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C’est sans doute au moment où je vais quitter [ma] place […] qu’il m’est le mieux permis de présenter quelques réflexions sur [la procé-dure]. L’on me taxera j’espère moins d’être un amateur du changement qu’un citoyen désireux de procurer le bien public, et qui a envie de faciliter à ses successeurs leurs fonctions dans une partie aussi pénible que celle de l’instruction de la procédure criminelle369.

Le mémoire présenté par Pierre-Jean Bridel en mai 1794 possède une vocation pédagogique précieuse pour le nouveau personnel judi-ciaire et policier. L’auditeur s’engage à transmettre les notions élémen-taires de la procédure criminelle acquises pendant les six mois passés au sein du Tribunal du lieutenant. Ses prescriptions adressées aux nouveaux fonctionnaires participent de leur formation improvisée aux formes juridiques de l’enquête. En l’absence de codes, aussi nécessaires pour « faciliter à ces nouveaux magistrats l’exercice de leur charge que pour les exempter de tout reproche370», les fonctionnaires de police comme les juges d’instance se voient contraints à un apprentissage accéléré du nouveau droit procédural. Dans le chaos de l’installation du régime constitutionnel, l’assimilation du formalisme procédural relève essentiellement d’un bricolage : l’apprentissage du droit révo-lutionnaire repose sur plusieurs modalités, notamment l’empirisme et la transmission interpersonnelle.

Au printemps 1794, les nouveaux magistrats s’appuient en premier lieu sur l’expérience des agents subalternes qui ont échappé à l’épu-ration révolutionnaire. La chute du régime oligarchique n’entraîne l’éviction ou le départ volontaire que d’une partie du « bataillon » des subalternes, ce qui « prive toutefois le gouvernement de citoyens qui auraient pu lui être utiles dans des circonstances difficiles371». Les huissiers de police restés en poste ou les nombreux commis maintenus

369. Réflexions sur la jurisprudence criminelle […] faites par l’auditeur Bridel, 1er mai 1794, fol. 1, in AEG, RCL n° 1, p. 71-71.

370. Journal de Genève, 9 mai 1793, n° 24, p. 94.

371. M. Peter, Genève et la Révolution, 1921, t. 1, p. 154. Pour la liste des agents subalternes destitués, voir AEG, RC 302, index : « destitutions » ; RC 303, index :

« destitutions » ; BGE, Ms. fr. 904, « Journal d’Ami Dunant », t. IV, p. 356.

en fonctions prodiguent des conseils précieux aux juges et magis-trats de police pour l’instruction des procédures criminelles372. Les nouveaux fonctionnaires n’hésitent pas non plus à consulter leurs prédécesseurs sur les formalités du procès. Les connaissances et savoir-faire du personnel d’Ancien Régime s’avèrent déterminants pour la formation sommaire des nouveaux magistrats instructeurs, selon l’aveu des juges instructeurs de l’instance civile en 1795 :

Nous élûmes des secrétaires instruits des formes que nous igno-rions ; nous n’eûmes point le sot orgueil de craindre les conseils et de paraître n’en avoir pas besoin ; nous cherchâmes au contraire à consulter les hommes instruits, et ceux surtout qui nous avaient précédés dans une carrière assez semblable373.

L’apprentissage empirique complète la transmission in  vivo.

Pendant la crise révolutionnaire, seule la formation sur le terrain permet aux nouveaux fonctionnaires d’acquérir techniquement les bases de la procédure pénale. Plus encore que les membres des cours de justice, les magistrats de police apprennent en autodi-dacte : premier rouage de la chaîne pénale, les nouveaux fonction-naires sont vivement sollicités dès l’installation du nouveau régime.

L’intériorisation du nouveau droit est chaotique et relève essentielle-ment de la pratique quotidienne, selon le magistrat de police Marc Plan  : multipliant les « faux pas », la majorité des fonctionnaires se « forme à ce genre de travail » empiriquement, au lendemain de leur entrée en fonction en avril 1794374. Une partie du personnel bénéficie toutefois de l’expérience acquise au sein du gouverne-ment révolutionnaire. Certains magistrats de police élus au prin-temps 1794 « ont été membres du comité de sûreté, qui faisait des

372. En charge depuis l’Ancien Régime, les huissiers Baud, Mercier et Art sont reconduits dans leurs fonctions, dès avril  1794, auprès des cours de justice cri-minelle. En décembre  1796, les huissiers Jorand, Tuillard et Pache, également en charge depuis 1792, sont placés sous l’autorité du Tribunal de police. AEG, Jur. Pen. C, n° I, p. 1 et Jur. Pen I.2.17, p. 1. Voir M. Cicchini, La Police de la République, 2012, p. 370.

