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L’organisation judiciaire prévue par la Constitution de 1794 arti-cule une série d’innovations institutionnelles inédites qui reconfigure les autorités de poursuite, d’instruction et de jugement en matière pénale. La nouvelle architecture de l’État républicain consacre le principe de la séparation des pouvoirs cher aux patriotes insurgés de décembre  1792. Si les législateurs révolutionnaires genevois radica-lisent la doctrine classique de Montesquieu, ils envisagent toutefois la « séparation » de manière essentiellement négative, soit comme le non-cumul des prérogatives de l’État par une seule instance136. Dans l’esprit des législateurs, ce qu’il convient d’éviter, « c’est tout simple-ment la confusion des pouvoirs ou la réunion des pouvoirs entre les mains d’un seul », rappelle Michel Troper137. « À Genève on sépare les trois pouvoirs […] parce qu’on regarde comme dangereux et nuisible au bien public de les réunir entre les mains d’une seule personne »,

134. R. Martucci, « Quatre-vingt-neuf ou l’ambiguïté. Aperçu sur la liberté per-sonnelle et la détention avant jugement sus la Constituante (1789-1791) », 1992, p. 41 ; C. Aboucaya et R. Martinage (dir.), Du compromis au dysfonctionnement, 2009, p. 3 ; E. Berger, « Entre liberté et principe d’ordre. Normes, pratiques et enjeux de la poursuite sous le Directoire, le Consulat et l’Empire », 2009, p. 33.

135. J. Hautebert et S. Soleil (dir.), Modèles français, enjeux politiques et élabo-ration des grands textes de procédure en Europe, 2008, p. 4.

136. C.  Cornu, « Exposé des motifs à l’appui du projet de loi constitution-nelle sur la liberté individuelle et sur l’inviolabilité du domicile », 1957, p. 234 ; T. S. Renoux, « Séparation des pouvoirs », 2004, p. 1212-1213.

137. M. Troper, « Séparation des pouvoirs », 2013, § 26.

résume une brochure anonyme de 1798 qui détaille les innovations institutionnelles de la Révolution138. L’application de ce principe dans la Constitution genevoise de 1794 se traduit par la distinction des autorités administratives, judiciaires et législatives : les prérogatives ins-titutionnelles sont organisées de manière à ce que « chaque organe, ou groupe d’organe étatique, exerce une des grandes fonctions juridiques de l’État [sans] s’immiscer dans l’exercice des autres fonctions139».

Les législateurs genevois ne conçoivent donc pas l’équilibre consti-tutionnel comme l’équité parfaite des trois instances étatiques, mais comme leur indépendance dans l’exercice de leur fonction. « Le princi-pal mérite » de la nouvelle organisation consiste dans « la juste propor-tion des parties » du gouvernement, selon Louis Odier : la Constitupropor-tion réalise « un heureux équilibre des pouvoirs entre les corps, qui les met dans l’impossibilité d’empiéter les uns sur les autres140». Le nouvel ordre constitutionnel est subordonné au pouvoir législatif, et ce au nom de la « primauté de la loi ». Le pouvoir « provisionnel » de la République, quant à lui, est délégué à un « corps administratif », qui

« ne peut exercer les fonctions judiciaires », alors que les tribunaux ne possèdent ni de capacités exécutives, ni d’initiative législative141.

Cette nécessité impérieuse de « diviser les pouvoirs » s’applique également à la justice pénale, dont les législateurs genevois se méfient particulièrement. « Le pouvoir judiciaire est le plus formidable de tous », préviennent les membres du Comité criminel lors de l’élabo-ration de la procédure pénale en avril 1793, c’est pourquoi « on ne saurait mettre trop de précautions dans le choix de ceux à qui on le confie142». Le droit révolutionnaire genevois conçoit le pouvoir judiciaire comme essentiellement subordonné au législatif et spécialisé

138. « Dialogue entre un père et son fils », 1798, p. 89.

139. M. Troper, La Séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française, 1980, p.  19. Voir également M.  Troper, Terminer la Révolution, 2006, p.  56 ; M. Troper, « La notion de pouvoir judiciaire au début de la Révolution française », 1992, p. 829-844.

140. Discours du citoyen Louis Odier […] prononcé le 27 juillet 1793, 1793, p. 6.

141. Acte constitutif, 1796, art. XII. Voir L. Fulpius, L’Organisation des pouvoirs politiques dans les Constitutions genevoises du XIXe siècle, 1942, p. 33-34 ; H. Fazy, Les Constitutions de la République de Genève, 1890, p. 180.

