• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE

2. Diffusion de modèles transnationaux : vers un curriculum global?

2.1 Une accélération certaine de la circulation des idées

Le phénomène d’homogénéisation dont traitent les auteurs est plus ancien que les institutions internationales impliquées dans le développement des systèmes éducatifs comme l’UNESCO et l’OCDE, l’Union Européenne ou la Banque Mondiale, puisqu’il serait principalement lié à l’avènement de la scolarité de masse (Forquin, 2008). Cependant ces institutions jouent clairement un rôle majeur d’impulsion, de régulation, de support dans ces processus de diffusion, et plus largement dans la globalisation des politiques éducatives (van Zanten, 2011)8. Ce processus de diffusion serait renforcé par la mise en place d’outils de comparaisons internationaux comme PISA. Les systèmes éducatifs nationaux se voient contraints de se comparer à d’autres systèmes, ce qui met en question d’anciennes spécificités nationales dans les approches curriculaires (Yates et Grumet, 2011). Les transformations curriculaires en cours sont donc thématisées, par de nombreux chercheurs, comme réponse à des pressions externes sur le curriculum :

OECD and its prominent comparisons of performance between countries and their education systems, particularly via PISA, incite countries to reconsider the forms of their own policy against those which do differently or better. And the measures and benchmarking themselves increasingly infiltrate notions of what curriculum is and how it should be depicted and managed. (Yates et Young, 2010, p.5)

Les chercheurs qui déconstruisent le discours de ces organisations internationales montrent qu’elles dessinent des orientations en termes de contenus d’enseignement et de

7 Meyer (2007) s’appuie sur les travaux rassemblés dans l’ouvrage collectif School knowledge in comparative

and historical perspective: Changing curricula in primary and secondary education, regroupant des analyses de

développements curriculaires dans différentes régions du monde (Benavot, Braslavsky et Truong, 2007).

8 Peut-être faudrait-il davantage parler de « politiques de globalisation ». Ainsi Malet (2010) rappelle que si la

mondialisation désigne un puissant mouvement de diffusion internationale d’informations, d’idées et de modèles soutenue par des réseaux institutionnels, politiques, scientifiques, il faut veiller, comme le soulignait Bourdieu, à ne pas naturaliser le phénomène et peut être préférer le terme de « politiques de » mondialisation.

17

pédagogie9 (et pas seulement en termes de structures et d’organisation des systèmes). Elles promeuvent des « innovations » pédagogiques par opposition à des pratiques jugées obsolète : en particulier le discours de la société du savoir et la knowledge economy10 valorise le know

how plutôt que le know what (Robertson, 2005), c’est à dire les dispositions qui permettront de

devenir un apprenant tout au long de sa vie :

Know-what knowledge is presented as typical of traditional teaching; as passive rather than active and a kind of knowledge that is less valuable in a knowledge-based economy. With knowledge the core element in the emerging mode of production, it is argued that a new kind of learning must assume a more significant role: ‘[s]tudents need to learn how-to-learn, and how to manage their own learning which amounts to a new form of curriculum designed to support “lifelong learning”’ (OECD, 2001b, p. 37). (Robertson, 2005, p. 158)

L’analyse de discours met à jour l’émergence de « nouvelles orthodoxies » (Ball, 1998) – proposant des solutions « magiques » face à aux problèmes qu’elles définissent – et de rhétoriques communes, dont il ne faudrait pas minimiser les effets. Pour des auteurs adoptant une perspective « cognitive » des politiques publiques, ce nouveau discours témoigne d’un changement de référentiel normatif : l’école est alors pensée comme « système de production » de compétences utiles pour les individus et non plus comme « institution » mettant en avant la socialisation des êtres sociaux, en référence aux valeurs de collectivité (Maroy et Mangez, 2011).

9 La thèse d’A. Cerqua (2015) montre que le discours de l’OCDE, l’UNESCO et la Banque Mondiale, bien qu’il

soit constitué d’orientations pédagogiques hétérogènes, est globalement favorable aux pratiques (socio)- constructivistes et aux méthodes actives centrées sur l’apprenant.

10 Dans son rapport The knowledge-based economy (1996), l’OCDE insiste sur l’importance du savoir comme

18

Tableau I Synthèse de travaux de recherche portant sur les évolutions curriculaires contemporaines et la diffusion de référentiels transnationaux

Auteurs Principales caractéristiques identifiées Méthodes

Meyer (2007)

- Développement de l’individu et renforcement de ses capacité (empowerment) au delà de la transmission de connaissances particulières, à travers l’acquisition de all-purpose skills ou life-

skills;

- Préparation de l’individu à la société supra- nationale;

- Choix curriculaires accrus pour l’apprenant (modules, options aux choix, parcours flexibles).

