• Aucun résultat trouvé

Introduction du chapitre 2 57 La place de l'alerte dans la chaîne de la prévision

2.2. Le Réseau National d'Alerte (RNA) : contraintes et limites

2.2.3. Un dispositif qui a déjà montré ses limites par le passé

D’après l’AFPCN, le contrôle de l'État sur l'alerte avait pour objectif de lui donner la capacité d'organiser la gestion de crise au niveau du département, tout en suscitant un état de vigilance et de responsabilité chez les maires ainsi qu’une adaptation du comportement du citoyen. Sa mise en œuvre a été étudiée comme une chaîne séquentielle d’information, depuis l’opérateur jusqu’au citoyen, mais en passant par le Préfet puis le Maire. Toutefois, ces caractéristiques constituent la principale faille du système, ce dernier étant incapable de traiter des phénomènes localisés à caractère soudain, « même si

leurs conditions d’apparition ont été correctement anticipées, y compris dans des cas de vigilance jaune. Plusieurs événements l’ont montré. Si des améliorations de processus internes ont permis d’accroître la fiabilité générale, il n’en reste pas moins que ces évènements ont eu des conséquences catastrophiques dues en partie à l’absence de suivi précis à l’échelle infra départementale dès lors que leurs conditions de déclenchement sont connues » (AFPCN et IMDR, 2012).

Les inondations de mars 1930 dans le bassin du Tarn

En 1930, le téléphone, en plein essor, demeure un objet rare en campagne et l’annonce des crues se fonde sur des informations hydrométriques et pluviométriques, transmises principalement par télégraphe depuis les stations en amont aux stations de l’aval, à partir d’une certaine cote d’eau atteinte ou d’une quantité de pluie conséquente (Boudou, 2015).

Dans le haut-bassin du Tarn, la soudaineté de la crue, dans cette région caractérisée par un régime torrentiel des cours d’eau affluents de la Montagne Noire et des Cévennes, a conféré à l’alerte transmise aux communes riveraines du Thoré, de l’Arnette et de l’Agout, un caractère insuffisant car non déclenchée en temps utile. Dans le Tarn moyen et inférieur, l’annonce de la crue aux habitants a également souffert en général de lenteurs et de défaillances. À Lavaur par exemple alors que le lundi 3 mars à 10h30, les hauteurs d’eau atteignaient déjà 3m au-dessus du niveau de la crue de référence de 1975 dans certaines communes en amont : « C’est le tocsin de la cathédrale qui a, vers 1 heure du

matin, prévenu la population dont une partie impuissante assistait aux furieux assauts des eaux, au milieu des cris des inondés se démenant dans l’obscurité la plus profonde, piquée ça et là par les rares points lumineux de lanternes » (La Dépêche, 04/03/1930).

Selon (Boudou, 2015) quatre éléments caractérisent la défaillance de l’alerte à cette époque :

- une temporalité et des habitudes riveraines rendant difficile l’alerte aux populations (l’alerte n’a pas pu être transmise à certaines communes du fait du repos dominical),

- une intensité exceptionnelle de l’évènement qui a mis en lumière la vulnérabilité des réseaux : situés le long des cours d’eau, ils sont en grande partie voire totalement détruits par

la montée des eaux, enlevant la possibilité d’alerter les populations vivant en aval,

- une crue exceptionnelle difficilement prévisible et souvent sous-estimée : pour les autorités

parfois un zèle dans l’alerte et les dispositifs dans les secours, parfois une négligence ou lenteur volontaire en vue d’éviter d’affoler les populations, hésitant parfois à communiquer l’importance de la crue aux habitants. À Saint-Sulpice, c’est ainsi une crue banale qui est annoncée par les autorités malgré une hauteur d’eau sans précédent.

