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1.3 Problématique spécifique de recherche

1.3.2. Difficulté d’élaborer une stratégie adéquate du risque juridique

Compte tenu des impacts négatifs résultant d’une condamnation devant un tribunal civil, une majorité de fournisseur de produits ou de services tenteront de minimiser ou d’éviter le risque de contentieux par l’implantation d’une stratégie

adéquate de gestion du risque juridique52 [Reid, Clark et Cho, 1996, cité dans Cho,

1998]. Le problème principal, qui se pose actuellement, est la difficulté de cerner adéquatement la nature et l’étendue des obligations imputables à chacune des parties ou, en d’autres mots, de cerner ce qui peut constituer un comportement juridiquement raisonnable, éléments indispensables à l’adoption d’une telle stratégie53.

Un tel standard de conduite n’existerait pas actuellement à l’égard de la commercialisation de l’information géographique54 [Cho, 1998] et des recherches en ce sens sont nécessaires [Mennecke, 1997]. D’abord, aucune loi ni réglementation spécifique ne traitent des produits d’information géographique55. Ensuite, la naissance de

52 Malgré que la fonction préventive de la responsabilité civile ait perdu un peu de son intérêt avec le développement de l’assurance-responsabilité (la responsabilité du fautif ne s’étend en principe qu’au paiement de sa franchise), il n’en demeure pas moins que tout procès est de nature à affecter négativement un fournisseur et de générer des dommages collatéraux autant financiers (salaire ou pouvoir de facturation diminué dû au temps non productif consacré à la cause, perte de clientèle, etc.) que moraux (inquiétude, atteinte à la réputation, etc.).

53 Lors d’une évaluation des besoins en recherche pour le nouveau millénaire, Sheppard et collab. [1999] ont soulevé ce besoin important d’explorer des cas de jurisprudence et d’utilisations controversées de systèmes d’information géographique de manière à accroître nos connaissances sur les principes éthiques et juridiques appropriés.

54 La situation semble identique dans tous les pays industrialisés. Nous soutenons que le développement et la diffusion d’un tel standard devrait assurer une meilleure prévention des sinistres et son corollaire, soit une baisse du contentieux.

55 Seul l’établissement des limites de propriété et le cadastre font l’objet actuellement d’une législation ou d’une réglementation particulière touchant l’information géographique, comme par exemple la Loi sur le cadastre [L.R.Q., chapitre C-1], la Loi favorisant la réforme du cadastre québécois [L.R.Q., chapitre R-

la technologie SIG est récente et sa véritable démocratisation auprès d’usagers non experts l’est encore davantage. Jumelé aux délais parfois assez longs que prennent nos tribunaux pour traiter certaines causes, il en découle donc un très faible échantillon de cas

de jurisprudence impliquant de l’information géographique numérique56. De plus, de

nombreuses informations ou produits défectueux ne causent pas de dommages suffisamment importants57 pouvant motiver le déclenchement d’une poursuite judiciaire

contre le présumé fautif58 [Jobin, 1975, Sookman, 1989, Slee, 1992]. Le préjudice

parfois minime jumelé à des coûts souvent considérables de mise en œuvre d’un procès occasionnent une certaine inertie du consommateur. Ainsi, devant une telle rareté, il demeure difficile de prendre un certain recul et de dégager des principes éprouvés sur une base historique.

3.1], la Loi sur les arpentages [L.R.Q., chapitre A-22], la Loi sur les arpenteurs-géomètres [L.R.Q., chapitre A-23] et les différents règlements de l’Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec. 56 En fait, le contentieux est rare même à l’égard des bases de données en général [Montero, 1998].

57 Plusieurs erreurs ou mauvais fonctionnements affectant les logiciels ne seraient pas assez sérieux pour être soit médiatisés ou présentés devant un tribunal [Sookman, 1989]. En cas de dommages sérieux, les parties négocieraient fréquemment des solutions ne prenant aucunement en compte leurs droits et obligations, bref, elles agiraient comme s’il n’y avait jamais eu de contrat [Macauley, 1963, cité par Slee, 1992]. De plus, plusieurs victimes ne disposent pas des moyens financiers suffisants pour se rendre au bout d’un processus qui se compte régulièrement en termes d’années. La nécessité de trouver un responsable solvable et la difficile preuve des trois conditions de base de la responsabilité civile constituent d’autres motifs pouvant décourager les victimes à initier un procès, notamment au regard des préjudices corporels [Gardner, 2003]. En fait, la situation se présente de la même façon que lors du début de la commercialisation massive de biens matériels de masse. Les litiges portés devant les tribunaux de droit commun apparaissaient à l’époque peu révélateurs ou représentatifs du contentieux. L’arbitrage, les transactions, tractations ou ententes externes avaient pour effet d’étouffer la majorité des affaires et de soustraire ainsi les parties aux inconvénients de la justice, les affaires litigieuses n’étant alors qu’un échantillon réduit des relations soumises au droit [Jobin, 1975].