Synthèse des chapitres d’un ouvrage collectif sur les développements curriculaires - niveau national

(Allemagne, Argentine, Autriche, Brésil, Chili, France, Espagne, Mexique, Suisse), régional (Europe, Asie du Sud, Amérique du Nord, pays de l’Organisation de la conférence islamique) et international. Sources : rapports internationaux ou documents nationaux.

Robertson (2005)

- Savoirs conçus comme know-why, know-how et

know-who plutôt que know-what (contenus centrés

des savoirs spécifiques);

- Nécessité d’apprendre à apprendre pour soutenir l’apprentissage tout au long de la vie dans la société du savoir;

- Apprenants actifs, autonomes, engagés dans la définition de leur parcours d’apprentissage.

Analyse de discours de documents portant sur les politiques éducatives publiés par l’OCDE et Banque Mondiale.

Rosenmund (2007)

- Passage d’un curriculum content-oriented à

learning-oriented ; d’un curriculum structuré par

disciplines, à un curriculum structurée autour de thèmes, problèmes, domaines tirés de plusieurs disciplines;

- Auto-régulation de l’apprenant;

- Finalité : faire face au changement (social, technologique), devenir un citoyen responsable.

Analyse documentaire de 100 rapports nationaux sur les réformes curriculaires nationales soumis à la conférence internationale de l’UNESCO (2001).

Voogt et Roblin (2012)

- Compétences mentionnées dans tous les référentiels : collaboration; communication; compétences liées aux technologies de l'information et des communications; habiletés sociales/culturelles et citoyenneté.

- Compétences identifiées dans la majorité des référentiels : créativité; pensée critique; résolution de problèmes; capacité à développer des produits de qualité; productivité.

- Autres compétences : apprendre à apprendre; autonomie; flexibilité; adaptabilité etc.

Analyse de contenu de 8 référentiels dont l’objectif est de promouvoir les

« compétences du 21e siècle » (3 référentiels d’organismes internationaux, OCDE, Union Européenne, UNESCO ; 5 référentiels provenant de l’Australie et des Etats-Unis).

Young (2011)

- Approche générique (genericism) faisant passer les contenus renvoyant à des savoirs spécifiques au second plan pour favoriser des compétences et des capacités détachées de contenus spécifiques (par ex. résoudre un problème) ;

- Choix individuel présidant au séquençage et à l’organisation des apprentissages ;

- Importance accrue des apprentissages et de l’expérience « non-scolaire » ;

- Passage d’un curriculum basé sur un programme, à un curriculum structuré autour d’acquis

d’apprentissage.

Réflexion théorique sur les tendances en matière de curriculum, à la fois au niveau national (Royaume-Uni) et international (Union Européenne, OCDE).

19

2.2 …mais pas de nécessaire convergence

Cependant si la circulation des idées s’est accélérée, la plupart des recherches montrent que ce processus ne conduit pas à une homogénéisation ou une convergence des systèmes éducatifs. Les anthropologues en particulier ne peuvent pas accepter l’idée d’une forme scolaire unique sans la nuancer et la raffiner (Anderson-Levitt, 2003). Ainsi, les recherches qui se focalisent sur les études de cas nationales mettent en relief des arrangements uniques, des traits distinctifs. Les modèles curriculaires « globaux » ne remplacent pas les orientations et pratiques nationales ou locales, ils composent avec elles : la transposition s’accompagne de processus de « créolisation », c’est-à-dire de traduction dans les catégories pertinentes pour les acteurs concernés et d’accommodation aux nouveaux contextes institutionnels et sociaux (Ibid.). Comme le souligne Maroy (2008), les modèles ne se diffusent pas à l’identique, notamment en raison de phénomènes de traduction, de recontextualisation (Ball, 1998) qui adaptent ces modèles pour les rendre acceptables localement. Ainsi, l’analyse que fait Mangez (2008) des textes de la réforme du curriculum en Belgique et de leur traduction en programmes de cours met en évidence une hybridation des référentiels des discours internationaux lors de leur actualisation dans un contexte donné, et non une transposition mécanique. Les notions de compétence et d’apprentissage tout au long de la vie sont présentes dans les textes en s’inscrivant dans un « esprit général qui valorise surtout des finalités humanistes et civiques ». Elles se voient associées à l’idée de « développement de la personne de chacun des élèves » alors que les références à l’idée de compétitivité sont marginales (Ibid., p. 68).

La circulation internationale des idées contribue ainsi à structurer sans nécessairement uniformiser les politiques publiques nationales.

20

3. La coexistence de tendances contradictoires et de logiques en