- une négligence humaine pour les populations : les riverains du Tarn, habitués aux caprices

de la rivière, ne sont pas en mesure d’imaginer une telle catastrophe, avec un aléa d’une ampleur inconnue. Une grande partie des habitants assiste par ailleurs à la représentation du Cirque Hagenbeck en dépit de la montée des eaux et de l’annonce du danger. Ce n’est qu’à la fin du spectacle (aux alentours de 22 heures) que ces derniers découvrent la catastrophe et commencent à donner l’alerte aux populations restées à domicile (Boudou, 2015).

Les inondations de l’Aude en novembre 1999  

Dans la nuit du 12 au 13 novembre 1999, il est tombé dans l’Aude jusqu’à 229 mm en 3h à Lézignan-Corbières (Ducrocq et al., 2003). Vinet (2003) relève plusieurs insuffisances sur l’alerte

relative à cet événement. Tout d’abord la transmission des messages d’alerte et leur interprétation par les autorités ont fait défaut. En effet, ce n’est qu’en fin d’après-midi (alors que des secteurs à Argelès,

forte intensité arrive. Le communiqué de presse, trop tardif, ne sera pas repris par les journaux du soir. Une couverture limitée des messages a également été relevée. Il se trouve par exemple que le service d’annonce des crues du bassin du Tarn, installé à Montauban, a bien prévu l’arrivée de la crue du Tarn sur Montauban, mais le SAC n’était pas en mesure de suivre celle du Thoré. Par ailleurs, dans certaines communes, la population était déjà en état de vigilance avant même que lui parviennent les alertes officielles. Ainsi, sur le bassin versant de l’Orbieu, c’est un observateur de terrain qui va avertir le SAC, car il est surpris de ne pas avoir connaissance de la moindre alerte (alors que l’Orbieu venait de franchir la cote d’alerte à Lagrasse). On assiste alors à l’application inverse de la procédure officielle, car c’est le SAC (lui-même en vigilance depuis 13 h 20) qui va alerter la préfecture vers 17h. De même sur le Thoré à Labruguière, sur l’Orbieu à Lagrasse ou sur la Cesse à Agel et Bize : ce sont des observateurs in situ qui ont donné l’alerte. Selon Vinet (2013), c’est principalement la remontée des informations depuis les mairies, les gendarmeries ou les centres locaux de secours, où convergent les appels de sinistrés, qui a fait prendre conscience de la crise aux autorités.

Vinet (2013) relève, également des failles dans l'interprétation des alertes : plusieurs maires n’ont pas été alertés ou s’ils l’ont été, se sont parfois plaints de l’opacité des messages et du manque de suivi de leur hiérarchie dans l’information sur la crise. Les messages d’alerte sont livrés sans plus d’éléments d’appréciation sur la gravité du phénomène. Certains maires n’ont pas pu appréhender et prendre conscience de l’ampleur de la catastrophe à venir, et n’ont donc pas répercuté l’alerte auprès des populations. Cela a eu pour conséquence une alerte à deux vitesses : certaines communes ont pris des mesures rapides pour alerter leurs administrés : sirènes, porte-à-porte, haut-parleur, évacuation préventive, prévention des populations des écarts non protégés par les digues. D’autres n’ont rien fait en toute bonne foi, par crainte d’affoler la population pour rien. Ce fut le cas à Cuxac-d’Aude où le maire suit la montée des eaux sur l’échelle de crue, mais hésite à faire évacuer la population.

Ruissellement urbain et inondation du centre-ville de Marseille en septembre 2000

Suite à des cumuls compris entre 200 et 212 mm en 4h, cette crue a inondé le 19 septembre 2000 la ville de Marseille et ses environs suite au débordement de l’Huveaune (temps de réponse : une demi-heure). L'eau a dévalé les rues depuis les plateaux, situés entre 40 et 50 m d'altitude, jusqu’au Vieux-Port (DREAL PACA, 2011). À ce sujet A. Douguédroit (2008) relève un dysfonctionnement du système de pré-alerte de la part du Centre d’exploitation du réseau d’assainissement, ce qui entraîna une intervention post-évènement des équipes de services et ce qui, selon elle, a pu contribué à accroître l’ampleur des inondations et la désorganisation de la circulation en ville. Pour le Directeur du réseau d’assainissement de la ville, la situation était vite devenue exceptionnelle : « D’habitude, nous sommes renseignés deux heures à l’avance ». Or il ne s’agit pas d’un évènement sans précédent

