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CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE

3. Volet 2 : analyse des processus de recontextualisation du discours pédagogique

3.3 Méthodes : collecte et analyse des données

3.3.1 Le choix de l’entrevue semi-dirigée individuelle

Notre objectif n’était pas de vérifier certaines informations facilement collectées via un questionnaire standardisé (par ex. à quelle fréquence mettez-vous en place des situations

d’apprentissage) mais de comprendre des processus complexes à l’œuvre et que l’on ne

souhaitait pas définir a priori98. L’observation des processus de recontextualisation nous semblait mieux servie par la méthode de l’entrevue, « une technique laissant à la personne interrogée la possibilité de définir et d’évaluer sa réalité » (Quivy et van Campenhoudt, 2006, p.158). Nous voulions analyser le sens que les acteurs donnent à des pratiques et des événements, explorer leurs représentations, leurs systèmes de valeurs, ainsi que les relations et enjeux stratégiques qui sous-tendent leur travail.

98 L’enquête par questionnaire se prête en effet mieux à la mesure d’opinions, d’attitudes, et vise avant tout la

vérification d’hypothèses théoriques et l’examen de corrélations que ces hypothèses suggèrent (Quivy et van Campenhoudt, 2006).

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L’entrevue semi-dirigée permet de réduire l'intervention du chercheur dans la conduite et l'ordonnancement du discours du répondant et ainsi de saisir au mieux les logiques propres à chacun des répondants. Dans notre perspective d’analyse comparée, il était très important de respecter les cadres de références, langage et catégories mobilisés par les interlocuteurs dans les deux systèmes éducatifs. Par rapport à l’entrevue non-dirigée, l’entrevue semi-dirigée permet malgré tout de contenir le discours du répondant à l’intérieur des objectifs de la recherche (Quivy et van Campenhoudt, 2006).

Le guide d’entrevue99 destiné aux CP/IPR comportait quatre grands thèmes (voir Encadré 4) et une série de questions relativement ouvertes, centrées notamment sur leur rapport au métier, à leur discipline et à la pédagogie, leur travail avec les autres agents et avec les enseignants, les activités mises en place relatives aux contenus d’enseignement, aux pratiques pédagogiques et évaluatives et l’usage des textes officiels lors de telles activités. Ce guide a fait l’objet d’une préparation minutieuse. En effet, une recherche comparative nécessite une instrumentation préalable relativement forte, de telle sorte que l’on puisse juxtaposer les résultats pendant l’analyse (Miles et Huberman, 2003). Les thèmes guidant l’entrevue devaient avoir autant de pertinence et de sens pour des répondants situés en France ou au Québec.

Encadré 4 Thèmes guidant les entrevues avec les CP/IPR

1. Présentation générale (présentation de l’individu, trajectoire, identité professionnelle)

2. La fonction de CP/IPR (évolutions dans leurs fonctions/mandats, organisation du travail, place de la collaboration entre agents, rapport à la recherche)

3. Leur travail avec les enseignants (travail concret au niveau des établissement, différents types d’interactions avec les enseignant, statut et rôle des textes officiels et leur mobilisation dans ces interventions, principales sources de controverses, tensions)

4. Les politiques éducatives ou autres politiques qui ont un impact sur la politique curriculaire (notamment les politiques de gestion/pilotage par les résultats).

Les entretiens réalisés avec les acteurs clés permettant d’apporter un éclairage sur la CS/académie étaient centrés sur les points suivants : présentation de l’organisation; priorités et orientations spécifiques par rapport au curriculum; organisation du travail des CP/IPR; impact

99 Les schémas d’entrevue ainsi que les modalités éthiques accompagnant les entrevues (formulaire de

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des politiques éducatives autres que curriculaires sur les orientations pédagogiques de la CS et leur mise en œuvre.