58 Prenons l’exemple d’une carte des sentiers pédestres en terrain montagneux dont le contenu serait erroné ou incomplet et aurait occasionné deux ou trois heures supplémentaires de randonnée. Si les dommages (mis à part une fatigue corporelle amplifiée) sont inexistants, le randonneur ressentira probablement une certaine insatisfaction à l’égard de l’organisation ayant la gérance du site mais n’entreprendra probablement pas de poursuites judiciaires. Un autre exemple est le cas d’un utilisateur consultant une carte indiquant la position des commerces offrant la location de films dans son quartier. Si la carte est imprécise et que ce dernier ne retrouve pas le commerce en question ou s’il le retrouve, mais à quelques kilomètres de la position affichée, il n’aura perdu qu’un peu de son temps et ne demeurera qu’un utilisateur insatisfait ou mécontent. Par contre, si l’utilisateur en question est plutôt un investisseur qui choisit d’implanter son commerce à un endroit stratégique mal desservi par la concurrence, les sommes en jeu pourraient être suffisantes pour appeler en garantie le fabricant de la carte. Évidemment, nous ne prenons pas position ici sur la faute éventuelle du fabricant.

Chapitre 1 Mise en contexte 21

Peu d’ouvrages de doctrine59, dédiés à une telle analyse, existent actuellement de façon à guider adéquatement les producteurs et les consommateurs lors de leurs rapports commerciaux, sans compter leur possible vétusté due au temps écoulé depuis leur parution, particulièrement au Québec. Ces ouvrages ne présentent pas d’analyse en profondeur de la nature particulière de l’information géographique numérique (notamment son mode de production) et des impacts potentiels sur sa présentation et son utilisation, le tout d’un point de vue strictement scientifique. La démarche nous apparaît essentielle de façon à pouvoir suggérer des actions concrètes ou un standard de conduite digne d’une personne raisonnable60.

Toujours dans le but d’adopter la meilleure stratégie possible, il importe selon nous d’analyser l’état actuel du droit positif dans l’univers de l’immatériel afin d’identifier les différentes incertitudes et de décrire leurs impacts potentiels lors de la commercialisation de l’information géographique. Les fournisseurs voudront agir de manière à protéger au mieux leurs intérêts et, à ce titre, la connaissance de ces incertitudes s’impose. D’un autre côté, il importe aussi de procurer aux utilisateurs, qu’ils soient profanes ou spécialistes, les moyens pour évaluer la qualité des données géographiques. Actuellement, il n’existe aucune méthode universelle, formelle ou complète permettant d’évaluer la qualité de l’information géographique61.

1.3.3. Conclusion

Le concept de responsabilité civile est intimement lié à la notion d’obligation. Toute transaction commerciale fera naître invariablement des obligations juridiques réciproques. En adoptant un comportement juridiquement raisonnable (afin de diminuer le contentieux) et en prenant en compte les incertitudes juridiques affectant leurs relations commerciales (afin de mieux protéger leurs intérêts), les fournisseurs d’information

59 Un seul ouvrage de ce type a été répertorié au Québec [Côté, Jolivet, Lebel et Beaulieu, 1993], un seul en France [Bensoussan et collab., 1995] et un seul aux États-unis [Cho, 1998].

60 Ce concept juridique de personne raisonnable sera plus amplement discuté au chapitre 4.

61 Dans certains cas spécifiques, comme lors d’une surabondance de mesures ou de la présence de budgets disponibles pour une vérification sur le terrain de différents échantillons de cartes, une certaine évaluation de la précision de la mesure sera possible. Cette précision n’en garantit pas pour autant l’exactitude.

géographique seront davantage en mesure d’adopter une stratégie prudente de gestion du risque juridique. Le très faible nombre de cas de jurisprudence impliquant de l’information géographique numérique ainsi que la rareté et la possible vétusté des ouvrages de doctrine existants font en sorte qu’il demeure difficile actuellement d’élaborer cette stratégie. Un de ses éléments est certes de mettre à la disposition des usagers les moyens nécessaires pouvant leur permettre d’évaluer adéquatement la qualité des données géographiques et d’en faire une utilisation judicieuse.