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Tableau n°01 : Les invariants du texte libre de Freinet 4

2.3. Evolution des ateliers d’écriture

2.3.1. Une alternative au modèle scolaire traditionnel

Les ateliers d’écriture se placent, comme nous l’avons déjà mentionné, de leur provenance, comme une résolution aux problèmes rencontrés dans l’approche scolaire traditionnelle de l’enseignement de l’écriture. La différence avec l’ancien modèle relève de plusieurs raisons, nous nous contentons d’en rappeler cinq, à savoir la visée des écrits produits, les modalités de leur production, leur évaluation, le fonctionnement d’un atelier d’écriture et les entrées mises en œuvre pour (faire) écrire.

1 J. LAFONT-TERRANOVA, « Se construire, à l’école, comme sujet-écrivant. L’apport des ateliers d’écriture », Namur : Presses Universitaires, 2009, p. 34

2 A. ROCHE, A. Guiguet et N. Voltz, Op.cit., p. 110

107 Nous avons déjà mentionné que la production scolaire s’adresse à une seule personne, l’enseignant, tandis que la pratique d’écriture en atelier se présente comme une expérience collective qui « se vit ensemble, hors de l’habituelle solitude, dans une nécessaire tendresse où

chacun écrit pour soi, mais s’ouvre à la parole et au texte de l’autre »1. D’après A. André, « toute forme de socialisation des écrits met en place, d’emblée, une rupture forte avec les

pédagogies conventionnelles. Dans un lycée ou une université, en effet, l’écrit n’a guère pour destinataire que le professeur, généralement réduit au rôle de correcteur »2. Cependant, à la suite des études conduites en sociologie et en ethnologie de l’écriture, nous avons mentionné que l’évolution des productions textuelles est l’un des éléments majeurs pour la motivation des scripteurs. C’est pour dire, également, que l’engagement dans l’acte d’écrire dépend de la visée et du besoin d’écrire. Pourquoi écrit-on, une question qui relève du public à qui est destiné cet écrit et celle qui s’interroge sur le rôle de celui-ci. Les situations d’écriture témoignent, elles aussi, d’une différence entre la production scolaire et celle des ateliers. Il y a des ateliers qui sont préparés à l’extérieur du milieu scolaire ordinaire.

Evoquant les modalités de mise en œuvre des ateliers d’écriture dite de "loisir", J. Lafont- Terranova souligne le suivant : « On écrit en atelier un peu partout, à la ville comme à

la campagne ou à la montagne, dans une maison privée ou dans un lieu public, en soirée ou pendant ses vacances. On peut même le faire à distance, conseillé par un animateur expert »3. Pour les pratiques qui se font dans une salle, en ajoutant que les participants peuvent avoir la liberté de déplacement, l’appropriation de l’espace manifeste aussi cette séparation annoncée relativement à la coutume scolaire. Dans plusieurs modèles d’ateliers, les tables de travail sont arrangées sous différentes formes : en cercle, en rectangle, ou en carré ; l’animateur se place de manière polyvalente. Se mettre derrière la table, de la même manière que les participants, réduit cette attitude de supérieur que les apprenants se font de l’enseignant. Dans ce cadre, nous soulignons, suite aux contributions de la sociologie et de l’ethnologie de l’écriture, « l’inscription spatio-temporelle »4, indiqué par Y. Reuter, joue un rôle très important dans le bon déroulement de la situation d’écriture.

Un autre élément de divergence concerne l’évaluation des écrits réalisés. Lors d’un atelier d’écriture, l’animateur évite de faire des remarques brutales et de donner des

1 E. BING, « Ecrire et faire écrire », Trousse Livres n° : 44, 1983, p.10

2A. ANDRE, « Babel heureuse. L’atelier d’écriture au service de la création littéraire », Paris : Syros (Alternatives), 1989, p. 69

3 J. LAFONT-TERRANOVA, Op.cit, p. 36

108 appréciations de valeur, se contentant uniquement d’introduire des évaluations formatives. Ce qui rend l’évaluation d’un texte plus utile, c’est les liens étroits que l’animateur devrait entretenir avec le groupe, avec chaque participant. Le texte « n’est pas un objet, mais le

représentant de son auteur, qui entend ses commentaires comme des pierres, ou des roses, envoyées dans son jardin intime : les trésors nommés comme tels sont ses trésors, les disgrâces ses disgrâces »1. En d’autres termes, toute « évaluation que fait le lecteur d’un texte se dissocie

mal, pour l’auteur, d’une évaluation de sa personne »2.

