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Parler des mutations liées aux outils numériques rend inévitable une certaine limite : il ne sera pas possible d'atteindre l'exhaustivité et de présenter toutes les solutions, ni dans leur totalité ni dans leur diversité. Évoquer les outils numériques relève aussi d’une tâche délicate, dans la mesure où cela implique de parler d’un univers en mouvement et qui évolue rapidement. Ces freins étant assumés, il s’agit ici de dégager des constantes observées dans les pratiques actuelles.

3.1.1. Des transformations permanentes et sans cesse en évolution

Selon J.M. Charon (2011), l’ère numérique a démarré dans les années 1960, avec la rencontre de l’informatique et des télécommunications. Elle a entraîné des transformations socio-économiques et culturelles d’une échelle similaire à celles provoquées par la révolution industrielle (Shepherd, 2004, citant Drucker, 2002). Les interactions sociales, plus nombreuses et plus variées s’opèrent à travers les technologies de l’information et de la communication. La capacité à mobiliser et traiter des connaissances, leur pouvoir addictif et productif (parfois hors de contrôle) constituent les raisons pour lesquelles les outils numériques ont radicalement transformé les modes de vie et de travail (Shepherd, 2004). Par ce fait, ils sont à la fois vecteurs d’hétérogénéité et à l’origine de normes et de pratiques sociotechniques qui s’universalisent de plus en plus (Fig.3.1).

On peut tout d’abord constater que les outils numériques sont « omniprésents » (téléphones, ordinateurs, maison) et la forte dépendance de l’homme vis-à-vis de ces outils (et à leurs prétendus effets pervers) est aujourd’hui sujette à caution. Par ailleurs, sa mise en œuvre a un coût qui peut se traduire par des fractures numériques (urbain/rural, nord/sud, pays riches/pays pauvres, etc.), par des inégalités induisant une difficile appropriation par la population et des contournements de la loi (fraudes), ou par des impacts environnementaux, et pourtant, force est de reconnaître les attraits et les apports indéniables associés à ces nouveaux usages et pratiques.

Les outils numériques sont également à la base d’importants changements dans les processus de création et de fabrication (automatisation des tâches) : l’homme s’occupe de la conceptualisation et c’est la machine « qui calcule et travaille », ce qui entraîne la disparition de certaines tâches et la naissance de nouveaux métiers. Le cas de l’impression 3D est un bon exemple : on peut désormais imprimer des maisons et des bâtiments, et même des villes, à l’aide d’imprimantes géantes manipulant du béton et du matériel de construction. Selon Khoshnevis (2004), « pouvoir construire une maison en

construction, de gains en termes de restauration ou de reconstruction de bâtiments ou de monuments suite notamment à des catastrophes naturelles), il est clair que cette technologie laisse moins de place au travail manuel, ce qui sous-entend des suppressions éventuelles d’emplois.

Source : Kouadio (2016)

Figure 3.1 : Chronogramme des principales étapes à l’origine ou ayant marqué l’ère numérique.

On peut par ailleurs noter que l’ère numérique a contribué à la digitalisation des savoirs, des connaissances et des loisirs : avec l’apparition d’internet, l’interconnexion des réseaux et la création de gigantesques banques de données, un seul médiateur, l’ordinateur, peut servir pour l’apprentissage et la distraction. Les formations à distance en ligne (e-learning), les universités virtuelles, les MOOC ou les

vidéo-conférences illustrent de tels aspects. Formation, éducation et distraction sont compatibles avec des plateformes comme Halte aux catastrophes ! 25, MIMIM'RISK26 ou même Sauvie27, qui aident à la

sensibilisation et à la prévention des risques. Le projet Hackaton dédié aux risques naturels (le

29 septembre 2016), visant à mutualiser des données de nature différente et sollicitant des développeurs, ou la plateforme des Humanités (Huma_Dis) sont aussi des exemples (parmi d'autres) d'une demande de plus en plus forte pour combiner connaissances, loisirs et savoirs dans une même démarche.