373. Comptes rendus à l’Assemblée souveraine par les cours de justice de la République de Genève, 4 octobre 1795, p. 17.

374. Observations sur le projet d’Édit provisionnel relatif à la justice criminelle […] faites par le magistrat de police Marc Plan, 13  juin 1794, fol.  4, in AEG, RCL n° 1, p. 71-72.

procédures, et ils ont été à portée d’acquérir quelques notions sur cet objet ». L’encadrement hiérarchique facilite en outre l’acquisition du

« métier » de l’instruction : « les magistrats de police ont été aidés dans leur apprentissage par les syndics qui les dirigeaient », relève encore Marc Plan375.

Les hautes autorités administratives requièrent toutefois le secours de l’ancien personnel aguerri pour compléter la formation des novices.

À l’instar de la formation des auditeurs d’Ancien Régime, la transmis-sion des formes juridiques par les membres de l’ancienne magistrature complète les exercices de terrain376. L’encadrement des nouveaux fonc-tionnaires par des pairs expérimentés garantit un apprentissage som-maire des règles complexes de l’instruction. En avril 1794, le Conseil administratif requiert les « lumières » des auditeurs du Tribunal de l’Audience, partiellement maintenu jusqu’à l’installation des nouvelles instances civiles, en mai 1794377. Entre le 18 et le 25 avril, les audi-teurs sortants Amat, Desgouttes et Bridel supervisent les enquêtes conduites par les nouveaux magistrats de police378. Ils inculquent aux néophytes tant les rudiments de l’investigation pénale que les formalités nécessaires à sa mise en écriture :

Le [syndic] Janot a fait part d’une information criminelle faite par le citoyen Jean-Léonard Bourdillon, magistrat de police – juge de paix, sur une rixe qui eut lieu dimanche [13 avril 1794], sur le chemin de Chesne et Grange-Canal, où les citoyens De Chambon et Lanès furent attaqués ; il a été observé que vu les inexactitudes et les défauts de forme de ces pièces causés par l’inexpérience du juge informateur, il y avait lieu de la renvoyer à un auditeur [de l’ancien gouvernement]

pour procéder à cette information d’une manière plus exacte, sous les yeux de ce premier. En conséquence le citoyen auditeur Bridel a été chargé de reprendre cette information379.

Malgré les avantages d’un tel encadrement, les magistrats de police comme les juges d’instance peinent toutefois à acquérir aussi rapidement que souhaité les règles nécessaires à la constitution d’un

375. Ibid.

376. M. Cicchini, La Police de la République, 2013, p. 136-138.

377. AEG, RC 304, 15 avril 1794, p. 10.

378. AEG, Jur. Pen. H.4, p. 119-122.

379. AEG, RC 304, 15 avril 1794, p. 10.

dossier de procédure. « Dans une carrière nouvelle de fonctionnaire public […] l’on apprend souvent à marcher avec fermeté qu’en faisant des faux pas et des chutes », avoue le président de la Cour de justice civile non contentieuse en 1795380. Le magistrat de police Marc Plan admet également, en mai 1794, que si certains de ses collègues sont déjà « très capables de suivre une information […], il y a entre les uns et les autres une assez grande différence381».

En mai et juin 1794, la publication anonyme de deux manuels de procédure vise à combler les lacunes de la nouvelle magistrature382. Saluées par les contemporains pour leur utilité, les Instructions sur la manière de procéder en faits criminels répondent au recueil De la marche à suivre dans les affaires […] civiles383. Les deux ouvrages constituent des outils de formation précieux pour les magistrats débutants et inaugurent toute une littérature d’initiation à la nou-velle culture juridique. Imprimé sur vingt-quatre pages en format de poche, doté d’une table des matières qui facilite sa consulta-tion, le manuel des Instructions est explicitement destiné à l’usage quotidien des magistrats de police. Il s’apparente, sous une forme sommaire, aux dictionnaires-formulaires de procédure pénale, qui devient pléthorique avec l’avènement du droit positif moderne.