Pour se justifier, il suffit d’évoquer que c’est à travers une copie qu’on s’autorise de désigner un apprenant de compétent, ou de modique en examen par exemple. Une telle appréciation dévoile bien que de la copie d’examen on passe à la personne et qu’on n’évalue pas uniquement le texte, mais également l’écrivant. Pour que le scripteur demeure épargné des remarques construites sur son écrit, il lui faudrait, signale A. André, « écrire sans y investir

un iota de narcissisme », cependant, pour expliquer son opinion, André stipule qu’il n’a « encore jamais rencontré de surhomme de ce genre »3.

En effectuant le résumé des études réalisées sur certains terrains, au moment de l’élaboration de sa thèse, J. Lafont évoque que dans les pratiques d’ateliers d’écriture de loisir « l’évaluation chiffrée, le classement des participants et la sanction par un diplôme sont exclus »4. Cette chercheuse a voulu agir ainsi, quand elle a mis en œuvre un dispositif d’atelier d’écriture emprunté du modèle de loisir avec un public universitaire, mais, vu les contraintes académiques rencontrées, elle était obligée de recourir à la notation :

« Si la valorisation des textes constitue une forme d’évaluation et de reconnaissance, elle ne remplace pas la notation dans un cursus académique. Par fidélité à la logique de l’atelier de loisir, au début de l’expérience, nous avons remplacé la note par un bilan individuel mettant l’accent sur les réussites. Mais, nous avons fini par « rétribuer » l’investissement des étudiants par une note qui consacre une avancée »5.

1A. ANDRE, « Babel heureuse. L’atelier d’écriture au service de la création littéraire », Paris : Syros (Alternatives), 1989, p. 85

2 Idem., p. 84

3 Ibid.

4J. LAFONT, « Pour une ethnolinguistique des ateliers d’écriture. Analyse de pratiques sur plusieurs terrains », Tours : Université François Rabelais, (Thèse de doctorat), 1999, p. 60

5J. LAFONT-TERRANOVA, « Un atelier d’écriture créative dans l’enseignement supérieur technologique. Analyse d’une expérience ». Caractères n° : 25, janvier 2007, p. 05

109 On constate bien que J. Lafont-Terranova n’évalue pas uniquement l’écrit réalisé, même en attribuant une note, elle prend en considération également l’expérience des sujets dans ce sens, qu’elle vise autant la pratique que le résultat c’est-à-dire tout le processus qui mène au produit, au texte final. Ainsi renonce t- elle à la méthode ancienne qui favorise le produit fini, en se penchant sur sa réalisation. Elle opte pour une vision qui dénonce le caractère sacré du texte final. Cette nouvelle conception conçoit, alors, l’écrit comme l’effet de l’écriture saisie, selon J. Ricardou, comme « l’ensemble des manœuvres par lesquelles un écrit,

dans l’immédiat ou le successif de sa fabrique, se voit pourvu de structures plus accomplies »1. Séparé de ce processus qui le précède et le forme, le texte se présente ainsi dépourvu de son cheminement, ce qui limite sa compréhension.

En prenant en considération le fonctionnement, aussi bien de la pratique que du produit, l’atelier d’écriture reprend l’idée de la génétique textuelle. Celle-ci a, assurément, un regard différent du texte, une visée qui favorise le processus de production sur le produit final :

« Ce regard nouveau implique, sinon un choix, du moins des préférences : celles de la production sur le produit, de l’écriture sur l’écrit, de la textualisation sur le texte, du multiple sur l’unique, du possible sur le fini, du virtuel sur le ne varietur, du dynamique sur le statique, de l’opération sur l’opus, de la genèse sur la structure, de l’énonciation sur l’énoncé, de la force de la scription sur la forme de l’imprimé »2.

En comparaison à la forme scolaire de l’écriture, la gestion des séances d’ateliers d’écriture est également distincte : les animateurs deviennent moins autoritaires et différencient leurs remarques.

L’utilisation même du terme "animateur", et non de maitre, employé dans des ateliers donne une signification notable et annonce parfaitement cette détermination de renoncer à la forme scolaire traditionnelle. Les ateliers d’écriture sont des espaces « pour écrire à voix

haute »3 une expression qui est à présent en usage dans des Ateliers d’écritures d’E. Bing. « En

effet, dans le petit groupe qui se constitue pour écrire, les interactions sont importantes, grâce

1 J. RICARDOU, « Ecrire à plusieurs mains », Pratiques, n° : 61, 1989, p. 111

2 A. GRESILLON, « Eléments de critique génétique. Lire les manuscrits modernes », Paris : PUF, 1994, p. 07

3 J. LAFONT-TERRANOVA, « Se construire, à l’école, comme sujet-écrivant. L’apport des ateliers d’écriture », Namur : Presses Universitaires, 2009, p. 50

110

à un ou deux animateur(s) plus ou moins directifs, qui, selon les ateliers, écrivent ou non, suscitent et organisent des échanges liés aux productions écrites »1.