(Deloffre et Frasse, 1978). En effet, d’après le rapport de la Caisse Centrale de Réassurance (CCR) publié sur son site E-Risk à propos des risques majeurs sur Aix-Marseille21 : « Le risque d’inondation sur la commune de Marseille correspond aux crues torrentielles de la plupart des ruisseaux communaux, en particulier, l’Huveaune, le Jarret et le ruisseau des Aygalades, et au ruissellement urbain dû à l’imperméabilisation des sols de la commune. Le centre-ville est le principal secteur concerné. L’inondation majeure de l’Huveaune de 1978 et l’orage torrentiel du 19 septembre 2000 inondant une partie de la ville a montré la vulnérabilité d’un site urbain tel que Marseille ». On est

donc en droit de se demander pourquoi des mesures adéquates n’ont pas été prises depuis 1978.

Une multitude d’exemples qui rejoignent le même constat

Ces constats ont également été observés lors d'autres inondations passées : en septembre 1992 pour Vaison-la-Romaine et plusieurs autres communes (Benech et al., 1993) (46 morts, et 460 millions d’euros de dommages) ; à Orange en 2002, également en septembre (24 morts et 680 millions de dommages) ; en 2005 encore en septembre, dans le Gard, principalement à Nîmes et à Montpellier (aucune victime, mais 17 millions d’euros de dommages (Dumas et Rajaonson, 2005) ; en juin 2010 dans le Var (23 morts et 700 millions de dommages) (MEEDD et MIOMCT, 2010 ; Martin, 2010) ; et plus récemment en janvier 2014 toujours dans le Var (3 morts, 260 exploitations agricoles sinistrées,

nécessité d’une politique globale intégrée de gestion des risques impliquant la participation de toutes les parties concernées s’est vite imposée comme une solution à envisager.

Un retour d’expérience mené sur les crues du 18 et 19 juin 2013 dans les Pyrénées apporte un éclairage sur les difficultés qui peuvent subsister, surtout lorsqu’il s’agit de phénomènes tels que les crues rapides (DREAL Midi-Pyrénées, 2013). En effet, ces crues échappent très souvent au dispositif de vigilance mis en place, qui comme cela a été déjà mentionné plus haut, les prend à peine en compte. Elles laissent peu de temps aux autorités pour alerter à temps les populations en leur donnant des directives claires et judicieuses (PRITNAT, 2006), entraînant des conséquences parfois très dramatiques comme le montrent les crues du 12-13 juillet 2013 dans le Béarn ou le 18 et 19 janvier 2014 dans le Var (DREAL PACA, 2014 ; PRITNAT, 2006). Le procès-verbal de l’assemblée des maires du Vidourle en date du 7 octobre 1933 suite aux inondations du Vidourle, permet de se rendre compte d’une réalité qui n’est pas nouvelle :

« Considérant que les inondations de 1932 et celle de 1933, qui ont revêtu un caractère catastrophique,

pourraient être fortement atténuées, si les populations avaient été alertées à temps »

« Considérant qu'il est inadmissible qu'un pareil manque d'organisation qui vient de coûter des pertes de vies humaines et des pertes matérielles de plus de trente millions puisse être toléré plus longtemps par ceux qui en sont les éternelles victimes. (…). La protection contre le retour de tels cataclysmes est une fin beaucoup plus importante. Devant la carence des pouvoirs publics, les sinistres groupés pourraient et devraient faire entendre une voix, courtoise sans doute, comme il sied dans une démocratie, mais ferme et résolue. Ils ne devraient pas, au surplus, se lasser de dire que le danger est de plus en plus redoutable et que de nouvelles ruines risquent à chaque instant, de s'ajouter à celles qui existent déjà. »

Documents relatifs