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CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE

3. Volet 2 : analyse des processus de recontextualisation du discours pédagogique

3.2 Choix du terrain et des participants à l’enquête

3.2.1 Où enquêter? Le choix du niveau académie/CS dans une perspective comparative

Dans les deux systèmes éducatifs considérés, les agents de recontextualisation sont situés au sein des académies et des commissions scolaires (CS). Les académies sont des administrations déconcentrées chargées de décliner la politique éducative nationale au niveau de leur territoire. Les CS sont des autorités éducatives locales qui doivent s’assurer que les établissements appliquent les encadrements nationaux. Ce palier intermédiaire entre ministère et établissements est responsable de la formation et de l’accompagnement fourni aux enseignants91.

En délimitant le niveau d’analyse qui nous permet d’observer le processus de recontextualisation du discours pédagogique officiel, nous sommes consciente de la différence d’échelle des objets investigués (voir Tableau VIII pour une présentation des caractéristiques des CS/académie). Cependant nous abordons ces organisations dans la perspective de comparer des « échelons » comparables en référence à des objets analytiques, et en fonction d’une problématique commune92. Ainsi, c’est le concept – celui de recontextualisation du discours officiel – qui fonde la pertinence de la comparaison, comme dénominateur commun entre les phénomènes soumis à comparaison (Vigour, 2005)93. Il sert de point de référence dans des contextes différents.

L’enquête de terrain a été réalisée dans trois « sites », pour reprendre la terminologie de Miles et Huberman (2003), deux CS et une académie. Nous préférons le terme de « site » à

91 Le statut des CS au sein du champ de recontextualisation est cependant ambivalent puisque les CS sont en

même temps des gouvernements locaux dont les élus ont un pouvoir de décision sur les affaires locales, elles ont davantage d’autonomie que les académies. Nous en discuterons dans la partie III.

92 Pour une discussion sur les choix méthodologiques ayant traits aux recherches portant sur différents échelons

(national, intermédiaire, local) dans des systèmes éducatifs différents, on pourra se reporter à Maroy (2006). Dans la recherche REGULEDUC, les chercheurs ont analysé les régulations intermédiaires dans six espaces européens de tailles diverses, hétérogènes du point de vue socio-démographique, en termes de nombre d’habitants ou d’élèves. Ces différences renvoient aux spécificités nationales, notamment aux traditions centralisatrices, décentralisatrices (les espaces de régulation ayant tendance à être plus petits dans le deuxième cas). Ce qui assure la comparabilité est la mise en œuvre empirique du concept de régulation intermédiaire ainsi qu’une méthodologie commune.

93 De même que le concept de « travail sur autrui » permet à Dubet (2002) une comparaison entre instituteurs,

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celui de cas, car d’une part il rappelle que le « cas » se passe toujours dans un milieu spécifique – nous n’étudions pas les agents individuels indépendamment de leur contexte. D’autre part nous n’avons pas réalisé à proprement parler d’études de cas des CS et académie en question. L’étude de cas se distingue par le poids accordé à la particularité de chaque cas. Un cas fournit une situation permettant d’observer un grand nombre de facteurs interagissant entre eux, pour rendre compte de la complexité des situations sociales (Karsenti et Demers, 2004)94.

Au niveau du Québec, l’enquête de terrain a été réalisée dans deux CS. En raison de la taille réduite du nombre de CP par CS (généralement une dizaine), il s’est avéré nécessaire d’approcher plus d’une CS pour garantir un nombre suffisant de participants à l’enquête. D’autre part, notre présence physique au Québec nous permettait une plus grande flexibilité en termes logistiques et nous avons pu conduire des entretiens dans ces deux CS à deux périodes, en juin-juillet et septembre 2015. Du côté français, les entretiens ont tous été menés dans la même académie.

3.2.2 Présentation des organisations ayant fait l’objet du terrain de recherche

Les CS/académie ont été approchées en fonction d’une logique de convenance. Il s’agissait de deux CS et d’une académie avec lesquelles des contacts étaient déjà établis, ces organisations étant impliquées dans des recherches co-dirigées par le directeur de thèse95.

Si nous n’avons pas réalisé de monographie de chaque organisation, notre but était néanmoins de comparer le travail de deux groupes professionnels en les situant dans leur environnement de travail (en faisant l’hypothèse que celui-ci peut jouer un rôle sur les

94 Pour ce faire, des sources d’information multiples sont généralement utilisées (triangulation des sources et des

méthodes, par exemple entrevues, observations, archives, documentation). Dans le cas de l’académie par exemple, une étude de cas approfondie aurait nécessité des entrevues avec un nombre d’acteurs plus diversifié, des observations d’interactions entre inspecteurs, entre les IPR et leur hiérarchie, et entre les IPR et des enseignants – en formation, lors d’inspections. Du point de vue pratique, de telles études de cas nécessitent un contact prolongé avec le terrain pour en acquérir une connaissance approfondie.