142. Registre du Comité criminel, 4e séance, vendredi 19 avril 1793, AEG, Justice A5, p. 19. Voir J.-P. Royer, « Les innovations des constituants en matière de justice civile ou la “Cité idéale” », 1989, p. 61.

Fig. 4 : Architecture institutionnelle selon la Constitution de 1794

dans sa fonction juridictionnelle143. Cloisonnant les instances civiles et pénales, les législateurs distinguent trois fonctions pénales largement confondues dans l’ancien droit : poursuivre, instruire et punir sont conçus comme des fonctions juridictionnelles nécessairement disso-ciées, qui doivent être distribuées avec équilibre entre les autorités constituées. « Il est contraire aux principes que des juges qui doivent prononcer soient chargés de l’instruction et de la direction de la pro-cédure », précise en 1794 le magistrat de police Marc Plan dans son commentaire sur la législation criminelle144. Le droit révolutionnaire genevois décompose ainsi le procès en phases qui respectent la tri-partition des compétences pénales devenue canonique : la poursuite, l’instruction et le jugement sont attribués à des instances distinctes.

La Constitution issue de la Révolution ne se contente pas de séparer

143. Voir I.  Boucobza, « Un concept erroné, celui de l’existence d’un pouvoir judiciaire », 2012, p. 73-87 ; J.-L. Halpérin, Histoire des droits en Europe, 2004, p.  40 ; M.  Troper, « Fonction juridictionnelle ou pouvoir judiciaire ? », 1981, p. 5-6.

144. Observations sur le projet d’Édit provisionnel relatif à la justice criminelle […] faites par le magistrat de police Marc Plan, 13  juin 1794, fol.  4, in AEG, RCL n° 1, p. 71-72.

les pouvoirs souverains (législatif, exécutif, judiciaire), mais également d’autonomiser les fonctions pénales.

À l’instar des constitutions françaises de 1791 et de l’an  III, la fonction de juger est confiée à des instances judiciaires spécialisées et indépendantes des autorités exécutives et législatives, ce qui constitue l’une des innovations majeures du régime constitutionnel de 1794145. Au pénal, le pouvoir de juger appartient « dans toute sa plénitude » à un corps de treize juges, répartis en deux instances146. Composée de neuf magistrats, la Grande Cour de justice criminelle est compétente pour le « grand criminel ». En l’absence de code pénal, la division bipartite des délits s’opère sur l’ancienne « jurisprudence criminelle » : la Grande Cour, dont le ressort s’étend sur l’ensemble de la République, statue sur les « délits majeurs », soit essentiellement les crimes de sang et ceux qui étaient sous l’Ancien Régime « nécessairement jugés par le Conseil147».

La Petite Cour criminelle sanctionne quant à elle les infractions qui relevaient traditionnellement du « petit criminel148». Formée de quatre magistrats, elle se prononce sur « tous les délits mineurs », et « juge tous les délits des personnes depuis l’âge de 10 jusqu’à 16 ans149».

Élus au suffrage universel pour trois ans, renouvelés partiellement chaque année selon des modalités de rotation complexes, les membres des deux instances pénales sont distingués par une « robe blanche qui les enveloppe entièrement ». Cette tenue « annonce aux yeux du public un appareil aussi décent qu’imposant », s’émeut l’ancien auditeur Léonard Bourdillon (1725-1802) lors de l’installation des nouveaux tribunaux150. Les treize juges criminels sont spécialisés  : strictement cloisonnées, les instances pénales et civiles possèdent leurs propres magistrats et toute rotation interne est prohibée151. Les législateurs se

145. M. Troper, « Séparation des pouvoirs », 2013, § 26. Voir J. Krynen, L’État de justice. France, XIIIe-XXe siècle, 2012, t. II, p. 33.

146. Registre du Comité criminel, 4séance, vendredi 19 avril 1793, AEG, Justice A5, p. 19.

147. Édit provisionnel sur l’administration de la justice criminelle, 13  mars 1794, section I, art. I, § II.

148. Voir F.  Briegel, « Le petit criminel  : des pratiques aux normes (Genève xviiie siècle) », 2007.

149. Constitution genevoise, 1794, art. CXV.

150. BGE, Ms. suppl. 1111, « Bourdillon – Journal politique n° 29 », fol. 80-81 ; BGE, Ms. suppl. 1112, « Bourdillon – Journal politique n° 5 », fol. 14.

