• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 L’incertitude inhérente à l’information géographique et ses impacts

2.2 L’incertitude dans la production de l’information géographique

2.2.5 La généralisation

Nous ne pouvons passer sous silence l’impact des opérations de généralisation puisqu’elles constituent une source importante d’incertitude au sein de l’information géographique. Nous aurions pu en discuter au sein de chacun des trois ordres d’incertitude exposés précédemment puisque la généralisation existe autant au niveau conceptuel, descriptif que temporel tout en modifiant la position spatiale des objets et phénomènes représentés. Nous avons estimé qu’il était préférable de traiter ce thème en un seul bloc.

Chapitre 2 L’incertitude inhérente à la production et ses impacts 63

Une carte géographique est définie dans le langage commun comme étant une « représentation à échelle réduite de la surface totale ou partielle du globe terrestre » [Robert, 2000]. L’emploi du terme représentation revêt une importance fondamentale puisque la carte est avant tout une image servant à présenter la réalité mais ne constitue pas la réalité en soi. Le préfixe re signifiant présentation de nouveau confirme bien cet aspect fondamental de la carte, soit la présentation au lecteur, sous une forme réduite, d’une visualisation des composantes de la surface du globe, le plus souvent selon une vue aérienne ou en plan.

L’échelle joue un rôle fondamental lors de la fabrication des cartes géographiques. Elle oblige notamment le cartographe à une simplification ou à une généralisation ainsi qu’à une sélection des composantes de l’espace visé par la carte. Ces opérations provoquent une perte de détails plus ou moins importante sur une portion ou la totalité des composantes que l’on désire implanter sur la carte.

Ainsi, la généralisation est un processus permettant de réduire la complexité d’un phénomène en éliminant les aspects secondaires et en accentuant les éléments essentiels. La généralisation ne se limite plus au domaine cartographique proprement dit127, mais peut être considérée dans un contexte plus global. Elle se retrouve au sein des différentes étapes de production de l’information géographique et le processus est orienté en fonction d’un but visé [Bernier, 2002]. Ainsi, des besoins différents amèneront le cartographe à procéder différemment à la généralisation en fonction de la finalité recherchée.

Selon Martel [1999, p. 17], la généralisation est une notion à plusieurs variantes qui se rencontre au sein des définitions, des concepts ou du vocabulaire. Il définit la généralisation comme étant « l’opération qui consiste à augmenter le degré d’abstraction

de notre description et/ou représentation des phénomènes observés, donc à en diminuer

127 La généralisation cartographique est historiquement reliée à la production de cartes géographiques sur support papier. Les efforts de généralisation variaient en fonction de l’échelle de la carte.

les détails, afin d’en faciliter la compréhension et/ou la communication »128. De façon

générale, la généralisation peut être décrite comme une opération qui transforme un

modèle A en un modèle B plus abstrait129. En fait, on pourrait appréhender la

généralisation comme étant une étape subséquente au processus d’abstraction130 qui

conduit l’analyste à un premier modèle de la réalité131.

Le processus de généralisation se produit notamment à trois niveaux [Weibel et Dutton, 1999, Bernier, 2002]. D’abord, la généralisation d’objets se produit lors du captage initial des données. Ainsi, en fonction des règles ou procédures établies (ou tout simplement selon la volonté du préposé au captage), certains objets ne seront pas répertoriés notamment parce qu’ils ne sont pas d’intérêt en regard de l’objectif poursuivi132. À ce stade, les processus d’abstraction, de sélection et de réduction ont lieu afin d’identifier les objets pertinents, leurs attributs ainsi que leurs relations. La généralisation se matérialise normalement par la fabrication d’un modèle conceptuel (surtout depuis l’avènement des bases de données). En même temps, l’analyste effectue les choix quant aux méthodes d’échantillonnage permettant d’obtenir la précision et la résolution désirées.