95 Ces recherches étaient les suivantes : a) « Les politiques de gouvernance par les résultats dans l'éducation : une

comparaison France – Québec » (2012-2015) (acronyme NewAGE : New accountability and governance in

education) dirigée par C. Maroy du côté québécois, et X. Pons et A. van Zanten du côté français ; b) « Mise en

œuvre et réception des politiques de Régulation publique par les résultats dans l’éducation au Québec », CRSH Savoirs (2012-2016). Nous avons participé en tant qu’assistante de recherche à des entretiens menés avec des cadres et des CP dans 4 CS québécoises dans le cadre de NewAGE.

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processus de « faire sens » et les stratégies déployées). Il s’agissait donc de documenter les caractéristiques essentielles de chaque CS/académie. Le Tableau VIII donne un aperçu rapide des trois sites. Ils se différencient notamment par leur taille, les caractéristiques socio- économiques de la population desservie, et une organisation spécifique du travail des agents. Tableau VIII Présentation des CS/académie où s’est déroulée l’enquête de terrain

France Québec Académie CSA CSB Taille et territoires desservis Très grande académie 400 collèges

Territoires diversifiés, ruraux, semi-ruraux, urbains Grande CS 8 établissements secondaires Territoires urbains suburbains + certains secteurs ruraux Très grande CS 18 établissements secondaires

Territoires avant tout urbains Caractéristiques socio- démographiques Forte hétérogénéité Présence de populations très défavorisées

Proportion élevée d’élèves allophones Homogène Favorisée Élèves majoritairement francophones Hétérogène Présence de populations défavorisées Proportion élevée d’élèves allophones Performance (taux de réussite)

Résultats (Brevet + validation socle) en deçà des taux nationaux

Résultats (épreuves ministérielles) au dessus des taux nationaux

CP/IPR Environ 100 IPR Environ 10 CP

Basés dans les établissements

Environ 40 CP Basés au centre administratif Pilotage ou

gestion axés sur les résultats

Faible

Résultats au brevet (DNB) ponctuellement utilisés pour certaines interventions

Fort

Interventions fortement orientées par les données issues des résultats aux examens

Modéré

Interventions en partie orientées par l’usage des données issues des résultats aux examens

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Encadré 2 Le terrain de l’enquête en France : caractéristiques générales de l’académie

Cette académie se caractérise tout d’abord par sa taille et son volume (en termes d’effectifs). C’est une des plus grandes académies de France, par son territoire, qui s’étend sur trois départements, et par sa population. Au niveau secondaire premier cycle, qui fait l’objet de notre étude, elle regroupe environ 400 collèges, soit environ 200,000 élèves.

C’est une académie très diversifiée, en termes géographiques (zones urbaines, rurales, semi-rurales) et très hétérogène en termes socio-économiques (certaines communes sont assez favorisées, d’autres très défavorisées, avec beaucoup d’établissements en « éducation prioritaire »). L’académie accueille également un nombre d’élèves allophones particulièrement élevé (relativement aux autres académies).

Le nombre important de néo-titulaires (enseignants tout juste diplômés) qui passe par cette académie contribue à une forte rotation du personnel (beaucoup d’enseignants choisissent de « retourner » dans leur académie d’origine au bout de quelques années). La rétention du personnel est un enjeu important qui se traduit dans l’offre de formation (par exemple, formations sur la gestion de classe). Cependant ceci est aussi perçu (et mis en l’avant) par les cadres comme générateur d’un certain dynamisme.

Les résultats de l’académie sont en deçà de la moyenne nationale. Une proportion d’élèves supérieure à la moyenne nationale aurait des acquis fragiles et insuffisants en français et mathématiques. Le taux d’élèves admis au DNB (diplôme de fin de scolarité obligatoire) est également en deçà du taux moyen. En lien avec ces enjeux, l’académie a mis en place des actions sur le thème de la maîtrise de la langue, du décrochage, et de l’accompagnement des élèves allophones. Le projet académique comporte également l’objectif de soutenir l’innovation pédagogique.

Les caractéristiques de l’académie se reflètent dans groupe d’IPR : effectifs relativement importants, jeunes (les IPR provenant en partie du corps enseignant de l’académie) et marqués par une forte rotation.

Encadré 3 Le terrain de l’enquête au Québec : caractéristiques générales des deux CS

L’enquête de terrain a été menée au Québec dans deux Commissions scolaires. Les deux CS (que nous nommons A et B dans cette recherche) se distinguent par leur taille mais surtout les caractéristiques socio-économiques de la population desservie. Néanmoins ce sont deux CS qui ont de bons voire très bons résultats aux évaluations provinciales. Des différences notables existent également dans l’organisation du travail des CP. Le travail des CP de la CSA est davantage « transversal » et inter-disciplinaire qu’à la CSB. Ils sont déployés dans les établissements alors que les CP de la CSB sont, comme dans la majorité des CS, basés au centre administratif. La CSA est une grande CS du point de vue de son territoire. Elle compte plus de 40 établissements de formation générale dont 8 au niveau secondaire. Elle connaît une croissance de sa population, généralement caractérisée par des taux d’emploi et de revenus supérieurs à la moyenne provinciale. La population desservie par cette CS est presque exclusivement francophone. La CSA a des taux de performance supérieurs au reste du Québec et au réseau public (par ex. taux de diplomation, sorties sans diplôme, maîtrise de la langue française, etc.). Dans le plan stratégique en place au moment de l’enquête, la CS met fortement l’accent sur l’innovation et la mise en œuvre de pratiques pédagogiques probantes appuyées sur des résultats de recherche.