151. Sur cette question, voir J. Larguier, La Procédure pénale, 1963, p. 14.

méfient toutefois de la professionnalisation et de « l’esprit de corps » de la magistrature152. Ils craignent notamment le caractère « permanent » des nouvelles instances pénales : « à la longue il [pourrait] s’[y] former des gens qui ont la même vocation, les mêmes habitudes, les mêmes vues, les mêmes principes, monotonie qui serait souvent nuisible à l’innocence, dégénérerait en routine et ne donnerait point le véritable esprit du juge, qui n’est et ne saurait jamais être que la conciliation de toutes les maximes juridiques appliquées aux circonstances du fait sur lequel il s’agit de prononcer153». Pour pallier les inconvénients intrin-sèquement liés à la sanctuarisation du corps judiciaire, les constituants instaurent un jury de jugement. Composé de simples citoyens afin que le prévenu soit « jugé par ses pairs, c’est-à-dire par ses égaux », ce

« Tribunal momentané » se « prononce sur le fait seul154».

Le principe de la division des pouvoirs caractérise également l’enquête pénale. Proche des projets législatifs présentés par Adrien Duport devant la Constituante française en 1790, la nouvelle procé-dure criminelle genevoise fractionne l’instruction en étapes successives, diligentées par des autorités différentes, tant pour favoriser l’impar-tialité et l’indépendance de la justice que pour briser le monopole du juge sur l’enquête155. La terminologie du droit révolutionnaire genevois récupère largement celle de l’ancien droit. En bonne conti-nuité avec la bipartition de la procédure inquisitoire, l’instruction est divisée en deux phases qui perpétuent le schéma organique des procédures ordinaire et extraordinaire traditionnelles. En fonction du lieu de l’infraction, l’information préalable est confiée souverainement à l’un des vingt-trois magistrats de police, répartis sur le territoire de la République en vertu d’une redéfinition des circonscriptions admi-nistratives qui rationalise les « espaces policiers156».

Toutes les infractions relèvent de la compétence des magis-trats de police, qui informent quel que soit le type de contentieux :

152. P.  Poncela, « Adrien Duport, fondateur du droit pénal moderne », 1994, p. 146.

153. Souligné dans le texte. Registre du Comité criminel, 4e  séance, vendredi 19 avril 1793, AEG, Justice A5, p. 19.

154. Ibid. Le jury de jugement ne sera toutefois appliqué qu’à partir de la pro-mulgation de la seconde Constitution, en décembre 1796.

155. P.  Poncela, « Adrien Duport, fondateur du droit pénal moderne », 1994, p. 143.

156. C. Emsley, « Espaces policiers, xviie-xxe siècle », 2003. Voir infra, chapitre IV.

« l’information préalable est la même en cas de délit majeur ou mineur », précise le député Pierre-Marc Bourrit157. Sous l’autorité du pouvoir administratif qui diligente la poursuite pénale, les magistrats de police effectuent l’essentiel des actes d’investigation. Ils procèdent à l’ensemble des opérations nécessaires pour établir l’existence de l’in-fraction, en déterminer les circonstances et en découvrir les auteurs.

L’information préalable des magistrats de police constitue littéralement l’enquête préliminaire à la mise en accusation du prévenu158. Elle est effectuée sous la seule responsabilité des autorités de police et représente la « phase policière » de l’enquête : l’information préalable regroupe tous les actes qui tendent à rassembler les preuves d’une infraction en amont de l’ouverture d’une procédure.

L’ouverture d’une procédure n’intervient stricto sensu que si l’au-teur de l’infraction est identifié au terme de l’enquête du magistrat de police. L’appréciation des charges relève du jury d’accusation  : baptisé sur l’exemple anglais, le Grand Juré genevois « correspond à peu près au jury d’accusation » institué par la Constituante fran-çaise, d’après les observations formulées en 1799 par le président du Tribunal criminel du département du Léman, au lendemain de l’annexion française159. Les douze membres permanents du Grand Juré rédigent l’acte d’accusation, fondé sur les seules pièces écrites de l’enquête policière160. En fonction de la nature de l’infraction, le jury d’accusation requiert l’ouverture d’une grande procédure, ren-voie le prévenu devant la Petite Cour criminelle pour un règlement sommaire, ou classe l’affaire. L’ouverture d’une grande procédure est obligatoire pour tous les « délits majeurs ». Selon la législation de 1794, la direction en revient alors à l’instance civile, afin d’éviter que le juge « qui instruit soit le même qui se prononce161». L’un des huit membres de la Cour de justice civile non contentieuse, désigné juge informateur par le président du tribunal, instruit l’affaire jusqu’à la

157. Observations sur le projet d’Édit provisionnel sur les cours de justice, 11 juillet 1794, fol. 3, in AEG, RCL n° 1, p. 120-121.

