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La constitution de l’objet « curriculum » à partir d’une perspective sociologique

CHAPITRE 2 CADRE THÉORIQUE

1. Pour une analyse sociologique des politiques curriculaires

1.2 La constitution de l’objet « curriculum » à partir d’une perspective sociologique

Nous ne ferons pas ici un historique de la sociologie du curriculum depuis ses travaux fondateurs, mais nous mettrons plutôt l’accent sur les travaux plus récents en lien avec les problématiques contemporaines qui nous préoccupent. Tout d’abord nous présentons brièvement ce qui caractérise cette sociologie, avant de souligner les travaux les plus importants dans le champ anglophone et francophone25.

1.2.1 Présentation générale

Pour décrire brièvement la sociologie du curriculum, on peut dire qu’elle désigne un ensemble de recherches se rejoignant autour de l’importance accordée aux savoirs dans l’étude des processus éducatifs. En s’inspirant des réflexions de Forquin (2008), on peut en effet avancer que la spécificité des enjeux curriculaires nécessite des outils d’analyse spécifiques :

25 Nous citerons abondamment dans ce chapitre Claude Forquin dont les travaux de synthèse sur la sociologie des

curricula à partir des années 1980 ont contribué à présenter les œuvres des chercheurs en sociologie et en sciences de l’éducation de langue anglaise qui étaient souvent méconnus en France.

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On peut étudier ce qui se passe à l’intérieur d’un établissement avec les mêmes méthodes qu’à l’intérieur d’un service administratif ou d’une unité de production. On peut observer les rapports de pouvoir, les conflits, les processus de décision avec les moyens conceptuels et méthodologiques de la « sociologie des organisations ». La sociologie du curriculum suppose cependant qu’on adopte un point de vue plus conforme à ce qui fait la spécificité des institutions d’enseignement, à savoir le fait d’être par destination des lieux de transmission et d’acquisition des connaissances, de capacités, et d’habitus. (p. 54)

La désignation de « sociologie du curriculum » est un étiquetage qui a l’avantage de conférer une visibilité, « une pertinence théorique à certaines questions tenues trop longtemps à distance de l’agenda de la recherche en éducation » (Forquin, 2008, p. 7).

Premièrement, il est important de distinguer l’approche sociologique du curriculum d’un champ de recherche appliqué en interaction étroite avec les acteurs de la politique éducative et visant à développer des « modèles ». Contrairement aux approches du curriculum

development, les recherches des sociologues du curriculum n’ont pas de visée normative ni

pratique. Leurs recherches visent à « saisir le pourquoi des contenus scolaires » (Isambert- Jamati, 1995, p. 6). Les interrogations des sociologues dont les travaux s’inscrivent dans ce courant sont « suscitées par les expériences pédagogiques du moment et par le débat social, non à des fins prescriptives, mais afin d’alimenter la réflexion » (Ropé, 2000, p. 163). En soulevant la question du « pourquoi »,

Le curriculum cesse d’être perçu comme une composante « naturelle » du monde scolaire, mais apparait plutôt comme un objet « socialement construit », comme le produit d’un processus permanent d’élaboration et d’institutionnalisation dans lequel se traduisent à la fois des mobilisations de compétences et de ressources, des confrontations d’intérêts, des conflits de valeurs et des enjeux de pouvoir, toutes choses à propos desquelles peuvent être élaborées un certain nombre de questions constitutives de ce qu’on pourrait appeler « une problématique sociologique du curriculum ». (Forquin, 2008, p. 9)

Explicitement ou non, la plupart des travaux qui se réclament de cette approche articulent une analyse « interne » du curriculum avec une analyse « externe » qui le met en relation avec différents phénomènes sociaux, culturels ou politiques (Mangez et Liénard, 2008). La sociologie du curriculum se distingue en cela du point de vue didactique qui conçoit la forme et le contenu du curriculum comme résultant principalement de contraintes internes