Le recueil des Instructions constitue une entreprise édito-riale limitée à une vocation purement technique : l’opuscule ne contient ni dispositions légales, ni commentaires doctrinaux, ni prescriptions pratiques pour l’enquête. Il précise uniquement le vocabulaire utilisé pour la rédaction du « verbal ». Sa dimension pédagogique est toutefois considérable. L’ouvrage fixe la « forme des actes » qui composent l’information préalable en proposant des modèles types : « les formules contenues dans ce petit recueil sont extrêmement simples ; leur titre seul indique leur usage384».

Le manuel détermine les modalités d’écriture de l’enquête pénale, rationalise la forme du dossier de procédure et standardise sa

380. Comptes rendus à l’Assemblée souveraine par les cours de justice de la République de Genève, 4 octobre 1795, p. 18.

381. Ibid.

382. Instructions sur la manière de procéder en faits criminels, 1794 ; De la marche à suivre dans les affaires qui se porteront […] aux cours civiles, 1794.

383. BGE, Ms. fr. 904, « Journal Ami Dunant », vol. IV, p. 436.

384. Instructions sur la manière de procéder en faits criminels, 1794, p. 2.

matérialité. Le recueil invite ainsi « l’informateur » à faire preuve de méthode pour restituer les éléments de l’investigation. Il pres-crit la manière de rassembler les folios, « afin de mettre de l’ordre dans les pièces de la procédure », et propose quinze modèles types de procès-verbaux différents. Il détaille surtout la composition de chaque procès-verbal, dont « le papier doit être plié de manière qu’il soit divisé en quatre parties égales », pour en faciliter la lec-ture, la numérotation et le classement. Le recueil explicite enfin la terminologie des mesures d’instruction, car « l’informateur doit donner la plus grande attention à distinguer » chacun des actes de l’enquête, placés sous des régimes juridiques distincts385.

Au-delà de fonder sa validité légale, le formalisme du procès-verbal participe plus fondamentalement de l’établissement de la vérité judiciaire. « Si le nom du prévenu est connu, on l’écrit en gros caractère » : adressé à des novices, le recueil détaille l’art d’ad-ministrer la preuve et la manière de synthétiser les conclusions de l’enquêteur386. Le formalisme de la phase policière de l’enquête est d’autant plus nécessaire que l’appréciation de ses résultats ne s’ef-fectue qu’au terme de l’instruction, par des instances judiciaires qui n’ont pris aucune part aux recherches de terrain. Avec l’avènement du droit pénal moderne, relève Paolo Napoli, le « juge n’inter-vient qu’au terme d’une procédure décomposée en degrés successifs d’évaluation » qui forment une véritable « chaîne », à l’origine de laquelle se trouvent essentiellement des agents relevant de l’autorité policière387.

La formulation écrite de l’enquête détermine ainsi l’appréciation des juges du siège autant qu’elle motive la sentence des jurys. Selon les détracteurs de l’institution populaire, « choisis dans la masse des simples citoyens », ses membres sont souvent « bien intentionnés, mais dépourvus des lumières nécessaires pour bien apprécier les preuves, la nature et la conséquence d’un délit388». La légitimité de la sentence pénale repose ainsi sur la solidité du dossier d’instruction, qui doit être constitué avec systématique. Selon le magistrat de police Marc

385. Ibid.

386. Ibid.

387. P. Napoli, Naissance de la police moderne, 2003, p. 206.

388. Registre du Comité criminel, 4e  séance, 19  avril 1793, AEG, Justice A5, p. 20 ; Premier rapport du comité rédacteur des lois permanentes, 1795, p. 18.

Plan qui met en garde ses collègues, les membres du jury ne sont pas « exercés à démêler la vérité dans un tas de pièces décousues qui composent une procédure, et […] n’ont pas l’habitude de lier ces différentes pièces pour en livrer le véritable résultat389».