158. G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 2011, p. 312.

159. Lettre du président du Tribunal criminel du Léman au ministre de la Justice, 18 mars 1799, AN, BB18 420.

160. Édit provisionnel sur l’administration de la justice criminelle, 13  mars 1794, section V, art. XVI.

161. Registre du Comité criminel, 4e séance, vendredi 19 avril 1793, AEG, Justice A5, p. 20.

clôture du dossier. Le juge informateur

Fig. 5 : Procédure pénale selon la Constitution de 1794

procède aux actes prépara-toires à l’audience orale, publique et contradictoire qui boucle le procès pénal devant la Grande Cour de justice criminelle. Sa mission se limite à un travail de vérification des charges accumulées durant l’enquête policière  : le juge réentend les témoins (« récolement »),

procède à de nouveaux interrogatoires des prévenus (« répétition »), organise les confrontations et ordonne, s’il est « convenable », les arrestations et perquisitions nécessaires, avant de transmettre le dos-sier au procureur général. Celui-ci se borne à valider la légalité des pièces du procès avant l’ouverture de l’audience162.

Censé garantir les droits fondamentaux des prévenus en limitant le pouvoir de chaque instance, le démembrement de l’instruction en plusieurs étapes ralentit dans les faits considérablement l’enquête, et suscite des critiques unanimes. « Cet arrangement nuit à l’unité et à l’ensemble de la procédure », estime dans son mémoire le magistrat de police Marc Plan163. Le « partage que l’on a fait de la totalité de la procédure en deux parties, l’une antérieure et l’autre postérieure au décret d’accusation, pour les attribuer à des magistrats différents [rend] l’instruction plus lente et plus incertaine », dénonce en effet le praticien. Aux arguments techniques, le magistrat de police ajoute des observations pragmatiques tirées de son expérience personnelle : le fractionnement de l’enquête nuit à la résolution de l’affaire. « En interrompant le magistrat de police au moment où les opérations qu’il vient de faire l’ont mis sur la voie de la vérité, on rend inutile l’aptitude qu’il a acquise à mieux suivre le fil que ses observations lui ont mis entre les mains164. »

La critique du magistrat de police rejoint les griefs adressés una-nimement contre l’ordre constitutionnel par les nouveaux juges. « Les pouvoirs [y] sont si divisés qu’on ne les trouve nulle part », déplore le député et juge au civil Jean-Louis Branchu (1756-1833165). Juge informateur auprès de la Cour de justice civile non contentieuse, Jean-Pierre Bérenger fustige pour sa part l’économie des nouvelles disposi-tions procédurales, qui font « succéder à une magistrature [respectée]

des corps séparés, morcelés, isolés, dont les pouvoirs affaiblis par leurs

162. Édit provisionnel sur l’administration de la justice criminelle, 13  mars 1794, section VI, art. XIII-XXVI.

163. Observations sur le projet d’Édit provisionnel relatif à la justice criminelle […] faites par le magistrat de police Marc Plan, 13  juin 1794, fol.  1, in AEG, RCL n° 1, p. 71-72.

164. Nous soulignons. Ibid.

165. [J.-L.  Branchu], Changements indispensables à notre Constitution, 9  juillet 1796, p.  1. Jean-Louis Branchu est élu au Conseil législatif en 1796, puis aux fonctions de juge de paix en 1797.

divisions se heurt[ent166] ». En octobre 1795, les juges informateurs réclament in corpore la réduction des acteurs impliqués dans l’enquête pénale. Le principe de célérité détermine l’efficacité répressive, selon les magistrats :

Comme Informateurs, nous avons dû faire quelques observations sur la procédure criminelle. Nous avons senti que la marche en est trop lente pour telle nature de délit qui demanderait une grande promp-titude, afin que les traces du délit et l’impression qu’il a faite sur les témoins ne pussent s’affaiblir, ou même s’effacer ; que les sentiments de ceux qui les virent commettre ne vinssent à changer ; que les cou-pables ne pussent concerter leurs défenses et rendre leur affirmation uniforme. Elle met à couvert l’innocence ; mais par des moyens dont le crime peut se servir pour échapper souvent à la conviction et à la peine, elle les leur offre et les invite, pour ainsi dire, à tromper leurs juges et la société entière167.

En conséquence, la révision constitutionnelle de 1796 réduit dras-tiquement « l’étagement institutionnel » qui morcèle l’action répres-sive168. Plus adaptée aux besoins réels d’une « petite République », la nouvelle organisation judiciaire et policière obéit à des impératifs de réduction budgétaire : la réforme répond à la nécessité de « modifier le luxe des institutions » et « de mettre la plus grande économie dans l’organisation des différents pouvoirs169». Les législateurs réduisent le nombre de juridictions (pénale et civile), et imposent la centralisation et la hiérarchisation de dispositifs répressifs  : la réforme de 1796 affecte tant les tribunaux et que l’organisation policière. La réunion des deux instances pénales renforce l’autorité de la Cour criminelle, désormais seule compétente pour l’ensemble du contentieux pénal.