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liées à la discipline enseignée et au travail de transposition didactique, celui-ci opérant une transformation des savoirs savants sélectionnés en savoirs enseignés (Ibid.)26. Les évolutions curriculaires sont alors perçues comme procédant d’un cheminement autonome du champ concerné (Crahay, Audigier et Dolz, 2006). Au contraire, la sociologie du curriculum tente de « comprendre le curriculum dans ses interactions avec des réalités sociales, culturelles, politiques qui lui sont au moins partiellement extérieures » (Mangez et Liénard, 2008, p. 103). Elle se démarque également de conceptions qui considèrent que les évolutions internes aux sciences de l’éducation sont les principaux moteurs des transformations curriculaires (Crahay et Forget, 2006). La perspective sociologique tend alors à appréhender les enjeux qui sous- tendent les changements curriculaires comme l’expression de tensions entre différents groupes au sein de la société. Le curriculum est envisagé dans sa « dimension politique », comme résultant de divers processus de décision à l’occasion desquels se manifestent conflits d’intérêts, visions divergentes, et enjeux de pouvoir (Forquin, 2008).

1.2.2 La sociologie du curriculum dans la littérature anglophone et francophone

La sociologie du curriculum est souvent assimilée à la « nouvelle sociologie de l’éducation » (NSE) anglo-saxonne, les contributions de l’ouvrage Knowledge and Control (Young, 1971) étant considérées comme les bases théoriques de cette sociologie qui met au centre de sa réflexion les modes de sélection, d’organisation, de légitimation des savoirs incorporés dans les curricula scolaires (Harlé, 2010; Isambert-Jamati, 1995). La problématique de la nature et de la légitimité des savoirs scolaires est au centre de la NSE. L’optique est fortement critique, elle se veut radicalement anti-fonctionnaliste et anti-positiviste : elle met l’accent sur le caractère contingent, « socialement construit », et donc problématique, discutable, des savoirs scolaires. Porteurs de postures théoriques et épistémologiques hétérogènes, les chercheurs de ce courant ont comme point commun l’opposition à une approche se limitant à l’étude des entrées et sorties du système éducatif (Forquin, 2008)27.

26 Les didacticiens, spécialistes de telle ou telle discipline, donc d’un corpus de connaissances savantes, voient

d’abord dans les savoirs scolaires un moyen d’accéder à la maîtrise de la discipline (Deauvieau et Terrail, 2007).

27 Trois éléments sont à l’origine de ce renouvèlement selon Forquin (2008) : a) la sociologie devient partie

intégrante de la formation des enseignants à l’institut de l’éducation de Londres, les sociologues au contact des enseignants sont amenés à s’intéresser à ce qui se passe dans la « boîte noire » des classes et des écoles; b) on

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Sans rentrer dans les détails, nous soulignerons les positions de deux auteurs emblématiques qui seront mobilisés de façon importante dans la suite de la thèse.

Michael Young (qui a coordonné l’ouvrage Knowledge and Control) revendique une sociologie qui établirait les mécanismes par lesquels le savoir est sélectionné, organisé et évalué dans les établissements d’enseignement. Il travaille à établir une typologie des formes d'organisation du curriculum, selon la stratification, la spécialisation et la segmentation des savoirs dans le programme. Celles-ci renvoient au statut social différencié qui est attribué aux types de connaissances, en fonction des structures sociales dominantes. À la même époque, Basil Bernstein (1971) élabore une théorie des « codes du savoir scolaire », suivant les caractères socio-morphologiques du curriculum, en rapport avec la distribution du pouvoir et les formes du contrôle social dans la société. De même qu’un code sociolinguistique gouverne la production des énoncés verbaux dans les contextes sociaux, de même le « code » du savoir scolaire est un « ensemble de règles formelles gouvernant la production et le fonctionnement de ces systèmes de messages que constituent, selon Bernstein, le curriculum, la pédagogie et l’évaluation » (Forquin, 2008, p. 60). À cette époque, il s’interroge sur la montée en puissance du code « intégré » (par opposition au code « sériel ») caractérisé par le décloisonnement entre matières et la perméabilité croissante entre monde scolaire et non-scolaire, une transformation en lien avec les innovations pédagogiques de l’époque promues par les nouvelles classes moyennes anglaises. Ces nouvelles classes moyennes privilégient également des pratiques pédagogiques que Bernstein qualifie d’« invisibles ». Elles se caractérisent par une structuration décloisonnée des contenus, des relations faiblement hiérarchisées et très personnalisées entre élèves et enseignants, ces derniers s’appuyant sur des théories du développement de l’enfant (Bernstein, 1975). Selon Apple (2008), les travaux de Bernstein ont joué un rôle crucial dans l’attention qui fût alors portée non seulement aux contenus enseignés et à leur sélection, mais également à la forme et à l’organisation des savoirs dans les programmes, à la pédagogie, à l’évaluation, et aux principes qui les sous-tendent. Bernstein (1990) définit sa démarche comme distincte des perspectives qui perçoivent la communication

découvre les apports théoriques de la sociologie « interactionniste » américaine; c) le développement d’établissements secondaires polyvalents (comprehensive schools) accueillant élèves de niveaux scolaires et provenances sociales plus diversifiées.

