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Tableau n°02 : Les points déterminants dans chaque orientation

2.6. Intérêts des ateliers d’écriture

2.6.4. Un espace pour modifier ses représentations

Suite à J.-C. Abric (1994), Y. Reuter (1996), C. Barré-De Miniac (2000), et M.-C. Penloup (2000), nous considérons les représentations comme des rapports qui nous accordent l’appréhension du monde qui nous entoure. « Il s’agit d’un concept transversal que l’on

retrouve dans plusieurs domaines des sciences humaines, en sociolinguistique, en didactique

1J. RICARDOU, « Pluriel de l’écriture ». Dans Cl. Oriol-Boyer (dir). Ateliers d’écriture. Grenoble : L’Atelier du texte, 1992, p.11

2R. GUIBERT, « Former des écrivants », Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2003, p.47

3 P. RICŒUR, « Soi-même comme un autre », Paris : Seuil, 1990, p. 14

4 J. RICARDOU, idem, p. 15

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des langues et des cultures »1. Selon M.-C. Penloup (2000), nous devons tenir compte de l’intérêt des représentations dans un processus d’apprentissage. Et en faisant recours aux réflexions de C. Barré-De Miniac (2000), nous devons préciser que les représentations sur l’écriture sont susceptibles au changement. Ci-après, pour confirmer que l’atelier d’écriture forme un espace-temps où des représentations sur l’écriture sont sujettes aux modifications. Nous attarderons, à titre d’exemple, sur quatre types de représentations en exposant en premier lieu comment elles se présentent et en décrivant, par la suite, la manière dont elles sont exploitées dans un atelier d’écriture.

La première représentation de l’écriture se rapporte à cette surestimation du texte qui mène à considérer la pratique d’écriture, comme celle de la lecture, pour des pratiques exceptionnelles. Produire une lettre administrative ou amicale ne se perçoit pas comme un acte d’écrire, lire un journal aussi. « L’exemple de cette ouvrière qui ne cesse d’affirmer qu’elle

n’écrit jamais tout en expliquant que c’est elle qui rédige les comptes rendus des séances du comité d’établissement, les tracts syndicaux, etc. est significatif à cet égard »2. La valorisation excessive de l’écriture se traduit, chez certains, par un échec de banalisation. M. Dabène illustre ce cas en évoquant que « certains enfants des milieux populaires pour qui l’écriture est

de l’ordre de la féminité ou de l’ordre de l’inutilité par rapport à un véritable travail »3.

La deuxième conception de l’écriture renvoie aux pensées bien fréquentes qui « font

de l’écrivain un être inspiré qui écrit d’un seul jet, sans rature »4. En employant le terme de "texte-logorrhée" pour qualifier ces représentations, R. Guibert (2003) explique que certains individus croient que les écrivains rédigent d’un seul trait et sans obstacles. L’auteur note, au sujet des participants à ses expériences : « Pris dans la conception du texte comme

″logorrhée″, les formés se figurent que l’écriture peut s’écouler sans effort et sans à-coup, comme ils imaginent que cela se passe pour ceux qui seraient doués, les écrivains par exemple »5. Alors qu’ils ne peuvent pas devenir comme eux, ils se voient incapables, non inspirés, même bloqué.

1 J.-P. CUQ, (dir.), Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde. CLÉ International : Paris, 2003, p. 214

2M. DABENE, « L’adulte et l’écriture. Contribution à une didactique de l’écrit en langue maternelle », Bruxelles : De Boeck Université, 1987, p. 63-64

3 Idem, p. 96

4 M. – C. PENLOUP, « La tentation du littéraire », Paris : Didier, 2000, p. 27

5R. GUIBERT, « Former des écrivants », Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2003, p. 50

140 Interprétée aussi bien par M. Dabène (1987), que par C. Barré-De Miniac (2000) et R. Guibert (2003), la troisième représentation a pour nature d’envisager « l’écriture comme

simple technique de transcription et de codage »1, ce que R. Guibert nomme « texte-reflet »2. La catégorie des scripteurs qui s’inscrivent dans cette forme de représentation pensent qu’il est faisable de créer une liaison naturelle et facile entre ce que M. Dabène dénomme « un

ordre du scriptural et un ordre de l’oral »3. Cette pensée du "texte-reflet" conçoit, également, l’écriture comme une interprétation ordinaire de la pensée dans l’ordre du scriptural.

Selon R. Guibert, la pensée de ses scripteurs traduit exactement le fait que tout doit être « pensé d’abord, pour être, ensuite, simplement, couché sur papier et qu’on ne peut écrire

sans avoir d’avance ce qu’on veut dire »4. Réfléchir préalablement à l’écriture peut engendrer des blocages du sujet-écrivant qui hésite d’entrer dans l’aventure scripturale croyant qu’il ne peut rien dire. M. Dabène récapitule donc cette dernière vérité en disant: « De façon très

schématique, on pourrait le dire ainsi : le sujet se sent insuffisamment intéressant, ayant une vie et/ou des idées insuffisamment originales pour se sentir autorisé à écrire »5.

La quatrième conception d’écriture étudiée se rapporte à ce que R. Guibert désigne comme "texte flottant". Certains écrivants se figurent un texte « qui ne serait ancré dans

aucune situation d’énonciation. Tous les textes seraient semblables, uniformes »6. Cette vision peut mener « à l’incapacité à construire, dans son texte, la place au lecteur »7. En quelque sorte, les représentations du texte flottant et du texte-reflet se rencontrent dans le fait qu’elles semblent prévoir la correspondance de la langue et l’adéquation entre l’oral et l’écrit.

