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Pourquoi s’orienter plus spécialement vers les smartphones ? 3.3.

3.3.1. De nombreux bénéfices en cas de catastrophes naturelles

3.3.1. De nombreux bénéfices en cas de catastrophes naturelles

Le succès des applications Red Cross, de La Croix Rouge (pour aider une personne démunie), !ncident (pour informer d’un incident en temps réel) ou Quake-Up (alerte séisme) illustre le fait que

des applications mono-risque puissent être des initiatives gagnantes. Mais qu’en est-il durant les crues rapides en France (durant l'alerte) ? Est-ce possible de détecter une zone inondée en temps réel et/ou alerter avant même que les premiers dommages ne commencent ? Par là même, comment mobiliser le citoyen lorsque l’évènement redouté ne s’est pas encore produit ? Face à des aléas à courte cinétique tels que les crues rapides, plus la collecte et le traitement des données se fait sur un pas de temps court (voire de manière instantanée), plus la prévision est opérationnelle et plus ces outils deviennent une

pour tous sans aucun accompagnement). Ainsi, les acteurs opérationnels doivent pouvoir décider d’une mise en vigilance (minimum pour un avertissement), d’une alerte (risque avéré) ou d’une évacuation (par crainte de connaître un niveau d’endommagement élevé) avec le même dispositif. Les conditions de mise en place d’un système d’alerte volontariste et innovant passent également par un jeu d’acteurs : l’état encourage l’action citoyenne ; les citoyens s’approprient un ou plusieurs outils ; les acteurs opérationnels et les autorités locales impliquent la population plus en amont dans les processus, tant décisionnels qu’organisationnels. Des signaux faibles récemment observés permettent d’envisager que cet objectif est réalisable et les bénéfices à en tirer son nombreux.

Des applications pour relayer et diffuser les informations en temps réel

Les SMS et la radio étaient les moyens de communication utilisés par préférence dans les années 1980 (Auf der Heide, 1989), mais avec les avancées technologiques des années 1990 et 2000 (réseaux de télécommunications plus robustes, espaces mémoire de plus en plus grands, couplage avec l’appareil photo numérique), les téléphones sont passés du statut de simples terminaux d’appels téléphoniques à celui d’outils d’aide à la collecte et à la transmission des données. À travers l’usage du GPS, l’accès à internet et l’intégration des RSN, l’ère des smartphones se traduit par deux révolutions majeures. D’un côté, on est passé d’une communication à sens unique (du moins gérée à un seul niveau, entre acteurs et décideurs) à une communication « à double sens », à travers l’intégration du citoyen dans la boucle sans aucune assistance personnelle. C’est ce que l’on désigne comme étant de l’information géographique volontaire nomade (Goodchild, 2007 ; Roche, 2010) (cf. chapitre 6).

D’un autre côté, outre les pratiques des RSN depuis les smartphones, durant les attentats de Charleston en 2007 (la localisation du tueur a été possible grâce aux messages envoyés par les personnes situées dans la salle de cours) et au cours des élections au Kenya en octobre 2007, les premiers usages relatifs à des catastrophes naturelles ont véritablement émergé à la suite du tremblement de terre d’Haïti (12 janvier 2010 à 16h53, cf. heure locale). Plusieurs portails ont été activés quelques heures après l’événement, permettant la collaboration entre organismes humanitaires, les volontaires du groupe Google et le partage de données de géolocalisation (via « OneResponse » notamment). Des groupes de soutien ont aussi été créés quelques heures après le déclenchement de la crise, le groupe « Haïti en avant » ayant compté jusqu’à 17155 membres sur Facebook en avril 2010.

Lors du passage du typhon Bopha (4 décembre 2012) aux Philippines (1200 décès et 844 disparus), les RSN ont également été mobilisés à l’aide de smartphones. De nombreuses communes ont été plongées dans l’obscurité, ce qui a aussi rendu inopérants les systèmes de communication et d’information. Or, quelques individus ont réussi à se connecter ; ils ont alors pu donner signe de vie à leurs proches et ont permis aux actions humanitaires d’organiser le soutien aux victimes (le Comité International de la Croix-Rouge, CICR, a fait appel à Twitter pour trouver de la main d’œuvre pour la reconstruction des maisons par exemple). Lors de la tempête Sandy à New York en 2012, 20 millions de tweets et 1 million de photos échangées sur Instagram ont été qualifiés par J. Coscarelli (New- York Magazine du 30 octobre 2012) de « tempête sociale » (sans compter les 450000 photos et 290000 messages postés sur Statigram). Contrairement au système téléphonique classique (qui a été vite saturé), le réseau 3G a été efficace et des initiatives innovantes ont été mises à profit (mutualisation de connaissances pour Hurricane Hacker par exemple).

