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Bien que perçu par l’ensemble des psycholinguistes comme étant le modèle fondateur non linéaire illustrant un cadre théorique typique, le modèle de 1980, 1981 été critiqué pour avoir négligé l’aspect interactif et social de l’écriture. M. Nystrand (1989) considère en effet que le premier modèle de Hayes et Flower présente un scripteur solitaire qui agit avec ses propres pensées. Au lieu de cela, lui, envisage la production écrite comme une négociation de sens entre un scripteur et lecteur.

39 En 1996, Hayes reprend donc le modèle de rédaction tout en le remaniant et en l’améliorant. « Cognition, affect et mémoire *qui+ relèvent des caractéristiques de l’individu et

les environnements social et physique [qui] permettent de caractériser la nature du contexte de production.»1

Il donne ainsi une grande importance à la mémoire de travail, de la même manière qu’il insiste sur le rôle de la motivation et de l’affect, absents du précédent modèle. Enfin, il donne convenablement une forme nouvelle au cadre destiné aux processus cognitifs pour accorder plus d’importance aux processus d’interprétation du texte.

Le nouveau modèle est composé de deux volets importants: l’environnement de la tâche (le contexte de production) et l’individu (cf. figure 02).

Fig. 02. Le « nouveau modèle » des processus rédactionnels selon Hayes (1996)

1 A. PIOLAT, « Approche cognitive de l’activité rédactionnelle et de son acquisition. Le rôle de la mémoire de travail », 2011, [En ligne]: http://linx.revues.org/174 ; DOI : 10.4000/linx.174

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1. l’environnement de la tâche :

Faire entrer à la fois des éléments sociaux (consignes de rédaction, statut du destinataire, écriture individuelle ou collaborative), et des facteurs physiques (texte déjà produit, nature du médium), l’environnement de la tâche joue un rôle crucial dans la réalisation de la dite tâche. C’est ce qu’exprime Hayes en disant que :

« Ce que nous rédigeons, comment nous rédigeons et à qui nous écrivons est modelé

par les conventions sociales et par l’histoire de nos interactions sociales (…). Nous n’écrivons pas de la même façon pour un destinataire familier et pour un public d’étrangers. Les genres textuels que nous employons ont été inventés par d’autres rédacteurs et nous reproduisons souvent des phrases écrites préalablement par d’autres rédacteurs (…) »1.

Hayes insiste aussi sur le fait qu’une part intéressante de l’environnement de la tâche existe dans le texte déjà produit. Ainsi, les sujets-écrivant lorsqu’ils rédigent transforment sans cesse l’environnement de la tâche puisqu’ils relisent ce qu’ils ont déjà écrit pour mettre en forme ce qui va suivre.

2. L’individu :

Dans cette nouvelle conception du modèle, Hayes inclue mémoire, affect et cognition comme caractéristiques de l’individu.

En effet, ce nouveau modèle place la mémoire de travail au centre de son étude étant donné que tous les processus décrits (motivation/affect, processus cognitifs et mémoire à long terme) convergent vers cette mémoire.

La mémoire de travail a un rôle primordial dans l’activité rédactionnelle. Hayes y intègre l’aspect phonologique, visuo-spatial et sémantique. Tous les processus réaliseraient toutes les activités non automatisées dans cette activité.

La motivation et l’affect occupent, aussi, une place importante dans le nouveau modèle. Reprochant aux modèles socio-cognitifs actuels de ne pas en avoir accordé une attention particulière, Hayes reconnait que « le rôle de la motivation est manifeste non

1 J.R HAYES, « Un nouveau cadre pour intégrer cognition et affect dans la rédaction ». In A. Piolat et A. Pélissier (dir.), La rédaction de textes. Neuchâtel: Delachaux et Niestlé, 1998, p: 57

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seulement dans des réponses relativement courtes à des buts immédiats, mais aussi dans des prédispositions à long terme dans différents types d’activités »1.

Hayes en résume que la motivation a un impact fondamental sur les processus ; en ce qu’elle façonne le parcours de l’action. En effet, plus le problème d’écriture est complexe, plus le sujet organise des stratégies (planification consolidée) et les résultats deviendront meilleurs. Puisque si le niveau de difficulté de l’épreuve n’est pas trop élevé, le sujet risque de ne tirer aucun bénéfice sur le plan cognitif.

Enfin, les processus cognitifs sont réaménagés. Hayes propose des fonctions cognitives impliquées dans la rédaction, soient l’interprétation du texte (tâche qui génère des représentations internes à partir d’entrées linguistiques et graphiques2), la réflexion (composante qui fonctionne sur des représentations internes pour produire d’autres représentations internes3) et la production de texte (activité qui utilise les représentations internes et qui produit une sortie écrite, parlée ou graphiques4).

La mémoire à long terme, elle, permet d’emmagasiner des savoirs sur la grammaire, le vocabulaire, le genre, le thème, et des connaissances sur le destinataire. Ainsi des représentations (schémas) de tâches sont conservées et aident à accomplir une tâche particulière (lecture de graphiques, rédaction de lettres, de comptes-rendus, d’articles de presse, …). Ces schémas peuvent être stimulés soit par des éléments environnementaux soit par la réflexion.

Pareillement, la connaissance du destinataire est nécessaire dans l’acte d’écriture étant donné que « quand des rédacteurs s’adressent à des destinataires qu’ils ne connaissent pas

personnellement, ils n’ont pas d’expérience sur laquelle s’appuyer »5.

