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CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE

1. Les textes officiels et leur fabrication

1.1 Les principaux textes, le prescrit et le non-prescrit

Au Québec, le curriculum prescrit est constitué par trois types de textes :

- Les lois, dont au premier chef, la Loi sur l’instruction publique (LIP). Au début de la période étudiée, la LIP en vigueur est celle adoptée suite aux ÉGÉ. Elle définit les trois missions de l’école, soit instruire, socialiser et qualifier.

- Les règlements, qui portent sur un objet plus spécifique qu’une loi. Pour le secteur qui concerne cette thèse, le plus important est le règlement sur le Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire (ci- après, RP). Le RP « constitue l'élément le plus structurant du réseau scolaire » (CSE, 2000, p. 19). Il détermine les modalités d’application de la LIP, c’est-à-dire le cadre organisationnel des services éducatifs, les règles sur l'évaluation des apprentissages et la sanction des études, et enfin les conditions dans lesquelles les CS peuvent exempter des catégories d'élèves de certaines dispositions. En 2000, le conseil des ministres a adopté un nouveau RP (le précédent datait de 1990) qui précise notamment les missions de

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l’école : poursuivre le développement intégral de l'élève, favoriser son insertion sociale et faciliter son orientation personnelle et professionnelle (Québec, 2000). Ensuite, sur la période étudiée, le RP sera modifié à quatre reprises106.

- Les programmes sont des textes prescriptifs que les enseignants sont tenus d’appliquer. La LIP indique cependant qu’il est du ressort de l’enseignant de choisir les modalités d’intervention auprès de ses élèves ainsi que les instruments pour vérifier l’atteinte des objectifs des programmes. La publication du Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) en 2003 marque le début de la mise en œuvre de la réforme curriculaire au secondaire (le nouveau programme sera officiellement mis en œuvre au premier cycle en septembre 2005). D’autres documents viendront s’ajouter aux programmes, sans que les programmes eux-mêmes fassent l’objet de modifications. - Les instructions annuelles informent les CS sur les nouvelles dispositions du Régime

pédagogique.

- Les documents de cadrage, d’accompagnement et autres guides pédagogiques. Par exemple un « cadre de référence » en évaluation fournit des balises quant aux méthodes à utiliser en classe (MELS, 2006b).

- Enfin, les politiques ministérielles énoncent les grandes orientations du système. La Politique de l'adaptation scolaire adoptée en 1999 était sous-tendue par le principe d’une réussite éducative se traduisant différemment selon les capacités et les besoins de chacun. L’intégration en classe ordinaire des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation et d’apprentissage (EHDAA) devait être privilégiée. Les aspects qui devaient favoriser la réussite de tous étaient le nouveau programme et les approches respectant le rythme d’apprentissage, notamment l’organisation scolaire par cycle de deux ans. La réforme curriculaire a également entraîné une refonte de la politique d’évaluation des

106 En 2001, un règlement intègre des modifications concernant l’enseignement moral et religieux, suivant

l’abolition du statut confessionnel des écoles; en 2005, le RP vient préciser la définition du bilan d’apprentissage en fin de cycle, et les communications à transmettre aux parents en cours de cycle ; en 2007, le régime pédagogique détermine la façon de reporter les résultats des élèves dans les bulletins; en 2010, le régime pédagogique instaure un bulletin unique pour toute la Province, et fixe des normes portant sur la manière de constituer les résultats des élèves.

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apprentissages datant de 1981. La nouvelle politique (MEQ, 2003d) avait pour objet de proposer une vision commune de l’évaluation devant guider les pratiques à tous les niveaux et secteurs d’enseignement. Selon Laurier (2014), la publication tardive de cette politique (alors que les nouveaux programmes étaient déjà en vigueur au primaire) reflèterait les discussions importantes autour de la question de l’évaluation, mais également l’ampleur de la consultation effectuée autour de ce document.

1.2 Les acteurs intervenant dans l’élaboration des textes

1.2.1 Le ministère de l’éducation

Par rapport au contexte français, le ministère de l’Éducation au Québec est une institution relativement jeune (il n’a vu le jour qu’en 1964). Les responsabilités du ministre concernent l’orientation et la planification des services éducatifs, l’évaluation globale de l’atteinte des objectifs fixés et la gestion des ressources humaines (Lessard et al., 2007). Si la sanction des principaux règlements qui traduisent les politiques éducatives en normes juridiques est confiée au gouvernement, le ministre a la responsabilité d’établir les modalités d’application du RP (ce qu’il fait par les instructions), ainsi que celle d’établir les programmes d’enseignement. Il est aussi en charge de l’évaluation des apprentissages, de la sanction des études secondaires, et enfin de la formation des enseignants (Proulx, 2009). Notons que sept ministres se succèdent entre l’énoncé de politique annonçant la réforme curriculaire (MEQ, 1997a) et 2011, date des dernières modifications significatives apportées au curriculum formel (nous y reviendrons au chapitre 6).