La restructuration des cours vise à réduire « le trop grand nombre de fonctionnaires publics », dont les « fonctions sont trop divisées170». Le

166. BGE, Ms. hist. 325, « J.-P. Bérenger, Histoire des dernières révolutions de Genève, 1798, vol. 2 (1788-1797) », fol. 74r.

167. Compte rendu à l’Assemblée souveraine par les cours de justice de la République de Genève, Genève, 4 octobre 1795, p. 21.

168. La formule est de J.-P. Royer, Histoire de la justice en France, 2010, p. 281.

169. Premier rapport du comité rédacteur des lois permanentes relatif à la loi politique, 1795, p. 2.

170. Ibid.

corps des juges criminels est réduit à sept magistrats, dont le manteau noir doit rappeler l’autorité de la magistrature ancienne171.

La Constitution révisée reconfigure par ailleurs les dispositifs poli-ciers, afin « de donner au gouvernement assez de force pour protéger les droits de tous les citoyens172». Plus spécialisée, centralisée et hié-rarchisée, la nouvelle organisation réduit drastiquement les effectifs de la magistrature de police, qui passe de vingt-trois à seulement quatre fonctionnaires173. L’activité des fonctionnaires est désormais structu-rée par un Tribunal de police formé des quatre magistrats réunis174. Dominé par le Syndic de la garde, le Tribunal de police coordonne l’action policière et la direction de l’enquête pénale. La réorganisa-tion constituréorganisa-tionnelle de 1796 corrige surtout l’hybridité originelle de l’institution policière : avec la création d’un corps de sept juges de paix distincts qui récupèrent toutes leurs attributions civiles et d’arbitrage, les magistrats de police perdent formellement leur statut de juge. La révision constitutionnelle leur rétrocède toutefois une pleine compétence juridictionnelle sur les petits délits. Le Tribunal de police juge ainsi sommairement les « causes d’injures » et « les contraventions aux règlements et aux ordonnances », qui comprennent notamment « les excès, batterie, violence, voies de faits et autres actes qui se commettent dans des lieux publics175». Il prononce à cet effet des peines n’excédant pas huit jours de prison « en chambre close au pain et à l’eau ». Piliers du maintien de l’ordre, les magistrats de police conservent surtout leurs compétences dans l’information pré-alable : l’enquête pénale constitue l’une des composantes essentielles du « métier policier » reconfiguré par la réforme de 1796176.

Afin de corriger un système qui « morcèle trop l’administration de la justice177», la réforme procédurale de 1796 réduit le nombre d’acteurs impliqués dans l’enquête pénale. Alors que l’un des quatre magistrats de police des arrondissements urbains intra-muros diligente

171. Constitution genevoise, 1796, art. 263.

172. Premier rapport du comité rédacteur des lois permanentes relatif à la loi politique, 1795, p. 2.

173. Voir infra, chapitre IV.

174. Constitution genevoise, 1796, art. 299.

175. Ibid.

176. J.-M. Berlière et al. (dir.), Métiers de police, 2008.

177. Premier rapport du comité rédacteur des lois permanentes relatif à la loi politique, 1795, p. 2.

Fig. 6 : Architecture institutionnelle selon la Constitution révisée de 1796

nécessairement l’information préalable, la grande procédure revient à l’un des juges de la Cour criminelle. Ce dernier instruit, puis statue sur l’affaire178. Au demeurant, les dispositions de 1796 contredisent le principe de la séparation des fonctions juridictionnelles. Toutefois, la « réunion des deux qualités d’informateur et de juge [du siège]

n’est d’aucune conséquence dangereuse », juge le magistrat de police Marc Plan, dont les conseils guident la révision de la procédure179. Les dispositions légales limitent strictement le pouvoir des juges  : l’institution des jurés, « la publicité de la procédure et tous les moyens de défense que la loi accorde au prévenu doivent inspirer une sécurité parfaite à celui qui est innocent ». Selon le praticien, la réunion du droit de punir et d’instruire entre les mains du juge a une moindre conséquence sur l’administration de la preuve. La manifestation de la vérité intervient durant l’enquête policière, dont la grande procédure n’est qu’une validation180. Selon les acteurs de terrain, la polarisation

178. Constitution genevoise, 1796, art. 885.

178. Constitution genevoise, 1796, art. 885.