La CSB est une des plus grosses CS québécoises. Elle compte plus de 90 établissements, plus de 40 000 élèves (dont un tiers au secondaire). C’est une CS avant tout urbaine qui couvre des municipalités proches de la capitale. Elle se caractérise par la diversité de ses milieux (certaines zones très urbanisées et d’autres semi-rurales). Certaines écoles œuvrent dans des milieux économiques très défavorisés. La CS reçoit également une proportion importante d’élèves allophones (plus de la moitié des élèves). Cependant, la CS affiche des taux de réussite aux épreuves ministérielles au dessus des taux de sa région.

En termes d’orientations pédagogiques, telles que spécifiées dans son plan stratégique, l’accent est mis en particulier sur le renforcement de « l’effet enseignant », c’est à dire travailler sur les facteurs en lien avec l’enseignement qui influencent l’apprentissage des élèves.

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3.2.3 Échantillonnage des participants à l’enquête

Au sein des CS/académie concernées, notre enquête visait en priorité deux catégories d’acteurs : CP et IPR. Le choix des participants était intentionnel : nous avons identifié une série de critères afin d’avoir accès à des personnes partageant ces caractéristiques. Les critères retenus étaient les suivants : a) spécialisation disciplinaire en français et mathématiques96 ; b) intervention des agents auprès d’enseignants du secondaire premier cycle. Quelques entrevues (N = 3) ont été réalisées avec un CP généraliste (intervenant dans plusieurs disciplines) et deux IPR impliqués dans des dossiers transversaux (socle commun et coordination des IPR).

Au sein de chaque site, nous avons visé un échantillonnage exhaustif en termes de répondants appartenant à la catégorie étudiée (CP, IPR). Au Québec, les CP de la CSA rencontrés en entrevue (N = 4) ont été sélectionnés par la direction de la CS. Dans l’autre CS, nous avons pu contacter tous les CP correspondants aux critères recherchés (7 CP, dont 4 ont accepté de participer). De même, l’académie nous a autorisé à contacter tous les IPR correspondant au profil recherché. Un total de 16 IPR a été contacté dont 10 ont accepté de participer à l’enquête97.

Nous avons également réalisé un nombre limité d’entretiens avec certains cadres pour affiner notre compréhension du contexte d’action des agents. Bien que le travail de ces cadres soit à la périphérie des processus de recontextualisation, ils ont pu apporter un éclairage utile (par exemple, sur l’impact du pilotage par les résultats sur le travail des agents). Ces acteurs ont été approchés selon leur fonction dans la CS/académie.

Au total, 24 entrevues ont été conduites et mobilisées dans l’analyse. Le Tableau IX présente la répartition des participants par catégories d’acteurs. Le profil des CP et IPR participants à l’enquête sera précisé dans la partie III consacrée à la présentation des résultats de ce volet empirique.

96 Voir supra (2.2.1) sur la justification du choix concernant le corpus documentaire et les programmes analysés. 97 Quatre entretiens complémentaires avec des enseignants formateurs de l’académie ont été conduits. Ils n’ont

finalement pas été inclus dans l’analyse, pour les raisons suivantes : leur positionnement par rapport aux enseignants n’est pas comparable à celui des IPR et nous avons jugé qu’ils ne pouvaient être assimilés à des agents de recontextualisation du champ officiel; enfin n’ayant pas d’entrevues équivalentes du côté québécois avec des acteurs qui auraient des fonctions similaires (enseignants animant eux-mêmes des formations dans la CS), il ne nous a pas semblé pertinent d’élargir l’analyse à ce groupe d’acteurs, dans le cadre de cette recherche.

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Tableau IX Répartition des entrevues réalisées en fonction des positions occupées

Catégories d’acteurs Positions occupées Échantillon

total

Agents de recontextualisation

Conseillers pédagogiques CP français (4); CP mathématiques (3); CP généraliste (1) 8 Inspecteurs pédagogiques

régionaux

IPR lettres (4); IPR mathématiques (4); IPR missions transversales (2)

10

Total 18

Entretiens complémentaires - informateurs clés

Académie Direction pédagogie (1); Délégation académique à la

formation des personnels enseignants (1); Responsable Cellule académique recherche, développement, innovation, expérimentation (1);

3

CS Coordonnateur services éducatifs (1); Directeur adjoint

services éducatifs (2)

3

Total 6