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Introduction du chapitre 2 57 La place de l'alerte dans la chaîne de la prévision

2.2. Le Réseau National d'Alerte (RNA) : contraintes et limites

2.2.1. Une action très encadrée par les services



De l'origine à la formulation de l'alerte

En France, la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises (DGSCGC), rattachée au Ministère de l'Intérieur, définit l’alerte (et plus précisément l’alerte vers les populations à l'échelle locale) comme étant : " la diffusion par les autorités et en phase d’urgence d’un signal destiné à avertir des individus d’un danger imminent ou en train de produire ses effets" (DGSCGC, 2013). Le danger englobe donc tout événement pouvant porter atteinte à l'intégrité physique des individus et face auquel il est nécessaire d’adopter un comportement de type réflexe. L'alerte est réservée aux évènements graves pour être reconnus des populations et susciter des comportements attendus ; elle est déclenchée pour un événement imminent ou en cours de réalisation afin de préserver un caractère mobilisateur sur les populations et est véhiculée par un signal dit d’alerte (DGSCGC, 2013).

Selon le 5è alinéa de l’article L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales, le maire est l’autorité de droit commun chargé, par application de ses pouvoirs de police, de prendre la décision de déclencher l’alerte. Son champ d’intervention est précisé par la jurisprudence du Conseil d’État. Le maire prépare les situations susceptibles de se présenter sur le territoire dont il a la responsabilité, et il doit aussi enclencher le dispositif d’alerte et d’information des populations si la situation l’impose. Les dispositions relatives à la diffusion de l’alerte et aux consignes de sécurité sont souvent rassemblées dans le Plan Communal de Sauvegarde (Douvinet et al., 2013 ; Blanc, 2015). Le préfet est à l’origine

de l’alerte ou ordonnera sa diffusion dans différents cas - lorsque l'événement couvre plusieurs communes (appartenant au même département) ou lorsque les opérations de secours aux échelles locales se retrouvent dépassées par exemple. Selon l’article L.1322-2 du code de la défense, à l’exception des zones où se déroulent des opérations militaires (la responsabilité de l’ordre public est dans ce cas conférée par le gouvernement à un commandant militaire), « le préfet est chargé de la préparation et de la réalisation de la défense civile contre le danger d’attaque aérienne avec le concours des maires, dans les conditions prévues par le code général des collectivités territoriales ».

Dans la vision des services de l'État, une fois l'alerte déclenchée, les habitants doivent adopter un comportement de mise en sécurité, et un réflexe type de sauvegarde : évacuer ou se réfugier dans un bâtiment (DGSCGC, 2013). Par principe, tout déclenchement de l’alerte doit être suivi d’une information sur les consignes à suivre et sur la nature de l’évènement, jusqu’à la fin de la situation de péril. En cas de menace précise et soudaine, d’une situation critique, l’émotion, inquiétude ressentie en présence de cette menace servent à avertir d’un danger imminent à travers des appels à se tenir sur ses gardes. Elle peut également s’interpréter comme une notification qu’un moment dangereux est imminent ou a été effectivement déclaré. Elle indique alors que des mesures doivent être prises immédiatement en vue de protéger les vies et les biens. (Oxford Dictionary of Weather, 2008). La DGSCGC (Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises) distingue d’ailleurs la décision liée au déclenchement de l’alerte (autorités investies pour la diffusion de l’alerte, la préparation du message et l’identification du moment de la diffusion) de la décision réellement

