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Un exemple d’analyse générique et textuelle

3.1. Aspects méthodologiques

Pour exemplifier ce qui est en jeu dans notre proposition, nous prendrons un des genres appartenant à l’objet d’étude de notre projet : l’annonce publicitaire. Étant donné que notre objectif est l’analyse de genre, un corpus de textes appartenant à ce genre a été constitué. Chaque texte de ce corpus a été analysé en détail, en utilisant les différentes catégories observables dans la grille proposée. Dans cette première analyse ont surgi des mécanismes spécifiques à chaque texte. Ensuite, notre travail a résidé dans la détection des récurrences et des divergences observables dans les textes. Donc, dans cette phase, l’analyse textuelle est un procédé qui rend possible la différenciation entre phénomènes singuliers et phénomènes récurrents et, simultanément, permet de trouver les traits communs sous-jacents aux phénomènes dans les divers textes.

Il serait impossible d’explorer ici toutes les dimensions semio-linguistiques comprises dans l’organisation textuelle et l’organisation générique. Aussi, nous avons sélectionné seulement un des phénomènes : l’articulation entre unités de différente nature sémiotique, c’est-à-dire, ce qui dans la grille est désigné comme « Articulation entre UTs quelconques ». Comme on peut l’observer dans la grille, les modes d’articulation entre unités textuelles constituent un des aspects qui relèvent de l’infrastructure générale du texte. Le choix de cet aspect pour notre exemplification repose sur deux raisons : d’un côté, ce choix entend mettre en avant la pertinence de considérer les unités textuelles de nature sémiotique non verbale pour l’analyse de textes et de genres qui, comme on l’a dit, est un des éléments que nous avons introduit dans le modèle du ISD ; d’un autre côté, ce phénomène est d’une grande importance dans l’analyse de ce genre en particulier.

L’annonce publicitaire est un genre qui explore de diverses manières les relations possibles entre les systèmes sémiotiques différenciés. De fait, la présence d’unités verbales et non verbales dans les annonces est un trait caractéristique de ce genre – un paramètre, dans notre terminologie – comme cela a déjà été souligné par plusieurs chercheurs (cf. à titre d’exemple, Adam & Bonhomme, 1997 : 55-70).

Le bref commentaire que nous ferons ici cherche à démontrer de quelle manière un des paramètres relatifs à l’articulation entre unités verbales et non verbales est actualisé entre deux unités : d’un côté, une unité non verbale que nous appellerons « image principale », qui peut apparaître éventuellement dans les textes et qui se distingue par la taille et la localisation spatiale ; d’un autre côté, une unité verbale qui intervient aussi de manière variable, que nous dénommerons « appel » ou « titre », constituée d’une (ou plusieurs) phrase(s) mise(s) en évidence (par la typographie et/ou la segmentation).

3.2. Un paramètre, deux mécanismes

De l’analyse de notre corpus, qui réunit une ample variété d’annonces publicitaires portugaises, surgit l’unité « image principale » (photo ou dessin de plus grande taille et/ou mise en évidence), qui, quand elle existe, peut présenter l’objet du discours (produit, endroit, service… divulgué), de manière à ce que ce ne soit pas un simple accessoire ou élément illustratif. Un des rôles (ou une des fonctions) que cette unité non verbale peut avoir est la « convocation » à la lecture de l’annonce et, simultanément, l’introduction (ou instauration) du référent. Pour ce, dans l’unité verbale que nous dénommons « appel » (ou titre), il est possible d’employer des formes référentielles avec valeur anaphorique (pronoms et syntagmes nominaux introduits par un démonstratif). De cette manière, l’unité verbale ne peut être interprétée que par la présence de l’unité non verbale. Ceci démontre l’existence d’une articulation fondamentale dans l’organisation des annonces: une relation de dépendance dans laquelle se construit une chaîne référentielle.Dans cette chaîne, l’unité non

Analyse textuelle, analyse de genres : quelles relations, quels instruments ? 51 verbale a la fonction d’introduction du référent et l’unité verbale constitue un lien de reprise référentielle, qui pourra, éventuellement, continuer dans la section rédactionnelle dénommée « corps de texte ».

Cette caractérisation constitue un paramètre du genre de l’annonce publicitaire pour ce qui est de l’articulation des différentes unités textuelles (verbales ou non verbales). Ceci signifie que les textes sont construits en prenant en considération cette possibilité d’articulation entre unités. Ce paramètre est actualisé de manière différente dans chaque texte. Pour illustrer notre propos, nous allons aborder les mécanismes de réalisation textuelle qui actualisent ce paramètre à travers deux exemples.

