• Aucun résultat trouvé

Tableau n°01 : Les invariants du texte libre de Freinet 4

2.2.5. La production par contraintes : L’OuLiPo

Créé en 1960 par François Le Lionnais, Raymond Queneau et une panoplie d’écrivains, de peintres et de mathématiciens, l’Ouvroir de la littérature potentielle, l’OuLiPo, est plutôt un courant littéraire. Ce groupe, en majorité des hommes, inclue « 34 membres dont 13 sont

excusés pour cause de décès »3. Au moyen d’une pratique d’écriture fondée sur des "contraintes", les "oulipiens"4 se sont occupés d’unir littérature et mathématiques avec pour objectif de mettre en évidence des tournures qui peuvent être utilisées dans la production d’une œuvre d’art.

« Plus concrètement, l’OuLiPo s’attache à étudier les contraintes et les structures

qui sous-tendent les œuvres littéraires existantes et à en inventer de nouvelles. Une fois les contraintes d’un texte mises en évidence, on peut produire de nouveaux textes en appliquant ces mêmes contraintes ; on peut également produire des textes à partir des contraintes inventées »5.

1 J. RICARDOU, Op.cit, p. 113

2C. BONIFACE, (Avec la collaboration d’Odile Pimet), « Les ateliers d’écriture », Paris : Retz, 1992, p. 49

3L’OuLiPo, l’Ouvroir de la littérature potentielle, 2015, [en ligne] :

http://www.oulipo.net/oulipiens/document2565.html (consultés le 6/10/2015)

4 Ibid.

5 J. LAFONT-TERRANOVA, « Se construire, à l’école, comme sujet-écrivant. L’apport des ateliers d’écriture », Namur : Presses Universitaires, 2009, p. 28

103 Selon C. Boniface, « les contraintes peuvent être d’ordre alphabétique, phonétique,

syntaxique, numérique ou sémantique »1. Pour être plus explicite, nous rappelons quelques exercices parmi ceux cités par C. Boniface2 :

- Avoir recours au dictionnaire pour changer toute désignation du texte par celle qui l’accompagne plusieurs fois ;

- Construire un texte où chaque mot comporte une lettre de plus par rapport à celui qui le devance ;

- Introduire, largement, une phrase entre deux phrases qui existent tout en respectant la cohérence du texte ;

- Ecrire un texte en démontrant des éléments dans l’ordre demandé ou produire un texte en s’empêchant d’employer une ou plusieurs lettres, exercice connu sous l’appellation de "lipogramme".

Les oulipiens refusent, de même que les nouveaux romanciers, l’idée du scripteur inspiré. Selon P. Fournel « L’OuLiPo affirme "une résistance à une certaine image hugolienne de

l’écrivain, une certaine image qui a été véhiculée par l’école, jusqu’à très récemment" »3. Cependant ils dénoncent au mouvement du Nouveau Roman la théorisation abusive de l’écriture : « Ils ont fait un peu de terrorisme après, ce que nous n’avons jamais fait »4. Pour ce qui est de cette dernière, J. Bens suppose que chaque écrivant devrait répondre au niveau de son texte et ne pas donner aux autres l’occasion de lui indiquer ce qu’il souhaitait dire :

« On essaie (et c’était vraiment l’idée de Queneau) d’éviter que le lecteur puisse

lire autre chose que ce qu’on voulait écrire. Il nous arrive de savoir que dans ce qu’on a écrit, il y a plusieurs sens différents. On est très content quand il y en a plusieurs. Mais on serait tout à fait chagriné de ne pas les avoir aperçus nous-mêmes »5.