Ces dispositions s’appliquent à l’ensemble des communes du territoire national, à l’exception de Paris et des villes des départements dits de la « petite couronne parisienne » (c’est-à-dire Hauts-de- Seine, Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne), pour lesquels la compétence de l’alerte relève du préfet de police (surtout concernant Paris). Au niveau national, ce sont le Premier ministre, le Ministre de la Défense et le Ministre de l’Intérieur qui disposent de la possibilité du déclenchement de mesures d’alerte, cela pour des zones géographiques importantes (titre III de la constitution et articles L.1142-1 et L.1142-2 du code de la défense). En supplément à tout ceci, deux cas particuliers sont à relever. Une alerte peut être déclenchée sur un site soumis à un PPI, Plan Particulier d’Intervention, compte tenu du fait qu’ils présentent des risques de nature particulière pour les populations environnantes, et par le Commandant des Opérations de Secours (COS), à une échelle inter-régionale. Dans le premier cas13, la décision d’activer l’alerte est confiée à l’exploitant du site pour des raisons de proximité et pour son expertise potentielle sur la cause probable nécessitant l’alerte. L’exploitant agit alors pour le compte de l’autorité de police. Dans le second cas14, le COS ne déclenchera une alerte qu’en cas de péril imminent ou lorsque l’autorité de police ne peut être mobilisée dans les brefs délais requis.

Les textes de loi légifèrent également la forme des messages, en tenant compte de leur portée psychologique et de leur dimension sociale. Une alerte peut ainsi prendre la forme d’un « signal » (format court15), « message essentiel » (format intermédiaire) ou « message détaillé » (grand format16). Pour les deux derniers types, on s’arrange à ce qu’ils puissent respecter à la fois les six contraintes suivantes : attirer l’attention, localiser les destinataires, nommer l’événement, caractériser le danger, prescrire le comportement de sauvegarde et renvoyer vers un moyen d’information. La réaction des populations suite à une alerte étant fonction de la crédibilité qu’elles lui accordent, tous ces aspects sont définis avec une grande attention. La mention « ALERTE ORSEC » constitue d’ailleurs la signature privilégiée des alertes officielles. Les messages sont rédigés de telle sorte qu’ils soient interprétés sans équivoque et qu’ils ne laissent aucun doute quant à la situation immédiate de péril. À ce titre, un accent particulier est mis sur la matérialisation des messages en leur donnant soit une voix, une couleur (identité auditive ou visuelle) et un signal sonore caractéristique (signal national d’alerte).

De la formulation à la diffusion de l’alerte vers les populations

Différentes structures sont impliquées dans la diffusion même de l’alerte vers les populations. Il s’agit essentiellement des services publics comme privés de radio et de télévision et de structures partenaires (ayant manifesté un intérêt dans la diffusion de l’alerte sur les vecteurs leur appartenant : écrans présents dans des lieux publics, médias web, réseaux sociaux). Concernant les vecteurs (alerte et information), ces derniers avant d’être retenus sont évalués selon cinq critères : capacité à alerter les populations, capacité à informer les populations, qualité et performance du vecteur de diffusion du message, capacité à ajuster la cible des messages, capacité à toucher les populations en différents lieux comme l’illustre le graphique suivant (Fig.2.11).

Pour tous ces vecteurs, le cadre réglementaire prévoit qu’ils assurent (après authentification et sans délai ni modification, de façon aussi répétitive que de besoin) la diffusion de consignes de sécurité17. Une fois le contenu du message réalisé puis le vecteur d’alerte ou du message défini, il est question de déterminer en localisant avec le maximum de précision possible, les populations qui seront concernées par l’alerte. Il s’agit de cartographier la zone de compétence de l’autorité responsable du déclenchement et de faire également un point sur la zone de couverture des moyens d’alertes disponibles. On parle ainsi de zone d’alerte et d’information et de bassin d’alerte (regroupement de plusieurs zones d’alerte). La procédure pour déterminer ces zones se subdivise en cinq étapes : identification de la zone d’effet de l’événement sources du danger, caractérisation du danger avec une mise en évidence des enjeux associés, identifiant du maire ou du préfet responsable de la zone

13

Article 5 du décret de n° 2005-1158 du 13 septembre 2005.

14

Article L.1424-4 du code général des collectivités territoriales.

15

Exemple : « ALERTE ORSEC ECOUTEZ RADIO 107.7FM »,

16

Exemple : Alerte ORSEC : ce message vous concerne si vous trouvez sur la commune de... Incendie dans un batiment…. Un risque d’explosion est identifié à XXX. Veuillez rejoindre le bâtiment le plus proche. Pour plus d’information, écoutez RADIO… sur... FM ».

concernée (non obligatoire), analyse de la zone de couverture des moyens d’alertes disponibles en incluant si possible des zones blanches (dépourvues au départ de moyens d’alerte) et enfin croisement des zones d’alerte d’information avec les zones d’effet.