Alors que la généralisation d’objets existe autant à l’égard des cartes traditionnelles sur support papier qu’à l’égard des bases de données géographiques numériques, la généralisation conceptuelle serait propre au monde numérique. Elle serait

employée afin de simplifier et de synthétiser le contenu d’une base de données133

[Rigaux, 1994, cité dans Bernier, 2002].

128 L’Office de langue française présente aussi la définition suivante : « action de simplifier les éléments cartographiques et leur représentation, en fonction d’un besoin particulier et selon des règles précises » [Bergeron, 1993, p. 23].

129 Ce modèle A peut être une carte présentée à une échelle donnée à partir de laquelle on prévoit fabriquer une deuxième carte (modèle B) représentant le même territoire à une échelle plus petite.

130 Se référer à la section 2.2.1 qui traite de l’incertitude conceptuelle.

131 Cette définition de la généralisation diffère de celle prévalant dans la modélisation des bases de données qui constitue plutôt une généralisation sémantique de type généralisation/spécialisation.

132 Par exemple, les piscines hors terre sont omises lorsque l’on désire cartographier seulement les structures ayant un caractère de permanence.

133 La réduction de la complexité des données tant au niveau spatial que sémantique et temporel peut viser divers objectifs tels que la réduction des fichiers, l’augmentation de la vitesse des fonctions d’analyses ou de la vitesse de transfert des données [Weibel et Dutton, 1999].

Chapitre 2 L’incertitude inhérente à la production et ses impacts 65

Finalement, la généralisation cartographique, telle que discutée auparavant, intervient au niveau de la qualité de la visualisation. Le cartographe modifie la forme de certaines composantes et les déplace en fonction de prérogatives visuelles, artistiques ou esthétiques. Afin d’améliorer la qualité visuelle de la carte, il utilise certains opérateurs (tableau n°2). La généralisation cartographique engendre aussi une généralisation sémantique (figure n°5) ayant pour effet d’augmenter le degré d’abstraction sémantique de l’objet. (Maison) (Maison) (Maison) (Maison) L D B C E (Bâtiment) (Bâtiment) F G (Ville) H (Bâtiment) (Bâtiment) K I (Zône bâtie) (Zône bâtie) (Zône bâtie) J A b s tra c ti o n c a rt o g ra p h iq ue Abstraction sémantique ? ? A

Figure n°5. Les possibilités de généralisation du concept MAISON (figure reproduite à partir de Martel [1999])

De nombreux travaux de recherche portent sur la conception d’algorithmes de façon à automatiser le plus possible l’utilisation de ces opérateurs et, par le fait même, la production du document cartographique. Aucune méthode (faisant appel à un ou plusieurs algorithmes) ne permettrait d’automatiser ou de formaliser l’ensemble du processus [Joao, 1998, Goodchild et Longley, 1999]. La sélection d’un opérateur et la sélection d’un algorithme dans un contexte particulier sont subjectifs et dépendent de l’application envisagée [Weibel et Dutton, 1999]. L’ampleur du déplacement provoqué par les actes de généralisation sur certains objets ou phénomènes sera fonction du ou des algorithmes choisis, de l’application envisagée et de l’échelle de représentation134 [Joao, 1998].

134 On peut inférer que plus l’échelle de représentation est petite, plus nombreuses seront les opérations exécutées. Par exemple, le déplacement des lignes augmente au fur et à mesure que l’échelle diminue. Ces déplacements modifient la position absolue tout autant que la position relative des lignes [Joao, 1998]. À l’inverse, plus l’échelle de représentation est grande, moins le cartographe a besoin d’intervenir pour améliorer la qualité visuelle de la carte. Tel est l’exemple d’un plan topographique à grande échelle

Opérateur Objectifs

Raffinement spatial Éliminer les éléments les moins significatifs. Réduction de dimension Réduire la dimension d’un objet.

Simplification géométrique Enlever des sommets tout en conservant l’élément.

Resymbolisation Attribuer un nouveau symbole à une entité cartographique en conservant sa signification.