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pédagogique comme vecteur ou relais de messages idéologiques, de relations de pouvoir extérieures (c’est notamment le cas selon lui des théories de la reproduction culturelle). C’est pourquoi il s’attache à développer une analyse interne de la structure du discours pédagogique lui-même. Si la NSE n’a pas persisté comme courant, son apport est indiscutable du point de vue de l’attention portée à ce qui se déroule dans la « boîte noire » de l’institution scolaire.

Du côté de la recherche francophone, il est frappant de constater que l’approche sociologique du curriculum a connu un essor beaucoup moins important. Depuis les années 1950, la sociologie de l’éducation se consacre à la description statistique des parcours scolaires dans leurs relations notamment à l’origine sociale, à l’étude des stratégies familiales de scolarisation, au processus de reproduction des inégalités scolaires, aux relations entre école et marché du travail, aux interactions internes à l’établissement.

Dans cet ensemble, la part des travaux consacrés aux trois grandes facettes de l’activité de transmission des savoirs : la détermination des contenus d’enseignement, les pratiques pédagogiques des enseignants, les activités d’apprentissage, s’avère relativement modeste. (Deauvieau et Terrail, 2007, p. 10)

Dans les termes de Forquin (2008), la problématique des contenus d’enseignement est donc restée « la parente pauvre » de la réflexion sociologique sur l’école malgré le retentissement de l’œuvre de Durkheim, précurseur de la réflexion sociologique sur le curriculum28. Quand les sociologues, malgré tout, cherchent à ouvrir la boîte noire du système éducatif, le terrain est déjà occupé par d’autres spécialistes (psychopédagogues, psycholinguistes, spécialistes des disciplines, didacticiens) qui adoptent généralement une posture plus normative que descriptive (Deauvieau et Terrail, 2007).

En France, les travaux portant sur la question de la détermination des contenus d’enseignement s’intensifient à partir de la fin des années 1980, période marquée par le renouvèlement des grands cadres théoriques29. Viviane Isambert-Jamati (1995) publie un

28 Ainsi pour Deauvieau et Terrail (2007), la sociologie du curriculum renoue avec des questions – qu’enseigne-

t-on et comment enseigne-t-on – qui étaient celles de L’Évolution pédagogique en France (Durkheim, 1938).

29 Les modèles macro-sociaux laissant place à l’interactionnisme ou l’ethnométhodologie. En termes de niveaux

d’analyse, l’impact de l’adoption d’approches interactionnistes et ethnographiques est le suivant : revalorisation des échelons locaux où se déroule l’action éducative, focalisation sur l’activité quotidienne des acteurs, sur les interactions directes et la prise en compte du sens que les acteurs attribuent à leurs actions (Henriot-van Zanten, 1993).

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ouvrage qui s’inscrit pleinement dans la sociologie du curriculum. Elle analyse les savoirs scolaires à travers les programmes officiels et les pratiques pédagogiques en classe. En comparant les effets de différentes pratiques pédagogiques sur les résultats des élèves, elle montre que les pratiques « libertaires » qui se rapproche de la « pédagogie invisible » telle que décrite par Bernstein (1975) sont sans conteste plus favorables aux élèves dont les parents appartiennent à la bourgeoisie.

Un autre groupe de travaux met l'accent sur la différenciation de la sélection et de l'organisation des savoirs selon les segments de l'enseignement, et sur le sens des changements qui s'opèrent en matière de codification du travail dans les entreprises. L'ouvrage Savoirs et

compétences (Ropé et Tanguy, 1994) interroge les usages sociaux et scientifiques de la notion

de compétence laquelle tend à se substituer à celles de savoirs et connaissances dans la sphère éducative ou à celle de qualification dans la sphère du travail.