Source : Guide ORSEC (2013)

Figure 2.11 : Comparatif des méthodes d’alerte et d’information.

Quant au signal national d’alerte, il s’agit d’un son émis par des sirènes appartenant au réseau national de l’alerte (environ 4 500). C’est un signal unique défini et décrit par le code de l’alerte en son arrêté du 23 mars 2007. Ce son modulé ascendant puis descendant d’une minute quarante et une seconde (1 mn 41 s) séparée par un silence de cinq secondes, permet d’attirer rapidement l’attention de la population de jour tout comme de nuit, en cas de danger immédiat afin qu’elle prenne les mesures de sauvegarde appropriées.

Source : http://www.iffo-rme.fr/content/le-signal-national-dalerte-0 (2015)

Figure 2.12 : Représentations du signal national de début et de fin d’alerte.

2.2.2. Un "spaghetti" administratif qui complexifie les prises de décision



Un dispositif qui fait interagir de très nombreux acteurs

 

La conclusion du rapport n° 14-034/14-015/02 du Ministère de l’intérieur (MI, 2015) relatif à la mission d’expertise mandatée suite aux crues de décembre 2013 à février 2014 en Bretagne (rapport définitif après une phase contradictoire) fait explicitement mention des difficultés que cause le millefeuille administratif français sur la question des inondations en France, malgré la bonne volonté des acteurs. « Si les mesures actuellement envisagées vont dans le bon sens, il n’est pas certain que le « millefeuille administratif, sur lequel l’Etat n’a guère de prise, ne vienne pas faire obstacle à leur mise en œuvre concrète et ce malgré l’engagement du préfet de la Région Bretagne et du préfet de la Loire- Atlantique ». Entre l'échelon gouvernemental et l'échelle communale, plus d’une cinquantaine d’intervenants sont recensés, ce qui peut causer des redondances dans la transmission et la validation

spécialisés respectifs (entre trois et cinq) constituent une longue chaîne d’actions et décisions. C'est un vrai « spaghetti » administratif dans lequel la population a de la difficulté à se retrouver (pour ne pas

reprendre le terme de "millefeuille" parfois utilisé pour parler du découpage administratif (MI, 2009 ; MEDEF PACA, 2014 ; Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales). Afin d'illustrer ce propos, lorsque l’on passe de la vigilance à l’alerte, le SCHAPI

transmet son bulletin de prévision hydrologique à la fois à la Cellule Gestion de crise de la Direction générale de la sécurité civile et au préfet de département, lui-même recevant des instructions de cette même direction par l’intermédiaire du préfet de zone (de défense et de sécurité) ou du préfet de bassin hydrologique.

   

Source : Kouadio (2014)

Figure 2.13 : Schéma de synthèse de la vigilance et de l’alerte pluie-inondation.

Cela contribue à un manque de visibilité et à une certaine incohérence dans l’interprétation et l’application des messages transmis, mais aussi à une difficile définition des responsabilités en cas de bilan ou d’actions à entreprendre. À ce sujet, Vinet (2007) donne l’exemple des enquêtes effectuées après les crues de l’Aude en 1999 dans les communes qui connurent des problèmes de gestion de crise (notamment à Cuxac d’Aude). Celles-ci ont mis en évidence le dialogue de sourds entre les autorités (mairies et préfectures). Les unes déplorent ne pas avoir pas été prévenues et avoir dû se débrouiller « toutes seules », les autres arguant que la procédure d’alerte avait été respectée. En outre, alors que la chaîne d’alerte était réputée fiable (car existante depuis plusieurs décennies), elle a, au fil des années, été engluée dans un « procédurisme » technique, peu ou inégalement inefficace dans la mesure où certaines communes ont été alertées et d’autres pas, ce qui ne manquait pas d’augmenter la rancœur des « petites » communes (Vinet, 2007).