La préparation des guides d’entrevue a été facilitée, au Québec, par une familiarisation avec le terrain d’enquête (fonctionnement des CS et enjeux majeurs, rôle des CP) grâce à notre participation à la recherche NewAGE100. La collecte de données a également été préparée en amont par une analyse de la documentation interne (accessible au public) sur les organisations participantes101. Ces documents nous ont permis de compléter le « portrait » de l’organisation. De plus, le guide d’entrevue avec les agents a fait l’objet d’un pré-test lors de d’une entrevue semi-dirigée avec un CP. Au cours de la période de collecte, le guide a également fait l’objet d’ajustements graduels. Nous avons notamment ajouté des items adaptés à chaque contexte, visant à susciter des récits de pratiques en lien avec des exemples concrets de situations, d’interactions. Nous avons pu mettre à profit notre connaissance des textes officiels préalablement analysés (Volet 1) pour mettre au point de nouvelles stratégies de collecte. Ceci nous a permis d’enraciner les récits de pratiques dans la discussion de documents précis, pour contrebalancer les limites de ces « récits oraux » (Coburn, 2004) et approfondir les entretiens. Les guides d’entrevues ont également été adaptés à chaque « site ». Comme le soulignent Miles et Huberman (2003), l’instrumentation préalable peut être revue en cours de route pour reformuler les questions dans les termes propres au site, permettant une observation informée grâce à une familiarité croissante avec le site.

3.3.2 Modalités des entrevues

La majorité des entretiens s’est déroulée sur le site de la CS/académie (lieu de travail principal ou du moins régulier des agents : rectorat/siège social ou centre éducatif de la CS) à l’exception de deux entretiens s’étant déroulés dans un lieu public pour des raisons de convenance par rapport aux dates proposées et au lieu d’habitation. Nous avons conduit les entretiens sur une période de six mois entre le 25/03/2015 et le 25/09/2015. Les entretiens ont

100 Voir note 95.

101 Par exemple, projet académique, plan stratégique de la CS, convention de partenariat entre CS et ministère,

répertoire de formations à l’intention des enseignants (ex. plan académique de formation); politiques spécifiques (par ex. Politique sur le français adopté depuis 2008 par chaque CS).

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duré entre 60 et 90 minutes, ils ont été enregistrés par voie audio puis intégralement retranscrits102.

3.3.3 Analyse des entretiens selon une analyse de contenu thématique

Pour analyser le contenu des entrevues, nous avons encore une fois privilégié une analyse thématique. D’autres types d’analyse, notamment l’analyse de discours, auraient pu être mobilisés. Pour reprendre la distinction proposée par Stavrou (2012)103, l’analyse thématique se focalise sur le contenu informatif inclus dans ces données, elle vise à saisir un discours « sur » un objet, alors que l’analyse de discours est tournée vers le discours lui-même. Ce type d’analyse emprunte à diverses théories centrées sur les caractéristiques internes et la forme du discours, dont les théories de l’énonciation (qui mettent en relation les unités linguistiques et les éléments constitutifs de la situation de communication), la pragmatique linguistique (qui interroge les fonctions et les normes qui régissent l'acte de produire un discours sur quelque chose), et l’analyse structurale (qui analyse la manière dont les éléments du texte sont mis en relation les uns par rapport aux autres).

L’analyse thématique s’en différencie par le choix des éléments pertinents à analyser. Par exemple les signes para-linguistiques (rire, hésitation) ne sont pas analysés nommément. L’analyse ne s’attarde pas non plus outre mesure sur les choix sémantiques des participants (par exemple, dans notre corpus, l’usage du mot « prof » plutôt qu’ « enseignant » par certains répondants104), « non pas qu’ils ne soient pas significatifs et pris en compte implicitement dans l’analyse globale, mais ils ne doivent pas être examinés isolément » (Paillé et Mucchielli, 2005, p. 141). En analyse thématique, l’importance du choix des mots n’est ni examinée ni établie a priori. Cela n’empêche pas de reprendre les mots employés par les répondants dans la description des thèmes par exemple, les choix linguistiques se trouvant indirectement

102 Lors de leur retranscription les entretiens ont été anonymisés. Ils ont été codés à l’aide des lettres CS (CSA et

CSB) et AC selon leur site d’appartenance, suivi d’un numéro (E1, E2, etc.).

103 Stavrou (2012) a effectuée une analyse du discours des agents de recontextualisation des curricula

universitaires en France.

104 En outre, un tel travail d’analyse de discours sur un matériau provenant de deux contextes francophones

différents n’aurait pas beaucoup de sens (dans une perspective qui privilégie la comparaison inter-groupes) puisque le choix des mots, la syntaxe, la structure des phrases est dès le départ différenciée selon le contexte national.

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reconduits dans l’analyse. L’analyse thématique consiste donc à « saisir et rendre l’essentiel du propos et non à le décrypter » (Ibid., p. 142).

