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CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE

1. La démarche : pourquoi et quoi comparer?

1.1 L’analyse comparative des politiques publiques

Notre démarche s’inscrit dans l’analyse comparative des politiques publiques. Nous comparons deux politiques éducatives, plus précisément, nous comparons l’évolution du discours pédagogique officiel et sa recontextualisation au niveau intermédiaire dans deux systèmes éducatifs.

L’analyse comparative des politiques publiques a pour but de rendre compte et d’expliquer les différences et les points communs entre les objectifs, les acteurs, les processus, tant décisionnels que de mise en œuvre, les instruments et les effets de l’action publique dans différents pays, territoires ou secteurs. (Hassenteufel, 2010, p. 148)

71 Le courant interprétatif cherche à comprendre le sens de la réalité des individus, la recherche se déroule

généralement dans le milieu naturel des personnes, permettant une sensibilité à leur point de vue (perspective, expérience, vécu etc.). Le savoir produit est vu comme enraciné dans un contexte, une temporalité (Savoie-Zajc, 2004).

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La comparaison internationale est ici une stratégie de recherche, non pas simplement une méthode. Elle implique plusieurs instruments d’investigations, plusieurs types de données. C’est également une « stratégie de la distanciation » (Dupré, Jacob, Lallement, Lefèvre et Spurk, 2003, p. 15) qui oblige le chercheur à questionner en permanence la construction de ses façons de penser et d’agir. Comme le souligne Hassenteufel (2010), « la démarche comparative permet de porter un regard décentré sur sa propre réalité nationale et de questionner des éléments qui peuvent paraitre évidents d’un point de vue strictement interne » (p. 149)72.

Nous avons souligné dans la problématique la pertinence d’une approche comparative, dans le but notamment de décaler des regards trop souvent nationaux et d’interroger autrement les changements curriculaires (Audigier et Tutiaux-Guillon, 2008), ou pour reprendre les termes d’Alexander (2006), « step outside localized ways of thinking about pedagogy » (p. 733). De ce point de vue, la comparaison est un stimulant pour l’imagination du chercheur, elle permet de formuler de nouvelles questions, de suggérer des interprétations, des hypothèses, c’est un instrument heuristique (Vigour, 2005).

Si nous reprenons la distinction courante entre la comparaison par variables (qui s’inscrit dans une démarche déductive, basée sur de multiples observations et visant à isoler une variable explicative) et la comparaison par cas (qui vise à rendre compte des différences et ressemblances entre un nombre limité de cas analysés de manière approfondie), notre démarche s’inscrit dans la deuxième catégorie. Celle-ci relève d’une démarche plus inductive. L’analyse est contextualisée et repose sur des matériaux variés (Vigour, 2005). Comparer ne se limite alors pas à des comparaisons terme à terme, il faut étudier ce que chacun d’eux recouvre, accorder une grande attention au contexte comme source de compréhension et d'interprétation des observations. Une telle analyse demande ainsi une très bonne connaissance des pays impliqués et des réalités du terrain.

72 La prise de distance du chercheur avec ce qui lui est familier, la rupture avec les prénotions, constitue d’ailleurs

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La comparaison de deux cas permet d’affiner la connaissance de certains processus, d’émettre des hypothèses73 et de mettre en évidence des spécificités et des originalités (Vigour,

2005). Par rapport à une étude de cas unique, le raisonnement sur la base de cas multiples permet de repérer les variations d’une même activité dans deux contextes différents – par exemple dans cette recherche, les variations dans le travail des agents de recontextualisation. Ainsi, examiner deux cas ne vise pas nécessairement à établir des lois générales, mais peut contribuer à éclairer les caractéristiques de l’un par contraste avec l’autre (Becker, 2014).

Par ailleurs, la comparaison entre deux ou plusieurs cas est potentiellement une démarche très fructueuse dans le contexte actuel de remise en cause du cadre national des politiques publiques, à condition d’articuler dynamiques transnationales, nationales et infra- nationales (Hassenteufel, 2010). Au-delà de la question différences/ressemblances, nous voulons rendre compte de processus de convergence à l’œuvre et leurs traductions différenciées au niveau national, sectoriel ou local, ce qui caractérise la « comparaison transnationale » (Ibid.).

Enfin, en développant des outils de collecte et une grille d’analyse communs aux données provenant de deux systèmes éducatifs, nous voulons dépasser certains écueils des « comparaisons au rabais » (Hassenteufel, 2010) que l’on retrouve dans certains ouvrages collectifs, formés de chapitres couvrant chacun un cas national et rédigés par des auteurs différents : « La comparaison se réduit alors à de vagues considérations introductives (voire conclusives) dans la mesure où la présentation des différents cas nationaux n’est pas faite à partir d’une grille d’analyse partagée et homogène » (Ibid., p. 153)74. Le développement d’une grille d’analyse fondée sur les référents théoriques développés par Bernstein, qui ont justement pour objectif de faciliter la recherche empirique dans une variété de contextes, nous permet de

73 Utilisée de manière plus inductive, la démarche comparative, dans la mesure où elle conduit à mettre en

évidence des ressemblances et/ou des dissemblances, conduit aussi, en quelque sorte « naturellement », à formuler des hypothèses explicatives (Hassenteufel, 2005, p. 114).

74 On a alors souvent autant de problématiques que de pays comparés, chacun appliquant sa propre grille

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construire un « dénominateur théorique commun » qui dépasse les contextes nationaux (Collet, 2003, p. 236).

Nous avons également cherché, dans les chapitres consacrés à la présentation de nos résultats, à éviter la juxtaposition de monographies qui caractérise les « fausses comparaisons » (Vigour, 2005, p. 5). Dans les parties II et III de la thèse, qui sont consacrées à la présentation des analyses, les résultats sont systématiquement croisés, comparés, chaque cas éclairant l’autre d’une façon originale, comme c’est également le cas dans le chapitre final consacré à la discussion générale.