Caractérisation Remplacer des éléments par un motif caractéristique.

Exagération symbolique Donner plus d’importance à un symbole afin qu’il demeure lisible. Déplacement géométrique Altérer la position des symboles pour améliorer la lisibilité.

Déformation Modifier une entité géométrique elle-même (plutôt que son symbole) afin d’améliorer la lisibilité.

Agrégation spatiale Créer un élément graphique de niveau d’abstraction supérieur en autant que les éléments initiaux seraient de même nature.

Lissage Déplacer des sommets d’un élément (sans en éliminer) afin de ne retenir que les tendances principales (processus à forte connotation esthétique). Tableau n°2. Opérateurs de généralisation répertoriés par Martel [1999]

Chapitre 2 L’incertitude inhérente à la production et ses impacts 67

Parmi les conséquences résultant d’opérations de généralisation, Joao [1998] soulève notamment une détérioration au niveau de la complétude (certains objets sont éliminés), une détérioration et des erreurs au niveau de la topologie (relations entre les objets) et des variations importantes dans les mesures de longueurs et de surfaces en fonction de l’échelle de représentation. Par exemple, la représentation de la rive d’un cours d’eau à petite échelle requiert du cartographe d’éliminer plusieurs dentelures ayant pour effet de réduire la longueur d’une ligne entre deux points fixes et de modifier la forme d’un polygone incluant cette ligne et, par ricochet, la mesure de la superficie. De plus, le déplacement des objets influe sur l’exactitude de la position et il augmente normalement au fur et à mesure que l’échelle diminue. L’altération de la position d’un objet peut atteindre la valeur des attributs qui, étant véridiques à la position d’origine, deviennent imprécis ou confus suite au déplacement. Il peut se produire des déplacements en cascade, c’est-à-dire que le mouvement d’un objet entraîne le mouvement d’un autre objet situé à proximité.

La généralisation cartographique est un processus sacrifiant la présence de détails parfois importants (synonymes de qualité pour certains individus) au profit d’une meilleure cohérence visuelle. Elle bonifie la carte quant à son aspect artistique et à sa lecture mais peut la dégrader en tant que produit fonctionnel pour certains usages. Elle a donc un impact indéniable sur la qualité et la fiabilité des analyses effectuées à l’aide d’un système d’information géographique. Il demeure très difficile pour les usagers de contrôler les effets de la généralisation causés par les méthodes de généralisation automatique puisque chaque algorithme est de nature à provoquer des effets différents sur les données.

En somme, lors de la production d’une carte ou d’une base de données géographique, la généralisation (dans son sens étendu) est inévitable et peu de travaux ont été menés de façon à évaluer la qualité du résultat final [Weibel et Dutton, 1999]. Les

caractérisé par l’exhaustivité (tous les objets ou phénomènes d’intérêt sont susceptibles d’y être représentés).

erreurs dues à la généralisation sont très difficiles à quantifier et dépendent du type d’objets ou de phénomènes [Joao, 1998]. Un processus d’abstraction est nécessaire autant pour diminuer la complexité de la réalité que pour améliorer la qualité de la représentation de cette même réalité. La généralisation affecte les dimensions spatiales, descriptives et temporelles. Elle est dépendante de l’analyste ou du cartographe et devient à cet égard fortement subjective. Elle n’est pratiquement jamais documentée. La généralisation ferait en sorte que les produits cartographiques autrefois envisagés comme étant multi usages sont davantage fabriqués dorénavant pour un usage spécifique [Joao, 1998].

La généralisation devient donc un facteur générateur parfois d’une grande incertitude, laquelle se répercute inévitablement sur la représentation, l’analyse et

l’interprétation d’une carte ou d’une base de données géographiques135. Tout comme

pour l’incertitude, les systèmes d’information géographique n’offrent pas de support suffisant aux utilisateurs quant aux impacts de la généralisation sur les analyses ou les prises de décision qui en découlent.