Conséquence de l’évolution du système probatoire, l’inflation des preuves nécessite de diligenter leur administration avec exac-titude et logique. Le régime de la preuve morale supprime la hié-rarchie des modes probatoires, et tous les moyens de preuves sont admis pour forger l’intime conviction des instances de jugement390. Selon le Comité criminel, qui précise en avril  1793 les principes fondamentaux du nouveau système pénal, « la certitude judiciaire n’est pas une certitude mathématique. Elle n’est fondée que sur des possibilités, sur lesquelles il peut y avoir plusieurs manières de voir391». L’impartialité de la décision judiciaire suppose ainsi de suivre à la lettre les prescriptions pour la saisie, l’enregistrement et l’administration des preuves. Les instances d’accusation et de juge-ment se prononcent en effet essentiellejuge-ment sur les pièces écrites de l’enquête : le procès-verbal, qui « résume » l’affaire, rendra compte avec le plus de fidélité possible les « mesures prises pour établir le corps du délit et rechercher son auteur » :

Il faut observer que dans les déclarations, dépositions ou verbaux, le [magistrat] informateur doit préciser avec soin toutes les circonstances et ne rien omettre de ce qui peut, de près ou de loin, conduire à la découverte de la vérité. Jamais il ne faut se permettre de corriger le langage ni le style du plaignant, du témoin ni du prévenu ; la procé-dure étant le miroir dans lequel le juge doit voir tout ce qui s’est passé pendant l’information, il faut qu’en la lisant il soit affecté de la même manière qu’il l’aurait été, s’il avait été le témoin de l’instruction392.

389. Observations sur le projet d’Édit provisionnel relatif à la justice criminelle […] faites par le magistrat de police Marc Plan, 13  juin 1794, fol.  7, in AEG, RCL n° 1, p. 71-72.

390. J. Foyer, « L’évolution du droit des preuves en France depuis les codes napo-léoniens », 1963, p.  207 ; J.-L.  Halpérin, « La preuve judiciaire et la liberté du juge », 2009, p. 21-22 ; J. Hémard, « La preuve en Europe occidentale continentale au xixe et xxe siècles », 1963, p. 40-41 ; G. Lepointe, « La preuve judiciaire dans les codes napoléoniens », 1963, p. 181.

391. Registre du Comité criminel, 4e séance, 19 avril 1793, AEG, Justice A5, p. 21.

392. Instructions sur la manière de procéder en faits criminels, 1794, p. 2.

Si l’écriture du verbal relève a priori du simple procédé descrip-tif, certains détails se révèlent plus déterminants que d’autres pour établir la vérité et asseoir la conviction des juges. Pour faciliter l’in-terprétation de chaque affaire qui se distingue par leur singularité, le manuel d’instruction construit une grammaire descriptive qui écarte tout élément superflu et sans lien direct à la preuve. Selon Denis Salas, la « finalité » du procès-verbal d’enquête est « de réduire à un récit clair et univoque les interprétations nécessairement multiples et contradictoires des faits393». La systématicité de son écriture facilite à forger la présomption des juges instructeurs comme des instances de jugement :

Formule n° 13 VERBAL d’un suicide

du ___179_, l’an _ de l’égalité genevoise

Nous, Magistrat de Police-Juges de Paix, de l’arrondissement de __

soussignés certifions : que ce jour d’hui, environ les __ heures du__, le citoyen __ seroit venu nous informer qu’il s’était commis un suicide, rue __ maison__n° _. En conséquence nous nous y serions transporté sur-le-champ, suivi du cit. __ notre huissier ; et y étant parvenu au _ étage de ladite maison nous sommes entrés au domicile du citoyen M. __ horloger, âgé d’environ _ ans, lequel avons trouvé mort, dans telle ou telle position, ayant trouvé près de lui, telle ou telle arme (ici on désigne comment l’on présume que le suicide a été commis, afin de s’assurer qu’il n’y a pas d’assassinat394).

Le manuel des Instructions publié en 1794 procure un outillage élémentaire aux nouveaux magistrats de police pour cadrer la mise en écriture de l’enquête. Il s’avère toutefois insuffisant pour exemp-ter les néophytes de tout vice de procédure. Le 25  avril 1795, la première information du magistrat de police Jean-Alexandre Noblet évoque toute la maladresse du débutant. À peine élu, l’an-cien horloger appelé à effectuer une longue carrière policière ne res-pecte ni les règles de syntaxe élémentaires pour les dépositions, ni le canevas prévu par le manuel-formulaire pour les procès-verbaux.

393. D. Salas, Du procès pénal, 2010, p. 206.

394. Instructions sur la manière de procéder en faits criminels, 1794, p. 2.

Au bas de la pièce n°  11 –  numérotée sur le recto de manière erronée  – qui dresse l’inventaire des effets volés, le novice trace d’une main d’artisan une longue flèche en pointillé traversant tout le folio pour indiquer la suite de l’énumération, avec une indication maladroite à l’intention des juges : « tournez s.v.p395».