Figure 1 - Annonce de la voiture Alfa 147 Figure 2 - Annonce de l’Océanorium de Lisbonne

Dans l’exemple 1 (annonce de la voiture Alfa 147), nous voyons l’image de la voiture au centre de la page. L’ « appel » (le titre) est distribué en deux sections: a) sur fond rouge, présence des possessifs « seu » /votre/ et « sua »/votre/ ancrés dans l’image ; b) phrase avec typographie plus grande, au centre de la page, sur l’image, emploi du pronom personnel « ele » /il/, référent à l’image.

Dans l’exemple 2 (annonce de l’Océanorium de Lisbonne), l’image principale présente le dessin d’une morue. Dans l’ « appel », il y a une anaphore comme sujet du verbe « passa » /passe/ et le pronom « o » /le/ qui fait référence au poisson dessiné. C’est seulement dans le corps du texte (section rédactionnelle) que le terme « bacalhau »/morue/ est explicité. Comme nous le voyons, si les deux textes actualisent le même paramètre, chacun d’eux emploie des unités différentes (photo vs dessin, possessifs et pronom personnel vs anaphore et pronom personnel) et des organisations spécifiques (par exemple, la présence d’un ou de deux appels, la structure et sa localisation dans la page).

52 M. Gonçalves, F. Miranda

Aspect de l’organisation interne Paramètre du genre Mécanisme Exemple 1 Mécanisme Exemple 2

In fr as tr uc tu re g én ér al e ou p la n de t ex te Modalités d’articulation entre UTs Articulation entre UTs quelconques Relation de dépendance entre l’unité non verbale « image principale » et l’unité verbale « appel » dans laquelle se construit une chaîne référentielle. L’unité non verbale a la fonction d’introduction du

référent et l’unité verbale constitue un lien de reprise référentielle L’image de la voiture au centre de la page introduit l’objet de discours et instaure un référent. L’ « appel » est distribué en deux sections: a) sur fond rouge, présence des possessifs

ancrés dans l’image ; b) phrase avec typographie plus grande, au centre de la

page, sur l’image, emploi du pronom personnel « ele »/il/, ancrée dans l’image.

L’image principale au centre de la page présente le dessin d’une morue. Dans l’« appel », l’anaphore comme sujet du verbe « passa » /passe/ et le pronom « o » /le/ qui fait référence au poisson dessiné

Tableau 2 - Un exemple

Nous remarquons à travers cette exemplification que les mécanismes sont spécifiques aux textes – voir la différence entre mécanisme de l’exemple 1 et celui de l’exemple 2 – mais ils actualisent une même caractéristique associée au genre dans lequel les textes s’inscrivent. Si nous incluions plus d’exemplaires de notre corpus, nous observerions que dans chaque texte empirique qui actualise ces paramètres les mécanismes réalisés sont différents. Quand nous effectuons l’analyse textuelle de ces exemplaires, nous trouvons ce qu’ils ont de plus spécifique et singulier ; quand nous réalisons une analyse de genre qui rapproche les deux textes, nous cherchons à caractériser ce qu’il y a de commun dans les mécanismes des différents textes. Dans ces exemples, les deux textes actualisent le trait commun de l’occurrence d’un certain mode d’articulation entre les deux unités textuelles.

4. Conclusion

La proposition que nous vous avons ici sommairement présentée entend montrer que analyse de textes et analyse de genres constituent deux classes d’approches différentes des productions langagières. L’analyse textuelle peut être une fin en soi ou peut être, comme dans notre recherche, un procédé pour entreprendre une analyse de genre.

L’analyse textuelle cherche à décrire les spécificités d’un texte considéré dans son individualité. Dans le processus de production textuelle, tout texte actualise des paramètres du genre dans lequel il s’inscrit par des mécanismes de réalisation textuelle. Cependant, l’actualisation des paramètres n’est pas une simple reproduction, et ce, pour deux raisons : d’un côté, parce que la relation entre paramètres génériques et mécanismes de réalisation textuelle n’est pas biunivoque (par exemple, un même paramètre peut être actualisé par différents mécanismes, comme nous l’avons vu dans les exemples) ; d’un autre côté, dans chaque acte de production textuelle, la configuration paramétrique associée au genre dont le texte relève est adaptée aux propriétés particulières de la situation dans laquelle l’action langagière s’insère. Ainsi, un texte est toujours un objet unique, singulier, non répétable. Lorsque nous entreprenons une analyse textuelle, nous décrivons l’objet dans cette singularité.

L’analyse de genres, quant à elle, cherche à identifier ce qui, pour les textes singuliers fonctionne comme modèle d’orientation ou guide, dans le processus de production et aussi, mais de manière différente, dans le processus de compréhension textuelle. Il s’agit d’un relevé d’aspects ou traits récurrents dans des textes associés à une même catégorie générique. L’objectif d’une analyse de genres est de décrire et d’objectiver ce qui constitue, comme

Analyse textuelle, analyse de genres : quelles relations, quels instruments ? 53 représentation sociocognitive, le modèle du genre en question pour les producteurs et les récepteurs.

