entre une maison unifamiliale isolée et une maison unifamiliale en rangée. La même difficulté se présenterait lorsque l’observateur serait confronté à un immeuble commercial isolé ne pouvant être qualifié de centre commercial.

109 L’incomplétude telle qu’abordée ici diffère de l’incomplétude normalement appréhendée dans le contexte des bases de données. Dans le premier cas, l’incomplétude repose sur l’absence de classes d’objets ou de phénomènes que l’analyste aurait pu mesurer alors que, dans le deuxième cas, l’incomplétude repose sur l’absence d’occurrences en rapport avec une classe d’objets ou de phénomènes que l’analyste avait prévus mesurer. Par exemple, lors d’une localisation à partir d’une photographie aérienne, des puisards sont omis lorsqu’ils sont cachés sous des arbres ou des voitures.

(a) clôture originale

(b) Points relevés sur le terrain

(c) Ligne modélisée

Figure n°2. Exemple de la perte de détails lors d’une modélisation (Tiré de Bédard, 1986b)

Outre les limites résultant de la résolution adoptée par l’analyste, un autre facteur contribuant à augmenter l’incertitude conceptuelle est le caractère parfois flou (vagueness) ou imprécis de la discrimination entre classes d’objets ou de phénomènes110.

La logique booléenne (inclus ou exclus d’une classe) impose parfois une classification avec une précision irréaliste [Dragicevic et Marceau, 2000]. Les critères de discrimination peuvent ne pas toujours être connus des utilisateurs.

Bref, les modèles ne sont pas la réalité mais seulement des substituts nous aidant

à gérer la complexité du monde [Bédard, 1986b]. Toutes cartes ou bases de données

géographiques résultent d’un processus préalable d’abstraction qui mène à un modèle de

110 Par exemple, si une entreprise de service de câblodistribution catégorise sa clientèle selon deux classes principales, soit les classes privée et commerciale, elle deviendra hésitante lorsque viendra le temps de catégoriser un abonné utilisant le service d’une manière commerciale à partir de son domicile personnel. Si le critère de discrimination est le type d’utilisation, alors cet abonné sera inclus dans la classe commerciale. Si le critère de discrimination est le type de bâtiment, alors l’abonné sera inclus au sein de la classe privée. Comme les tarifs commerciaux sont généralement plus élevés que les tarifs domestiques, un tel choix a inévitablement un impact au plan financier.

BÂTIMENTS

IMMEUBLE RÉSIDENTIEL IMMEUBLE COMMERCIAL

USINE IMMEUBLE INDUSTRIEL

INCUBATEUR INDUSTRIEL

UNIFAMILIAL MULTIFAMILIAL

CENTRE COMMERCIAL RÉGIONAL CENTRE COMMERCIAL DE QUARTIER

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la réalité, modèle forcément incomplet, subjectif et dont la fabrication dépend des besoins ou des objectifs exprimés.