Des pratiques en plein essor en France

Ces pratiques semblent bien plus tardives en France, même s’il faut relativiser ce constat au regard de la gravité des événements et la taille des personnes impactées. L’année 2014 est néanmoins une année charnière, car les pratiques des RSN se sont multipliées à la suite de plusieurs phénomènes naturels dommageables. Outre le tremblement de terre du 7 avril 2014 dans les Alpes, il suffit de prendre deux inondations rapides pour s’en convaincre (Fig. 3.4).

En janvier 2014, la rivière Maravène (Var) entraîne des crues rapides et violentes (cf. chapitre 1) sur la commune de La Londe-Les-Maures (CEREMA, 2014). Le bilan humain (2 morts, 1 disparu) et matériel (600 logements inondés, 73 personnes relogées, 200 véhicules détruits) est lourd. La ville,

déjà présente sur les RSN via un compte Facebook et Twitter, a spontanément envoyé des messages pour informer les citoyens des comportements à suivre, précisé la localisation des zones sinistrées, organisé les aides ou fait appel au bénévolat (@villelalonde sur Twitter). La ville réagit, twitte et prodigue des conseils (Higonet et al., 2014). Avec le SDIS 06, elle va aussi informer les citoyens sur les avancées des recherches suite à la disparition d’une petite fille (Saint-Martin, 2014). Les auteurs des tweets mentionnent qu’ils ont utilisé les RSN à cause de la défaillance des réseaux téléphoniques fixes et cellulaires, contrairement au réseau Internet (Higonet et al., 2014).

Source : Twitter (2014)

Figure 3.4 : Exemples de tweets et de messages envoyés lors des inondations de 2014.

Autre exemple plus récent, les crues de la rivière Bitoulet (Hérault) du septembre 2014 en amont de Lamalou-les-Bains ont elles aussi fait l’objet d’une pratique sur les RSN à partir de smartphones. Le bilan humain a été dramatique (4 décès) et les dégâts matériels sont à nouveau très élevés (12 millions €). Diverses questions sont relayées sur les RSN, notamment pour comprendre le débordement « incompris » et « inexpliqué » de tel ou tel cours d’eau. De leur côté, les SDIS ont étudié les 150 tweets associés à cet événement et les ont ensuite classés par catégorie (sites d’hébergement spontanés, crues, photos, etc.). Les agents rattachés à ces services ont même utilisé leur compte personnel pour communiquer. Le Retex (Retour d’expérience) mené après l’événement avec l’association #VISOV a permis de mettre en avant les pistes d’amélioration à apporter : partage des tweets en moins de 20 minutes ; tri des informations automatisé ; recueil des informations dans les outils opérationnels comme les Plans d’Urgence ; informations à coupler avec les accès routiers… (Martin et Blay, 2014 ; VISOV, 2015). Fait plus inhabituel : le Retex des crues dans le Var en 2014 a pointé le fait que des personnes avaient privilégié des appels urgentistes via Twitter, au détriment des

Des applications ayant leur place dans les Médias Sociaux en Gestion d'Urgence (MSGU)

Face à la recrudescence des catastrophes naturelles depuis quelques années, les acteurs de la gestion de crise (élus, mairie) et les services de secours (pompiers, policiers) et de sécurité civile se sont saisis d’applications, dans le monde, mais aussi en France. Un temps pris de court, les associations caritatives et les services de l'État se sont organisés et ont adapté leurs dispositifs en fonction de ces nouveaux outils. Le concept de Médias Sociaux en Gestion d'Urgence (MSGU) -

traduction de Social Media Emergency Management (SMEM) - est né suite au tremblement de terre de Christchurch (2011) en Nouvelle-Zélande et aux utilisations du RSN Twitter lors de la catastrophe de

Fukushima (2011) et de Facebook lors des crues en Australie en 2009 (Bird et al., 2012 ; Douvinet et al., 2015). Des organismes de défense civile néo-zélandais ont rédigé le premier Guide

des bonnes pratiques des Médias Sociaux en Gestion d'Urgence (Rive et al., 2012). Ce guide indique différents niveaux à prendre en compte (juridiques, sociaux, technologiques et/ou comportementaux) et plusieurs initiatives ont porté sur cette question depuis 2014 (le colloque SMARS en mars 2015, mais on peut aussi citer la formation le 27 novembre 2014 organisée par l’ENSOSP Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Sapeurs-Pompiers ; les formations aux médias sociaux les 1er et 2 juin 2015 par le Haut Comité Français de Défense Civile, ou la création du groupe de travail CiviCrise à l'IRSTEA). Des différences culturelles subsistent encore dans l'intégration qui est faite de ces pratiques. Aux États-Unis, la Red Cross et la société Dell ont mis en place en 2012 la première plate-

forme de veille sur les médias sociaux pour l'aide humanitaire (Digital Operations Center). En France, les services institutionnels sont de plus en plus enclins à les intégrer, puisque les appareils réglementaires et juridiques ne le permettent pas véritablement. Toutefois, en temps de crise, les MSGU restent envisagés comme relais d’information à manipuler avec précaution (Guides Twitter et Facebook publiés par le Ministère de l’Intérieur, 2014). En 2016, la plupart des SDIS (Services Départementaux d'Incendie et de Secours) ont signé (contre un seul en 2015) une convention partenariale avec l'association #VISOV (Volontaires Internationaux en Soutien Opérationnel Virtuel) pour permettre aux pompiers de bénéficier d'une veille active sur les RSN en cas d'évènements (VISOV, 2015).