Si nous avançons que les deux approches peuvent être réalisées en appliquant un même instrument d’analyse (représenté schématiquement par une grille dans notre proposition), il faut distinguer deux catégories associées à chaque espèce d’approche. Ainsi, paramètres et mécanismes sont les résultats des données que l’on obtient dans chaque plan d’analyse (générique et textuel).

La distinction théorico-méthodologique entre « analyse textuelle » et « analyse de genres » est pertinente non seulement pour une Théorie Linguistique des Textes, mais aussi pour les domaines de la linguistique appliquée, comme l’enseignement-apprentissage des langues et la traduction. En effet, assumer la différenciation des phénomènes qui sont relatifs au genre de ceux qui sont propres au texte lui-même, en tant qu’objet individuel, constitue un espace qui nécessairement doit être pris en considération dans l’approche des unités de communication linguistique que sont les textes. La raison principale de cette affirmation se trouve dans la manière dont nous concevons la relation entre le général et le particulier : chacun de ces plans s’implique mutuellement, une fois que les textes sont des exemplaires de genre et les genres sont des formes textuelles relativement stabilisées dans et par l’utilisation du langage. Un travail didactique ou empirique (comme la traduction) avec des textes a tout à gagner si on admet la singularité de l’objet et, parallèlement, son affiliation générique. Cependant, il faut souligner que les instruments élaborés dans le cadre de recherches théoriques, comme la nôtre, ne peuvent être transférés sans aucune autre réflexion vers les autres domaines ; de fait, et spécialement dans le cas de la didactique des langues et de la formation des traducteurs, il faut encore développer des instruments spécifiques qui rendent compte des dimensions pertinentes pour ces domaines. Dans tous les cas, notre proposition donne quelques pistes dans cette voie.

Références

Références bibliographiques

ADAM, Jean-Michel (1999). Linguistique textuelle. Des genres de discours aux textes. Paris :

Nathan.

ADAM, Jean-Michel (2005). La linguistique textuelle. Introduction à l’analyse textuelle des

discours. Paris: Armand Colin.

ADAM, Jean-Michel, BONHOMME, Marc (1997). L’argumentation publicitaire. Rhétorique de l’éloge et de la persuasion. Paris : Nathan.

BERNÁRDEZ, Enrique (1995). Teoría y epistemología del texto. Madrid: Cátedra lingüística.

BRONCKART, Jean-Paul (1997). Activité langagière, textes et discours. Pour un interactionisme socio-discursif. Lausanne: Delachaux et Niestlé.

BRONCKART, Jean-Paul (2004). Les genres de textes et leur contribution au développement psychologique, Langages, 153 : 98-108.

COUTINHO, Maria Antónia, ALVES, Marisa, GONÇALVES, Matilde,MIRANDA, Florencia&

PINTO, Rosalice (à paraître), Parâmetros de géneros e mecanismos de realização textual – aspectos teóricos.

MAINGUENEAU, Dominique (1998). Analyser les textes de communication. Paris : Dunod. RASTIER, François (2001) Arts et sciences du texte. Paris : PUF.

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Texte Alfa 147: Magazine National Geographic (Portugal), Juillet 2004.

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RÉGULARITÉS ET IRRÉGULARITÉS DANS LA POLYSÉMIE DES

NOMS DAFFECT : LE CAS DE LEXPRESSION DE LA SOURCE DE

LAFFECT

Vannina GOOSSENS

vannina.goossens@u-grenoble3.fr LIDILEM, Université Stendhal Grenoble3 BP 25 - 38040 Grenoble cedex 9

Abstract : The work presented in this article is an exploratory study of the polysemy of affect nouns in which we focus on a particular type of regular polysemy : the cases where the affect noun refers to the source of this affect. We will try to identify the linguistic characteristics of this type of polysemy and to determine whether it gives rise to significant groups of nouns.

1. Introduction

Les noms d’affect (désormais N_affect) tels peur, colère, joie, amour, etc., sont sémantiquement complexes et, de plus, fortement polysémiques. Nous nous proposons d’étudier les caractéristiques de cette polysémie dans le cadre d’un traitement unitaire des N_affect permettant de poursuivre l’entreprise typologique initiée sur ces noms à partir de leurs propriétés combinatoires (Tutin et al., 2006, Goossens, 2005). Nous nous demanderons en particulier si ces noms obéissent à des modèles de polysémie spécifique, et sur quelles bases on peut fonder les régularités observées. Nous émettons en effet l’hypothèse qu’il existe des schémas de polysémie régulière qui pourraient s’avérer caractéristiques de cette classe de noms et susceptibles de nous renseigner sur leurs caractéristiques sémantiques. Afin de tester cette hypothèse, nous avons décidé de nous intéresser dans un premier temps à un seul type de dérivation polysémique régulière, les cas où le N_affect semble exprimer en réalité la source de cet affect.