1.2.2 Les groupes d'experts

Jusqu’à la fin des années 1990, lorsque fut lancée la rédaction des nouveaux programmes (initialement au primaire), l’élaboration des programmes était confiée à des groupes d’experts dans leur discipline, avec peu de coopération entre ces groupes (Carpentier, 2010). Ce mode de fonctionnement a fait l’objet de nombreuses critiques. Par exemple, le groupe de travail sur la réforme du curriculum a insisté sur l’importance de la création d’une instance indépendante pour « rendre plus difficile l’organisation des lobbies disciplinaires » (MEQ, 1997b, p. 84). Le ministère a également affirmé sa volonté de renouvèlement du

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processus d’élaboration des programmes pour éviter le cloisonnement des disciplines, l’insuffisante participation des acteurs du « milieu », et le découpage hyperspécialisé qui caractérisait les précédents programmes (Bednarz, Maheux et Proulx, 2012; Carpentier, 2010). La réforme curriculaire qui fait suite aux ÉGÉ instaure un nouveau processus d’élaboration. Chaque programme est rédigé par des groupes d’une douzaine de personnes, dont un tiers venant du milieu éducatif, sélectionnés notamment sur le critère de leur polyvalence et leur ouverture disciplinaire (Carpentier, 2010). Au total, plus de 400 enseignants, membres des directions d’école, conseillers, professionnels de l’éducation et formateurs universitaires ont participé activement à la conception des programmes (Lessard et

al., 2007). Le MELS a également fortement mobilisé des « experts » de la pédagogie, pour

théoriser certains choix pédagogiques ou pour superviser la rédaction des programmes (nous développerons ce point au chapitre 6).

1.2.3 Les organes consultatifs

Plusieurs organismes donnent des avis au ministre. Il s’agit tout d’abord du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) qui doit être consulté par le ministre lorsque ce dernier entend modifier la LIP ou le RP107. Le CSE peut également donner son avis sur tout sujet qu’il trouve lui-même pertinent. Cependant, le gouvernement n’est pas obligé de tenir compte de ses recommandations et avis (Royer, 2009). Les membres du CSE sont nommés par le gouvernement. Ils ont joué un rôle important dans la réforme curriculaire faisant suite aux ÉGÉ. Dans les années 1990, le CSE avait entrepris un examen général des curricula du primaire et du secondaire108 au moment où était mis sur pied un Groupe de travail sur les profils de formation (Royer, 2009). Robert Bisaillon et Paul Inchauspé ont fait partie du CSE avant de faire partie de la Commission des ÉGÉ.

107 Sur la période qui fait l’objet de notre étude au Québec, le CSE a publié 32 avis et mémoires en lien avec

l’éducation obligatoire.

108 Selon Legendre (2004), le rapport du CSE de 1994 intitulé Rénover le curriculum du primaire et du

secondaire pose les visées sous-jacentes à l’élaboration du curriculum : notions de profil de sortie, compétences

visées (pas réductibles à un enchainement d’objectifs et sous-objectifs), mise en garde contre une perspective analytique trop poussée. Ces visées sont reprises par le rapport de 1997 du Groupe de travail sur la réforme qui promeut la nécessité de corriger certaines dérives, dont un mode de formulation hyperspécialisé des programmes qui transforment les enseignants en « techniciens applicateurs » et une dérive de l’évaluation.

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Deuxièmement, la Commission des programmes d’études (CPÉ) a joué un rôle important sur la période étudiée. Cet organisme indépendant du ministère a été créé en 1997 dans le but d’instaurer un mécanisme de révision et de mise à jour des programmes (Bednarz

et al., 2012)109. La CPÉ a comme mandat d’établir les encadrements généraux qui serviront de guides pour établir des programmes, et de donner un avis sur les programmes proposés. Sa composition (administrateurs de CS, enseignants du primaire et du secondaire, conseillers pédagogiques, parents) devait assurer une place importante aux personnels scolaires tout en garantissant une expertise scientifique et une indépendance par rapport aux groupes d’intérêts. Elle rendra des avis et fera des recommandations sur les projets de programmes110. Nous verrons dans le chapitre 6 que son avis concernant la révision du projet de programme du premier cycle du secondaire semble avoir été en partie suivi. De 2006 à 2010, un Comité- conseil sur les programmes d’études sera chargé de poursuivre le mandat de la CPÉ. Cependant dès 2010, la fonction d’adaptation continue des programmes revient entre les mains de la direction des programmes du ministère (Bednarz et al., 2012).

Enfin, d’autres instances ont été mises sur pied suite aux ÉGÉ. Une Table nationale devait notamment contribuer à impliquer les partenaires de l’éducation dans le suivi de la réforme. La Table de pilotage a formulé des recommandations, par exemple en 2006 sur la mise sur pied d’un comité d’experts sur l’apprentissage de l’écriture, dont le travail conduira à l’élaboration des compléments aux programmes publiés sous forme de « progression des apprentissages » en 2010-2011.