S’intéressant plutôt aux effets produits par les différents types de curricula, les travaux des chercheurs de l’Université Paris 8 (groupe de recherche « Éducation et Scolarisation ») cherchent à décrire et à comprendre les modalités concrètes de l’appropriation des savoirs par les élèves. Adoptant une posture sociologique pour analyser les apprentissages et les inégalités, leurs travaux rejoignent les problématiques de la sociologie du curriculum, en s’interrogeant entre autres sur les effets de l’affaiblissement de la logique disciplinaire sur les élèves de milieux populaires. Bautier et Rayou (2013) mobilisent les concepts développés dans les derniers travaux de Bernstein pour analyser les évolutions curriculaires en se centrant sur l’enseignement primaire et les établissements en zone d’éducation prioritaire, dans une optique qui porte avant tout sur les effets sur les élèves.

Malgré l’importance de ces travaux, Frandji et Vitale (2008) font le constat suivant : Le champ universitaire français ne connaît encore pas grand-chose des travaux de Bernstein mais continue, dans une sorte de modus vivendi, à bouder son apport considérable à la sociologie et aux sciences sociales ou, au mieux, à se référer à des travaux des années 1960 que l’auteur n’a cessé de réviser tout au long de sa vie. (p. 8)

Philippe Vitale lui-même a contribué à diffuser la sociologie du curriculum anglo- saxonne à travers ses travaux sur la recontextualisation des savoirs de la sociologie, dans le cadre notamment de l'enseignement de la discipline à l’Université (2006).

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Enfin, les travaux d’Éric Mangez (2008) nous semblent à cet égard occuper une place importante dans la littérature francophone car ils font partie des rares recherches qui analysent les évolutions curriculaires récentes dans l’enseignement secondaire, en mobilisant la sociologie du curriculum. Les repères théoriques développés par Bernstein dans les années 1970 (pédagogie visible/invisible) lui permettent d’identifier en Belgique francophone la montée d’un modèle pédagogique orienté vers la pédagogie invisible (fluidification du temps et de l’espace, intégration des apprentissages autour de la notion de compétence, horizontalité des rapports enseignants-élèves).

1.2.3 Renouvèlement des questions de recherche et problématiques actuelles

Nous avons identifié, à travers la littérature, trois thématiques majeures qui ont contribué à renouveler les questionnements de la sociologie du curriculum (par rapport à la NSE des années 1970 notamment)30 :

- le déclin des modes de production fordistes31 et la transformation des exigences en termes de main d’œuvre;

- la montée du New Public Management ou la Nouvelle Gestion Publique (NGP), et des politiques d’accountability en éducation – qui se traduit par un contrôle accru de l’État sur le curriculum;

- enfin, la circulation de modèles à l’échelle globale, notamment en lien avec les notions de société de la connaissance et de formation tout au long de la vie.

Les modes de production post-fordistes ont transformé les exigences en termes de main d’œuvre, et se sont traduits par de nouveaux modèles d’emploi marqués par la précarité et la flexibilité (Gautié, 2003). Les entreprises ne garantissant plus la sécurité de l’emploi, il incombe alors à l’individu de gérer son capital de compétences mobilisables et transférables

30 La nature et l’ampleur de ces développements ont été présentées dans le chapitre 1 en lien avec l’orientation

des réformes éducatives contemporaines. Nous faisons ici brièvement le point sur le positionnement théorique des sociologues du curriculum sur ces questions.

31 Les modes de production fordistes étaient fondés sur une organisation bureaucratique et sur une division

hiérarchique nette entre conception et exécution du travail, au travers de procédures segmentées et standardisées (Mangez, 2008).

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d’un emploi à l’autre et de se mettre lui-même en projet (Ibid.). On met en avant la polyvalence, les capacités de coopération et d’adaptation à des changements continus. Un nouveau lexique se diffuse depuis la fin des années 1980 dont la notion de « compétences » fait partie. Ropé et Tanguy (1994) avancent la thèse qu’au moment où l’on remet en cause le système des qualifications dans les entreprises au nom de l’adaptabilité et de l’employabilité des individus, on peut également observer une modification majeure des modèles éducatifs. L’« usage inflationniste de la notion de compétences, fortement associée aux notions de

performance et d’efficacité dans la sphère éducative et dans celle du travail » (Ropé, 2000, p.

164) tend à se substituer ou à se juxtaposer à celle de savoirs et connaissances qui perdent leur position centrale et prennent des sens différents.