Par rapport au premier volet, l’analyse de contenu thématique a procédé de façon plus inductive, à partir d’une grille de codage plus ouverte. L’analyse des entretiens a procédé d’une démarche semi-inductive ou « inductive modérée » pour reprendre les termes de Savoie- Zajc (2004, p. 141) : cette démarche reconnaît l’importance du cadre théorique et son influence sur l’analyse des données tout en laissant émerger des catégories de l’analyse. Ainsi, le cadre théorique nous fournissait des balises importantes pour comprendre et interpréter le travail des agents (voir chapitre 2). L’objectif était de construire un schème d’intelligibilité des pratiques des agents de part et d’autre, en préservant une ouverture aux données sans clore l’analyse d’entrée de jeu. Le corpus d’entrevues a donc été analysé avec le logiciel Nvivo à l’aide d’une grille analytique semi-ouverte s’inspirant à la fois des perspectives théoriques et du travail de terrain. La grille de codage finale (voir Annexe 4) comprend un total de 50 codes, dont 10 « codes-mères » et 40 sous-codes à l’intérieur de ces codes principaux. Les étapes de l’analyse ont été les suivantes :

(1) Un codage descriptif sur la base des thèmes du guide d’entretien a permis une première familiarisation et un premier classement du matériau. Ce codage a permis de découvrir certains fils directeurs qui ont ensuite alimenté l’analyse. Au cours du codage, de nouveaux thèmes sont apparus assez importants pour justifier la création de nouveaux sous-codes (par exemple, le code « Enseignant_Rapport_Normes », le thème du rapport des enseignants aux textes officiels émergeant de façon récurrente du discours des agents).

Un mémo synthétique a été réalisé pour chaque participant, résumant les points saillants de l’entrevue, classés selon les thèmes principaux du guide et accompagnés des citations les plus parlantes. Ceci nous a permis de noter des éléments préliminaires d'interprétation, de dégager certaines régularités.

Un mémo de synthèse intermédiaire « intra-site » a été ensuite réalisé pour chacune des CS et pour l’académie. Ces synthèses intermédiaires nous ont permis de dégager des schèmes d’intelligibilité des pratiques des agents de part et d’autre, en dégageant des régularités au sein

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de chaque site et, au niveau du Québec, des régularité entre les CS (l’analyse portant sur la comparaison CP/IPR et non pas entre les deux CS).

(2) Dans un deuxième temps, nous avons procédé à un codage plus interprétatif en revenant au cadre théorique et à nos hypothèses clés. Nous avons crée de nouveaux codes situés à un niveau d’inférence105 plus élevé (par exemple, pour catégoriser différentes formes de recontextualisation) après avoir repéré des patterns émergents (Miles et Huberman, 2003). Nous avons donc opéré un double codage de certains segments, aux niveaux descriptif et analytique ou inférentiel, les codes inférentiels n’étant pas exhaustifs, car « l’analyse recherche de bonnes illustrations exemplaires explicatives, mais pas la totalité des exemples » (Ibid., 2003, p. 127).

La rédaction de mémos analytiques (par exemple, « effets de la recontextualisation ») a permis de noter les régularités, certaines explications possibles, diverses hypothèses et interprétations forgées en cours d’analyse. Nous avons également fait usage de nombreux tableaux de synthèse (certains étant inclus dans la partie III). Tout au long de l’analyse, nous avons tenu un journal de bord dans lequel nous avons noté les réflexions qui émergeaient en cours d’analyse et qui nous ont amenée à redéfinir nos catégories, les pistes à approfondir, celles à laisser de côté. Nous avons relu ces notes en procédant à de nombreux aller-retour entre la problématique, le cadre conceptuel et l’analyse.

Ces étapes d’analyse intermédiaires ont permis de réaliser l’analyse comparative entre les sites québécois et français. Celle-ci visait à extraire les variations, les contrastes les plus importants, mais également les processus communs. Cette étape comparative était cruciale dans notre analyse puisque nous mettons l’accent sur une comparaison entre deux groupes professionnels dans deux contextes nationaux.

Les étapes de l’analyse sont présentées de façon schématique dans la Figure 2.