Eloigner la sévérité dans le déroulement d’un atelier se manifeste encore à travers l’élocution employé par l’animateur. Selon D. Hymes, le ton « rend compte de l’accent, de la

manière ou de l’esprit dans lesquels un acte est accompli, et correspond approximativement aux modalités des catégories grammaticales 2». L’auteur évoque également que les mêmes actions peuvent se transformer de signification en fonction du ton : « L’importance du ton est

soulignée par le fait que, lorsqu’il s’oppose au contenu apparent d’un acte, il l’annule souvent »3.

D. Hymes ajoute sur cette question que les indices du ton ne font parti de l’ordre de la parole uniquement : « un clin d’œil, un geste, une posture, des vêtements d’un certain genre,

un accompagnement musical, par exemple »4 forment un nombre important de marques qui peuvent nous informer sur le ton. Dans les ateliers, le ton est surtout serein et ludique : écrire en jouant et jouer en écrivant. Joindre l’utile à l’agréable est le principe adopté par plusieurs ateliers.

Outre l’objectif assigné et l’évaluation des textes, et la gestion des séances, la négociation du projet d’écriture (choix du thème, supports textuels, …) démarque encore la pratique des ateliers d’écriture à celle qui est scolaire. Au moment où la production scolaire met l’accent sur l’apprentissage des savoir-faire techniques, les ateliers vise l’écriture personnelle, celle qui accorde au scripteur de maitriser ses propres aptitudes.

M-C Penloup, en évoquant A. André, indique « qu’il n’est ni professeur de la littérature,

ni formateur d’expression écrite 5». Dans un atelier, le travail se fait à travers des consignes, mais les participants peuvent ne pas les respecter ou les refaire. Au niveau des ateliers, il n’a jamais était question « de demander de traiter un thème ou un sujet (de rédaction ou de

dissertation), mais d’aider les participants à écrire. Il s'agit d'abord de les libérer du mythe de l’écrivain inspiré, des idées convenues, des clichés et de leurs "tics "d’écriture »6. La consigne

1 J. LAFONT-TERRANOVA, Op.cit, p. 50

2D. HYMES, « Modèles pour l’interaction du langage et de la vie sociale », Etudes de linguistique appliquée n° : 37, 1980, p. 142

3 Idem, p. 143

4 Ibid.

5M.-C. PENLOUP, « Les ateliers d’écriture. Mythe ou réalité ? », Rouen : Université de Rouen (Mémoire de DEA), 1990, p. 44

111 des ateliers et tout le dispositif qui la suit permet au sujet-écrivant de s’engager aisément dans l’expérience d’écriture et d’oublier ainsi le souci de chercher une réponse à la fameuse question "par où dois-je commencer?". La présence de la consigne, déjà mentionné, annonce en elle-même la distinction entre la pratique de l’écriture en atelier et celle du texte libre de Freinet.

Par ailleurs, l’opposition qui se construit entre les ateliers d’écriture et les pratiques d’écriture scolaire semble un peu paradoxale. En s’appuyant sur les propos de J. Lafont-Terranova (2009), nous exposons ce paradoxe en trois phénomènes.

En premier lieu, les deux bâtisseuses des ateliers d’écriture en France viennent du monde scolaire et c’est, encore, au sein des établissements scolaires qu’elles ont mis en œuvre leurs premières expériences : Elisabeth Bing à (l'Institut Médico-Pédagogique) de Dieulefit et Anne Roche à l’Université d’Aix-en-Provence.

En deuxième lieu, les animateurs qui géraient ces ateliers d’écriture, développés en dehors du système scolaire, provenaient surtout des écoles et des universités. J. Lafont-Terranova indique qu’ « Au début des années 90, une grande partie de l’équipe d’animateurs

des Ateliers d’écriture Elisabeth Bing est liée au monde scolaire et universitaire »1.

En troisième lieu, les premiers participants qui ont fréquentés les ateliers d’écriture étaient des enseignants. En réalité, ces pratiques « sont nées dans et pour des situations

scolaires et […] elles remettent violemment en cause le statut et les représentations de l’écrit à l’école »2.