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Tableau n°02 : Les points déterminants dans chaque orientation

2.4. Structure d’un atelier d’écriture

Peu importe leurs visées, les ateliers d’écriture s’organisent pratiquement de la même manière. Une répartition qui se rapporte à ce que C. Boniface1 désigne "d’invariants communs" déterminant la constitution des ateliers d’écriture. En effet, elle parle de la "situation d’écriture", du "temps d’écriture des textes", de "la lecture des textes" et des "réactions aux textes". « A ces quatre invariants correspondent 4 étapes : motivation,

production, communication, réaction »2. C. Boniface explique, par ailleurs, que d’autres ateliers ajoutent un cinquième moment qui vise à reproduire le premier écrit rédigé en se référant à une nouvelle consigne d’écriture. Certains ateliers, en revanche, ne dépassent pas le deuxième moment, il n’y a pas de réaction sur les textes produits. Ils « sont lus sans commentaires »3.

Enfin, il y a des ateliers qui n’adoptent que deux étapes : l’étape de l’écriture et celle de la lecture. Dans ces ateliers, « il n’y a pas de consigne d’écriture, les gens écrivent ce qu’ils

veulent »4 avant de le discuter. Nous exposons, ci-après, les cinq moments indiqués dans ce passage.

2.4.1. Premier moment : l’entrer en écriture

Pour définir ce moment les expressions changent selon les visées des concepteurs. Au CICLOP, on emploie les termes de déclencheur, d’inducteur ou de starter. Chez E. Bing, on parle de motivation. Chez J. Ricardou et C. Oriol-Boyer, on fait référence à consigne. Pour les oulipiens, ils parlent de contrainte. A. André emploie le terme d’ouverture, etc. D’autres ateliers emploient les concepts de "proposition" ou de "piste d’écriture". « Les formateurs en

communication parlent plus volontiers de "mises en situation" ; les constructivistes, de "situation problème" 5». En somme, toutes ces notions font référence à l’ensemble des habitudes prises en compte pour entrer dans la pratique d’écriture. Selon C. Boniface, « le

1C. BONIFACE, (Avec la collaboration d’Odile Pimet), « Les ateliers d’écriture », Paris : Retz, 1992, p : 13-14

2 Idem., p. 14

3 Ibid.

4 Idem, p. 14

5R. GUIBERT, « Former des écrivants », Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2003, p.124

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point de départ peut être bref (un simple mot) ou long (jusqu’à trente minutes), sommaire (on peut écrire à partir de n’importe quoi) ou très élaboré (avec enjeu littéraire). La motivation est toujours orale, parfois recourt à une photo, un objet, une promenade, un texte »1.

La présence d’une suggestion de pratique d’écriture témoigne d’une distinction entre l’atelier d’écriture et la pratique du texte libre de Freinet. En outre, la motivation « évite au

scripteur l’angoisse de la page blanche, l’invitant à écrire ce qu’il n’aurait pas écrit sans elle »2. Etant cette « parole vivante, habitée d’un corps »3, pour reprendre l’expression d’A. André, une vraie proposition d’écriture doit inciter chez le scripteur l’envie d’écrire. Pour commence une activité d’écriture, on peut partir d’une ou plusieurs suggestions ; pour accorder aux participants l’occasion de choisir le point qui répond à ses besoins, surmontant ainsi toute sorte de blocage.

2.4.2. Deuxième moment : produire

L’étape qui suit l’entrée en écriture est la production du texte. Le travail peut se réaliser de manière individuelle ou, selon la forme de l’activité d’écriture, en groupe. Certains ateliers accordent aux scripteurs la liberté du déplacement, mais pas dans toutes les situations d’écriture. De toute façon, qu’ils s’inscrivent dans des situations didactiques ou non, les scripteurs écrivent dans des conditions qui renoncent aux pratiques scolaires traditionnelles. La durée de réalisation est liée au type de textes à produire : « il est systématiquement court

(15minutes) pour des jeux d’écriture, ou systématiquement long (1heure/1heure30) pour des situations d’écriture élaborées »4. Ainsi, on trouve des ateliers d’écriture qui délimitent la durée de production, tandis que dans d’autres, on patiente que les écrivants achèvent leur tâche. Prenons comme exemple, au CICLOP, « au signal, on s’arrête »5, alors que chez E. Bing, « on s’arrête quand presque tout le monde aura fini »6.