L’usage des drones28 (initialement réservé au domaine militaire), à travers leurs applications à la géomatique pour l’action humanitaire (évaluation rapide des dégâts, interconnexion sans fil de sites, transport de vivres en zones à risques, détermination de trajets sécurisés, etc.), la couverture des évènements publics (rencontres sportives, meetings, discours, etc.), privés (sorties en famille ou entre amis) ou professionnels (surveillance de matériels, ou de sites), démontre une fois de plus le potentiel quasi illimité de ces technologies en terme de portabilité et d’adaptabilité : portabilité, dans la mesure où elles peuvent être contrôlées à l’aide de différents terminaux (smartphone, tablette) ; adaptabilité car elles investissent de très nombreux domaines d’applications. La facilité d’interfaçage entre toutes ces technologies est également un fait notoire. Le fait aujourd’hui de pouvoir par exemple utiliser son smartphone à l’aide d’une seule application pour lire un code barre (en vue d’identifier et d’avoir les informations sur un produit en magasin), scanner un QR (Quick Response) code (pour avoir accès à des données, des fichiers ou des pages web) ou recourir au NFC (Near Field Communication) pour transférer des fichiers entre terminaux (pour les règlements bancaires ou l’accès au transport) témoigne de cet aspect. Grâce aux capteurs qu’il embarque (ou auxquels il est couplé), le smartphone est mis à 25 http://www.stopdisastersgame.org/fr/home.html 26 http://www.minimrisk.fr/index.htm 27 https://www.i-resilience.fr/app/sauvie/sauvie-et-les-catastrophes-naturelles/introlin.swf 28 http://www.makery.info/2016/09/05/champs-elysees-la-plus-belle-avenue-du-drone/ XV)))ème siècle : automation X)Xèmesiècle: Révolution industrielle, mécanisation, machinisme

Début du XXèmesiècle: Electrification industrielle,

électroménager

: )nformatique, gros systemes, ordinateurs

centraux

: )nternet ordinateurs personnels, : micro‐informatique, GPS : )nterconnexion des équipements et des réseaux. : L'ère smartphone, cookies dans les navigateurs web : web . , Big Data, consumériastion, Vie privée +vie publique+vie professionnelle : Cloud computing, )nternet des objets : Villes intelligentes

contribution dans le domaine de la mesure des activités quotidiennes et des déplacements (Noury et

al., 2012). Le corps, à travers la mesure de données individuelles et personnelles, est potentiellement

un nouvel objet numérique, grâce à des dispositifs tels que les chaussures numériques29, le monitorat des fréquences cardiaques30 ou des performances physiques lors d’activités ou des défis sportifs.

Avec une vitesse d’accès, de collecte et de diffusion de l’information instantanée (messagerie électronique, notifications sur smartphone, télé-réalité, live-streaming, cellbroadcasting), des pratiques sont réinventées, voire repensées. Par exemple, se rendre au kiosque chez le marchand de journaux est une activité qui a désormais un substitutif : lire son journal sur sa tablette ou son smartphone, ou être livré à domicile à travers un abonnement géré en ligne. Il y a donc une rupture ou une discontinuité avec le contact humain « direct » : basculement des réseaux sociaux (humains), selon les cas, en Réseaux Sociaux Numériques (RSN) ou en Réseaux Professionnels Numérique (RPN).

En outre, l’évolution du numérique est telle qu’on parle aujourd’hui de l’internet des objets, de villes « intelligentes », de « e-gouvernance » ou de « e-administration ». L’ordinateur personnel n’est donc pas le seul appareil connecté à internet. De leur côté, les administrations disposent ou s’équipent de capteurs interconnectés disséminés dans les espaces publics, pour mieux administrer leurs populations en se basant sur la profusion de données collectées. En somme, on assiste aujourd’hui à l’humanisation du numérique, c’est-à-dire à une réification de l’homme et de ses espaces vécus perçus et pratiqués sous forme numérique. Même si cette copie n’est pas parfaite, elle aspire à le devenir à travers les avancées constantes dans ce domaine et elle est instrumentalisée.

3.1.2. Le "numérique pour tous", source de débats et de questionnements

Lors des deux phases initiales du Sommet Mondial sur la Société de l'Information (SMSI31), en 2003 et en 2005, les Nations-Unies ont convenu d'un ensemble d’actions à entreprendre afin de renforcer la coopération entre les états membres et de chercher des réponses communes aux problèmes liées aux usages et aux défis du numérique. Les Nations-Unies reconnaissent ainsi les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) comme des vecteurs de développement dans la plupart des domaines d'activités, et leurs apports semblent de plus en plus significatifs. L'inclusion numérique, les réseaux sociaux, les réseaux large bande, la mobilité, le nombre de plus en plus important de cours en ligne libres d’accès et la collaboration en ligne sont devenus les domaines les plus plébiscités.