Cette pression de plus en forte sur les curricula pour répondre aux besoins du marché, et sur les individus pour faire fructifier leur capital de compétences, est thématisée par Bernstein (2000) dans ses derniers travaux à travers le concept de « reconvertibilité » (trainability). Il identifie de nouveaux modèles pédagogiques orientés vers le marché, en particulier un modèle fondé sur des generic skills qui se déploient surtout dans l’enseignement secondaire32. Si plusieurs modèles pédagogiques continuent à s’affronter au sein du champ éducatif, la transformation fondamentale dans le domaine des politiques éducatives réside dans l’institutionnalisation de modèles qui valorisent avant tout la performance et l’objectif de l’intégration des individus dans le marché, dans un contexte où le travail et la vie ne peuvent plus se fonder sur des prévisions stables du futur :

Dans de semblables conditions, on pense qu’il faut développer un nouveau savoir-faire vital : la « reconvertibilité », la capacité à tirer profit de réformations pédagogiques continues et ainsi à s’adapter aux nouvelles exigences du « travail » et de la « vie ». (Bernstein, 2007, p. 101)

Pour Bernstein, les generic skills au cœur de ce nouveau modèle introduisent une ambiguïté fondamentale puisqu’ils sont associés à la notion de compétences (competencies), mobilisée ici dans une logique instrumentale. Ces skills renvoient à l’analyse fonctionnelle de

32 Au niveau de l’enseignement supérieur, ce mouvement se traduit par un processus de « régionalisation » : le

curriculum est organisé autour de « régions », des unités plus larges, créées par regroupement de diverses disciplines, différents types de savoirs autour d'objets, ces objets étant définis au croisement des disciplines et des champs socioéconomiques.

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ce qui est considéré comme nécessaire à la performance d’un savoir-faire, d’une tâche, d’une pratique ou d’un secteur d’emploi. Or, la notion de competence (et non competency) renvoie également au modèle de la pédagogie « invisible » qui prédomine en Europe dans l’éducation primaire et pré-primaire à partir des années 1970. La notion de competence dont il s’agit ici est sous-tendue par une logique toute autre : « Les compétences sont intrinsèquement créatives et acquises tacitement dans les interactions informelles […] il y a une créativité innée, une auto- régulation vertueuse innée » (Bernstein, 2007, p. 78)33. Nous développerons ces différents modèles plus en détail dans la suite du chapitre (Section 2), car ils vont être fortement mobilisés dans notre analyse.

Alors que dans les années 1960, la question centrale pour les sociologues britanniques était celle des inégalités sociales (dans un contexte d’élargissement de l’accès à l’enseignement secondaire), les problématiques changent à partir des années 1980. Sous le régime Thatcher, de nouveaux discours sont introduits dans le champ éducatif, celui du management et de l’évaluation. La mise en place de nouveaux modèles pédagogiques s’est accompagnée d’une demande accrue de reddition de comptes à laquelle sont soumis les acteurs, et la mise en place d’évaluations standardisées à grande échelle pour s’assurer des acquis des élèves et créer des indicateurs de performance. Selon Mangez et Liénard (2008), ce déplacement témoigne d'une transformation dans la régulation des systèmes éducatifs : « dans de nombreux pays, l'évaluation externe est devenue l'instrument privilégié par l'État pour réguler l'action éducative locale et peser sur le curriculum réel » (p. 106). Or, le développement des évaluations externes standardisées serait susceptible non seulement de réduire le pouvoir des acteurs locaux, mais aussi de faire basculer des curricula décloisonnés et des pratiques pédagogiques centrées sur les dimensions affectives de l’enfant, vers des modèles curriculaires performance-based, un phénomène que Broadfoot et Pollard (2006) ont analysé en Angleterre. Dans un contexte marqué par la montée de la doctrine de la NGP, les développements récents de la sociologie du curriculum accordent donc une attention accrue

33 Selon Stavrou (2012), les développements actuels de la sociologie du curriculum tiennent pour beaucoup aux

développements apportés par Bernstein lui-même à son cadre conceptuel. Il justifiait la révision de son cadre théorique par la nécessité de développer des modèles aptes à décrire l’orientation des réformes éducatives contemporaines. Il développe dans ses derniers travaux la question de la recontextualisation de la notion de compétence dans le champ éducatif.

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aux dispositifs d'évaluation externe. Pour Lingard (2010) et Yates (2009), l’intérêt renouvelé