En octobre  1796, la Grande Cour criminelle déplore également le manque de systématicité des enquêteurs : « il arrive quelquefois […] que les magistrats de police ne reçoivent pas les dépositions des témoins à la première personne depuis le commencement de la déposition jusqu’à la fin396».

La Constitution révisée de décembre  1796 complète bientôt le manuel des Instructions pour guider les magistrats informateurs.

Outre sa vocation prescriptive intrinsèque, le nouveau texte consti-tutionnel détaille le déroulement des investigations judiciaires et précise in  extenso la terminologie du procès pénal. Le titre  XVI expose les « opérations » nécessaires « pour constater l’existence d’un délit », et établit méticuleusement le protocole de l’infor-mation397. Il fixe les modalités de saisie et de conservation des indices matériels ; il précise les formalités qui président au réper-toire et aux scellées des « pièces de l’enquête » ; il stipule enfin la manière de dresser l’« inventaire [qui] doit être fait de toutes les pièces qui peuvent fournir quelque lumière sur le fait qu’il s’agit de vérifier398». La Constitution modifiée clarifie définitivement le vocabulaire de l’enquête pénale399. Elle régit les modalités de l’expertise judiciaire, et dicte la forme du « rapport circonstancié » qui boucle la « visite » des auxiliaires et « doit désigner l’état de la personne blessée ou du cadavre, le nombre et les endroits des blessures, et avec quelles armes on peut présumer qu’elles ont été faites400». La Constitution précise enfin le procédé d’audition des témoins, et organise l’interrogatoire des prévenus, dont « les

395. Procès-verbal du magistrat de police Noblet, 25 avril 1795, AEG, PC 1re série, n° 17990, pièce n° 1.

396. Extrait du registre de la Grande Cour de justice criminelle, 26 octobre 1796, AEG, PH 5494, pièce n° 9.

397. Constitution genevoise, 1796, art. 861.

398. Ibid., art. 866.

399. Ibid., art. 804-842.

400. Ibid., art. 860.

questions sont faites à la seconde personne et les réponses à la première401».

La fabrication et l’impression des instruments matériels nécessaires à l’application de la légalité procédurale s’achèvent en janvier 1797.

La génération des magistrats élus pour la première fois en avril 1797 dispose de tout l’outillage normatif et pédagogique pour confor-mer leurs investigations de terrain au cadre légal. Selon les vœux de Julien Dentand, la pratique des enquêteurs peut s’émanciper tant du « recours aux commentateurs » que de l’écheveau de la jurispru-dence402. L’apprentissage des « formes » de l’enquête ne dépend plus des « oracles » et des « experts » du droit, mais des prescriptions de la loi positive et des manuels spécialisés403.

L’annexion française, en avril 1798, annihile toutefois brutale-ment le processus d’acculturation à la nouvelle législation. L’arrivée des monuments de codification balaie en effet l’œuvre législative de la Révolution genevoise. Élaboré par le résident de France Félix Desportes et ratifié par le Directoire le 26  avril 1798, le Traité de réunion marque la fin de l’indépendance de la République de Genève. Avec l’annexion, Genève « dépose et verse dans le sein de la Grande Nation tous ses droits à une souveraineté particulière404».

Chargés d’organiser un nouveau département dont la cité fortifiée de Genève serait le chef-lieu, les administrateurs du Directoire s’empressent de remplacer la « coutume » locale par le droit fran-çais405. Ils doivent cependant composer avec une magistrature peu impressionnée par la modernité des codes. Alors que la nation

« libératrice » invoque le caractère novateur de sa législation pour légitimer son expansionnisme territorial à l’échelle européenne, les citoyens de la République de Genève n’ont pas attendu l’an-nexion française pour élaborer leur propre modernité juridique406.

401. Ibid., art. 887.

402. J. Dentand, Essai de Jurisprudence criminelle, 1785, t. 1, p. 17.

403. Ibid., p. 13.

404. Traité de réunion de la République de Genève à la République française, 15 avril 1798, cité in E.  Chapuisat, La Municipalité de Genève pendant la domination française, 1910, t. 1, p. 3-11.

405. Lettre du ministre de la Justice au président du Tribunal criminel du dépar-tement du Léman, 20 avril 1799, ADL B 684 h, pièce éparse.

406. L. Lacchè, « L’Europe et la révolution du droit », 2002, p. 153 ; M. Vovelle, Combats pour la révolution française, 1993, p. 133.