À travers les innovations, le développement devient à la fois progressif et marqué par plusieurs tendances : éducation de qualité pour tous, liberté d'expression, accès universel et non discriminatoire à l'information et au savoir et respect de la diversité linguistique et du patrimoine culturel. Cette

évolution technologique implique, pour les Nations-Unies, d’inscrire cette dernière dans un projet de société : le "numérique pour tous". Que ce soit dans l'emploi, les services publics, les soins de santé et l'information sanitaire, l'enseignement et la formation, les affaires, l'administration, l'agriculture, les transports, la protection de l'environnement et la gestion des ressources naturelles, la prévention des catastrophes et la culture (…), l'application des TIC continue d'être continuellement encouragé.

Toutefois, le projet de société tel que présenté par les Nations-Unies ne fait pas l’unanimité. Y. Jeanneret (2008), après l’avoir analysé sur un plan rhétorique et sémiotique, en a déduit qu’il s’agit d’une notion ambiguë. En effet, le "numérique pour tous" s’inscrit selon lui dans un discours élastique, martelé et entretenu par le SMSI, rattachant à peu près tout et n’importe quoi. Il est également réduit à un vide sémantique, une expression creuse, sans cesse chargée de nouveaux enjeux. Il ajoute également que l’emploi de cette expression est le signe du succès formidable d’une confusion et d’une ambigüité dans la mesure où notre société n’est pas la première et ne sera pas la dernière à se reposer sur des modes de gestion de l’information et n’est donc pas par conséquent « la société de l’information ».

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Toujours selon Y. Jeanneret (2005), ce terme n’est qu’un moyen de masquer ou de disséminer l’« industrie informatique » dans l’inconscient collectif. Pour lui, l’"industrie de l’informatique" fait office d’hégémonie alors qu'elle n’est jamais explicitement nommée, que ce soit dans les discours, les textes officiels ou les rapports du SMSI. Or, le caractère fondamental de l’informatique réside dans le fait que l’informatique est comparable à "un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle

part" (Jeanneret, 2005). Ce qui renforce et officialise le caractère assez obscur associé à l’expression

"société de l’information". Mais de quelle information s’agit-il ? À travers l’usage de cette expression, est mis en lumière un paradoxe : cette société est à la fois affirmée comme déjà existante alors qu'elle est encore à créer. Il faut donc savoir employer cette expression, en gardant à l’esprit qu’il s’agit plus d’un stéréotype, d’un "paradigme technopolitique (équivalent de l’information/informatique) sur un

syntagme communicationnel (un dispositif de débat public)" Jeanneret, 2005.

De son côté, J.-L. Fullsack (2005) propose d’analyser l’ère numérique du point de vue du cadre relatif aux réseaux de télécommunication. Il définit ces réseaux (de télécommunication) comme l’ensemble des moyens matériels et logiciels mis en œuvre pour établir, maintenir et terminer une communication pouvant contenir des signaux de tous types (voix, texte, données, sons, images) entre deux ou plusieurs utilisateurs. Selon lui cet espace des télécommunications se compose aujourd’hui de cinq agents fondamentaux : les acteurs, le marché, la réglementation, les technologies et les services. Les acteurs sont constitués des opérateurs (propriétaires des réseaux), des fournisseurs (équipements matériels ou logiciels) et des prestataires de service. Le marché est détenu par une poignée d’entreprises majoritairement américaines, qui ont un monopole mondial. L'offre et la demande sont conditionnées et incitées par internet, et elles représentent plusieurs milliards d’euros en termes de volumes financiers en jeu. La réglementation (pour ne pas dire une déréglementation) pour sa part n’a qu’un mot d’ordre : la libre concurrence, qui a suivi la transformation en entreprises commerciales de quelques opérateurs du service public. Elle intègre de plus en plus des questions de sécurité et de libertés individuelles, mais est exclusivement guidée par des enjeux commerciaux prédominants.

Le numérique à l’origine de mutations territoriales paradoxales

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