1 C. BONIFACE, Op.cit, p. 17

2J. LAFONT-TERRANOVA, « Un atelier d’écriture créative dans l’enseignement supérieur technologique. Analyse d’une expérience ». Caractères n° : 25, janvier 2007, p. 05

3A. ANDRE, « Babel heureuse. L’atelier d’écriture au service de la création littéraire », Paris : Syros (Alternatives), 1989, p. 43

4 C. BONIFACE, idem, p. 20

5 Ibid.

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2.4.3. Troisième moment : partage des textes ou lecture

Le troisième moment qui compose une pratique d’écriture en atelier est la communication des écrits réalisés. A. André appelle cette étape "socialisation" et la présente comme la « mise en circulation des écrits indépendamment du moyen (voix, distribution de

photocopies, affiche, rétroprojecteur…), des contraintes ou délais qu’il impose, et du degré d’aboutissement des écrits »1.

Généralement, malgré qu’il soit important, ce partage des écrits reste optionnel. Dans les ateliers où les participants discutent oralement leurs produits, quelques-uns sont dès le début hésitants à diffuser en public leurs travaux aux pairs, même s’ils le désirent : « Souvent

les participants redoutent de se livrer plus qu’ils ne le voudraient, ils se méfient de ce qu’on peut penser d’eux à travers leurs textes, surtout le premier »2 souligne R. Guibert. En revanche, certains d’entres eux admettent que ces appréhensions vont disparaitre progressivement. Le temps de la lecture devient alors décisif étant donné qu’il oppose le lecteur-écrivant aux appréciations de ses pairs. « Le plus dur dans ce texte, note un étudiant de Lafont-Terranova,

en décrivant le temps de lecture, c’était la prestation publique : je me sentis pâle, tremblant et mon cœur battait la chamade.»3

Encore, ce qui rend l’opération plus moins difficile est que l’écrit diffusé n’est pas arrivé à son « niveau d’achèvement »4. Il est délivré avec ses insuffisances aux autres participants et à l’animateur comme expert. « Le texte oralisé en atelier est un premier jet. Il y

a plus important : il est oralisé par son auteur, qui vient de l’écrire et le livre dans cet état d’inachèvement à l’appréciation d’un groupe et surtout d’une personne publiquement constituée en autorité »5. La familiarisation du produit écrit demeure si complexe au cas où elle semble être l’origine même de l’acte d’écrire, vu que, comme le suppose A. André en évoquant l’idée de C. Freinet, le fait de diffuser le texte incite le scripteur à le réaliser. « Sans lieu

d’arrimage à un mode de socialisation quelconque, toute écriture souffre, s’étiole et finit par

1 A. ANDRE, Op.cit., p. 67

2 R. GUIBERT, « Former des écrivants », Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2003, p.140

3 J. LAFONT-TERRANOVA, Op.cit., p. 06

4 A. ANDRE, idem, p. 73

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mourir : elle n’a tout simplement pas de sens, hormis celui d’une résistance intime à l’ordre des choses »1.