105 L’inférence désigne le passage du matériau à l'attribution d'un thème pour cet extrait (Paillé et Mucchielli,

2005). Quand l’inférence est de faible niveau, il y a rapport étroit et direct entre les indices présents dans le matériau et le thème proposé. Au contraire il y a inférence élevée lorsque le rapport entre indices et thèmes et distant. Les thèmes sont alors proches de catégories interprétatives, au niveau du concept.

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Figure 2 Processus d’analyse des données provenant de l’enquête de terrain

Conclusion

Ce chapitre a permis d’exposer la stratégie de recherche adoptée et les méthodes de collecte et d’analyse des données. Le scénario de recherche a évolué au fur et à mesure de l’avancement de la recherche, dans un « va-et-vient permanent entre théorie et empirie » (Quivy et van Campenhoudt, 2006, p. 215). Comme le souligne Savoie-Zajc (2004), une démarche de recherche qualitative/interprétative « se moule à la réalité des répondants; elle tient compte des apprentissages du chercheur à propos du sens qui prend forme pendant la recherche » (p. 125). Le design méthodologique n’est donc jamais complètement déterminé avant le début de la recherche, comme l’illustre un bref retour sur notre cheminement et sur les conditions de notre enquête de terrain. Ainsi, nous avions initialement envisagé de faire porter une partie de la collecte de données sur des établissements situés au sein des CS/académie sélectionnées. Cependant, suite à l’évolution de notre problématique et de nos questions de recherche, nous considérons, comme nous l’avons déjà souligné (Section 2.3.3) que la

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question de la transformation du discours pédagogique officiel au niveau de la classe relève de processus de nature différente (en lien avec le curriculum réel), et de questions de recherche différentes également.

Les trois chapitres qui suivent (Partie II) sont consacrés à la présentation des résultats qui concernent le premier volet empirique de notre recherche, soit l’analyse documentaire. Les transformations curriculaires contemporaines en France et au Québec sont ainsi appréhendées dans un premier temps à travers l’analyse du discours pédagogique officiel.

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Introduction de la deuxième partie

Cette deuxième partie est consacrée à la présentation des résultats qui concernent le premier volet empirique de notre recherche. Les transformations curriculaires en France et au Québec sont ainsi appréhendées dans un premier temps à travers l’analyse de l’évolution du discours pédagogique officiel, tel que formulé dans notre première question de recherche :

Comment caractériser les évolutions récentes du discours pédagogique officiel en France et au Québec, au niveau de l’enseignement secondaire?

Nous interrogerons nos deux corpus de textes comme tentatives d’élaboration d'un modèle pédagogique légitime sans préjuger de sa mise en œuvre ou de ses effets (Tanguy, 1994). Chaque texte peut ainsi être considéré comme l’expression des principes qui organisent et légitiment le passage d’un modèle à un autre, comme « tentative de mise en forme théorique et d'institutionnalisation d'un changement de perspective pédagogique » (Ibid., p. 32). Nous analysons ce mouvement en caractérisant les déplacements opérés par les textes à partir de trois indicateurs principaux : classification, cadrage et critères d’évaluation.

L’analyse présentée dans les chapitres qui suivent procède en deux temps. Nous allons tout d’abord dégager le mouvement général des évolutions curriculaires dans chaque système. Les chapitres 4 et 5 sont consacrés respectivement à la présentation des résultats de l’analyse du corpus documentaire québécois et du corpus documentaire français.

Dans un deuxième temps, le chapitre 6 présente une analyse comparative des deux corpus visant à dégager les principales tendances qui émergent des deux cas nationaux : il s’agit à la fois d’identifier les orientations communes qui nous semblent les plus saillantes dans nos deux corpus, tout en soulignant en quoi elles font l’objet de processus de recontextualisation différenciés dans les deux systèmes éducatifs. Enfin, nous proposons une série d’hypothèses pour rendre compte des variations observées.

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CHAPITRE 4

L’ÉVOLUTION DU DISCOURS PÉDAGOGIQUE

OFFICIEL AU QUÉBEC

Introduction

Le présent chapitre a pour objectif de caractériser le mouvement qui se dégage du discours pédagogique officiel au Québec depuis le lancement de la réforme du curriculum au premier cycle du secondaire jusqu’en 2015. Avant de présenter les résultats de l’analyse, une courte section introductive fournit des éléments factuels sur les textes qui constituent le discours pédagogique, ainsi que les acteurs impliqués dans leur élaboration. La deuxième section constitue le cœur du chapitre et présente les résultats de l’analyse documentaire.