« L’apprentissage des codes graphiques […] constitue une véritable

acculturation, c’est-à-dire une autre façon de vivre le langage, la constitution de nouveaux habitus qui intègrent les spécificités de cet ordre langagier, caractérisé notamment par le double vide sémiotique du corps (le non-verbal) et de l’autre

1C. BARRE-DE MINIAC, « Le rapport à l’écriture », Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2000, p. 122

2 R. GUIBERT, Op.cit, p.51

3 C. BARRE-DE MINIAC, ibid.

4 R. GUIBERT, idem, p. 63

5M. DABENE, « L’adulte et l’écriture. Contribution à une didactique de l’écrit en langue maternelle », Bruxelles : De Boeck Université, 1987, p. 98

6 R. GUIBERT, ibid.

7M.-C. PENLOUP, « L’écriture extrascolaire, indice du rapport à l’écriture des apprenants. L’exemple de l’alternance codique dans les écrits personnels », Dans S.-G. Chartrand et C. Blaser (dir). Le rapport à

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(l’interlocuteur) »1. A la différence du code oral où l’ « on étale ses arguments

dans le temps et sous le contrôle constant d’un interlocuteur avec qui on partage implicite et interaction possible 2», « l’écriture […] inscrit dans sa matérialité

verbale, visuellement stable et arrêtée, à la fois le sujet écrivant, le(s) destinataire(s) et le(s) monde référé(s) »3.

Selon P. Guibbert et M. Verdelhan, ne pas prendre la disposition de l’oral et celle de l’écrit comme deux substances qui se diffèrent et peu ou prou autonomes serait la cause de l’échec scolaire en écriture :

« Il nous semble, notent-ils, qu’une pédagogie de la production écrite, pour être efficace, gagnerait à reconnaître que l’écrit se trouve relativement autonome par rapport à l’oral – car les difficultés et les échecs des enfants en matière de rédaction pourraient bien venir de l’entêtement des pédagogues à considérer l’écrit pour ce qu’il n’est pas… ou plutôt pour ce qu’il devrait être et ce qu’il n’a jamais été exactement»4.

En s’intéressant particulièrement au "faire" et à la tâche que demande la production d’un texte, les ateliers d’écriture aideraient les sujet-écrivants à transformer leurs représentations. Ces sujets-scripteurs prennent conscience que le texte achevé découle d’un parcours plutôt long et que « toute production écrite est le résultat d’un apprentissage, et le

fruit d’un travail acharné d’écriture, l’aboutissement enfin d’un patient processus d’élaboration, de mise au point et de fabrication »5.

En effet, l’utopie de l’inspiration, du don et de la seule version, avec la mise en évidence du travail sur le texte, disparaissent. Le fait d’écrire, de relire et de réécrire de façon partielle ou complètement, pratique liée à tout acte d’écriture, prouve que, même s’il y a quelque chose à dire avant de s’engager dans l’écriture, celui-ci demeure exposé à la modification. Et d’ailleurs, ce procédé d’écriture-réécriture, qui peut atteindre les mots ou les phrases aussi, affirme bien que les réalités peuvent se désigner en différentes façon. Comme

1M. DABENE, « L’acculturation à l’écrit dans une perspective didactique ». Dans M.-P. Penloup, D. Colin et J. LAFONT. (dir.). Se donner des outils pour une approche didactique de l’écriture (Actes du Séminaire interacadémique sur l’écriture, 1997), Tours et Rouen, 1998, p. 48

2E. GENOUVRIER, « Enseigner la langue française maternelle », Dans M. Yaguello (dir.). Le grand livre de

la langue française, Paris : Seuil, 2003, p. 531

3D. BUCHETON, « Ecriture-Réécritures. Récits d’adolescents », Paris : Université René Descartes (Thèse de doctorat), 1992, p. 137

4 R. GUIBBERT, et M. Verdelhan, « Ecrire et rédiger à l’école », Paris : ESF, 1980, p. 35

142 l’évoque R. Guibert, quelques pratiques d’écriture mises en valeur par les ateliers d’écriture servent à dépasser ce mélange entre le texte et le réel. En outre, les sujet-écrivants se trouvent étonnés de s’apercevoir qu’ils ont « été capables d’écrire un texte qu’ils ont inventé

tout à trac »1.

En effet, les représentations d’écriture citées en haut se penchent soit sur les "postures" et les "positions" sur l’écriture (la situation de la valorisation/banalisation), soit sur les "conceptions" de l’écriture et de son enseignement (la situation des formes du texte comme "logorrhée", comme "reflet" ou comme "flottant"). Dans cette perception, cette catégorisation appartient aux quatre dimensions du "rapport à l’écriture", telles qu’elles ont été décrites par C. Barré-De Miniac (2000 ; 2008). Cela certifie qu’en changeant ces représentations, l’atelier d’écriture change le rapport à l’écriture des sujets scripteurs en question.

Cette modification du rapport à l’écriture mène le scripteur à désacraliser l’écrit et à prendre conscience que l’écriture s’apprend et s’enseigne, tel est en réalité l’idée partagées par un nombre d’ateliers d’écriture : « admettre le principe d’un atelier d’écriture, c’est

prendre le risque d’au moins une hypothèse, monstrueuse peut-être pour certains. Celle-ci : l’écriture est une discipline susceptible d’être enseignée elle aussi »2.