A. André ajoute que les ateliers d’écriture suscitent le désir d’écrire puisque les scripteurs sont conscients que leurs écrits seront discutés avec leurs pairs. « Dès les débuts de

l’atelier, c’est parce qu’il sait que son texte sera lu que l’écrivant éprouve le besoin d’écrire. Lorsqu’il a écrit, même s’il a peur, même s’il est insatisfait du résultat, il souhaite être lu »2. Selon le même auteur, Le scripteur « souhaite d’être lu »3. En utilisant la forme passive, A. André ne confirme pas que le sujet-écrivant désire certainement lire son produit aux autres. Cette distinction parait clairement attirante du fait que, dans les ateliers, l’écrit n’est pas obligatoirement lu par son producteur. Dans les ateliers de C. Oriol-Boyer, par exemple, le texte est diffusé au moyen d’un support visuel, à l’aide d’un rétroprojecteur. C’est l’animatrice, elle-même, qui le diffuse et l’analyse. En atelier, le désir d’écrire serait encore stimulé par la communication du produit écrit. Un partage qui traduit une pratique socialisante de l’écriture, qui n’est pas, en comparaison à l’écriture scolaire, réservé « à des "sélecteurs-évaluateurs"

mais à des lecteurs réels »4.

Après chaque lecture, dans la plupart des ateliers, les membres du groupe réagissent. Rappelons, selon C. Boniface (1992), que nombre d’ateliers se contentent uniquement de cette phase de socialisation sans prendre en considération la réaction des participants sur leurs écrits.

2.4.4. Quatrième moment : réagir

Comme on vient de le mentionner, le quatrième moment est celui des interactions. C’est l’étape où « l’animateur ainsi que les lecteurs "parlent" le texte »5. Certains chercheurs, comme M.-C. Penloup (1992) et I. Rossignol (1994), voient que l’opération du partage et celle de la réception des écrits s’inscrivent dans la même étape. Cette vision semble réfléchie lorsqu’on se place dans des ateliers où le traitement de l’écrit de chaque scripteur se succède avec des remarques faites sur le texte discuté. En revanche, quand les réactions ne se manifestent qu’à la suite de la diffusion des écrits de tous les écrivants, on peut normalement

1 A. ANDRE, « Babel heureuse. L’atelier d’écriture au service de la création littéraire », Paris : Syros (Alternatives), 1989, p. 68

2 Ibid.

3 Ibid.

4 R. GUIBERT, Op.cit., p. 129

5I. ROSSIGNOL, « L'invention des ateliers d'écriture en France, analyse comparative de sept courants clés », Paris : l’Harmattan, 1996, p. 224

131 considérer le moment de réactions comme un temps qui se distingue des autres temps. Les réactions succèdent donc un écrit diffusé de façon orale ou visuelle.

Selon C. Boniface, la présentation visuelle d’un écrit permet de faire une analyse plus pratique et plus objective. « Tandis que l’audition interdit les retours en arrière et impose une

impression d’ensemble, le travail sur le texte dactylographié devient un travail sur la langue : les participants griffonnent des annotations, on parle du texte avec plus de distance, car il est devenu un objet et non une parole »1. En effet, avec l’exposé oral du texte « l’accent tend à se

déplacer du texte vers la personne »2 et quand la lecture fait appel à l’émotion, celle-ci3

engendre plutôt le silence que la critique.

La nature de l’objet des retours est liée à la visée dans laquelle l’atelier s’est inscrit. Si dans certaines situations, les remarques sont axées sur le texte, dans d’autres, on peut ne pas aborder l’analyse du texte. A titre d’exemple, au CICLOP « on parle peu du texte. On peut

parler du dépassement du temps, des différentes compréhensions de la consigne, du "vécu" pendant l’écriture, de la manière dont l’auteur ressent son propre texte »4. Généralement, la tendance de dépasser les commentaires explicites sur un écrit apparait dans les ateliers d’E. Bing. D’après A. Maffre, pour E. Bing : « aucune critique n’est jamais faite, ni destructrice, ni

constructive. Il n’y aura que des commentaires, des réactions, et parfois des suggestions »5. Pour elle, on ne commente pas le texte, on s’interroge et on « cherche à mettre en valeur la

voix de l’écrivant, ou pourquoi pas, ses dons »6.

