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Un monument constitutionnel pour cadrer l’enquête (1797-1798)

Si la Constitution de 1796 ne représente pas un code de procé-dure à part entière, elle offre en revanche un socle légal à l’instruc-tion criminelle. Le texte constitue en effet une « entreprise législative globale78». Comprenant près de 1  075  articles, il s’impose comme un monument de technicité constitutionnelle, considéré par le grand juriste Pierre-François Bellot (1776-1836) comme « le seul ouvrage législatif genevois pouvant être cité en exemple79». À titre de compa-raison, la Constitution française thermidorienne de 1795, considérée comme longue et exhaustive, comprend 337 articles80. Pour les clubs populaires modérés de la République, elle représente le symbole même du réformisme révolutionnaire.

La Constitution révisée « abroge toutes les lois antérieures », et règle la conduite du procès de manière systématique81. Sur près de 250  articles, le titre  XVI prescrit l’intégralité de la « marche de la justice criminelle » : il détermine les mécanismes de saisine (« de la notification des délits »), le protocole de l’instruction et les modalités de la mise en accusation, et garantit les droits fondamentaux du pré-venu82. La Constitution modifiée s’apparente ainsi aux grandes codi-fications européennes, dont le caractère novateur est intrinsèquement lié à la forme même de leur élaboration : alors qu’ils « consacrent plus qu’ils ne créent des principes et des techniques », les codes pénaux et procéduraux issus de la codification révolutionnaire sont des « nou-velles constructions législatives83». Ils se distinguent des entreprises

78. La formule est de M. Morabito et D. Bourmaud, Histoire constitutionnelle et politique de la France, 1996, p. 127.

79. Cité par C. Cornu, « Exposé des motifs à l’appui du projet de loi consti-tutionnelle sur la liberté individuelle et sur l’inviolabilité du domicile », 1957, p. 234.

80. J.  Godechot, Les Institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, 1998, p. 458.

81. Constitution genevoise, 1796, art. 1075.

82. Ibid., art. 804-1038.

83. J.-L. Halpérin, Histoire des droits en Europe, 2004, p. 72.

précédentes par leur systématicité, leur exhaustivité

Fig. 3 : Allégorie de la Constitution genevoise, 1797 (BGE, VG 1883)

et leur ambition explicitement réformatrice. Les codes constituent des nouveaux outils juridiques à l’origine de profonds bouleversements des pratiques judi-ciaires.

Le texte constitutionnel révisé en 1796 ne modifie que peu le modèle procédural de 1794. Il faut toutefois souligner le durcisse-ment répressif des nouvelles dispositions. Elles opèrent des modifi-cations structurelles pour adapter la procédure pénale à l’architecture des instances répressives, qui ont été renforcées et plus strictement hiérarchisées par la réforme institutionnelle. La Constitution modi-fiée offre surtout l’outillage juridique nécessaire aux magistrats pour émanciper la conduite du procès de l’emprise des légistes et des références à l’ancien droit. Elle constitue une innovation technique majeure  : remédiant définitivement à la dispersion des sources de droit, elle facilite l’accès à la connaissance des règles de procédure. La

Constitution révisée fait table rase de l’empilement législatif séculaire et des commentaires de la doctrine classique. Elle abolit les lois anté-rieures, et offre une cohérence d’ensemble au système juridique de l’État républicain. Comblant les lacunes et les apories de la législation provisoire, la Constitution précise les compétences des organes institu-tionnels dans l’instruction criminelle. Elle répond en outre à l’objectif de clarté inhérent au projet de codification : selon un plan logique qui établit des regroupements systématiques, le texte constitutionnel ordonne tous les actes de l’instruction criminelle. Par rapport au Code genevois de 1791, il offre notamment une numération continue des articles, pour en faciliter la consultation et la référence. Offrant un support matériel à la publicisation des normes qui règlent le procès pénal, il s’apparente aux grands codes de procédure modernes, qui

« contribuent à rendre le droit criminel lisible et accessible à tous84».

La Constitution révisée intègre par ailleurs une partie du droit pénal substantiel élaboré par Odier et ses collègues durant le chan-tier de la codification, même si la pénologie esquissée demeure très sommaire. Le texte fondamental se contente d’opérer une typologie a minima de l’arsenal punitif pour limiter l’arbitraire des juges dans le choix de la sanction85. Il supprime la « peine de la marque », et précise les modalités d’application des « peines infamantes » (fouet, bannissement, carcan, amende honorable et « réclusion en maison de correction »). La Constitution détermine par ailleurs les dispositions cadres de « la peine de prison civile », qui domine le nouveau para-digme pénal86. Dans l’esprit du Projet de code pénal genevois de 1795 et du Code pénal français de 1791, la Constitution révisée maintient enfin la peine capitale tout en limitant strictement son application87. La peine de mort ne peut être prononcée qu’à l’encontre d’indivi-dus majeurs, jugés coupables « d’atteinte à l’indépendance de l’État ou la souveraineté nationale », ainsi que contre les « incendiaires, les empoisonneurs et les meurtriers88». Les législateurs genevois adhèrent toutefois aux vues humanistes de Beccaria qui prônait la restriction

84. D. Bureau, « Codification », 2003, p. 227.

85. Constitution genevoise, 1796, art. 973-986 (« Des peines »).

86. Ibid., art. 979.

87. P. Lascoumes, P. Poncela et P. Lenoël, Au nom de l’ordre, 1989, p. 122-124.

88. Constitution genevoise, 1796, titre XVI, art. 973.

de l’infamie pénale au seul condamné à mort89. « Le supplice d’un coupable et les peines infamantes n’impriment à la famille aucune flétrissure : aucun reproche ne peut être fait à cet égard à ceux qui lui sont liés par le sang90. »

Avec la révision constitutionnelle, les législateurs relativisent l’échec de la codification pénale entreprise au lendemain de la Révolution. Le système juridique appliqué en décembre 1796 place la procédure criminelle sous le règne de la loi positive. Il offre en définitive un instrument juridique nécessaire à l’application du prin-cipe de légalité  : l’action du magistrat instructeur est dorénavant intégralement déterminée par des dispositions légales contenues dans un corpus unique. Après des années de chaos politique, la réforme constitutionnelle de 1796 corrige par ailleurs les défauts structurels de l’organisation judiciaire. Elle sanctuarise le système judiciaire élaboré pendant la Révolution, qui réorganise intégralement les pouvoirs de l’enquête.