En effet, J. Lafont-Terranova note que « l’OuLiPo a un double statut dans le

mouvement des ateliers »6. D’une part, comme courant littéraire, ses notions ont entrainé une influence importante sur plusieurs concepteurs et animateurs d’ateliers français. D’autre part, à partir de la fin des années soixante-dix, les oulipiens se sont engagés dans l’organisation et

1 C. BONIFACE, Op.cit., p. 27

2 Idem., p : 27-28

3 P. FOURNEL, cité par C. BONIFACE, dans « Les ateliers d’écriture », Paris : Retz, 1992, p. 29

4 J. BENS, cité par : idem, p. 30

5 J. BENS, Op.cit, p. 29

104 l’animation de stages d’écriture (associés aux ateliers d’écriture) durant lesquels ils travaillaient des contraintes qu’ils avaient inventées en faisant écrire et en rédigeant eux-mêmes. D’ailleurs, les oulipiens ne considéraient pas généralement ces stages d’écriture comme étant réellement des ateliers d’écriture : « l’OuLiPo n’est pas et n’a jamais prétendu

être un atelier d’écriture »1, souligne M. Bénabou, durant des rencontres sur les ateliers d’écriture.

M. Bénabou souligne que les stages d’écriture ont été ajournés parce qu’ils sont considérés comme une pratique autant complémentaire que régulière et que l’OuLiPo n’arrivait pas à trouver des animateurs disponibles pour répondre à la forte demande d’encadrement. L’auteur révèle que « Ce qui n’était qu’une activité dérivée et occasionnelle

commençait à occuper une place excessive dans l’emploi du temps de quelques Oulipiens qui acceptaient d’animer ces stages. Par ailleurs, cette hypertrophie des stages risquait d’entretenir un malentendu sur la nature du travail oulipien»2.

D’après M. Bénabou, les pratiques réelles des oulipiens diminuent. En s’appuyant sur des données réunies du site internet de ce mouvement, déjà mentionné, J. Lafont-Terranova (2009) rapporte que l’OuLiPo organise toujours les stages d’écriture et use, en plus, du concept d’atelier pour les indiquer. La vision des oulipiens vis à vis des ateliers d’écriture a, de ce fait, transformé à partir de 1993.

L’impact oulipien sur les ateliers d’écriture se trouve authentifiée par les propos des concepteurs d’ateliers d’écriture. En effet, A. Roche a informé que c’est par la faveur de la reconnaissance de l’OuLiPo qu’elle a pu bien organiser ses ateliers. Cette importance demeure apparente dans l’ouvrage du groupe d’Aix (A. Roche, A. Guiguet et N. Voltz ; 1989) qui se penche vers les pratiques d’écriture par contraintes. Les chercheurs ne cessent d’indiquer que certaines activités présentées dans le compte rendu de leur expérimentation « sont

d’inspiration oulipienne »3. D’autres initiateurs de la pratique d’ateliers d’écriture, tels A. André, J. Ricardou et C. Oriol-Boyer, admettent l’importance des oulipiens dans leur travail. E. Bing, quant à elle, relativise le travail des oulipiens ; mais tout en se structurant par rapport à

1M. BENABOU, « Ecrire avec l’OuLiPo ». Dans C. Boniface (dir.). Premières rencontres nationales des ateliers d’écriture (Interventions et actes. Aix-en-Provence, février 1993), Paris : Retz, 1994, p. 15

2 Idem, p. 17

3A. ROCHE, A. Guiguet et N. Voltz, « L’atelier d’écriture. Eléments pour la rédaction du texte littéraire », Paris : Dunod

,

1998, p. 11

105 sa méthode : « Selon qu’on le refuse ou l’accepte l’on s’en exempte ou s’en approche »1 disait J. Ricardou.

En fait, c’est le regard que l’école oulipienne donne au texte qui les diverge d’E. Bing. En revanche, Bing et les oulipiens partagent le même avis qui montre que toute pratique écriture commence d’un déjà-là.

Par ailleurs, l’évidence qu’il n’y a, clairement, aucun texte original, mais qu’il est plutôt le produit de l’intervention de plusieurs textes, antérieurs ou postérieurs, montre apparemment pourquoi les précurseurs des ateliers d’écriture en France se inspirés des autres cultures, tel l’exemple du "haïku". Cette structure poétique arrangée dans le Japon.