Par ailleurs, dans d’autres ateliers comme ceux de C. Oriol-Boyer, d’A. Roche, et de J. Ricardou, les critiques sont faites sur le texte et elles peuvent être rigoureuses. Citant le cas du scripteur exposé aux critiques dans un atelier d’Oriol- Boyer, I. Rossignol dit le suivant : « Il

écoute, silencieux, attentif, énervé ou parfois admiratif, ce qu’un tiers lit dans son texte »7. En général, dans les ateliers ordinaires, les réactions des participants se penchent plutôt sur l’évaluation de la consigne ; si elle est conforme ou non. Ainsi, C. Oriol-Boyer fait « apparaître

ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas dans l’écrit étudié, et, à l’instar de Jean Ricardou, c’est

1 C. BONIFACE, (Avec la collaboration d’Odile Pimet), « Les ateliers d’écriture », Paris : Retz, 1992, p. 22

2 A. ANDRE, Op.cit., p. 72

3 Idem., p. 75

4 P. FRENKIEL, cité par I. ROSSIGNOL, Op.cit., p. 233

5A. MAFFRE, « Atelier d’écriture. Recherches sur quelques ateliers d’écriture », Marseille : Université de Provence, (Mémoire de DEA), 1988, p. 16

6 I. ROSSIGNOL, idem, p. 227

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avant tout le dysfonctionnement qu’elle relève »1. Et c’est pour dépasser, mentionne encore I. Rossignol, des commentaires subjectifs que « le Groupe d’Aix s’est contraint à faire de ses

retours une confrontation de décodage »2. Les remarques avancées sur le texte, dans certains ateliers, tendent d’accorder au scripteur son amélioration. Dès lors, ces ateliers nécessiteraient un temps de réécriture.

2.4.5. Cinquième moment : réécrire

Ce dernier moment vise à retravailler l’écrit réalisé et, à l’occasion, partagé au groupe. Selon J. Lafont3, la façon « dont les ateliers se positionnent par rapport à ce temps de "travail

sur le texte" » est sans doute « révélatrice des différents courants qui les traversent ».

Comme nous l’avons déjà signalé, cette étape de réécriture n’est pas programmée dans tous les ateliers d’écriture : « certains s’y opposent fortement (le CICLOP par exemple) et

même chez ceux qui le revendiquent, il correspond parfois plus à un vœu qu’à une réalité »4. Supposé que dans certains ateliers, les sujets-écrivants reproduisent leurs propres écrits, on a évoqué antérieurement qu’il y a des ateliers où les scripteurs réécrivent les textes de leurs pairs. Prenant comme exemple les ateliers installés au profit d’une formation des formateurs, A. Maffre, membre formé aux ateliers d’Aix, fait réécrire les textes dans cette perspective pour « démystifier la notion d’auteur »5. En conduisant les scripteurs à participer et à « écrire les uns sur les textes des autres »6, A. Maffre veut montrer que le texte n’est pas "intouchable".

Comme nous l’avons déjà indiqué dans le premier chapitre, selon certains chercheurs (Y. Reuter 2002 ; D. Bucheton 1995, 1992 ; et autres), dans un processus d’enseignement-apprentissage de l’écriture la pratique de réécriture devient indispensable. C’est, en réalité, sur elle que « les didacticiens fondent leurs espoirs »7.

1 I. ROSSIGNOL, Op.cit, p. 231

2 Idem., p. 225

3J. LAFONT, « Pour une ethnolinguistique des ateliers d’écriture. Analyse de pratiques sur plusieurs terrains », Tours : Université François Rabelais, (Thèse de doctorat), 1999, p. 51

4 Ibid.

5 C. BONIFACE, (Avec la collaboration d’Odile Pimet), « Les ateliers d’écriture », Paris : Retz, 1992, p. 173

6 Ibid.

7 J. LAFONT-TERRANOVA, « Se construire, à l’école, comme sujet-écrivant. L’apport des ateliers d’écriture », Namur : Presses Universitaires, 2009, p. 61

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