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Chapitre 2 L’incertitude inhérente à l’information géographique et ses impacts

2.2 L’incertitude dans la production de l’information géographique

2.2.7 Caractéristiques dominantes de l’information géographique

L’analyse du processus de production de l’information géographique nous permet d’identifier certaines caractéristiques attribuables à l’information géographique. D’abord, un premier élément repose sur la perte de détails provoquée par la présence continuelle d’un processus d’abstraction ou de généralisation tout au long des étapes de production. La perte de détails résulte aussi de l’étendue limitée et du niveau de résolution (ou de granularité) adoptés. Elle provoque inévitablement des imprécisions [Worboys, 1998a] et une incomplétude au plan conceptuel, sémantique, descriptif, temporel et spatial. Il s’ensuit donc une augmentation de l’écart entre la représentation de la réalité et la réalité. Quoiqu’elle existe à l’égard de plusieurs types d’information, la perte de détails apparaît plus prononcée dans le cas de l’information géographique puisque la représentation du territoire ne s’opère jamais à une échelle de un pour un. L’utilisation d’un système de référence spatiale nécessaire au positionnement dans l’espace d’objets ou de phénomènes résulte automatiquement en l’ajout d’opérations supplémentaires d’abstraction nombreuses et complexes.

145 Par exemple, dans la cause Sea Farm Canada Inc. c. Denton [1991, B.C.J. No. 2317], un bâtiment fut complètement inondé après une crue des eaux. Pourtant, le bâtiment avait été implanté à l’extérieur de la zone inondable sur la base des cartes du Ministère de l’environnement montrant les isogrammes (cotes 0-20 ans et 0-100 ans). Une mention d’un coefficient de contingence (60 mm) ou d’incertitude apparaissait sur la carte. À l’endroit où se situait le bâtiment, la carte était erronée au-delà de ce niveau de contingence.

Deuxièmement, les données géographiques sont des données d’observation146 dans le temps et dans l’espace. Que les données proviennent de sources primaires (captage à partir de méthodes directes ou indirectes) ou de sources secondaires (balayage ou numérisation), elles sont forcément inexactes (la perfection étant impossible à atteindre) et ne sont pratiquement jamais d’actualité. Il existe encore presque systématiquement des délais variables entre le moment du captage (real world time) et le moment où les données sont présentées à l’usager (database transaction time), même si, en certaines circonstances, il peut y avoir actualité ou apparence d’actualité147.

Troisièmement, l’incertitude présente au sein de l’information géographique demeure souvent impossible à mesurer ou à quantifier148. L’incertitude pose donc un problème important puisqu’elle dégrade la qualité de l’information fournie [Longley, Goodchild, Maguire, Rhind, 2001] sans compter qu’elle demeure souvent invisible à la face même de l’usager.

Quatrièmement, la production de l’information géographique se caractérise par la présence de multiples décisions subjectives de l’analyste. Une subjectivité sous-tend des choix individuels basés sur les états de conscience ou les convictions des personnes impliquées aux différentes étapes de production, que ce soit lors de l’élaboration du modèle conceptuel, du captage des données ou de leur traitement. Elle constitue donc une source d’erreurs difficilement quantifiable [Lunetta et collab., 1991]. Il demeure presque impossible d’observer ou de détecter de l’extérieur les choix effectués d’autant plus qu’ils ne sont pratiquement jamais documentés.

146 Certains mentionnent que l’incertitude dans l’information géographique n’est pas différente que celle associée à d’autres types d’information. Les données d’observation sont presque toujours sujettes à l’erreur, mais les données géographiques semblent souffrir d’un problème de qualité davantage que d’autres types de données [Goodchild, 1995b]. En conséquence, l’incertitude associée aux données géographiques devrait mériter une attention particulière [Shi, Goodchild et Fisher, 2002].

147 Outre le contexte d’interrogation d’une base de données pouvant donner à l’usager une impression de fraîcheur ou d’actualité, très souvent, les ordinateurs permettent un niveau de précision numérique plus grande que l’exactitude inhérente avec laquelle les phénomènes géographiques sont décrits, captés ou mesurés [Zhang et Goodchild, 2002].

148 On rejoint donc ici la définition de l’incertitude du point de vue de la production, soit la connaissance d’une possible déviation d’une valeur vraie mais sans connaissance précise de sa magnitude [Davis et Keller, 1997], voir la section 2.2.

Chapitre 2 L’incertitude inhérente à la production et ses impacts 77

L’information géographique pouvant être qualifiée d’information trompeuse [Bédard, 1986(b)] et d’information complexe149 [Dibiagggio, 2001], requiert de l’analyste

une certaine expertise150 soit des connaissances et des compétences particulières

permettant de gérer adéquatement cet écart incontournable entre la réalité et sa représentation. Une telle expertise se manifeste au sein de l’ensemble de décisions prises par l’analyste aux niveaux conceptuel et technique et les décisions sont normalement prises en fonction d’une finalité ou d’un usage préalablement ciblé. Ainsi, certains types d’incertitude seront négligés au profit d’autres jugés prioritaires en fonction des objectifs ou des résultats envisagés initialement. Il en découle une cinquième caractéristique, soit

l’impossibilité de séparer, pour des fins d’évaluation de l’incertitude et du risque, le processus de production des objectifs explicites ou tacites pour lesquelles les opérations sont effectuées.

En résumé, au moment de leur consommation, beaucoup de données géographiques ont donc vocation à être inexactes, incomplètes, périmées et subjectives autant dans les dimensions temporelle, géométrique que descriptive. L’incertitude résultante demeure difficile voire impossible à mesurer et sa nature dépend de la finalité

ou des objectifs visés avant et pendant le processus de production. L’information

géographique se distingue définitivement par sa technicité151 et sa complexité152 [Côté, Jolivet, Lebel et Beaulieu, 1993, Bensoussan et collab., 1995, Atkinson et Tate, 2000, cité par Goodchild et Zhang, 2002] et requiert une expertise aiguisée pour en comprendre les limites et les possibilités en termes de traitements et d’analyses.

149 Selon cet auteur, une information complexe serait une réponse incertaine à une question ouverte. L’incertitude y serait importante et non probabilisable. Le nombre de variables serait important et/ou les relations entre les variables seraient nombreuses et complexes de sorte que l’information n’aurait pas un sens équivalent pour tous. L’information complexe requiert donc des acteurs une capacité de construction, c’est-à-dire la possibilité de rendre l’information cohérente avec son système de connaissances, ou bien de modifier ce dernier afin de le rendre cohérent.

150 L’expertise signifie qu’il existe chez l’individu une capacité d’appréciation et la réalisation d’activités reposant sur une maîtrise de compétences hors du commun dans un domaine particulier de connaissances [Tiberghen et collab., 2002].

151 Qui possède un caractère technique soit « qui appartient à un domaine particulier, spécialisé, de l’activité ou de la connaissance » [Robert, 2000].