Des outils d'aide à la décision additionnels

En considérant que les réseaux de télécommunication ne soient ni saturés, perturbés et coupés, les smartphones sont d'une utilité tout aussi capitale en situation post-catastrophes. Après d'importants sinistres, les réseaux permettent aux populations touchées de reprendre pied en aidant à la coordination des premiers secours. Ils relient les survivants à l'internet afin qu'ils puissent informer les autorités de leur situation, obtenir des informations nécessaires à leur survie, et communiquer avec leurs amis et leur famille. Avec l'arrivée du smartphone, les possibilités d'action sont décuplées grâce aux applications dédiées. Elles intègrent la localisation et permettent de créer de façon spontanée et de mettre en action des équipes, des collaborations et des organisations depuis un espace virtuel vers un espace réel. À titre d'illustration, durant les premiers moments qui ont suivi le tremblement de terre à Haïti, la plateforme Ushaidi39 a été utilisée pour collecter, visualiser et traiter les informations concernant les appels à l'aide. Elle a aussi été sollicitée pour rendre les mêmes services lors du tremblement de terre de 2011 qui a frappé Tohoku au Japon (Fig. 3.5) (Janet Marsden, 2013). Ainsi, après un désastre, le smartphone peut aider à répondre aux diverses questions (Où puis-je trouver de l'eau potable, où sont situés les centres de secours officiels ou ad-hoc ? Cette route est-elle sans danger si je veux me rendre à tel endroit ?) et peut même servir à proposer de l'aide de façon

volontaire. Les applications telles que Donate-N-Request voire WeReport (Li et al., 2015) ont aussi

montré que de nouvelles limites pouvaient être franchies par l'intégration d'une bonne sémantique et des termes adaptés au contexte de crise, en l'occurrence le Humanitarian eXchange Language Situation and Response Standard (HXL40) (Keßler et Hendrix, 2009) ou Management Of A Crisis

Vocabulary (MOAC). 39 https://www.ushahidi.com/ 40 http://docs.hdx.rwlabs.org/standards/

Source : Marsden (2012)

Figure 3.5 : Capture d’écran de la plateforme Ushahidi suite au tremblement de terre de 2011 au Japon.

D’autres utilisations ont émergé de façon plus implicite. Par exemple l'intégration des données issues des réseaux sociaux devient une pratique spontanée pour les gestionnaires de crise, surtout lorsque des outils tels que Emergent (qui analyse en temps réels l’impact des situations de crise sur les réseaux sociaux numériques en vue d’en faire un outil d’aide à la décision) sont à leur disposition. Ainsi, pendant les crues soudaines41 de Beijing en juillet 2012, les citoyens publiaient des images sur

Twitter pour fournir des informations sur les zones inondées et des cartes de crise ont été

spontanément réalisées pour suivre et alimenter en temps réel l'impact des inondations via Google Maps42 (Fig. 3.6).

Source : Marsden (2012)

Figure 3.6: Capture d’écran de la plateforme Google Map suite au tremblement de terre de 2011 en Chine.

Tous ces exemples témoignent de la place qu’occupent les technologies smartphone dans le quotidien des usagers, et traduisent les apports possibles en situation d’urgence. Les smartphones et l’infrastructure cellulaire sont des centres de données qui permettent aujourd'hui de stocker et relayer de nombreuses informations relatives aux catastrophes, ce qui n’est pas le cas des infrastructures physiques qui sont assez rapidement détruites (FEMA, 2012 ; Lhomme et al., 2012). Les applications sont de plus en plus nombreuses (83 milliards selon Gartner en 2014) et la plupart participent à la "mouvance actuelle" : consommer vite, gratuitement, sans forcément conserver des traces, et partager. Le fait que des individus soient susceptibles d’avoir leur smartphone dans un environnement en instance de subir un désastre est un facteur important dont il faut dès lors tenir compte dans la planification des mesures de réponse. Aussi, plus vite les gestionnaires sont en mesure de quantifier et d’identifier l'étendue de la catastrophe, plus vite ils pourront soutenir les citoyens et apporter un appui aux premiers sinistrés. D’un autre côté, la notification « push » (intégrable à toutes les applications) offre l’énorme avantage de s’affranchir d’une collecte en amont des numéros de téléphone et l’envoi de messages peut aller très vite. La masse de données traitée aboutit à une meilleure prise de décision, non seulement en cas de crise, mais aussi pour la gestion du quotidien (Kouadio et al., 2013).

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