De ce fait, Hayes précise qu’une "pratique intensive" permet d’acquérir des stratégies de rédaction et de développer des niveaux d’habileté (compétence) rédactionnelle importants.

Donc, on constate que les opérations à introduire dans une activité de production écrite sont nombreuses et complexes. Ceci confirme que le sujet-écrivant doit mobiliser un

1 J.R HAYES, Op.cit, 1998, p. 65 2 A. Piolat, op.cit, p. 66 3 Ibid. 4 A. Piolat, idem., p. 67 5 J.P HAYES, idem., p. 97

42 certain nombre de savoirs et savoir-faire dont les chercheurs affirment qu’elles sont, pratiquement, d’une valeur (coût) cognitive considérable.

C’est ce que confirme M. Fayol, en disant que :

« L’écrivain, confronté à une rédaction, travaille toujours en situation de surcharge

cognitive. Il lui faut en effet activer en mémoire à long terme des contenus sémantiques, les relier entre eux, leur imposer une organisation séquentielle qu’ils n’avaient pas à l’origine et enfin gérer des suites d’énoncés en tenant compte simultanément des contraintes locales ou globales »1.

Et pour réduire ce genre de contraintes, Flower et Hayes2 fournissent certaines stratégies telles que " laisser une contrainte de côté", la réalisation de plans qu’il faut se consacrer : "des plans pour faire" qui aident à la mise en place d’un écrit intelligible, « des plans pour dire » qui participent à l’réalisation du contenu, « des plans pour composer » qui assistent au développement conscient d’une stratégie de production textuelle.

La notion de "surcharge cognitive" a amené de nombreux chercheurs aux Etats-Unis (Collins & Gentner 1980, Bereiter et Scardamalia 1982) et à leur suite en France (Charolles 1986, Garcia-Debanc 1992, Esperet 1993, Fayol 1995) à soutenir l’idée qui propose de mettre en place des « techniques de facilitation procédurale »3 c’est-à-dire qu’il faut entrainer les scripteurs à se concentrer sur des opérations restreintes ou sur un sous-processus rédactionnel au lieu de leur imposer un traitement de l’ensemble de l’activité.

En vérité, les travaux de Hayes et Flower ont toute la reconnaissance d’avoir approché et développé ce qui se produit au cours de l’écriture et d’avoir permis la conception de procédés d’aides pour l’écriture et la réécriture (opérations de planification et de révision). Par ailleurs leur modèle accorde bien peu d’importance la dimension matérielle (supports, postures), élément constitutif de l’activité scripturale, comme il ne donne que peu d’intérêt au contenu des brouillons et aux traces écrites linguistiques ou non qui les traversent.

1 M. FAYOL, « des idées au texte », Paris : PUF, 1997, p. 18

2

Idem., p. 50

3 M. CHAROLLES, l’analyse des processus rédactionnels : aspects linguistique, psycholinguistique et didactiques », Paris : pratiques, n°49, 1986, p. 13

43 Ces chercheurs (particulièrement dans leur premier modèle) adoptent la représentation linéaire de "réflexion-rédaction-révision" et donc, suivent la même orientation traditionnaliste dans la conception qu’ils se font du rapport entre la langue et la pensée.

Plusieurs chercheurs qui se sont inspirées de ce modèle ont tenté une correction de ces aspects (Deschênes, 1988) ou en ont assurés la continuité en abordant le problème de stratégies (Scardamalia et Bereiter, 1986 ; 1988).

1.4.2. Le modèle de Bereiter et Scardamalia

Le modèle de Scardamalia & Bereiter, en comparaison à celui de Hayes et Flower qui résume sa force, selon ses chercheurs, au niveau de « sa tentative de rendre compte de

l’extrême diversité des évènements cognitifs survenant durant la composition à travers un assez petit nombre de sous-procédure »1, a pour objet de comparer des cheminements de scripteurs novices et de scripteurs habiles, ce qui semble aussitôt utile dans la recherche en didactique.

Selon ces auteurs, pour les sujets-écrivant compétents, la visée est de déterminer des objectifs clairs, alors que pour les scripteurs novices, apparait le problème de la manière dont ils doivent s’y prendre pour produire un texte compréhensible.

Les compétents construisent surtout des contenus qu’ils rejettent plus tard, les seconds trouvent de la peine à réunir suffisamment de contenu et ont des problèmes à éliminer le moindre élément, ce que ces chercheurs expliquent en affirmant : « Une explication

évidente est que les jeunes scripteurs ne connaissent pas suffisamment les sujets sur lesquels on leur demande d’écrire. Cela est indiscutable, mais les jeunes scripteurs ont également des difficultés d’accès aux connaissances qu’ils possèdent »2.

Les auteurs de ce modèle présentent donc deux approches rédactionnelles, deux modes de compositions : l’un caractérisant les scripteurs non-experts et l’autre les scripteurs experts tout en s’intéressant aux comportements d’enfants et d’adultes durant l’acte d’écrire en langue maternelle. Ils justifient leur position par le fait que :

1

M. SCARDAMALIA, C. BEREITER, « L'expertise en lecture-rédaction ». In A. Piolat et A. Pélissier (éds.), La rédaction de textes. Neuchâtel: Delachaux et Niestlé, 1998, p.14

44 « La réalité psychologique requiert les deux modèles, l’un pour fournir une description

idéalisée de ce qui est commun dans les démarches de nombreux scripteurs immatures ou inexpérimentés (même si ces processus ne sont pas pour autant absents chez les scripteurs experts) et une description idéalisée de ce qui est spécifique dans les processus des scripteurs experts »1.