La juxtaposition d’acteurs a aussi des incidences techniques. Le même rapport (n° 14-034/14- 015/02) remet en question le nombre, l’utilité et la cohérence de certaines sources d'informations mises à la disposition des SPC : trois sites extranets et un « Bulletin de Précipitations » édité suivant un format différent du modèle national ; un seuil pour « Avertissement Précipitations » peu pertinent (par exemple trop bas pour la rivière de Morlaix). À cela s’ajoute l’hétérogénéité des réseaux hydrométriques, avec parfois des réseaux de mesures juxtaposés : l’un relève de la DIREN (Direction régionale de l’environnement), les autres des Services d’annonce de Crue (SPC) relevant des DDE (Direction départementale de l’équipement) ou des DDAF (Direction départementale de l’agriculture et de la forêt), souvent situés à quelques centaines de mètres des premiers (Vinet, 2007).

Des responsabilités illisibles pour le justiciable

La protection de la population est à la charge du gouvernement et du maire (LOI n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile) en France. En tant qu’autorité de droit commun le maire est alors chargé, par l’application de ses pouvoirs de police, de déclencher l’alerte face aux crues sur le territoire dont il a la responsabilité (article L-2212-2 du Code Général des Collectivités. Territoriales ; Douvinet et Denolle, 2010). Par prolongement, l’alerte relève aussi de la sécurité civile et des services spécialisés du Ministère de l’Intérieur ou de ses représentants (Préfets, maires et SDIS), alors même que la vigilance dépend des Services en charge de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie et ceux spécialisés de Météo-France et le SCHAPI. Si les services fournissent une information objective et critique sur l’aléa (en amont), les responsables de la gestion de crise (le préfet et le maire) sont les seuls à pouvoir activer les secours en adéquation avec les plans d’urgence préalablement définis et à donner l’alerte (Fig. 2.13).

En cas de carence du maire ou lorsque l’aléa dépasse ses compétences territoriales, ou quand les capacités logistiques, techniques ou financières de la commune sont dépassées, c’est le préfet du département qui, tout en prenant en charge l’alerte (ou ordonnera au maire de la diffuser), prendra la direction des opérations de secours à travers l’activation du dispositif ORSEC. Plusieurs exemples mentionnés dans les retours d’expérience témoignent que cette procédure met parfois à rude épreuve les autorités et leurs services. Dans tous les cas, la population ne peut être alertée que par ces autorités. On comprend alors que des questions de responsabilité, de prise de décision, de recours à l’autorité compétente, d’usage ou même de remise en cause du pouvoir peuvent très vite se poser en cas de crise entraînant des incompréhensions (Circulaire interministérielle18 N° IOC/E/11/23223/C relative à la procédure de vigilance et d’alerte météorologiques et N° 2012-32 de la préfecture du Jurat19).

Ce constat peut entraîner des conséquences parfois fatales. Une telle "défaillance" (si on peut la qualifier ainsi) a même été reconnue en décembre 2013 par le Premier ministre (M. Valls) à la suite du passage de la tempête Dirk en Bretagne : « Il y a eu sans aucun doute une erreur d’appréciation »

… « Je vais demander aux préfets concernés, notamment au préfet de Région de tirer un certain nombre d’enseignements, faire un certain nombre d’évaluations (…) pour comprendre, pourquoi le niveau d’alerte (…) un cran au-dessus n’a pas été donné ».

Le dispositif actuel paraît donc fortement technocratique (Figures 2.13). Il peut même paraître désuet et loin des nouvelles techniques d’information et/ou de communication. Peu de citoyens savent d’ailleurs associer le son des sirènes aux comportements à adopter en période de crise(s) (78% d'après une enquête20 réalisée par le cabinet Ifop pour le MDDE en 2013). Ce constat s’explique aussi par l’absence d’exercices de simulation et par l’excès d’informations, ce qui amène le citoyen à placer le risque loin de ses préoccupations centrales. Si le nombre de jurisprudences est en augmentation sur les responsabilités en cas d'inondations meurtrières (plusieurs procédures sont en cours par exemple suite aux inondations du 3 octobre 2015 dans la région de Cannes), le système reste toujours peu clair pour la population et pour tous les acteurs, qui se renvoient à tour de rôle les responsabilités induites.

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